j88 C I R
aration, des réformes importantes qui exigent
eaucoup de ménagemens ; il bouleverfe tout-a-
la-fois > & , lors même qir'il eft guide par. la juf-
tice & la raifon , il ne fait que du mal.
II eft affreux fans doute de voir le mal , & d être
réduit à tant de précautions pour rétablir le bien ,
mais telle eft la nature humaine, telle eft la corruption
des états : on ne peut afpirer à la gloire
de tout réformer, & Ton ne peut gueres entrer
prendre les innovations utiles qu’avec circonj-
pedion.
Ils ne font plus ces fiè c le s qui favorifoient la
gloire des conquérans & de ces hardis legillateurs
qui changeoiejit tout dans la conftitution politique
& la c o n ftitu tio n civile. Le temps des grandes ré- ,
Volutions eft paffé : la civilifation & les lumières ;
ont peut-être affoibli les caraéferes ; mais il en eft
rélulté le goût du repos , & l’ a y e r fio n pour les ;
fccouffes trop violentes.
Le monde moins agité ne paroit vouloir etre régi
que par la douceur5 & les hommes qui gouvernent
ne doivent manquer ni de prudence , ni de cir-
conjpedion > s'ils veulent réuffir dans leurs entre-
prifès.
C IR C U L A T IO N , f. f. eft un mot que tout le
monde prononce, & que peu de gens entendent.
Comme c’eft l'argent qui anime la circulation,
la fauffe politique croit que c’eft lui,- & fouvent
lui feul qui la crée 8c qui l’établit ; mais la faine
politique fcait qu’il n'en eft que le repréfençmt.
Quand l'argent difparoît 8c que les affaires îan-
guiffent , trompée fur l'apparence , la première
juge qu'on reflerre 1 argent, tandis que 1 autre,
ne s’ arrêtant point à ces dehors, s'apperçoit que
la circulation eft alors incomplette, parce que les
dépenfes ne fuivent plus l’ordre naturel des be-
foins > & de même dans le cas de furabondance de
l’argent, & de l’accélération trop fubite de fon
mouvement, elle comprend que les dépenfes détournées
de leur cours naturel, & feul propice,
fe font portées de préférence fur une portion du
cercle des travaux, & que l’ affluence défordon-
née des métaux j en s'y accumulant, y caufe une
efpèce d'engorgement , & produit ailleurs une
langueur funefte. .. . A
C'eft toujours la main de l'homme qui arreté
ou précipite la circulation ; & qui dit en ceci la
main de l'homme , entend la main du gouvernement.
t ,
Le propre de l’ argent eft d exciter la cupidité ,
en ce'qu'il offre un moyen d'opulence, qui a tous'
les avantages réunis des autres richeffes, & n'en
a pas les embarras. L’ argent forme ainfi dans' les
foeiétés une claffe de riches dangereux pour l’ordre
naturel des dépenfes & de la circulation.^ Leurs
pa ffions la deftechent, leurs fantaifies la déterminent,
l'irritent, la précipitent, & la font changer
rapidement d'allure & d objet.
Pour que l’argent circule librement, il faut que
les dépenfes 8c les travaux ayent leur action libre
C I R
& confiante, il faut qu’on travaille & qu’on eon-
lomme beaucoup. Alors l’argent fe trouve dans
toutes les mains, parce qu'on n'en veut que pour
l'échanger, 8c qu'il paffe ainfi rapidement d'une
main dans l'autre. Quand on dit que l'argent devient
rare, cela fignifie qur les achats & les ventes
font rares, & que les confommations ne fe font
plus.
Le montant des baux à ferme d'un grand état,
doit être à peu près le thermomètre de la circula-
tion 3 & la mefure de la maffe du numéraire qui
circule dans cet état. Développons un peu ce
que nous venons de dire.
