
père rien, il ne craindra rien auffi, comme on
peut s'en convaincre par l'exemple des barbares,
qui, aveuglés par l'habitude du defpotifme, mé-
connoilfent les droits facrés que l'homme tient
de la nature. On les voit traîner après eux , dans
leurs expéditions, une nuée d’efclaves abrutis; & ,
comme fi ces malheureux étoient une vile &
infenfible portion de matière, les faire fervir de
fafcines pour combler de$ foffés & des marais.
Bel emploi ! éminente preuve d'un pouvoir qui
ne témoigne autre chofe , finon que la crainte
n'a plus de prife fur le coeur de l'homme abruti
par la défuetude d'agir par foi & pour foi, &
devenu comme ébêté par la privation confiante
de toute efpérance.
Le pouvoir donc qui n'établit fon domaine que
fur la crainte, n'a plus pour fujets que des hommes
fans ame, que des automates, dont le premier
peut cependant quelquefois, par un mouvement
è c un choc inattendu, détruire & anéantir ce pouvoir.
On voit en effet allez d'exemples de def potes
renverfés par de tels accidens , & ce font les
derniers des hommes qui donnent tous les jours
le lignai des attentats qui détrônent les fouverains
prétendus arbitraires. Duo manipulares fufceperunt
transferre imperium ro'manum & tranfiulerunt. T a c i t .
Mais cette facilité même prouve que toutes les
autres volontés étoient aliénées, & que fi le prétendu
pouvoir arbitraire a quelque durée, c'eft
que la multitude n'eft pas plus capable de faire
un gouvernement, que de régler les faifons, &
qu'elle attend tout du hafard & rien de l'ordre,
qui lui efi inconnu, foit dans la fortune de l'état,
foit dans la fienne propre.
En effet, fi , dans ces gouvernemens informes
& fans règles, où le pouvoir paroît arbitraire
parce qu'il efi opprelfif dans les détails , quelque
chofe tient & réfifte, ce font les préjugés nationaux
, auxquels il efi forcé de ceder. En Afîe ,
pays qui a fubi tant de révolutions , theatre
naturel des conquérans, attendu qu en general la
nature y offre moins de barrières, & que la terre
y efi d'une fertilité prefque fpontanée; ên Afîe,
où, par cette dernière raifon, l'agriculture, plus
a&ollie , fut prefque toujours efclave & le fabre
toujours dominant, tout ne préfente qu'une fcène
effrayante de dominations dévaftatrices qui fe fuc-
cèdent & s'effacent fans ceffe, fous lefquelles
l'homme ne femble vivre que pour perpétuer les
crimes & les défaftres, & où les exécuteurs des
ordres fanguinaires de la tyrannie font , s'il efi
poflîble, plus malheureux encore que fes trilles
victimes..
Tout empire , tout commandement réel &
durable tient à l'utilité refpeétive, & connue de
celui qui commande, & de celui qui obéit. On
ne fait point le bien des hommes fans eux, c’eft-
à-dire, fans qu'ils y confentent ; les livres faints
le difent expreffémelit : celui 1qui vous a fait fans
vous , ne fauroit vous fauyer fans vous. Celui donc
qui veut trouver une prompte obeiffance à fes
ordres, d oit, fi l'on peut parler ainfi, penfer
raifon pour lui-même, parler raifon pour ceux
qui font à portée de l'entendre, & écrire raifon
•pour ceux qui doivent au loin concourir à fa
volonté : ce qui n'eft proprement autre chofe
qu'obéir.
La raifon efi donc le véritable fouverain qui
doit commander fans contrainte & fans difficulté j
mais quelle efi cette raifon qui doit être entendue
de tous ? C 'eft la raifon phyfique des chofes ,
qui correfpond à la raifon de tous, & qui, par
fon évidence, entraîne leur confentement à ce
qu'elle demande. Par exemple, tout le monde
entend la raifon d'agir quand il efi jour, de s'arrêter
quand il efi nuit, de fe chauffer quand il
fait froid, de femer lorfque la nature s'éveille ,
de recueillir dans la maturité, de pofféder les
fruits de fon travail, de tenir fes conventions,
de, jouir de fes propriétés, &c. & c . & c .
