CHILI, pays de l'Amérique méridionale fur
les côtes de la mer du lud.
Cette région, telle que la pofsède l’efpagne,
a une largeur de 50 lieues entre la mer & les Cor-
dillières, & 9c» lieues de côte depuis le grand
dél'ert d’Atacomas, qui la fépare du Pérou, jusqu'aux
illes de Chiloë, qui la Séparent du pays
des patagons.
Nous donnerons d'abord un précis de l’hif-
toire politique de cette contrée > nous parlerons
enfuite des établiffemens efpagnols &c des guerres
qu'ils ont à Soutenir} & nous traiterons enfin de
la fertilité du Chili > de Son état aétuel & de Son
commerce.
^P a r a g r a p h e p r e m i e r .
Précis de thifioire politique du Chili, & guerres que
tes efpagnols ont a foutenir au Chili.
Les incas Soumirent à leurs fàges lpix une partie
de cette vafte contrée, & ils Se propoSoient d'y
affujettir le refte 5 mais ils trouvèrent des difficultés
qu'ils ne purent vaincre.
Ce grand projet fut repris par les efpagnols ,
auffitôt qu'ils eurent fait la conquête des principales
provinces du Pérou. Almagro, parti de
Cufco au commencement de 1535, traverfa les
Cordillieres ; &'quoiqu'une grande partie des Soldats
qui le fuivoient, y euflent trouvé la mort,
il fut reçu avec une foumiffion entière par les peuples
anciennement dépendans du trône qu'on ve-
noit de renverfer. La terreur de Ses armes lui aurait
fait obtenir vraisemblablement de plus grands
avantages, fi des intérêts particuliers ne l'euflent
ramené au centre de l'empire, où il trouva une
mort tragique.
Les espagnols reparurent au Chili en 1741. Val-
divia 5 leur général y pénétra avec une facilité
extrême. Les nations qui l’habitoient vou-
îoient faire leur récolte. Dès qu'plie fut finie, on
prit les armes : la guerre dura dix ans fans interruption.
A la vérité quelques cantons découragés
par les pertes continuelles qu'ils faifoient, avoient
pris le parti de Se Soumettre ; mais d'autres dé-
fbndoient toujours leur liberté, quoiqu'avec un
désavantage prefque continuel. -
Un capitaine indien, à qui Son âge & Ses infirmités
ne permettoient pas de Sortir de Sa cabane, ' ■
entendoit toujours parler de ces malheurs. Le chagrin
de voir les liens conftamment battus par une
poignée d'étrangers, lui donna des forces. Il
fonns treize compagnies, de mille hommes chacune,
qu'il mit à la file l'une de l'autre, &. les
mena à l'ennemi. Si la première étoit mife en déroute
, elle devoit, au lieu de Se replier fur la Seconde,
aller Se rallier fous la protection de la
dernière. Cet ordre , qui fut fidèlement Suivi,
déconcerta les efpagnols. Ils enfoncèrent fucceffi-
veraent tous les corps, fans en tirer aucun avan*
tage confidérable. Les hommes & les chevaux
ayant également befoin de repos, Valdivia ordonna
la retraite vers un défile, où il prévoyoit
qu'il feroirjufé de Se défendre : on ne lui donna
pas le temps d'y arriver. Les indiens de l’arriere-
garde s'en étant emparés par des voies détournées
, tandis que les autres fuivoient Ses pas avec
précaution, il fut enveloppé & maffacré avec les
cent-cinquante cavaliers qui formoient Sa troupe.
On lui verfa , dit on, de l'or fondu dans la bouche.
Abreuve-toi de ce métal dont tu es fi altéré , lui
criaient avec fatisfattion ces fauvages. Ils profitèrent
de leur victoire pour porter la défolation &
le feu dans les établinemens européens. Plufieurs
furent détruits î & tous auraient eu la même def-
tinée, fi des forces confidérables, arrivées à propos
du Pérou, n’euffent mis les vaincus en état
de défendre les poftes qui leur reitoient, & de
recouvrer ceux qu'on leur avoit enlevés.