En examinant le fens qu'on attache vulgairement
au mot circulation, on voit que l'homme
croit 8c juge fouvent fur parole 5 qu'il cherche à
s'étayer en quelque forte des idées d'autrui, lors
même qu'il veut ufer des fiennes propres : difficilement
il fe borne au finale, 8c s'y attache pour
affeoir fon jugement d'apres les données de la na-
| ture. Ce ne feroit pas la peine Rapprendre, nous
dit-on , fi l'on ne devait pas fe fervir de ce quon a
appris. Cette opinion eft très-bien fondée, quand
il ne s'agit que des notions premières, mais lorsqu'il
faut en tirer des réfultats, & fe faire un©
idée jufte de l’effencedes chofes, de leur-mobile,
de leur cours, &c. c'eft toujours à la nature 8c à
fes indications fimples qu'on doit s'attacher , c'eft
d’elle qu'il faut recevoir des notions exactes , ait
Iieü de fe contenter de définitions vagues & peu
réfléchies, qui nous entraînent par leurs confe-
quences dans un labyrinthe d'erreurs. .
Pour faire une application de ceci, obfervons
que lorfqu'on dit, qu’on a de tout avec de l'argent
, l'on a fuppofé d'avance l'admiffion générale
des notions premières qui fervent de bafe à cette
i affertion j qu'on a fait cette fuppofition fans daigner
les examiner, fans y-regarder même affez pour
les recevoir avec connoiffance de caule,, & qu'oa
a dû foüs-entendre j
i°. Que toute l’aérion de la fociété n'eft qu’échange,
8c que les hommes ne vivent enfêmble
que pour échanger.
20. Que les avantages delà fociété dépendent
de fon extenfîon, 8c celle-ci des facilités des
échanges.
30. Que la convention générale d’employer comme
gage commun des échanges, une matière fo-
lide, du&ile , portative, &c. a été de la plus
grande commodité pour faciliter les échanges.
On a donc fuppofé tout cela, 8c fans doute avec
jufte raifon ; car ce font des chofes démontrées
par une expérience auffi notoire, qu'il l'eft que la
terre nous porte , & que l'eau fè re.fufè à nous porter.
On a vu que l’argent offert & reçu dans les
échanges , paftoit d'une main à l’autre fans altération,
& donnoit la valeur d'échange- à tous les
biens qui font â la convenance des hommes, &■
l’on a conclu , que cette tranfmiffion rapide >
qu'on a. nommé circulation 3 étoit un grand avanr
c 1 R
tage pour la fociété où elle étoit établie, 8c perpétuée
fans diminution} qu'elle étoit encore avan-
tageufe, fi elle y recevoit de l'aecroiffement. Cette
conclufion favorable n'avait rien que de jufte.
Mais voici maintenant où a commencé le cercle
de ces vieilles erreurs, dont la facheufe influence
s'étend peut-être encore fur bien des efprits, qui
ayant dirigé la politique de la plupart des nations,
les a rendues ennemies tant au-dedans cju'àu-de-
hors » 8c qui n'iroit pas à moins qu'à devafter la
face de la terre , fi l'inftru&ion n’en arrêtoit les
progrès.
On a vu que le poffeffeur d’argent peut l'échanger
, quand il lui plaît, & pour ce qui lui plaît. Il
eft le maître du temps des échanges, s'il veut attendre,
puifque fon bien ne dépérit pas, & n'entraîne
ni foins ni frais > il peut l'échanger contre
-tout objet de vente, parce que l'argent convient
à tout j au lieu que le poffeffeur de denrées 8c de
marchandifes n'a pas le même avantage fur ces
deux points. D'après cette différence l'on a penfé
que l'argent étoit le maître du commerce 5 8c
comme le vulgaire tend toujours vers l'erreur grof
fière de prendre la domination pour l'indépendance,
8c par conféquent pour le bonheur, 8c
que l'argent féduit facilement la vanité, la pa-
reffe & la cupidité du plus grand nombre par l'il-
liifion des richeffes 8c du pouvoir qui promettent
de nous rendre heureux, l'on en a conclu que
l'argent étoit la chofe la plus néceffaire j 8c de-là
s'eft formée cette opinion, devenue prefque uni-
verfelle, qu'il étoit très-avantageux pour un état
de pofféder plus d'argent que fes vqifins.
On aurait pu cependant conclure tout le contraire
> car ce qui flatte les vices ne rend pas les
hommes foncièrement plus fociables î 8c le defir
d’avoir plus de epurtifans que de laboureurs équivaut
affez à celui de prédominer en richeffe numéraire,
mais ces fortes d'induérions euffent à
bon droit été renvoyées au chapitre des moralités.
