
gains .des habitans de la campagne , & on arrête la
fource des revenus de Tétât.
IX . Une nation .qui a un grand territoire 3 & qui
fait bnijfer le prix des denrées de fon crû pour javo
rifer la fabrication des ouvrages de main-à!oeuvre ,
fe détruit de toutes parts. Car lî le cultivateur n'eft
pas dédommagé des frais que la culture exige ,
& s'il ne gagne pas 3 Tagriculture périt ; la nation
perd les revenus de fes biens fonds .5 les travaux
des ouvrages de main-d'oeuvre diminuent 3 parce
que ces travaux nepeuyent plus être payés par les
propriétaires des biens fonds. Le pays fe dépeuple
par la misère & par la défertion des fabricans ,
artifans 3 manouvriers & payfans, qui ne peuvent
fubfifter qu'à proportion des gains que leur procurent
les revenus de la nation.
Alors les forces du royaume fe détruifent , les
richeffes s'anéantiffent 3 les importions furchar-
gent les peuples, & les revenus du fouverain diminuent
: ainfi une conduite auflï mal entendue ,
fuffiroit feule pour ruiner un état.
X . Les avantages du commerce extérieur ne con-
JiJient pas dans tac croisement des richejfes pécuniaires.
L e furcroît de' richeffes que procure le commerce
extérieur d'une nation , peut n'être pas un
furcroît de richeffes pécuniaires, parce que le
commerce extérieur peut fe faire avec-f étranger
par échange d’autres marchandifes 3 qui fe con-
fomment par cette nation ; mais ce n'eft pas moins
pour cette nation une richeffe dont elle jouit 3 &
qu'elle pourrait par économie convertir en richeffes
pécuniaires pour d'aurres ufages.
D ’ailleurs, les denrées envifagées comme marchandifes
, font tout enfemble richeffes pécuniaires
& richeffes réelles. Un laboureur qui vend
fon bled à un marchand eft payé en argent ; il paye
avec cet argent le propriétaire, la taille 3 fes do-
tneltiques , fes ouvriers 3 & achète les marchandifes
dont il a befoin. Le marchand qui vend le
bled à l'étranger 3 & qui achète de lui une autre
marchandife 3 ou qui commerce avec lui par
échange, revend à fon retour la marchandife qu'il
a rapportée ; & avec l'argent qu'il reçoit , il
achette du bled. Le bled envifagé comme marchandife
3 eft donc une richeffe pécuniaire pour
les vendeurs , & une richeffe réelle pour les
acheteurs.
Ainfi les denrées qui peuvent fe vendre 3 doi- I
vent toujours être regardées indifféremment dans I
un état comme richeffes pécuniaires & comme richeffes
réelles, dont les fujets peuvent ufer comme
il leur convient.
Les richeffes d’une nation ne fe règlent pas par
la maffe des richeffes pécuniaires. Celles-ci peuvent
augmenter ou diminuer fans qu'on s'en ap-
perçoive ; car elles font toujours effectives dans
un état par leur quantité ou,par la célérité de leur
circulation , à raifon de l'abondance & de la valeur
des denrées. L'Efpagne 3 qui jouit des tréfors
du Pérou , eft toujours épuifée par fes befoins.
L'Angleterre foutient fon opulence par fes rî>
cheffes réelles ; le papier qui y repréfente l'argent
à une valeur affurée par le commerce & par le revenu
des biens de la nation.
C e n'eft donc pas le plus ou le moins de richeffes
pécuniaires qui décide des richeffes d'un état 5 8c
les défenfes de fortir de l'argent d'un royaume ,,
au préjudice d'un commerce profitable, ne peuvent
être fondées que-fur quelque préjugé défa-
vantageux. Il faut pour le foutien d'un état de
véritables richeffes ,. c'eft-à-dire 3 des richeffes
toujours reniiffantes 3 toujours recherchées 3c toujours
payées 3 pour en avoir la jouiffance-, pour
fe procurer des commodités, 8c pour fatisfaire aux
befoins de là vie.
