
le fceau de la paix & de la concorde fociale.
Quand , à force de travaux combinés & fuc-
ceflifs , les hommes font parvenus à fournir affez
d'avances à la terre, pour que les dons de la nature
dont elle eft l'organe foient verfés abondamment
fur la fociété ; quand la propriété foncière
, diâributrice naturelle.de ces dons , après
avoir acquitté & remplacé les avances annuelles,
les premières de toutes, puifqiul faut les rendre
à la terre tout-à-l'heure > quand après avoir entretenu
& rétabli les avances primitives qui font
les outils de la culture, puis fourni fa portion à
la fouveraineté proprietaire des avances publiques
, & finalement pourvu à l ’entretien des
avances foncières qui la regardent > quand la
propriété foncière , dis-je, trouve dans l'excédent
affez de revenu disponible pour pouvoir fe
difpenfer de tenir en perfonne le timon de l’exploitation
, elle peut fe prêter à faire un traité
avec des poffeffeurs de richeffes mobilières qui
veulent les employer à profit a l'exploitation du
champ d'autrui.
Mais dans ce traité , autant & plus encore
que dans tout autre , il eft important que chacun
trouve Ion compte, & qu'il n'y ait ni dol ni
fraude qui puiffe préjudicier à aucune des parties j
car toute déception de part & d'autre feroit vexation
ou pillage , & tourneroit néçelîairement au
détriment de tous.
I l faut que la terre d'abord qui eft l'ame de
.toute l’entreprife , & par elle de la fociété , que
la terre qui feule peut faire les appoints ne perde
-rien âu change , bafe du traité.
I l faut même qu'elle y gagne, comme cela eft
naturel , par l'union de deux forces déformais alliées;
car le propriétaire étoit ci-devant obligé
de pourvoir à tout lui feul, & fes forces dont
une partie confifte en préfence , en vigilance, en
attention & calcul * fes forces partagées ne pou-
voient fuffire à tout. Maintenant elles font doublées
par la mife des richeffes de l'entrepreneur
furvenant, & cette double mife recevra double
falaire cautionné par les loix conftantes de l'ordre
naturel.
C'eft ce doublement de forces & d'avances
qui devient le pivot univerfel des avantages des
contra élans ; mais pour y arriver , il faut qu'ils
fe conforment à ces loix 5 & , pour s'y conformer
, il faut qu'ils les connoiffent.
I l importe donc aux part-prenans du revenu ,
c'eft-à-dire , à la fouveraineté , aux outils , & à
tous ceux qu'ils emploient & falarient, à tous les
fabriquans , commerçans , marchands & artifans
que ces dépenfes font vivre ; il importe aux propriétaires
fonciers & à tous ceux qui vivent fur
l#urs parts, aux entrepreneurs de culture & à
tous ceux qu'ils emploient, foit pour les travaux
annuels ouj avances annuelles , foit pour l’entretien
des avances primitives ; il importe enfin au
premier chef, à toute la fociété , que les proprietaires
connoiffgnt les données principales du
calcul ru ra l, & du moins celles du produit de
leurs fonds, afin que, par une aveugle cupidité ,
ils n'écartent pas les bons & forts entrepreneurs
de culture , en leur refufant des conditions aval.*;
tageufes, & qu’ils ne penfent pas gagner en livrant
leurs terres à des aventuriers -ignorans 0(1
fripons, qui mettent les baux à l'enchère, fans
confulter leurs forces , fans prévoir les hafards,
out dans l ’efpoir d'effruiter les. terres & de les
abandonner après.
Une telle erreur fait qu'un propriétaire mange
fon fonds & fon capital, tandis qu'il croit vivre
fur fon revenu ; une terre épuifée fe refufe à
tout, & il faut un temps & des efforts d'autant
plus confidérables pour la rétablir , qu'alors même
le revenu ceffé prefque entièrement ; & ce
defordre, bientôt épidémique dans la mifère toujours
cupide & frauduleufe, parvient à couvrir
tout un territoire de moiftbns plus déplorables que
la friche. L'état entier s'épuife, & tombe en telle
langueur, que la moindre intempérie amène la
difette & la faim. Bien aveugles font les nations
qui méprifent la fcience agricole, la plus fubli-
me, la plus étendue comme aufïi la plus nécef-
faire de toutes, & qui appellent dedaigneufe-
ment avoir foin de fon bien ne rien faire.
