
l'égard de tout le monde indiftin&ement , chacun
peut fuivre fans crainte la voix du patriotifme.
Enfin c'eft une maxime fondamentale , « que la
” liberté de propos , les difcuflions & les pro-
» cédés en parlement , ne doivent être ni pour-
93 fuivis ni mis en queftion en aucun tribunal ou
” lieu 3 hors du parlement (i).
On a fenti que l'intérêt peut, aufli bien que
la crainte, impofer lilence au devoir. Pour prévenir
fes effets ,ona décidé que tous les hommes
intéreffés dans la perception des taxes, les com-
mififaires chargés de pourvoir à la fubfiftance des
troupes de terre & des flottes, les commis des
différens bureaux des finances, & en général toutes
les perfonnes ayant un office fous La couronne (2) ,
pu une penfion durant plai(îr., ou pour un terme,
/font inhabiles à ftéger dans la chambre - baffe.
Celui qui accepte un office fous La couronne (3) ,
n eft plus membre des communes , à moins qu'il
ne foit de nouveau élu.
Au refte , ces loix ne s'obfervent pas en entier,
comme nous le dirons ailleurs , mais c'eft un abus
du gouvernement j & puifqu'on le dénonce dans
chaque feflicn avec tant de chaleur, il y a lieu
de croire qu'on ne tardera pas à le réformer.
Tels font les moyens qu'ont employé les anglois
pour prévenir l'influence de la difpenfation des
grâces, qui eft réfervée au roi. On a pris ces
précautions fucceflivement, & à mefure qu'on
en a fenti le befoin : l'efprit qui les a diélé fub-
fifte toujours, & il en établira de nouvelles, lî
jamais les circonftances l'exigent (4).
S e c t i o n Ve
De La liberté qif affûte la confiitution ^Angleterre
aux habitans de ce pays.
La liberté individuelle des anglois, difent leurs
jurifeonfuites, eft formée, i°. du droit de propriété
, c'eft-à-dire, du droit de jouir exclufive-
ment des dons de la fortune ou des fruits de fon
induftrie; 2°. du droit de furetéperfonnelle ; 30. de
la faculté locomotive, c'eft-à-dire, du droit de fe
tranfporter où l'on, veut fans gêne & fans per-
miflion.
Chacun de ces droits eft inhérent à la perfonne
de tout anglois, & il ne peut en être privé que
par un arrêt rendu conformément à la loi du »
pays. On donne à ces trois privilèges le nom de
droit de naijfance ,* on les diftingue par le feul
mot de birtk-right, c'eft-à-dire, par le terme qui
exprime le droit du roi à fa couronne. Les habitans
de l'Angleterre l'ont fouvent oppofé au roi
dans des temps d'oppreflion, comme un droit
d'une moindre étendue fans doute, mais d'une
fan&ion égale au fien.
Le 4r°it de propriété eft pris en Angleterre dans
toute ion étendue > le roi ne peut exiger de fes
fujets aucune portion de ce qu'ils poffèdent, il
doit attendre qu'ils lui en faffent eux-mêmes le
don i & ce privilège, qui eft le rempart de tous
les autres privilèges des citoyens, a de plus l'avantage
de détruire l'une des principales caufes d'op-
preflion. Quant aux atteintes des particuliers à ce
droit de propriété , il fuffira de dire qu'il n’eft
en Angleterre aucun homme qui puiffe s'oppofer
à la force irréfiftible des loix ; que les juges ne
pouvant être privés de leur office que fur une
accufation du parlement, le crédit du roi, ou
de ceux qui approchent de la perfonne du roi,
ne fauroit influer fur les jugemens j que les juges
ne pouvant prononcer que lorfque le point de
fait a été établi par des hommes nommés, pour
ainfi dire , au choix des parties , l'acceptation
des perfonnes eft bannie des tribunaux.
Ce que je dirai dans la feétion neuvième de
la jurifprudence civile & criminelle de Y Angleterre
^ démontrera cette vérité plus en détail.
