
luficn funefte, toute cupidité privée naît du delîr
de fe prévaloir, d'anticiper fur le droit d'autrui,
& de Ce dérober à une partie de fe s devoirs ; quiconque
s'abandonne à cette cupidité, s'oppofe à
1 ordre naturel des chofes, & par conféquent contribue
au défordre. N
Le gouvernement, qui eft la vigilance & la force
p i e p o fe e a 1 o b fe rva tio n de la loi, ne d o it avoir
d autre* b u t, que de maintenir l'ordre, qui va de
lui-même, par l'impulnon des befoins de l'homme
& des defîrs qu'ils lui infpirent, dès qu'on la if ïe à
chaque individu la liberté d'agir félon cette im-
pulfion dans ce qui ne peut nuire au droit naturel
d un tiers. Mais fi le gouvernement le trompe fur
fes droits,*méconnoît fes devoirs, & prétend fa-
vorifer 1 un au préjudice de l'au tre, fous prétexte
que 1 un lui eft plus particulièrement confié que
1 autrej il prévarique, il force, il tyrannife, il
défordonne ; & l'injuftice générale & particulière
en eft la fuite.
C'eft ce qui arrive tous les jours dans le fein des
focietes, le plus fouvent fans doute par erreur :
mais c’eft ce qui fe fait hautement de fociété à
fociété, de nation à nation, félon les confeils de
la fauffe politique, qui prend l'influence mercantile
pour la fève de la profpérité ; delà , l'iniquité
réfléchie, l'injuftice prononcée , l'ufage des repréfailles,
l'animofîté perpétuée entre les familles
humaines voifines,.les guerres ruineufes, les traités
frauduleux ; &: pour avoir établi le culte d'une
faufte divinité 3 dédaigné le vrai commerce, & tourné
toutes fes vues Ÿers le trafic, on voit naître &
s'étendre la misère générale.
_ On conçoit que le commerce eft l'âme de la vie
civile ; mais pour le bien connoître, il faut en
embraffer la nature & les rapports dans toute leur
etendue.
Le commerce confifte en rapports; & les premiers
rapports font de l’homme avec la terre. C'eft le
plus important des commerces.
Les rapports fecondaires, qu'on pourroit ap-
/peller la fécondé roue de la machine du commerce,
s'établiflent par la communication & l'échange du
fuperflu des uns contre le fuperflu des autres , devenu
le néceflaire des deux parts ; & c'eft-là le
commerce de première main.
Viennent enfuite des rapports, qui quoique
moins eflentiels , accélèrent le mouvement, &
augmentent la circulation : tels font ceux que font
naître le travail & la vigilance d'agens qui ne pro-
duifent pas, mais qui trafiquent des produits des
autres , & leur épargnent les frais du déplacement.
C'eft à ceux-ci qu'on doit le commerce rural.
Enfin les hommes qui fabriquent, voituren't,
débitent les produits appropriés aux befoins de la
fociété & aux demandes particulières, fondent le
commerce d’induftrie, qui n'eft véritablement qu'une
dépendance des premiers.
Le but de tous les commerces eft de chercher
Içs confommateurs devenus leurs pratiques. Entre
les agens de détail, qui font à portée des ^grands
débouchés, ceux qui ont tourné leurs fpécula-
tions vers les voifîns, ou , comme on d it , vers
l'etranger, devenus les aventuriers du trafic, ont
profité en raifon de la nouveauté & de la r’areté de
leurs découvertes, & ont donné lieu au commerce
qu'on ‘ nomme étranger.
Ces profits particuliers ont ébloui les nations ;
& les gouvernemens citadins fe trompant fur les
principes du commerce, ont comme renverfé l'échelle
politique ; en effet on a pris les profits des
trafiquans pour la richeffe de l'etat : on a cru voir
fa fplendeur dans l'étalage des boutiques ; le luxe
de la décoration a paffé pour la magnificence, l'oi-
fîveté pour la civilifation, la préemption & la
charlatanerie pour le vrai favoir, le relâchement
pour la bonté, la pareffe pour le repos ; car toutes
les erreurs fe tiennent.
Qu'on redreffe l'échelle, qu'on affranchifîe &
refpeéte l'ordre naturel des rapports. Les premiers
alors feront ceux de l’homme avec la terre; ceux-là
donneront & tranfmettront rapidement la vie,-Tac-?
tion & l'abondance à tous"les autres ; & c'eft ainfî
que le commerce fera vraiment l'ame de la vie fo-
ciaJe.
