
Le-métier de partifan n’eft pas étranger aux ha-
bitans du diftritt de Nedsjéran, où il y eut un
fcheich nommé Mekkrami , qui parcourut Y Arabie,
& la traverfa avec une petite armée 3 depuis
la mer rouge jufqu’ au golfe perfique. Les arabes
ayant la fureur de mêler la religion à to u t, ce
chef de quelques compagnies franches, réuffit
autant par la fuperftition que par fa valeur. Il fe
mit à faire trafic du paradis, & ayant tracé avec
fon épée la portion que chacun y devoit occuper,
il vendit ces efpaces par toifes.
On fait que la liberté mène aux chofes les plus
bifarres & les plus audacieufes , & Y Arabie étant
un des pays les plus libres du monde , il ne faut
pas être furpris d’y trouvertles hommes de toutes
fortes d’humeur & de caractère.
La province d’Ofman étoit gouvernée par un
fcheik, qui prenoit le titre d’iman. La mollefle &
les débauches de l’iman Seif - Ben - Sultan amenèrent,
il y a peu d’années, une révolution. Un
des parens de ce pontife , indolent & voluptueux
, profita du mécontentement des peuples
aigris par l’infolence des efclaves de la côte
d’Afrique, dont Feif - Ben - Sultan fe fervqit en
qualité de foldats. On lui enleva toutes fes villes,
excepté celle de Mafcate, qui étoit riche & bien
fortifiée, & où il fe maintint par fes foldats &
par quelques vaiffeauX de guerre , qui étoient en
fa puiflance. Se voyant harcelé dans la feule pof-
feflion qui lui reftoit, il s’embarqua pour la Perfe ,
& demanda du fecours à Shach - Nadir , qui lui
donna une flotte de vingt-quatre vaiffeaux commandée
par M irza -Tàk i- Khan , capitaine fort
renomme. De retour à Mafcate, il invita le général
perfan à une fête dans un des châteaux de
la ville. T ak i-Khans ’y rendit muni d’une bonne
provifion d’excellent vin de Schiras, qui ayant
produit fon effet fur l’efprit & fur les feus de
S e if -B e n , il fe fervit du cachet que l’iman , en-
féveli dans le vin , portait à. fon d oigt, & il
écrivit aux officiers de l ’autre château de venir le
trouver tout de fuite. Les officiers obéirent, & il
fe rendit maître de Mafcate & des deux châteaux.
L ’iman mourut de chagrin , & fon compétiteur
fut tué.
Les arabes delà grande province de Hédfîas ne
font pas plus dépendans des turcs , que ceux de la
partie méridionale de la prefqu’ifle. Quoique la
3orte entretienne un bacha à Dfiadda , ville ma- i
ritime du Hedfias, ce bacha, enfermé dans les j
murs de la v ille , n’a pas un feul village fous fa
jurifdi&ion , deforte que c’eft un lieu d’exil pour
un miniftre difgracié, du moins c’eft ainfi qu’on parle
2 Conftantinople du gouvernement de Dfiadda.
L e fchérif de la Mecque eft à la vérité un vafTal
titulaire du grand feigneur, que le bacha de Syrie
, qui commande. Ta caravane , a le droit de
dépofer lorfqu’il eft à la Mecque ; mais le prince
arabe a toujours foin de fe retirer dans les mon-
pagnes, où il sft à rabjri de toutes les entrepri-fes
des turcs. La dévotion des fultans & la foible autorité
qu’ils exercent dans ces pays, font d’ailleurs
fort difpendieufes, puifqu’ils y envoient tous les
ans des fournies très-confidérables. Ils penfionnent
tous 4es defcendans de Mahomet, dont chacun ,
en qualité de ferviteur de la caba ou de la fainte
maifon , reçoit une gratification annuelle 5 ils font
f en outre fretter quatre à cinq vaififeaux chargés
de provifions de bouche à l’ufage des villes de la
Mecque & de Médine.
Le fchérif ©u prince de la Mecque , eft favorisé
comme le furent les grands maîtres des ordres
militaires, auxquels on a fait des legs p ar-tout;
dans toutes les villes de la Turquie, il y-a des
bains, des bazars ou marchés , des carravenferais
ou hôtelleries:, dont une partie des revenus eft
affignée à la caba. Le fultan El-Hind, ou l’empereur
des Indes , envoyoit autrefois au fchérif
quarante mille écus par an, qu’on prélevoit fur
.les douanes de Surate. Mais depuis q.ue les anglois
fe font rendus maîtres du château & du commerce
de cette ville , le shérif ne reçoit plus rien. Il
fe plaint vainement au Mogol & au Grand Seigneur
; les anglois lui refufent opiniâtrément cette
aumône.