Les plus irréconciliables ennemis des efpagnols
font les habitans d'Arauco & de Tucapel, ainfi
que ceux qui habitent au Sud de la rivière de Bio-
bio, ou qui s'étendent vers la ccrdillière. Leurs
moeurs beaucoup plus analogues à celles des
fauvages de l'Amérique Septentrionale , qu'aux
moeurs des Péruviens leurs voifins, les rendent
redoutables. Ils ne portent que leur corps à la
guerre , & ne traînent après eux ni tentes ni bagages.
Les mêmes arbres dont ils tirent leur nourriture
, leur fourniffent les lances & les javelots
dont ils font toujours armés. Allurés de trouver
dans un lieu ce qu'ils avoient dans un autre, ils
ne regrettent point une grande étendue de pays
qu'ils abandonnent : tout Séjour leur eft égal- Leurs
armées, Sans embarras de vivres ni de munitions ,
Se meuvent avec une agilité Surprenante. Ils exposent
leur vie en hommes qui n'y font pas attachés
5 & s'ils perdent le champ de bataille, ils
retrouvent leurs magafins & leurs campemens partout
où il y a des terres couvertes de fruits.
Ces barbares ne Se croient battus, que lorP
qu'ils font enveloppés. S'ils peuvent gagner un
lieu d’un accès difficile, ifs fe jugent vainqueurs,
ils penfent au moins que les Succès font balancés.
La tête d'un efoagnel qu'ils portent en. triomphe ,
les confole de la mort de cent indiens.
Le pays eft fi vafte, que lorsqu'ils fe voient
trop preffes, ils abandonnent leurs poffe fiions, &
s'enfoncent dans des déferts inacceflibles, dans
des forêts impraticables. Fortifiés par d'autres indiens
, ils ne tardent pas à revenir dans les contrées
qu'ils habitoient. C'eft ce mélange de fuite
& de réfiftance, d’audace & de crainte, qui les
rend comme indomptables.
La guerre eft pôur eux une efpèce d’amulèment.
Comme ils la font fans frais & fans embarras, ils
n'en craignent pas la durée, & ont pour principe
de ne jamais demander la paix. La fierté efpa-
gnole doit fe plier à en faire toujours les premières
ouvertures. Lorfqu'elles font favorablement
reçues, oft tient une conférence : le gouverneur
du Chili & le général indien , accompagnés des
capitaines les plus diftingués des deux partis, règlent
dans les plaifirs de la table les conditions de
l'accommodement. Il en coûte toujours quelques
préfens aux efpagnols , qui, après cent tentatives
plus funeftes les unes que les autres, ont été forcés
de renoncer à l'efpoir d'étendre leurs frontières
, & réduits à les couvrir par de fortes places,
de diftance en diftance. Ces précautions ont pour
objet d'empêcher les indiens Soumis, de Se réunir
aux Sauvages indépendans, & ceux-ci de faire des
hicurftons dans les colonies.
§. I l
Des établijfemens efpagnols.
Les hoftilités meurtrières dont on vient de parler
, fe Sont renouvellées à mefure que les espagnols
ont voulu étendre leur empire, Souvent même
lorfqu'ils n’avoient pas cett.e ambition. Les
combats ont été Sanglans, n'ont guères été
interrompus que par des trêves plus ou moins
courtes. Cependant depuis 1771 la tranquillité n'a
pas été troublée, & quoique les gazettes aient
parlé de la révolte de ce pays pendant les dernières
hoftilités entre l'Angleterre, la Y rance, l’Ef-
pagne, les Etats-Unis de l'Amérique & la Hollande
, tout a été affez paifible.
Malgré la chaleur & l’opiniâtreté de tant de
combats , il s'eft formé au Chili plufieurs bons
établiffemens , principalement fur les bords de
l'Océan.
C o q u im b o , ou la Serena, ville élevée en
1544, à cinq oufix cents toifes de la mer, pour
contenir les indiens, & pour aflurer la communication
du Chili avec le Pérou, ne fut jamais
confidérable. On la vit diminuer encore, apres que
des pirates l'eurent Saccagée & brûlée, malgré la
fertilité de Ses campagnes, quoiqu'on ait ouvert
d'abondantes mines du meilleur cuivre à Son voi-
finage, elle ne s'eft jamais bien relevée de cette
infortune.
