
abdiqua le trône , 8c céda la Crimée, le Cuban 8c
| ifle de raman à Catherine II. Cette acquifition
importante j faite d'une manière fi brufque & peut-
etre fi peu légitimé , n'a point entraîné de guerre.
La I orte a eu la foibleffe d'y confentir, 8c la
C0I1V\ï^Cin Par tr°is miniftres du divan , &
par M. de Bulgakow , confifte en' trois articles.
1 ar le premier , la Porte reconnoît l'occupation de
la Crimée} du Cuban & de l'ifle de Taman 3 8c
confient a la réunion à perpétuité de ces pays à
I empire de Ruffie. Dans le fécond, les deux parties
contractantes confirment les traités 8c conventions
de 1774, 177 f & 1775) 3 ainfî que le
traite de commerce de 178 3, à l'exception des articles
3 & 4 de la convention explicatoire du 10
mars 1779 » concernant les tartares ( ce font ceux
qui regardent l'indépendance des tartares) , lef-
quels articles font annullés. La Ruffie affine 8c garantit
a la Porte la poffieffion & la propriété de la
forterefie d Oczakow 8c de fon territoire. Le troi-
neme fixe les limites des tartares à la rivière de
Cuban, jufqu'à la Géorgie. L'échange des ratifications
fut fixé à quatre mois du jour de la figna-
ture de cette convention,
Le grand-vifir çonfidérant l'âge du fultan, prévoyant
que fon fucceffeur pouvoitle rendre refponfa-
ble d une paix de cette efipèce, a refufé de figner
le traité, & l'affaire a été réglée fans-fa. concurrence.
En fie mettant à l'abri du reproche d'avoir
eu part a cette tranfaCiion, il a procuré à ceux
qui s'en font mêles toute la sûreté poffible. D’abord
il a engagé le fultan à . confulter le muphti,
& a en obtenir un fetfa d'approbation 5 en confé-
quence fa hauteffe a ligné de fa propre main l'ordre
de conclure 8c de ligner ce traité. Cet ordre eft
un a été authentique qui fera confervé 8c tranfmis
a la pofterite 3 pour juftifierles miniftres de la Porte.
Le traite a été enfuite ligné par le capitan-pacha,
reprefentant les militaires ; le Reis-Effendi, repré-
fentant le département civil, 8c par un des ulémas
reprefentant la loi & l'églifç.
S e c t i o n I I e.
Remarques fur la ceffion de la Crimée, que la Ruffie
vient d'obtenir.
C e fera peut-être, aux yeux des politiques, une
queftion que de favoir fi le kan avoit ledroit de tranf-
mettre fies états à une autre puiffarice? Puifqu'il ne
gouvernoit pas d’une manière abfolue j qu'il étoit
tenu de confulter fur toutes les affaires importantes
les mirzas ou nobles de ce pays, fans le confente-
ment defquels il ne poùvoit faire la guerre , il fem-
ble quel approbation de ces mêmes nobles eût été
neceftaire pour une démarche de cette nature. Les
mirzas , très - nombreux en Crimée , reconnoif-
foient, a la vérité , le kan pour leur conclue^
teur 8c leur chef 5 ils obéiffoient à fes ordres,
mais feulement autant qu'ils étoient compatibles
|yeç les loix & les prérogatives nationales 3 avec
1 indépendance du pays dont le kan, en fe chargeant
du gouvernement, avoit juré la défenfe*
Des que les ordres d'un kan étoient en oppofition
avec les loix , lés autres princes tartares 8c les
principaux de la noblefie s'y oppofoient, 8c l'o-
bligeoient de le révoquer.
Le kan etoit plutôt le général que le maître des
tartares. Ses finances étoient peu confidérables 3
elles rie conliftoient que dans quelques, revenus
fonciers $ deux falines qu'il affermoit, les douanes,
des deux ports de Baluklava 8c de Gueu-lévé, 8c
quelques légers impôts. Outre les princes de fa
famille, qui aboient le titre de fultans , il y avoit
un autre corps qui repréfentoit à-peu-près la haute
nobleffe du temps du gouvernement féodal, 8c qui
protégeoit le peuple contre les vexations du kan
8c celles des turcs. Ils avoient à leur tête un chef
qui portoit lé titre de bey. Le concours des fultans
8c des chirin-beys feroit-ildonc fuffifant pour auto-»
rifer cette donation ? ne faudroit-il pas que le peu*
pie y confentît.
