
rénorme déficit au complet des troupes , occafîon-
né par ces deux eaufes, & péut-être la néceflité
de forcer le tirage de nos milices pour en com-
pletter 1' infanterie, & d'augmenter le nombre des
miliciens , qui ne peut jamais l'être qu'au grand
détriment des campagnes.
Enfin que deviendroit l'entretien des routes ? &
par qui leroit-il fait ? Nos 31,152 foldats ne pouvant
déjà faire que.la moitié des ouvrages neufs
néceffaires , fans quoi cet entretien qu'on évalue
fùr 3000 lieues, à 2 y lieues d'ouvrage neuf par
an, & qui s'augmenteroit annuellement avec la
- multiplication des routes, réduirait, dès la première
année, l'ouvrage neuf des chemins à- douze
lieues & demie, nombre qui décroîtroit encore
tous les ans, enforte que, fuppofant même ce
travail annuel de 12 lieues & demie, les 3000
qui nous relient à faire ne feroient achevées que
dans 240 ans ; & , en admettant les intermittences
occafionnées par la guerre , dans 480 ans. Cet
entretien eft évidemment nécelfaire j il y faut
pourvoir de quelque façon que ce foit, puifque
les troupes n'y peuvent fervir, fans amener l'hn-
polïibilité de voir finir les routes. Que feroit-ce
encore, fi on voüloit les employer uniquement à
l'entretien de celles qui font achevées ? Leurs atte-
liers feroient trop foibles, trop difperfés 5 les frais
qu'entraîneroit leur ufage croiffant en proportion
du nombre & de l'éparpillement des atteliers ,
leur ouvrage deviendroit d'un prix exhorbitant ,
en même-temps que les eaufes de leur indifcipli-
ne & des défordres qui eh font la fuite acquer-
roient une plus grande intenlïté.
Ce n'eft pas tout. La guerre fe déclare : fi les
feules trompes faifoient & entretenoient vos chemins
, au premier coup de baguette , les .voilà
tous abandonnés Sç réduits à n etre pas même entretenus,
La guerre dure dix ans, ils deviennent
impraticables, diminuent les bénéfices du commerce
& des cultivateurs, 8ç ajoutent une nouvelle
fourçe de pertes à toutes celles qu’ouvre la
guerre : la paix lui fuccède $ il faut tout d'un coup,
dans un temps,d'épuifement, car aujourd’hui
les viéloires & les çonquêtes ruinent , tripler ,
quadrupler les fonds qui auraient fervi à leur entretien.
A peine font-ils réparés, qu'une guerre
nouvelle furvient & ramène la ruineufe alternative,
qui feroit que les routes feroient éternellement imr
praticables, en même-temps que leurs dépenfes
fe renouvelleraient fans celfe , & monteroient
toujours à un taux exceflif, d'ou il réfulteroit
beaucoup de frais pour les chemins, & point de
chemins, ou du moins point de bons, & diminution
toujours ctoiflante de culture & de commer?
ce. Il n'eft pas fort confolant de dire que le tetns
de la guerre eft un temps de crife 5 que les dépenfes
publiques doivent céder à celles que né-
ceffitent le danger & la défenfe de la patrie :
raifon eft bien infuftifante, fi l'on peut
trouver des moyens d'empêcher qu'elle reçoive
une plaie nouvelle dans un temps ou fes ennemis
font occupés à chercher ceux de lui en faire de
mortelles.
On eft maintenant en état d’apprécier ces phrafes
d'un difeours très-connu & tres-étonnant. ec Cent
s» mille hommes , employés pendant quinze jours
»3 au printemps & quinze jours en automne, ache-
33 veroient plus d'ouvrage que toutes les paroiffes
33 du royaume. Le doublement de leur paye tien*
33 droit* lieu d'indemnité pour ce nouveau travail.
33 Cent mille hommes font 25000 livres par jour
33 & 750,000 livres par mois j en y joignant la
33 même fomme pour les voitures & charrois, la
33 totalité feroit un objet de 1,500,000 livres. Le
33 corps du génie pourroit remplacer l'école des
33 ponts & chauffées, & les fonds aéluellement-
33 deftinés à cette école & à fes travaux fe trouve1*
»3 roient fuffifans fans une, taxe nouvelle. Les fol-
33 dats y trouveroient un bénéfice 33.