Entre les conditions avantageufes éju'il eft fi
important de procurer aux entrepreneurs de culture
, celle de la longueur des baux eft des plus
fruélueufes pour tout l'état. Cette condition demandée
par un entrepreneur , fuppofe fa confiance
& fa bonne fo i, comme auflî le deffein
ou il eft de participer aux devoirs du propriétaire
, en proportion de ce qu'il veut participer
à fes droits. En effet, le propriétaire ne confent
à prendre un confort que pour être plus lib re,
& pouvoir difpofer plus facilement de fa perfonne.
I l qpitte fa terre, il s'en éloigne, & il n’y
prend qu’un intérêt qui s'affoiblit par l'abfencè.
L'entrepreneur d'ailleurs .> qui n'a d'autre profef-
fion ni d'autre affaire que l'adminiftration & la
culture des biens , entend mieux ce qu'il faut
pour améliorer le fonds ; il prévoit que s'il dépenfe
beaucoup pour le mettre en grand rapport , il
ratrapera bientôt le montant de fes dépenfes
foncières avec profit, & il fe détermine à faire
ce facrifice en raifon_ du temps qu'on lui donnera
pour jouir du fruit de fes avances, qui demeureront
au fonds qu'il doit un jour délaiffer fans y
rien prétendre.' L'intérêt^donc de toutes parties,
mais fur - tout celui du fonds & par conféquent
celui de l ’état , eft que la durée des baux foit
portée jufqu'où il conviendra à ja prudence des
contraélans de les prolonger.
I l importe aufïi que les baux foient folides ,
c’eft*à-dire, contrariés librement de part & d'autre
; car plus ils feront libres & contractés d’égal
à égal, plus ils feront avantageux au bien- de
| l'état.
Dans les pays qui manquent de débouchés, &
où des conditions défaftreufes ont ruiné l'agriculture
, on voit des baux où les propriétaires font
forcés de contracter avec des haricotiers , & de
leur fournir des avances, où la coutume donne
au propriétaire un privilège fur les beftiaux, fur
les cheptels, & autres faux meubles d'atteliers
caducs & ruinés, lignes certains de mifère uni-
verfelle & a’éfruitement des terres , auxquelles
chacune des parties accorde à regret & le moins
qu'il peut, & l'on force ainfi à l'épuifement cette
mère nourrice, qui n'offrant plus à fes nourrif-
fons foibles & défaillans, que des mamelles def-
féchées , ne fauroit plus les fubftanter à l'avenir.
Bien, pis encore font les traités qu'on appelle
baillettes , où le propriétaire fournit tout à de
malheureux métayers , aux conditions les plus
dures qu'il peut impofer à cette forte de fervitude
en fus d'une moitié franche des fruits, moitié
croît des beftiaux, &c. d'où fuit fort fouvent
que le colon ne fème que des productions grofilières
& à fon ufage, qui n'ont aucune valeur
venale , & qu'il perfuade enfin à fon maître que
fa terre n'eft propre qu'à cela ; qu’il réduit fes
meilleures terres en dépaîtres vagues & enclos,
parce que les maigres beftiaux qui y paiffent, ne
lu i coûtent guères plus de foin & de fatigue qu'au-
maître, au lieu que le travail & les frais de labour
font tous à la charge du colon'5 il rélulte de tout
cela que des provinces entières font réduites en
non-valeur pour l’état.
I l eft des cultures privilégiées en vignobles,
vergers , &c. qui ne comportent guères des baux 3
tant par l ’inftabilité des récoltes , que parce-
qu’elles ne demandent prefque point d’avances
primitives, & fe bornent prefque entièrement à
exiger des avances annuelles. Là les propriétaires
font néceffairement plus affidus à la culture, &
moins difponibles. Là la politique a d’autres me-
fures à prendre tant au-dedansqu’au-déhors, pour
maintenir & fubordonner une population plus
nombreufe, plus expofée aux mécomptes, &
conféquament plus inquète , & qui par cela même
demande plus de foin.