S e c t i o n V Ie.
Du droit de réfifiance & de révolte que les loix
d'Angleterre accordent a la nation.
On verra à l'article C r e t e , que les Crétois^
pour tenir leurs premiers magiftrats dans la dépendance
des loix, employoient un moyen bien fîn-
gulier , celui de Y infurrection ,* qu'une partie des
citoyens fe foulevoit,- & mettojt en JiiiieJes
magiftrats, & les obligeoit de rentrer dans la
condition privée,: ainfi il y eut, dans les républiques
anciennes, des inftitutions qui établirent
la fédition pour empêcher l'abus du pouvoir.
Les» loix de Pologne ont aufli leurs infurrec-
tions-3 mais elles paroiffent tolérées & non pas
autorifées par les loix ; & elles prbduifent de É|
grands maux, qu'elles ne préviennent pas en faveur
d'un pareil remède.
Le droit de réfifiance au roi , que la nation
angloife s'eft réfervé , e'ft fondé fur, de meilleurs
principes} elle en a fait ufage avec fûccès.,
& on lui confeilleroit en vain d'y renoncer.
Ce fut la réfifiance qui produifit la grande
( 1 ) An. 1. de Guillaume & Marie. Stdt. 2. cap. 2.
(2 ) H y a , par rapport à ces officesquelques exceptions qu’il eft inutile de rapporter ici.
(3 ) A moins qu’il ne s’ag’flè d’un office dans l’armée au fur la flotte , tous les autres font fujets à cette règle. Et J
lorfqu’un membre des communes eft créé miniftre, il ne peut lîéger à la chambre s’il n’eft pas élu de nouveau.
(4) 11 eft du "moins permis de le croire, d’après les viâoires que le parlement remporte de temps en temps fur lui-
même ; fl l’ on agite une queftion qui intéreflè la liberté des citoyens d’une manière direfte, on voit prefque. toujours,
la pluralité des membres oublier leurs vues d’ambition , & ne penfer qu’à -leurs intérêts comme citoyens.
tharte , fondement de la liberté de la nation :
l'excès d'une puiffance établie par la force , fut
alors réprimé par la force. Les anglois fe font
fçrvi du même moyen, en divers temps, pour
obtenir la confirmation de la grande charte : c'eft
la réfiftaiice à un roi qui comptoit pour rien fes
e'ngagemensqui a mis fur le trône la famille aujourd’hui
régnante.
Cette reffource , . qui n'avoit été jufques-là
qu'une voie de fait oppofee à des voies de fait,
fu t , à cette époque , avouée par la loi elle-
même. Les lords & les communes, folemnelle-
ment affemblés, déclarèrent que « le roi Jacques
« fécond s'étant efforcé de détruire la conftitu-
» tion du royaume * en n'obfervant pas le contrat
« paffé entre le roi & le peuple, ayant violé les
*» loix fdndamentales & s'étant retiré hors du
33 royaume, avoit abdiqué le gouvernement, &
que le. trône étoit vacant (1) ».
Et de peur .que ces principes, çonfàcrés par
la révolution, ne devinffent des fecrets d'état,
connus feulement d'une certaine çlaffe de citoyens,
le même aéte affure à chaque particulier
le droit de réclamer d'une manière folemnelle
contre les abus du pouvoir, & d'avoir des armés
pour fa défenfe. Voici comment s'exprime le juge
Blackftone, dans fes commentaires fur les loix
$ Angleterre :
« Et pour la défenfe de ces droits, quand ils
» font violés ou attaqués, les fujets d'Angleterre
» ont droit, i ° . de réclamer le libre cours de
H la juftice dans les tribunaux } i ° . de préfenter
M des pétitions au roi ou au parlement ; 30. d'avoir
H & d'employer des armes pour leur défenfe (2) ».