Pour rentrer dans l'ordre des induirions phyfi-
ques, on a prétendu que la poffeffion de l’argent
fuppofoit fa circulation, attendu que fi quelques
gens veulent amaffer de greffes fommes , fans en
faire d'ufage courant, c'eft toujours ou prefque
toujours dans l'idée & l'efpoir d'en faire un ufage
quelconque ^ qui bientôt le remettra en circulation.
Cela peut être, mais il faut favoir au profit de
qui 5 car fi cet argent eft obligé d'aller chercher
au loin les objets" d'échange néceffaires ( comme
autrefois en Efpagne, &c. ) ce n’eft pas plus de
Ja circulation que l’émigration n'eft un voyage.
L'argent donc qui ne fert point aux ufages des
befoins & des échanges , & qu’au n'employe
point aux paiemens journaliers, hebdomadaires ou
annuels, n'eft point en circulation. La vraie marche
de la circulation y ou de la tranfmiffion du, numéraire
d'une main dans l'autre, commence par
le menu troc, fe fait par petites fomm.es, fatisfait
les premiers befoins, & paffe de mains en mains
C I R
& de befoins en befoins, félon leur rang de nécef
fitéj de manière que tout fe réfumant enfin en
fubfiftances, il revient dans la main des fermiers
en plus greffes fommes, qu'ils apportent aux termes
convenus aux propriétaires, ou cet argent
folde leurs obligations, forme les revenus des particuliers
8c du public, & ceux de l'état ou du prince*
fo u t autre emploi de l'argent le fait fortir de la
circulation.
En raifon de ce que cette marche preferite &
préordonnée eft plus complette, je veux dire en
raifon de ce que la dépenfe des revenus fuit &
marque cette indication : elle eft plus fru&ueufe ;
& l'état profpère dans la proportion de ces progrès.
De même en raifon de ce que la circulation
eft interceptée, c'eft-à-dire, de ce que les revenus
d un vafte territoire fe confomment en un feul &
même lieu, que leur dépenfe s’éloigne du néceffaire
pour aller ail fuperflu; que les grands revenus
au lieu de leur emploi utile, font verfés en gratifications
, que le cours des dépenfes eft détourné
par des furtaxes de la confommation, & porté
vers la décoration, toutes chofes qui arrêtent la
circulation y l’ état dépérit, la culture déchepit, les
revenus diminuent dans Ja proportion du taux des
dépenfes, tout languît en un mot, tout fe refufe
à l'ordre, on ne vit plus que d'emprunts, on ne
fait efforts qiie de reffources , le fonds s'épuife à.
jamais, 1 état s affuffe enfin, & tout l’or du monde
ne le releveroit pas.
a Quand on voit l'argent devenir rare, & qu’il ne
s offre plus a la circulation , l’erreur imagine , 8z
le vulgaire croit que c ’eft l’efpèce qui manque, &
qu'on en a beaucoup envoyé au dehors , foit en
dépenfes, en achats ou en fubfides : c'eft une erreur
puérile que tout cela.
Le déplacement des dépenfes en tarit fans doute
la fource , parce que notre dépenfe qui devoit enchérir
nos produits & payer nos travaux, dont
l'effet eût été de fournir les moyens de dépenfer
de nouveau, v a , en pure perte pour nous, enchérir
les produits au loin ; mais c'eft l’enchère
qui manque alors, & non pas le ligne.
Que tout-à-coup l'état demande un million de
feptiers de bled aux laboureurs & aux propriétaires
des provinces, où la culture languiftbit , faute
de confommation & d'offre -, qu'il les paye un bon
prix, fans donner un é c t f , mais feulement en reçus
à valoir fur les impofitions courantes , on y
verra la circulation renaître & fe vivifier, (ans
qu'on y verfe rien de plus. L’argent qu’on recher-
choit vainement pour payer le quartier prochain ,
pour éviter les frais de faifie & de contrainte,
s’offrira de toutes parts au propriétaire & au laboureur,
dont les granges & les greniers pleins de
denrées en non valeur , feront alors un tonds excellent
& une caution affurée ; les travaux renaîtront
& feront foldés 5 & cet argent ira donner
une valeur au vin, aux beftiaux, aux outils, aux
vêtemens, &c. la circulation fera vivifiée, la coït