La dévotion eft fi étroitement unie avec le
foin de conferver & d’amafler des richefles %
qu’on a vu des tréfors dans tous les endroits réputés
faints. A Médine, il y a au-deflus du tombeau
de Mahomet un tréfor immenfe, qui renferme
les préfens faits depuis plufieurs fiéclespar
les princes & les feigneurs mufulmans) Les rna-
hométans difent que ce tréfor eft delliné à faire
la guéri« aux infidèles , fi le fultan fe trouvoit un
jour trop preffé par eux.
Le nombre des arabes qui habitent le défert
peut monter à deux millions. Ils font partagés en
un grand nombre de hordes, plus ou moins nombreuses
, plus ou moins confidérables , mais toutes
libres, & indépendantes les unes des autres.
Leur gouvernement eft fimple. Un chef héréditaire,
affilié de quelques vieillards , termine les
différends & punit les coupables. S’il eft hofpita-
lier, humain & ju fte , on l’adore: s’il eft fier,
cruel, avare, on le met en pièces, & on lui
donne un fuccefleur de fa famille.
L ’arabe ne reconnoît pour authentique que les
titres de noblefle attachés â la qualité de fou-
yerain & de légiflateur. Les defcendans de ceux
qui ont joui de la fouyeraineté dans leûrs cantons ,
fe croient ennoblis par l’indépendance qu’ils ont
fu conferver & perpétuer dans leurs familles. C ’eft
à la poftérité des fcheichs ou feigneurs indépen-
dans, & à celle de Mahomet, que fe réduit
toute la noblefle arabe. Les fchérifs ou émirs, qui
prétendent être iflus du prophète, font fort
nombreux ; ce nombre eft fi confidérabk?, qu’on
en feroit étonné, fi l’on ne favoit avec quel fojn
on s’etçprefle d’appartenir à une famille qui çft
revêtue de tant de privilèges.
Tous ces prétendans à la couronne & au facer- |
doce , furent perfécutés fous les califes ; ils fe
difperfèrent dans plufieurs. provinces > & ils s’ allièrent
avec les familles les pLus puiflantes. Ayant
befoin d’appui & de protecteurs, ils employèrent
la voie d’adoption, & ils donnèrent les noms de
fchérifs & de féid à ceux qui pouvoient leur don-
net des fecours. Les fchérifs de Maroc qui, fous
le nom de fidi (feigneur), régnent encore aujourd’hui
fur l’ancienne Mauritanie, montrent ce que
le zèle de la religion a pu opérer en faveur de ces
defcendans de Mahomet.
. On eft fi foigneux de conferver & de multiplier
la fainte race des fchérifs , qu’ils tranfmettent
leurs privilèges, à leurs enfans, lors même que leur
femme a été efclave.
A l’égard des loix pénales, les arabes en font
au point où fe trouvoit l ’Europe au temps des
duels judiciaires. A Sana , l’homicide eft puni de
mort, mais dans quelques,autres dillri£ts de l’Ye-
men, les parens d’un homme qui a été tué par un
autre, font les maîtres de s’accommoder avec le
meurtrier, de lui vouer une haine implacable, ou
de l’appeller en duel. La vengeance particulière,
ce malheureux relie de l’état de nature , fait de
cruels ravages en Arabie.
Force O population de /’Arabie. On dit que Y A -
rabie entière renferme douze millions d’habitans •
A l ’époque où le roi d’Yemen avoit le plus de
puiflance & de gloire, fes revenus montoient à
quatre-vingt-trois mille écus par mois. Maintenant
que fon autorité fe trouve diminuée, par l’indépendance
qu-’ont obtenue quelques provinces ,
les revenus de l’iman ne vont plus qu’ à quarante
mille écus par mois. C e revenu eft très-modique,
vu le commerce confidérable qui fe fait dans les
villes maritimes de fes états.
Les troupes de l’iman , en temps de paix , ne
paflent pas quatre mille hommes d’infanterie &
mille de cavalerie.