X I . On ne peut connoître par l3état' de la balance
du commerce entre diverfes n a t io n s l’avantage du
commerce & f état des richejfes de chaque nation. Car
des nations peuvent être plus riches en hommes
8c en biens fonds que les autres 3 8c celles-ci peuvent
avoir moins de commerce intérieur 3 faire
moins de confommation , 8c avoir plus de commerce
extérieur que celles-là.
D'ailleurs , quelques-unes de ces Nations peuvent
avoir plus de commerce, de trafic que les
autres. Le commerce qui leur rend le prix de l'achat
des marchandifes quelles revendent, forme
un plus gros objet dans là balance , fans que le
fond de ce commerce leur foit aufïi avantageux
que celui d'un moindre commerce des àutres nations
, qui vendentà l'étranger leurs propres productions.
Le commerce des marchandifes de main-d'oeuvre
en impofe auffi, parce qu'on confond dans le
produit le prix des matières premières , qui doit être
diftingué de celui du prix de fabrication.
X I I . Cejl par le commerce intérieur & par le commerce
extérieur3 & fur-tout par l’état du. commerce
intérieur, qu’on peut juger de la richeffe d’une nation-.
Car fi elle fait une grande confommation dé fes
denrées à haut p rix , fes richeffes feront proportionnées
à l'abondance 8c au prix des denrées
qu'elles confomment; parce que ces mêmes denrées
font réellement des richeffes en raifon de
leut abondance & de leur cherté; & elles peuvent,
par la vente qu'on en pourrait faire , être
fufceptibles de tout autre emploi dans les befoins
extraordinaires. Il fuffit d'en avoir le fonds en
richeffes réelles.
XIII. Une nation ne doit point envier le commerce
de fes -voifins quand elle tire de fon fo l , de fes hommes
& de la navigation , le meilleur produit pojjîble.
Car elle ne pourrait rien entreprendre par mau-
vaife intention contré le commerce de fes voifins ,
fans déranger fon é ta t, & fans fe nuire à elle-
même , fur-tout dans le commerce réciproque
q if elle a établi avec eux.
Ainfi les nations commerçantes, rivales & mè-,
me ennemies, doivent être plus attentives à maintenir
ou à étendrea s'il eft poffible, leur propre
commerce, qi*à chercher à nuire dire&ement à
celui des autres. Elles doivent même le favorifer,
parce que le commerce réciproque des nations fe
foutient mutuellement par les richeffes des vendeurs
& des acheteurs.
X IV . Dans le commerce réciproque, les nations
qui vendent les marchandifes les plus néceffaires ou
les plus utiles , ont l’avantage fur celles qui vendent
les marchandifes de luxe. Une nation qui eft affurée
par fes biens-fonds d'un commerce de deprées
de fon c rû, & par conféquent auffi d'un commerce
intérieur de marchandifes de main-d'oeuvre
, eft indépendante des autres nations. Elle ne
commerce avec celles-ci que pour entretenir ,
faciliter & étendre fon commerce extérieur, 8c
elle doit, autant qu'il eft poffible, pour confer-
ver fon indépendance & fon avantage dans le
commerce réciproque , ne tirer d'elles que des
marchandifes de luxe, & leur vendre des marchandifes
néceffaires aux befoins de la vie.
Elles croiront que par la valeur réelle de ces
différentes marchandifes, ce commerce réciproque
leur eft plus favorable. Mais l'avantage eft
toujours pour la nation , qui vend les marchandi •
fes les plus utiles &rles plus néceffaires.
Car alors fon commerce eft établi fur le befoin
des autres; elle ne leur vend que fon fuperflu, &
fes achats ne portent que fur fon opulence. Ceux-
là ont plus d'intérêt de lui vendre, qu'elle n'a
befoin d'acheter; & elle peut plus facilement fe
retrancher fur le luxe, que les autres ne peuvent
épargner fur le néceffaire.
Il faut même remarquer que les états qui fe
livrent aux manufactures de lu xe, éprouvent des
yiciffitudes fâcheufes ; car lorfque les temps font
malheureux, le commerce de luxe languit, & les
ouvriers fe trouvent fans pain & fans emploi.