Les principes d'après lefquels on peut juger de
la validité de cette ceffion , fe trouvent en d'autres
parties de cet ouvrage, 8c nous y renvoyons les
leéteurs.
S e c t i o n I I Ie.
Details fur les moyens qui ont préparé la dernière
révolution de la Crimée.
L hiftoire nous repréfente la Crimée comme le
théâtre de variations prefque continuelles, dont
le rapprochement pourroit offrir un fpeélacle étram
.ge, mais curieux. La puiffance qui y domine avec
fierté, en regardant en arrière du point où elles'eft
élevée, voit à une diftance prodigieufe celui d'où
elle eft partie. Depuis le milieu du treizième fié*
cle, les tartares étoient à-peu-près les maîtres en
Ruffie où , jufqu'à la fin du feizièçne , ils firent ,
&■ ceux de la Crimée çn particulier, des incurfions
frequentes. Jufqu'en 1636, elle payoit à ces derniers
une efpèce de tribut pour le rachat de ceux
de fes fujets qu'ils enlevoient annuellement, &
maintenant ces tartares 8c la Crimée font fournis à
fa domination ; ils avoient obligé le ezar de leur
envoyer tous les ans deux oifeaux de proie , nom*
més fckoukars -, 8c cent mille écus en péjifies ou en
argent. Le kan de ces tartares prenoit le titre de
padifehak ou empereur.
Dans le 17e, les polonois faifoient à là Ruffie
la loi qu'ils en reçoivent dans le dix - huitième.
Pierre le grand, en la poliçant, l'affranchit de
l'oppreffion de fes voifîns 5 & , fous fes fuccef-
feurs , elle a effayé avec fuccès les forces dont
elle ufe aujourd’hui. Le même génie,. à qui l'on,
doit leur création , femble avoir préfidé depuis à
le-ur entretien & à leur accroiffement.
Mais les moyens employés pour la foumiffion
de la Crimée au feeptre ruffe font plus récens j cette
grande révolution fut préparée par lç traité de
Kainardgi en 1774, dans lequel les fortereffes de
Jenicaie 8c deKertfch ont été cédées à la Ruffie,
par les fortifications & les redoutes que cette puiffance
a établies en 1777, entre la rivière de Terek
8c la mer d'Azôf, jufqu'à l'extrémité de la rivière
4 e Cuban, où cette rivière fe jette dans la mer^
d'Azof & dans la Mer-noire. Kopilskoi, qui eft
la dernière redoute, n'eft éloigné de Taman, fitué
vis-à-vis de Jenicaie, que de 14milles d'Allema-,
gne. L a Ruffie , en ordonnant ces forts, allégua
pour prétexte la sûreté qu'eile devoit procurer à
fes fujets fur les frontières, 8c appuya fon droit,
tant fur la polfeffion du- pays entre les rivières
de Don 8c de Cuban , dont jouirent les grands
princes de Ruffie depuis le dixième jufqu'au treizième
fiècle , que fur la conquête du royaume
d'Aftracan, qui Comprenoit cette contrée dans
fes limites. Quoi qu'il en foit, les fortereffes de
Jenicaie & de Kertfch ont facilité à la cour de
Ruffie la correfpondance 8c les négociations avec
le kan régnant, 8c les établiffemens ont tenu en
refpeét les tartares, de Kabarda 8c de Cuban, 8c
ouvert aux ruffes la communication avec les peuples
du Caucafe.
Les tfchirkaffy de la petite 8c de la grande iKa-
barda, ou plutôt leurs princes prêtoient à la Ruffie
depuis trente à quarante, ans l'hommage de fidélité
, 8c étoient obligés d'envoyer, dans la for-
tereffe de Kifcar, des otages des familles les plus
.diftinguées, 8c une grande partie des abehares 8c
plufieurs autres tribus tartares font fournis aux
princes de Kabarda. En 1771, diverfes tribus tartares
qui habitent plus près des;établiffemens ruffes,
s’engagèrent fous ferment à donner à la Ruffie
des otages de familles de princes pour garans de
leur fidélité. Le czarlwan, Waffilie-Witfch, après
la conquête du royaume d'Aftracan, fit encore celle
de la Kabarda fupérieure, 8c y introduifit la religion
chrétienne qu'embrafsèrent le fils & la fille
du prince. Temruk envoyés pour otages en Ruffie.