On doit voir fi la France peut difpofer de cent
mille hommes ; fi 5,000,000, qui font les fonds
aétuels des ponts & chauffées, fuffifent à un travail
annuel de 11,000,000 j fi le corps du génie ,
compofé de 3 29 officiers, employés dans près de
200 places, peut les abandonner pour courir les
chemins j fi les ingénieurs militaires pourroient &
voudroient, comme ceux des ponts & chauffées,
fervir à la fois les villes, les difrérens départemens,
& veiller fur les routes î fi la guerre venant à fe déclarer
, ne les appellerait pas aux armées, & fi
leur fubftitution a la place de ceux des ponts &
chauffées n'opéreroit pas le double inconvénient
de perdre le corps du génie, en l'éloignant de fes
travaux ordinaires, & de priver la France de nos
ingénieurs des ponts & chauffées que l'Europe
nous envie avec raifon } fi enfin les foldats, gratifiés
d'un fupplément de folde de 7 f. pourroient
travailler, vivre, confommer davantage, fe vêtir ,
s'entretenir *, ’ §cc. &c. Et puis qui fournirait les
voitures, les atelages, outils? Combienne ferait pas
augmentée cette prétendue dépenfe de 1,500,000!.
Chaque ligne de ce fragment,contient une erreur,
& prouve que les. plus fimples élémens de cette
1 partie de l'adminiftration font inconnus à fon auteur.
Cependant de pareilles propofitions ont été
faites j mais l'éternel deftin de l'adminiftration eft
de fe voir expofée à être trompée par des hommes
qui ne réunifient pas toujours au defir qu'ils peuvent
avoir de lui montrer la vérité, le talent ou le
bonheur de la connaître.
Concluons donc qu'on a mal fbécuté, quand
on a propofé de faire faire nos chemins par nos
troupes j qu'on a mal raifonné, quand on a dit
qne ceux des romains étoient entièrement l’ouvrage
dç leurs Soldats ; que notre taélique e ft fi
différente de celle des romains, qu’on ne fauroit
tirer que des réfultats fahx de toute comparaifon
q^'on effayçroit 4^n faire 5 que la nôtre exige
plus de détails &c d'exercices ï qu'elle ne peut Rapprendre
fur les chemins j qu’on perd les batailles
quand on l'ignore j que la conftitution de l’Europe
& la fîtuation de la France, à l'égard des
autres puiffances , ne lui permettront pas d'imiter
le prétendu exemple donné par les romains } que
nos troupes n'étoient point oifives & inutiles,
comme l'ont dit & répété des déclamateurs mai
inftruits, lorfqu'elles conftruifoient les fortifications
de Metz, de Strasbourg, de Thionville ,
Bitche, Longwy, Sarrelouis, Huningue, Scc 5 .
quand elles élevoient les lignes de Wiffembourg
& tant de camps retranchés > quand elles travail-
loient au canal de Languedoc, à ceux de Flandre
, au défrichement de Gravelines, au redreffe-
ment de la Lys $ quand elles étoient employées
aux ports de Breft, Toulon, Rochefort, Dunkerque
, Honfleur , &c j quand elles fervoient,
dans nos grandes gàmifons , aux réparations journalières
de nos remparts 3 qu'enfin la difficulté de
les nourrir , camper, loger, entretenir, contenir,
guérir, de les fournir d'outils, de trouver les
voitures néceffaires , l'impoflibiiité de s'en fervir
pour les entretiens, d'en jouir pendant la guerre,
d'achever par leur moyen avant plufieurs fiècles les
routes projettéesj que tout démontré aux efprits
non prévenus, que de tous les projets pour faire
les chemins, celui qui en rendrait la confection
la plus longue, la plus mauvaife & la plus chère,
feroit fans contredit celui par lequel on y emploierait
des troupes.
On a propofé de faire faire les chemins par des
compagnies de pionniers enrégimentés : cette pro-
pofition n'eft qu'un peu plus ridicule que les autres.