La France pourrait, le commerce étant libre
, produire abondamment les denrées de premier
befoin , qui pourraient fuffire à une grande
confommation 8c à un grand commerce extérieur,
& qui pourraient foutenir , dans le royaume, un
grand commerce réciproque avec l'étranger.
D ’ailleurs, elle ne doit pas prétendre pleinement
à un commerce général. Elle doit en facri-
fier cv.ielqn.es branches les moins importantes à
l'avamtage des autres parties, qui lui font les plus
profitables, & qui augmenteraient & affûreroient
les revenus des biens - fonds du royaume.
Cependant tout commerce doit être libre, parce
qu'il eft de l'intérêt des marchands de s'attacher
aux branches du commerce extérieur les plus
fûres 8c les plus profitables. Il fuffit au gouvernement
de veiller à l'accroiffement des revenus
des biens du royaume, de ne point gêner l'induf-
tr ie , de laiffer aux citoyens la faculté 8c le choix
des dépenfes.
De ranimer Tagriculture par Taélivité du commerce
dans les provinces, où les denrées font
tombées en non - valeur.
De fupprimer les prohibitions 8c les empêche-
mens prejudiciables au commerce intérieur, & au
commerce réciproque extérieur.
D ’abolir ou de modérer les droits exceffifs de
rivière , de péage, qui détruifent les revenus des
provinces éloignées, où les denrées ne peuvent
être commerçables que par de longs tranfports ;
ceux à qui ces droits appartiennent feront fuffi-
famment dédommagés par leur part de Taccroif-
fement général des revenus des biens du royaume.
Il n'eft pas moins néceffaire d’éteindre les privilèges
furpris par des provinces, par des villes,
par des communautés, pour leurs avantages particuliers.
Il eft important auffi de faciliter par-tout les
communications 8c les tranfports des marchandifes
, par les réparations des chemins 8c la navigation
des rivières (1 ). Il eft encore effentiel de ne
pas affujettir le commerce des denrées des provinces
à des défenfes 8c à des permiffions paffagè-
res 8c arbitraires qui ruinent les campagnes, fous
le prétexte captieux d'aflûrer l'abondance dans les
villes. Les villes fubfiftent par les dépenfes des
propriétaires qui les habitent ; ainfi en détruifant
les revenus des biens - fonds, ce n'eft ni favorifer
les villes , ni procurer le bien de l'état.
Le gouvernement des biens-fonds de la nation
ne doit pas être abandonné à la difcrétion ou à
l'autorité de l’adminiftration fubalterne 8c particulière.
On ne doit point.borner l'exportation des grains
à des provinces particulières, parce qu'elles s’épui-
fent avant que les autres provinces puiffent les
regarnir , 8c les habitans peuvent être expofés
• (1) Les chemins ruraux ou de communication avec les grandes routes, les villes & les marchés manquent ou font
mauvais prefque partout dans‘ les provinces ; ce qui eft un grand obllacle à l’a&i/itc du commerce. Cependant il
femble qu’on pourroit y remédier en peu d’annces. Les propriétaires font trop intérefles à la vente des denrées que pro-
duifent leurs biens, pour qu’ils ne vûuluflènt pas contribuer aux dépenfes de la réparation de ces chemins. On pourroic
donc les impofer pour une petite taxe réglée au fou la livre de la taille de leurs fermiers, & dont les fermiers & les
payfans fans bien feroient exempts. Les chemins à réparer fer oient décidés par MM. les intendans dans chaque diftriû ,
après avoir confulté les habitans , qui en fuite les feroient exécuter par les entrepreneurs. On répareroic d’abord les endroits
les plus impraticables , & on perfe&ionneroit fuccefltvement les chemins ; les fermiers & payfans feroient en fuite
chargés de les entretenir. On pourroit faire avec les provinces de pareils arrangemens pour les rivières qui peuvent être
rendues navigables. Il y a des provinces qui ont fi bien reconnu l’utilité de ces travaux , qu’elles ont demandé elles-
mêmes â être aütorifées a en faire les dépenfes ; mais en prétend que les befoins de l’etat ont quelquefois enlevé les fonds que
Ton y avoir deftinés : ces mauvais ftfceès ae peuvent qu’éco ufter des difpofitions fi ayautageufes au bien de l’état.