Une des raffons du petit nombre des troupes
foudoyées, çft encore la rareté des efpèces mon-
noyées. Rien ne prouve mieux la douceur du gouvernement
des rois d’Yemen, que la promptitude
avec laquelle s’évanouiflent les monnoies d’or
frappées à Sana.
Les arabes prennent un très-grand foin de ne
pas être entièrement exclus de la côte du golfe
Perfique, qui tient à la Perfe, puîfqu’il y a plufieurs
tribus & fcheichs arabes fur la plage maritime
du golfe. La principale, colonie arabe eft
Abufchahr , ville maritime, fituéè par 2b0. 59 m. de
latitude ; cette ville eft comme le port de Schiras :
les anglois'y ont un marchand & un commis.
Pour ce qui regarde Gomron, ou Bender-Abafîi,
qui étoit autrefois une ville très - floriflante par
fon commerce & les fages difpofitions de Schah-
Abbas, fon fondateur, elle eft entièrement déchue
, & fon port n’ell plus fréquenté par les
européens. Les troubles arrivés en Perfe après la
I mort violente de Schach-Nadir, mirent la ville
& le port de Gomron, qui étoit autrefois le feui
port du royaume, dans l’état de décadence & de
délabrement où on le voit aujourd’hui.
Outre l’iile de Caredfi, il y a encore celle de
Baharem , qui étoit autrefois très - peuplée, &
q u i, avec les ifles voifines, ne renferme actuellement
que quarante à cinquante villages très-
chétifs. Cette ifle obéit actuellement au fcheich
d’Abufchahr , feigneur arabe , à qui appartient
la pêche des perles dans ces parages s
mais les peuples libres de ces contrées ayant le
droit de pêcher des perles , elle rapporte peu
au fcheicn. Ses revenus , tant de la pêche
que des dattes, ne montent qu’ à 60000 écus
environ ; & avec cette fomme il doit entretenir
les fortifications , la garnifon & plufieurs officiers.
Les arabes d’aujourd’hui ne font plus ce qu’ils
furent autrefois j leurs ancêtres portèrent leur
domination des mers de l’occident à celle de la
C h in e , & des Canaries aux ifles Moluques; ils
ÿ portèrent auffi les arts utiles. Ils furent moins
heureux dans les beaux arts, où ils montrèrent
du génie & point de goût : aucun peuple de leur
temps n’entendit le commerce comme eux; aucun
peuple n’eut un commerce auffi valle. Ils s’ en
occupoient au milieu même de leurs conquêtes.
De l ’Efpagne au Tonquin, ils avoient des négo-
cians, des manufactures, des entrepôts; & les
autres peuples , ceux du moins de l ’occident,
tiroient d’eux , & les lumières, & les a r ts , &
les denrées utiles aux commodités , à la confer-
vation & à l’agrément de la vie.
Productions 3 rïchejfes & commerce de /’Arabie.
L ’Yemen produit beaucoup de grains, de bled
de Turquie, d’o rg e , de fucre, de tabac, d’indigo
, de féné & de fel ; la fertilité du fol va
jufqu’ au décuple, ainfi que dans les .pays inon-
des par le N il. A Bafra , où les champs font fer-
tilifes par les eaux de l’Euphrate & du Tigre ,
la terre rend vingt boifléaux pour un qu’ on a femé.
Les arabes du défert campent dans routes les
faifons j ils n’ont point de demeure fix e , & ils
s’arrêtent dans tous les lieux où ils trouvent de
l’eau, des fruits & despâturages. Çette vie errante
a pour eux des charmes inexprimables, & ils regardent
les arabes fédentaires comme des efclaves.
^ C e qu’ils confomment de tab ac, d£ c afé , de
r is , de dattes, eft payé par le beurre qu’ils
portent fur la frontière, par plus de vingt mille
chameaux , qu’ils vendent annuellement vingt
roupies au moins chacun. Ces animaux, fi utiles
en Orient, étoient conduits autrefois en Syrie ;
ils ont pris la plupart la route de P e r fe , depuis
que les guerres continuelles en ont multiplié les
befoins & diminué l’efpèce.
Comme ces objets ne font pas fuffifans pour
fe procurer les chofes qui leur manquent, ils ont
imaginé de mettre à contribution les caravanes
que la fuperftition mène dans leurs fables; la plus