Comment formera-t-on, comment entretiendra
t-on complet, pendant l'efpace de quarante
ans , un corps de foixante à quatre-vingt mille
pionniers, car jufqu'à ce terme il n'en faudra pas
moins pour achever & entretenir nos chemins ? où
les prendroit-on, quand l'armée peut à peine fe
recruter ? quel eft le jeune homme, décidé à fervir
,• qui choifira de préférence les régimens de
pionniers ? D'ailleurs tous les inconvéniens qu'entraîne
l’ufage des troupes fe reproduifent ici, &
■avec infiniment plus de force : l'indifeipline, les
défordres, les difficultés de nourrir, vêtir, guérir
, loger toute cette foldatefque, ( plus que tout
cela , l'impoflibiiité phyfique de la raffembler )
nous difent affez de ne pas perdre notre temps à
combattre une chimere. On a pu ramaffer dans la
boue de la capitale de quoi former, & avec peine,
un régiment de pionniers, mais on auroit en vain
voulu étendre un femblable projet, & croire qu'on
pouvoit compter fur la province pour fa réuffite :
il faut l'opulence & la misère de Paris, le dépôt
d'enfans que fon libertinage & celui des provinces
y peuple 5 il faut tous les befoins qu'a la police de
cette grande ville de la dégarnir de fes nombreux
inutiles dont i'oifiveté feroit bientôt des coquins,
pour fournir au complet d'une pareille croupe*
(Econ. polit. 6? diplomatique, Tom, I ,
En laiffant fubfîfter la corvée, on a imaginé d’en
adoucir les rigueurs par une diftribution de pain
faite tous les jours aux corvoyeurs fur les ateliers.
Cette idée fi humaine & fi refpeétable a été efiayée
fans fuccès : elle paroît impraticable, parce qu’ elle
eft excelïivement chère, vu le peu d’ouvrage que
font les corvoyeurs, & le trop grand nombre qu’il
en faut commander pour obtenir celui qui eft né-
ceflaire. En nous fervant des calculs précédemment
établis, on auroit par an trente-fix millions
de corvoyeurs : donnons-leur une livre & demie de
pain, eftimée i fou 6 deniers la livre, cette fourniture
formerait une dépenfe de 4,oy0,000 livres,
dont on feroit obligé de charger le peuple en fus
des pertes réelles, qu’indépendamment de ce fou-
lagement la corvée lui cauferait encore. Quels
abus d’ailleurs n’entraîneroient pas cette fourniture
& cette diftribution ? L ’inexaélitude des corvoyeurs
laifferoit fouvent cette, dernière incom-
plette, & expoferoit à des pertes fur l’approvi-
fionnement : pourvus de pain, ils s’en retourneraient
fans travailler : il faudrait pour ces diftribu-
tions une admiriiftration, régie ou entreprife ; elle
expoferoit aux monopoles, aux non-valeurs réelles,
aux pertes fiélivés, aux procès-verbaux infidèles
pour conftater la légitimité d’une friponnerie. La
nature humaine eft ainfi faite, & le gouvernement
manque de prudence, quand il fait naître à fes employés
la tentation de le tromper, & qu'il leur en
fournit les moyens. La corvée allégée par une fourniture
de pain aggraverait la charge de la nation,
& deviendroit, au moyen de ce correâif charitab
le, un impôt qui de 36 , à quoi nous l’avons ef-
timé, monterait au delà de 40,000,000.
Perfonne n’a fans doute pu penfer qu'en réunif-
fant les deux dalles des -mendians & des vagabonds
du royaume, & les alfociant au travail des
chemins, elles pourraient feules achever ceux de
France & les entretenir ; mais on a dit au moins
qu’on pouvoit les y employer : il faudrait pour les
faire fubfifter une adminiftration nombreufe, des
prépofés extraordinaires pour les contenir, pour
foumettre au travail des gens qui ne font la plupart
mendians ou vagabonds que par haine pour le travail.
Avec eux on n'auroit point de voitures, on
feroit obligé de les fournir d’outils, & c . Tout ce
que nous avons dit ci-deffus montre affez les inconvéniens
multipliés qui naîtraient de l’adoption
d'un pareil fyftême, & l'avoir expofé, c'eft l'avoir
fuffifamment réfuté. Quel fpeélacle offrirait
ce monftrueux affemblage de la lie de la nation ,
àffocié à notre peuple qui travaille rios chemins |
qu'une fi odieufe affociation avilirait, & dont il y
a plus que de la mal-adreffe à vouloir rabaiffer TeP-
prit! La plupart des raifons qui militent contre
l'emploi des mendians & vagabonds au travail des
chemins, fubfiftent contre celui qu'on voudrait
faire des malfaiteurs. Ennemis naturels de la fo-
ciére dont la loi les a lequeftrés , on les répan-
i droit fur les routes du royaume ! A peine font-elles