Enfin ce droit de s'oppofer à la violence, fous
quelque forme & de quelque part qu'elle vienne,
e ft fi Bien reconnu, que les tribunaux l'ont pris
quelquefois pour motif de leurs décifions.
S e c t i o n V I I e.
De la jurifprudence civile de VAnglterre.
C ’eft un bonheur pouf la nation angloife d'avoir
lin code particulier} celui des romains ne peut
convenir en tout aux autres peuples, & chaque
état devroit en avoir un approprié aux cir-
•conftances où il fe trouve. Je vais dire avec
quel fcrupule & avec quelle prévoyance Y Angleterre,
afin de mieux affurer fa liberté, a refufé
de fe foumettreà des loix étrangères.
Lorfque les pandeéles furent retrouvées à Amal-
phi, les eccléliaftiques, qui étoient alors les leuls
hommes en état de les entendre, ne négligèrent
pas cette occafion d'augmenter le crédit qu'ils
avoient déjà ; & ils les firent recevoir dans la
plus grande partie de f Europe : par un hafard affez,
fingulier, l'Angleterre, qui de voit avoir une conf-
titution fi différente de celle des autres états,
rejetta le droit romain.
Sous Guillaume le Conquérant & fous les rois
qui occupèrent le trône après lui, des prêtres
étrangers s’introduifirent en foule à la cour üAngleterre.
Leur crédit, qui ailleurs pouvoit être
regardé comme une choie indifférente, ne le fut
pas dans un pays 011 le fouverain exerçoit une
forte de defpotifme, & où acquérir du crédit
fur fon efprit, c'étoit acquérir la puiffance même.
La noblene vit leur progrès avec la plus grande
jaloufie} elle fentit qu'elle feroit immédiatement
expofée : & elle crut qu'elle augmenteroit leur
influence, fi elle recevoit des loix que ces mêmes
hommes cherchoient à introduire , & dont ils
feroient néceffairement les dépofitaires & les interprètes.
Les loix romaines apportées par des moines ,
s'affocièrent à l'idée du pouvoir eccléfiaftique ,
ainfi que la religion de ces moines, prêchée dans
la fuite par des rois qui vouloient être defpotes,
s'affocia avec l'idée du defpotifme. La nobleffe
les rejetta dans tous les temps même avec humeur
(3) } & l'ufurpateur Etienne, qui avoit intérêt
à les gagner, alla jufqu'à en défendre l’étude.
J'ai montré plus haut qu'il y avoit alors
de grandes liaifons entre la nobleffe & le
peuple : la haine du droit romain s'étendit de
proche en proche}.& ces loix, que leur fageffe
en bien des cas, & fur-tout leurs détails, euffent
dû faire adopter à l'époque où la jurifprudence
angloife étoit elle-même au berceau, éprouvèrent
de la part des jurifconfultes l'oppofition la plus
confiante. Ceux qui cherchoient a les introduire
renouvellèrent fouvent leurs tentatives , & l'on vit
à la fin une forte de conjuration parmi les laïques „
pour reléguer ces loix dans les univerfités & dans
les monaftères.
Cette oppofition alla fi loin, que Fortefcue ,
le premier des grands juges, & enfuire chancelier
fous Henri V I, a écrit un livre intitulé :
(1 ) Le bill des droits a donné depuis une nouvelle fanftion à tous ces principes; & même , dans le recueil des fis-
■ tûtes at large > on a recueilli, en marge de l’aûe, la lifte des violations de- Jacques & au deflus. on lit : diefs d’abdication
, heads of abdication.
Difpenfing poorer. Committing prelates. Levying money, fianding army, &c,
(a) Blackftone’s , comment. B. 1. ch. i.pag. 140.
(3) La nobleffe déclara, fous le règne de Richard I I , « que le royal me êFEngleterre n’étoîc devant ces heures , ne a
» l’entent du roi notre feignior & feigniors du parlement unques s ne fera rulé ne gpverné par la ley civil ». In Rich*
portamento Wefi-monafierii, % febr. anno 11*