L'on ne peut donner de règles générales à la
politique , parce qu'on n'erl peut donner à l'agriculture
dont elle dépend , fi ce n'eft de fe conformer
à l'ordre naturel local.
L'état, la poflibilité, & la franchife des baux3
compofént le vrai thermomètre qui doit donner
à un fage gouvernement la mefure & Ja notice
des détails en ce genre ; c'eft leur enchère qui
lu i donnera la mefcire de la profpcrité fociale.
( Cet article eft de M . G r i v e l .')
B A IL L I.
B A IL L IAG E . Viye% ce s deux articles dans le
Diélionnaire de Jurisprudence.
B A LA N C E P O L IT IQ U E * f. f. C'eft un
mot* compofé , qui renferme l ’idée de comparaifon
de la pùiffance de divers états, & l ’appréciation
de leurs forces refpeclives.
Sous la même dénomination de balance politique
ou balance de pouvoir , on entend encore &
plus généralement, un fyftême d'équilibre employé
par la politique moderne, pour contenir
toutes les puiffances l'une par l’autre, & pour
empêcher qu'aucune ne prédominé en Europe au
point de tout envahir, & de devenir universelle.
Qui dit balance 3 dit contre - poids > une balance
qui donne un jufte équilibre, eft celle qui tient
des poids égaux également partagés > enforte qu’il
n'y ait pas d'un côté plus de prépondérance que
de l'autre. La balance politique feroit donc celle
qui combineront de telle manière les forces des
divers états entr'eux , qu'il en réfulteroit pour
chacun une impuiffance abfolue de prévaloir fur
les autres , de les opprimer , de les conquérir.
En ce fens , la balance politique n’eft guères
qu'une belle fpéculation, qu'on voit très-fouvent
démentie par le fait. Eh qui pourroit aprècier au
jufte les forces des divers états ? Quelle politique
fauroit les unir ou les divifer, de manière que fe
trouvant mutuellement contenus l'un par l'autre,
tout demeurât dans l’équilibre, ou tellement di-
vifé , que le poids d'une maffe de pùiffance n'excédât
jamais celle d'une maffe oppofée ? Si l’on
ne peut blâmer les motifs qui enfantèrent ce
fyftême, où font les moyens de s'en fervir, où
eft la poflibilité de le mettre à exécution ?
On a boucoup écrit fur la balance du pouvoir :
beaucoup de gens raifonnent journellement fur
cette matière j &r cependant l’opinion qu'on s’en
eft faite n'eft point jufte, parce qu’on n'eft pas
remonté jufqu'aux principes de la vraie politique.
« Pour bien juger du fyftême de la balance du
»pouvoir 3 dit le célèbre auteur de l 'Ordre naturel
» & ejfenticl des fociétés policées , il faut commen-
» cer par diftinguer dans ce plan politique , l'ob-
m jet qu'il fe propofe & les moyens qu'il emploie
« pour le remplir. Son objet, nous dit -ôn , -eft la
» pacification de l'Europe , d'arrêter les entrepri-
» fes arbitraires du plus fo r t, qui voudroit oppri-
33 mer & dépouiller le plus foibie > de maintenir
33 ainfi chaque nation dans la jouiffance paifible de
» ce qui conftitue fon état politique ; de ne pas
»permettre enfin qu'aucune pùiffance puiffe ac-
» quérir un tel dégré de force, qu'il ne foit plus
» poflible de lui en oppofer de fupérieures , dans
33 le cas où des pallions effrenées la porteroient à
33 vouloir étendre fa domination fur d’autres peu-
» pies.
» C e projet eft affùrémént bien louable ; tous
33 applaudiffent avec raifon à fa fageffe & à fa
33 jultice, mais il n'en eft pas ainfi des moyens de
33 l'exécuter; c'eft un article fur lequel unepoliti-
33 que faélice, une politique réparée de fes vrais
« principes ^ tient les nations divifées j & l'expé-
» rience ne nous a que trop appris combien nous
33 devons redouter les fuites funeftes & naturelles