Le fils reçut le nom de prince Michailow Temruk
- Koifitfch - Tfcherkaskoi, & la fille que le
czar époufa fut nommée Temru - Korfna 5 depuis
cette epoque, les fouverains fte Ruffie ont ajouté à
leur titre celui defeigneur & de foîiverain des pays
kabarde'ï 8c de prince des montagnes 8c des tfchirkaffy
5 Pierre le grand v- ajouta encore celui de
feigneur des Czars de Kartalinie 8c de Géorgie.
La Kartalinie ou Karduel eft le pays connu
fous le nom de Géorgie. Le prince Wachtang , fils
de Taimuras, roi de Karduel, devint prince de
Kacheti. Il fut forcé deux fois de fe réfugier en
Ruffie } favoir, en 1686 & en 1699. R ÿ- mourut
auffi en 1714, après avoir fait un teftament dans
lequel il inftitua Pierre le grand héritier de tous
fes pays. Wachtang, fils de fon frère Léon, étant
devenu roi de Karduel ou de Géorgie, fe mit en
1772 fous la protection de Pierre le grand , & fe
retira en Ruffie avec fà famille y après avoir été chaffé
par les turcs, C'eft de lui que defeendent les Za?-
rewitfch de Géorgie qui font en Ruffie. Le roi de
Géorgie & de Kacheti Heraclius premier, envoyé
en Ruffie par fon père, y embraffala religion chrétienne
3 Heraclius II , qui vient de fe foumettre
à la fuprématie de Ruffie eft fon fils. Voye^ l'article
G é o r g i e .
S e c t i o n I Ve.
Obfervations fur les projets que l’acquifition de la
Crimée peut infpirer a la Ruffie , fur les arran-
gemens quy a faits cette puifjance , & fur les
■ reffources quelle lui offre.
La Crimée•- eft importante par fa fertilité, par le
nombre de fes ports, qui peuvent mettre en sûreté
une flotte nombreufe de vaiffeaux de guerre
ruffes. Cette prefqu'iflequi a quarante milles
d'Allemagne, ou 187 milles de France de circuit, .
eft , à une bande étroite près, tout-à-fait entourée
par la Mer-noire & celle d'Azow , ainfi que
nous l'avons dit : outre onze villes affez étendues,
elle contient un grand nombre de bourgs 8c de
villages. Ses habitans font beaucoup mieux civi-
lifés que le refte des tartares. Elle eft fituée fi
avantageufement pour le commerce, que , dès les
temps les plus reculés fous les anciens grecs, 8c
enfuite depuis le milieu du douzième fiècle jufe
qu'en. 1471, fous les génois, le négoce y a toujours
e'té exercé avec le pltis grand fuccès. La
Porte doit être vivement affeélée de voir au pouvoir
des ruffes un pays qui les met en état de dominer
fur la Mer-noire, 8c d'intercepter à leur volonté
les tranfports des vivres de là à Conftanti-
nople 5 qui enfin, à la première querelle entre les
deux cours , 'leur donne la facilite de répandre la
terreur & la dévaftatlon jufqu'au fond du ferrail.
La Ruffiè ayant acquis l'ifle de Taman 8c le
Cuban, outre la Crimée 3 non-feulement elle peut
dominer fur la Mer-noire, mais elle aura de grands
avantages pour la pêche 8c le commerce avec l'Italie.
On dit que l'importation feule du poiffon ,
dans cette contrée , a valu des millions aux an-
glois 8c aux hoîlandois, qui l'ont farte long tems.
Ces domaines ouvrent aux ruffes l'entrée de la
Méditerranée, 8c les turcs effayeront vainement4
d'y mettre obftacle, puifqu'il eft facile à une e£
cadre d'entrer, quelque vent qu'il faffe, de la
Mer-noire dans le canal de Conftantinople 3 ils
leur procurent encore des bois de conftruétion, du
Ter, tous les matériaux néceffaires 8c deux ports
. excellens 5 ils offrent auffi à leur commerce une
route nouvelle & intéreffante , tant pour la Perfe-
que pour les Indes orientales, 8c ils donnent enfin
à. l'impératrice près de 2,000,000 \ de nouveaux
fujets , 8c environ 3,000,000. d'écus de re-
! venu.
Catherine 11 cherchera fans doute à tirer de
I cette acquifition. tout le parti-poffible ; on luifup