Après avoir confidéré le commerce d'une vue générale,
& fous fon afpetft le plus étendu, pre-
nons-le maintenant fous une acception particulière.
■ Le commerce , dans le fens qu'on y attache d'ordinaire
, & fuivant. le langage commun, eft l'ac-
-tbn d'acheter pour revendre à profit les productions
de la terre & les ouvrages de l'art. Pour ne
pas laiffer d'idées confufes à ce fujet, & nous exprimer
d'une manière plus exaéte, nous difons que
le commerce eft un échange de deux ou plufieurs
objets'de valeurs pour valeurs égales, pratiqué par
le moyen d'agens'intermédiaires, ou fans ces agens,
ǰur l'intérêt commun des échangeurs. Si cet
échange fe fait immédiatement entre les produc^
teurs & les confommateurs, nous lui donnons proprement
alors le nom de commerce j fi c'eft media-
tement, nous l'appelions négoce ou trafic. Dans
le premier cas, il eft plus fimple; car il n'exige
ni façons , ni voitures, ni revendeurs. Dans le
fécond, plus compofé , il a befoin des façon-
neurs, des voituriers & des revendeurs én,titre.
Sous quelque afpeét qu'on le regarde, il ne s'établit
pas fur des befoins mutuels & une dépendance
chimérique, comme l'ont prétendu des écrivains
qui ont traité de cette matière ; car que vous ayez
befoin de bled, & moi de v in , ce n'eft pas ce qui
fera naître un commerce entre nous; c'eft au contraire
de ce que vous avez du vin, & la volonté
de ne le pas boire, & de ce que j'ai du bled & la volonté
de ne le pas confommer, qu'il va réfijlter un
échange. Le commerce ne naît pas de la difette ;
c'eft l'abondance qui en eft la mère, & qui le fait
fubfifter. Les hommes ne penfent à échanger leurs
produirions pour d’autres & à jouir des productions
naturelles qu’ils n’ont pas, que lorfque la
terre, produit des fruits par la culture au delà de la
fubfiftance de ceux qui la travaillent.
Les produirions naturelles de la terre 8c des
eaux , qui font la bafe du commerce , fe diftinguent
en deux efpèces, les unes appellées ïubftances ; les
autres, matières premières des ouvrages de l'art.
Les unes 8c les autres font d'abord dans la poffef-
fion des producteurs, d'où elles paffent quelquefois
immédiatement dans les mains de ceux qui les
confomment, 8c le commerce eft là dans fon ef-
fence abfolue ; plus fouvent elles font vendues en
argent aux manufacturiers, voituriers 8cmarchands,
1 qui les façonnent, les tranfportent 8c les trafiquent
, 8c durant ce temps-là confomment des fub-
fiftances. De leurs travaux réfulte une maffe de
marchandifes façonnées, à la place de celles des
matières premières 8c des fubfiftances qui n'exif-
tent plus. Une partie de ces marchandifes demeure
entre leurs mains pour leur propre ufage, le fur-
plus eft vendu tant aux propriétaires des terres,
qu'aux cultivateurs ; 8c s'il en refte encore que la
nation ne veuille, ou ne puilfe point confommer
8c folder, on l'échange par le négoce extérieur,
contre d'autres fubfiftances ou marchandifes oeu-
vrées, que la nation a defir de confommer.
( Le commerce de nation à nation n'eft toujours
qu'un échange de valeurs pour valeurs égales. Si le
commerce enrichit une nation, cela n'eft vrai que
dans le fens, qu'il eft pour elle une reffource qui
lui permet d'augmenter fes richeffes par la culture,
8c non qu'il puiffe les accroître par lui-même.
» Plufieurs croient néanmoins qu’une nation ga-
*> gne fur une autre nation ; ils ne voient pas
», qu'une nation n'eft qu'un corps compofé de plu-
» fleurs hommes, qui tous féparément ne peuvent
» payer le prix de ce qu'ils achètent, qu'avec le
» prix de e t qu'ils vendent ; que des millions
» d'hommes réunis en corps dê nation, ne trou-
vent point, à laxfaveur de leur nombre , le
moyen de paflfer lès poflibles, 8c de donner ce
» qu'ils n'ont pas ; qu'ainfi les loix naturelles du
m commerce, les conditions fans lefquelles il ne '
« peut fe foutenir, font de nation à nation comme
d’homme à homme ; qu'une nation enfin ne
» peut vendre qu'autant qu'elle achète, 8c ne
» peut acheter qu'autant qu'elle vend ( i ) » ) .