Le véritable pouvoir , l'abfolu p o u v o i r e f i
celui qui efi entendu de tous, & qui confifte à
ordonner que chacun fuive la raifon des chofes >
les hommes', fans le fecours d'une autorité dominante
, agiront , travailleront, feront leurs
propres affaires , & ils ne veulent que cela ; mais
ils ne fauroient fe garantir de l'invafîon de l'ennemi
& de l'oppreflion du plus for t, fans une
protection majeure. Iis la béniront & l'appuieront
de toutes leurs forces', fi elle efi raisonnable j
& c'eft-là la puiffance abfolue, & c'eft-là feulement
qu'on peut la trouver.
Nous avons vu qu'il falloir écrire ( raifon )
pour être entendu au loin. Comme les brigands
font en force , il efi néceffaire qu'une fociété
paifible & raifonnable foit nombreufe, ferme &
puiffante, afin d’être en état de faire une longue
& forte réfiftance ; mais pour qu'une fociété foit
nombreufe, il faut que le territoire qui l'alimente
foit étendu ; pour qu'elle foit ferme, il faut que
tout ce qui habite & cultive ce territoire foit
fortement uni au chef qui la commande, ne
reconnoiffe que fon commandement ; & pour
que ce commandement foit connu au loin , il
faut qu'il foit écrit. C'eft-là la loi qui n'eft que
l'expreflion de la raifon des chofes, & qui loin
de s'oppofër à l'autorité & de borner la puiffance ,
n'eft autre chofe que l'autorité prononcée,. la
puiffance confirmée, la voix du fouverain entendue.
Que perdent à cela fes fantaifies du moment
& fes jouiflànces perfonnelles ? Quand je veux
aller au bal ou au fpe&acle, ferois-je bien-aife
que mes agens, mes fermiers, mes colons & mes
domeftiques quittaffent tous le travail, en attendant
que je vinffe leur dire quelle eft ma volonté
? Les fantaifies du pouvoir arbitraire ne
font que des attaques de la déraifon, auxquelles
chacun eft fujet dans fa fphère. Les vrais fondateurs
du pouvoir font deslégiflateurs qui annoncent
la raifon aux hommes, & la leur font goûter
par la douce expérience de fes heureux effets ,
qui prépofent des tribunaux à fon maintien, &
qui dérobent ainfi leurs fujets à l'efclavage A e ï arbitraire,
lequel n'appéfantit fes fers fur perfonne autant
que furie fouverain, forcé, fous le régime de l'^r-
bitraire, ou de faire continuellement le métier de
général d'armée, & d'être même toujours heureux,,
ou en fe rendant invifîble à fes peuples, de devenir
l'efclave de fes vils favoris & l'organe des
intrigues de fon trille palais. ( G. )
A R C A T E , petit pays de l'Inde, avec le titre
de nababie , fitué fur la côte de Coromandel,
derrière les établiffemens européens de Pondichéry
& de Madras.
Les petites puiffances de l'Inde ayant des rapports
intimes avec la France & l’Angleterre, nous
croyons devoir recueillir dans ce dictionnaire tout
ce que nous avons pu tirer des livres anglois ou
des européens qui ont voyagé dans ces contrées.
C e travail fera d'autant plus utile, que les noms
de ces petites fouverainetés de l'Inde ne fe trouvent
pas même dans les dictionnaires & les autres
ouvrages de géographie 5 mais il ne fera pas fac
ile , car les matériaux font difficiles à raffem-
b ie r , & l'ortographe des' mots de l’Inde eft très-
incertaine ; les françois & les anglois les écrivent
bien différemment, & ni les uns ni les autres ne fui-
veut l'ortographe des naturels du pays. Ainfi le dif-
triCt dont nous parlons ici eft appellé Arcate par
les premiers , & Arcot par les féconds.
Lorfque Thamas-Koulikan quitta Delhy pour
retourner en Perfe , la nababie à*Arcate tenoit
le premier rang parmi les gouvernemens compris
dans, la foubabie du Décan ; elle le méritoit en
effet par fon étendue, par fa richeffe & fa population.