V a l -p a r a i s o ne fut d'abord qu’un amas de
cabanes deftinées à recevoir les marchandises qui
venoient du Pérou & les denrées qu'on vouloit y
envoyer. Peu à peu les agens de ce commerce,
qui appartenoit en entier aux négocians de la capitale
, réuflirent à fe l’approprier. Alors ce hameau
, quoique placé dans une fituation très-défa-
gréahle, devint une ville très-floriflante. Son port
s'enfonce une LLeue dans les terres > le fonds en
eft d'une vafe gluante & ferme. A mille toifes du
rivage, il y a trente-fix ou quarante brades d'eau,
& quinze ou Seize tout près de la plage. Dans les
mois d'avril & de mai, les vents du nord feraient
courir quelques dangers aux navires, fi on négli-
geoit de les amarrer fortement.
L ’avantage qu'a cette rade d’être la plus voifine
des meilleures cultures & de Sant-Yago , doit la
raffurer contre la crainte de voir diminuer Ses
profpérités.
C e fut en 1 ƒ yo que fut bâtie la C o n c e p tio n ,
dans un terrein inégal, fabloneux , un peu élévé,
Sur les bôrds d'une baie, dont le développement
embraSfe près de quatre lieues, & qui a trois
ports, dont un Seul eft sûr. La ville Se vit d'abord
le chef-lieu de la colonie : mais les indiens voifins
s'en rendirent fi Souvent les maîtres, qu'en 1574
il fut jugé convenable de la dépouiller de cette
utile & honorable prérogative. En 1603 elle fut
de nouveau détruite par un ennemi implacable.
Depuis cette épocjue, plufieurs tremblemens de
terre lui ont caufe des dommages très-Confidera-
bies. Telle eft cependant l'excellence de fon territoire
, qu'il lui refte encore quelque éclat.
A foixante - quinze lieues de la Conception ,
toujours fur les bords de l'Océan pacifique, eft
V a l d i v i a , ville plus importante que peuplée.
Son port & fa fortereffe, regardés comme la clef
de la mer du fud, furent long-temps fous l’inf-
peélion immédiate des vice-rois du Pérou. On
comprit à la fin que c'étoit une furveillance trop
éloignée, & la place fut incorporée au gouvernement
de la province.
Perfonne ne penfoit aux ifles de Chiloé. Le
bonheur qu'avoient eu les jéfuites de réunir & de
civilifer un grand nombre de fauvages dans la principale,
qui a cinquante lieues de long-& Sept ou
huit de large , fit naître le defir de l'occuper Au
centre font les indiens convertis. Sur la côte orientale
a été conftruite une fortification, nommée
Chacao, où l'on entretient la gamifon néceflàire
pour fa défenfe.
Dans l'intérieur des terres eft S a n t - Y/lgo ,
bâti précipitamment en 1541 , détruit en 1730
par un tremblement de terre, & rétabli auffi-tôt
avec un agrément & des commodités qu'on ne
trouve que très-rarement dans le Nouveau-Monde.
Les maifons y font, à la vérité, fort baffes &
conftnrites avec des briques durcies au foleil 3
mais elles font toutes blanchies au dehors , toutes
peintes en dedans, toutes accompagnées de jardins
fpacieux, toutes rafraîchies par des eaux
courantes. On compte quarante mille habitans dans
cette cité j & le nombre en ferait plus grand, fans
neuf couvens de moines & fept de religieufês qui
s'y font établis.
Sant-Yago eft la capitale de l'état & le fiège de
l’empire. Celui qui y commande eft fubordonné
au vice-roi du Pérou pour tous les objets relatifs
au gouvernement, aux finances & à la guerre :
mais il en eft indépendant comme chef de la justice
& préfîdent de l'audience royale. Onze cor-
résidors , répandus dans la province , font chargés
, fous fes ordres , des détails de l'adminiP
tration.
I l s'eft fucceffivement formé dans cette contrée