T elle eft la marche du commerce, fous le double
point de vue où il peut être confidéré. Dans
fa plus grande fimplicité il eft d’une utilité plus
générale, parce qu'alors la confommation eft près
de la production, qu'elle fert à l'augmenter, 8c
qu'on évite par là les grandes dépenfes de charrois,
de fret, demagafinage ( z ) , quifaifant tomber
à bas prix les ventes de la première main, font
décroître les revenus du territoire, la maflTe des
falaires 8c la population. Lorfque le commerce a befoin
d'intermédiaires, il n'eft pas fi profitable par lesrai-
fons contraires, 8c parce que les profits qui de-
meuroient aux agens de la culture paffent en partie
à une claffe qui ne tient point à la terre, 8c n'eft
riche que de richeffes amovibles.
Le commerce n'eft pas l’ame des états, comme
on l'a cru 8c comme on l’a tant prôné. La bafe
de la profpérité des états n'eft autre que l'agriculture.
Mais comme le commerce anime 8c étend
l'agriculture, 8c que celle-ci languiroit fans lui 8c
fechèroit, pour ainfi dire, dans fa racine, il eft
pour les fociétés d'une néceffité indifpenfable ,
quoique fécondaire, puifqu'il eft l'échange 8c le
moyen de la confommation , 8c par-là meme de la
réproduCtion (3).
La plupart des gouvernemens de l'Europe, à
qui on a préfenté le commerce comme la four ce
des richeffes, 8c qui font encore perfuadés de
cette erreur, ont mis en jeu tous les refforts de
leur puiffance pour donner à leur nation la fupé-
riorité du commerce ; mais, pas plus inftruits fur
les conféquences qui dévoient en dériver que fur
le principe qui les faifoit agir, ils ont pris des
mefures pour réuffir, qui contrarioient abfolument
leurs intentions peu éclairées. Sourdes négociations,
a êtes exclufifs, gênes 8c guerres atroces.,
combats fur terre 8c fur mer dans l'ancien 8c dans
le nouveau monde , tout a été mis en oeuvre pour
rendre hommage a cette idole, tout lui a été fa-
crifié ; mais il en eft réfulté ce qu'on avoit lieu
d’en attendre, des pertes immenfes pour tous les
concurrens, un defordre inconcevable dans ce
commerce qu'on vouloit tant exalter, 8c un épui-
fement réciproque.
L'adminiftration, qui ne voit l'intérêt du commerce
que dans celui du commerçant, eft encore
dans l'ignorance. Elle doit féparer dans fon idée
l'intérêt du commerçant de celui de la nation ,
8c ne regarder que celui-ci (4) ; car , en adop-
(1) Encyclopédie économique.
(*) Tour cela,'de même que l’a&ivité & I’induftrie de ceux qui les emploient, quoique très-utiles , comme pourvoyant
à la nécefltté du rapprochement .indifpenfable de ces deux chofes, la produâion &c la confommation, ne font
pourtant que des frais pris fur la chofe même.
(3) Le commerce eft la corde d’un puits , fans laquelle l’eau qu’il contient devient inutile. On auroit tort de prétend
e néanmoins que cette corde Ôc l’ufage qu’on en fait font la four ce de l’eau du puits 5 c’eft au contraire l'eau qui eft
dans le puits, jointe à la connoiflance 5c au befoin qu’on en a , qui eft la caufe de l’ufage qu’on fait de la corde ; il
ne faut point confondre les caufes avec les moyens.
(4) Les négociâns , trafiquans ou marchans fervent le commerce, mais ne.le font pas. On dit pourtant : « les hollan-
03 dois font un grand commerce dans la Mer Baltique; mais, dans le vrai , c’eft un grand trafic : les hollandois ne
“ font que les intermédiaires du commerce, qui fe fait entre les vendeurs du nord 5c les confommateurs du midi».
L.es profits des négociâns, qui font illufion à tant de monde , font le prix de leur induftrie, le falaire de leurs peines ,