On défignoit fous ce nom tout le pays
de la côte de Coromandel , compris entre les
montagnes & la mer , depuis le cap Comorin
jufqu’au Kifna, fleuve q u i» après un cours de
plus de cinq cens lieues , fe jette dans la mer
près de Mazülipatnam.
C e gouvernement, quoiqu'amovible, étoit depuis
très long-temps pofféde par la même famille ,
qui étoit une branche des Seyds ou des defeen-
dans de Mahomet, par A ly fon coufin , & Fa-
time fa fille. Un gouvernement doux & modéré
avoit rendu ce pays très-riche & très-peuplé , & '
les fujets adoroient leur fouverain. D'autres fei-
gneurs de la même maifon, comme les nababs
de Veilour, Vandevachi , & c . poffédoient de
petits pays qu'ils avoient reçu en appanages, mais
ils étoient dafis la dépendance du nabab d3Ar-
cate, chef de leur famille.
La nababie àjyîrcate comprenoit différens petits
états , tels que celui du Raja , de Tanjaour, du
Naies de Maduré & de Mazara, & c . qui étoient
tributaires, & obligés de fournir un contingent
de troupes à l'armée du nabab.
En 1740 les marates firent une incurfion dans
la foubabie du Décan ; profitant de l'abfence
de Nizam-el-Moulouc, grand-vifir & fouba, qui
étoit à Dehli, ils fe répandirent comme un torrent,
& ils arrivèrent jufques dans le pays à3Arcate
3 fous la conduite de Ragogi leur général.
Le nabab à3Arcate ayant raffemblé fes forces ,
qui n'étoient pas comparables à celles des marates
, marcha contre eux 5 il perdit la bataille ,
& il fut tué.
Il laina un fils qui lui fuccéda ; fes autres parens
cherchèrent un afyle à Pondichéry, où M . Dumas,
gouverneur de la colonie, les reçut & promit
de les défendre. Les françois avoient, depuis
leur établiffement dans l'In d e , reçu un grand
nombre de bienfaits des nababs d3Arcate.
Ragogi vint mettre le liège devant Pondichéry,
dont les fortifications étoient en mauvais état ;
il vouloit qu'on lui livrât la famille réfugiée &
qu'on lui payât un tribut. Tout le monde fait la
belle réponfe de M. Dumas : les états du roi de
France ont toujours été l'afyle des princes malheureux
, ô? les françois nont que des boulets & des
balles a donner en tribut. La place fut fauvée par
une galanterie faite à propos à la maîtreffe du
général marate, autant que par la bonne défenfe
de la garni fon.
I^année fuivantè le même général afliégea Trit-
chenapoli, place forte fur le Caveri, qui fe rendit
faute de vivres ; Chanda-Saeb , nabab de ce pays ,
fut fait prifonnier & conduit à Sattara. Nizam-el-
Moulouc ayant appris l'irruption des marates &
la. mort du nabab d3Arcate, qui fut affafliné ,
nomma en 1741 Anaverdi-Khan, un de fes meilleurs
généraux, homme adroit, confommé dans
la politique & la fcience du gouvernement, régent
& adminiftrateur de la nababie d3Arcate ,
pendant la minorité de Seyd-Mehemet-Khan ,
I petit-fils de Daouft-AIy-Kan. Anaverdi-Khan,
j qui commandoit les forces du fbùba du Décan
dans le nord de Mazülipatnam, fe rendit bientôt
z Arcate j d'un autre cô té , Nizam-el-Moulouc
ayant volé au fecours de fes états, Ragogi abandonna
le pays d3Arcate , & fe retira dans fa
patrie»
Anaverdi-Khan rétablit le bon ordre dans le
pays dont l'adminiftration lui avoit été confiée;
il fe fit aimer des peuples & de l'armée. Il montra
d'abord beaucoup d’attachement au jeune prince,
& il parut prendre un extrême foin de fon éducation
; mais , fongeant à envahir les états de
fon pupille , il s'efforçoit d'infpirer au jeune
prince une hauteur & une avidité capables de le
rendre odieux, & dans le même temps il recherchait
de plus en plus les moyens de gagner le
peuple & les foldats.
Dès que le jeune prince fut en âge de fe marier
, il lui confeilla d'époufer la fille du nabab
de Veilour, un de fes proches parens. C e nabab
F f i