
cerfs, pourquoi punir un homme de mon, pour
avoir attenté à la vie d’un cerf ? Le goût pour la
chajfe dégénère prefque toujours en paflion : alors
il abforbe un temps précieux, nuit a la fanté, 8c
occafionne des depenfes qui dérangent la fortuné
des grands, & ruinent les particuliers. Enfin les
loix quon a été obligé de faire pour en ref-
traindre les abus, fe font multipliées au. point,
quelles ont formé un code très-étendu, ce qui n’a
pas été le moindre de fes inconvéniens.
Suivant le droit naturel, la chajfe étoit libre à
tous les hommes. C ’eft un- des plus anciens moyens
d’acquérir fuivant ce droit. L ’ufage de la chajfe étoit
encore libre à tous les hommes fuivant le 'droit des
gens.
Le droit civil de chaque nation apporta quelques
reftriétions à cette liberté indéfinie.
En France, dans le commencement de la monarchie
, la chajfe étoit libre de même que chez les
romains.. . . . On ne voit pas précifément en quel
temps la liberté de la chajfe commença à être ref-
trainte à certaines perfonnes & à certaines formes.
I l paroît feulement, .que dès le commencement de
la monarchie de nos rois, les princes & Ia noblelfe
en faifoient leurs amufemens.. .
Dès le temps de la première race de nos rois,
le fait de la chajfe dans les forêts du roi étoit un
crime capital 5 témoin ce chambellan que Contran,
roi de Bourgogne, fit lapider pour avoir tué un
buffle dans la forêt de Vaffaç, autrement de Van-
genne.
Sous la fécondé race les forêts étoient défenfa-
bles ; Charlemagne enjoint aux foreftiers de les
bien garder. Les capitulaires de Charles-le-Chauve
défignent les forêts où fes commenfaux, 8c même
fon fils ne pourraient pas chafler : mais ces défen-
fes ne concemoient que les forêts, 8c non pas la
chajfe en général.
Vers la fin de la fécondé race, 8c au commencement
de la troifième, les gouverneurs des provinces
8c villes, qui n’étoient que de fimpfes officiers,
s’étant attribué la propriété de leur gouvernement
, à la charge de L’hommage, il y a apparence
que ces nouveaux feigneurs 8c autres auxquels
ils fousinféodèrent quelque portion de leur territoire
, continuèrent de tenir les forêts 8c autres terres
de leur feigneurie en défenfe, par rapport à la
chajfe f comme elles l’étoient, lorfqu’ elles apparte-
jioient au roi.
Il étoit défendu alors aux roturiers, fous peine
d’amende, de chafler dans les garennes du fei-
gneur. C ’eft ainfi que s’expliquent les établifleraens
de faint Louis faits en 1270. On appelloit garenne
toute terre en défenfe. Il y avoit alors des garennes
de lièvres auffi bien que 4e lapins 8c des garennes
d ’eau. On voit par les privilèges que Charles V accorda
tn 1371 aux habitans de Mailly-le-Çhâteau, 8ec.
que dès-lors il étoit défendu foit aux nobles ou ro-
. tuxiçrs dç chaffer dans les forêts & fqr les terre»
d’autrui en général; mais on ne voit pas qu’il fût
encore défendu foit aux nobles ou aux .roturiers de
chafler fur leurs propres terres.
11 réfulte de toutes les ordonnances 8c réglemens
de nos rois donnés depuis, fur le fait de la chajfe ,
que parmi nous le roi a préfentement feul lé droit
primitif de chajfe j que tous le^autres le tiennent
de lui, foit par inféodation, foit par conce'ffion'
ou par privilège, 8c qu’il eft le maître de reftrain-
dre ce droit, comme bon lui femble. Les fouve-
rains d’Efpagne 8c d’Allemagne ont aufli le même
droit dans leurs états, par rapport à la chajfe.
Tous feigneurs de fiefs foit-nobles ou roturiers
ont droit de chafler dans l’étendue de leur fief >
le feigneur haut-jufticier a droit de chafler en perforine
dans tous les fiefs qui font de fa juftice »
quoique le fief ne lui appartienne pas : mais les fei-
gneurs ne peuvent chafler à force de chiens 8c oi-
feaux, qu’à une lieue des plaifirs du roi; 8c pour
les chevreuils 8c bêtes noires , dans la diftance de
trois lieues.
Les nobles qui n’ont ni fief ni juftice, ne peuvent
chafler fur les terres des autres, ni même fur
leurs propres héritages tenus en roture, excepté
dans quelques provinces , comme en Dauphiné.,,
où ils ont le privilège fpécial de chafler.
Les roturiers qui n’ont ni fief ni juftice, ne peuvent
chafler, à moins que ce ne foit en vertu de
quelque charge ou privilège qui leur attribue ce
droit fur les terres du roi.
Quant aux eccléfiaftiques les canons leur défendent
la chajfe | même aux prélats.
Telles font les idées que Pancienne Encyclopédie
nous préfente fur la chajfe : Nous allons confidérer
ce fujet fous un point de vue plus économique, 8c
remonter aux premières caufes de la chajfe.
La chajfe ne dut d’abord paroître à l’homme un
moyen de fubfiftance qu’en certains cas, où la né-
ceffité le forçoit d’en faire ufage. Il ne dut s’y
livrer enfuite, que par l’habitude qui fait en nous
comme une fécondé nature.
L’intelligence , qui n’abandonne jamais notre
efpèce, lui montre que la chajfe ne fauroit être
qu’un fecours précaire 8c paflager, qui diminue 8c
tarit par l’ufage même qu’on en fait ; qu’elle peut
à peine , dans les cas les plus heureux, fournir
aux befoins que font naître des courfes forcées,
8c qu’elle demande une vie vagabonde, qui ne
peut s’accorder avec les foins d’une famille 8c la
foiblefîe caufée par l’âge ou par des accidens.
En effet les annales de l’enfance des fociétés ne
nous préfentent que deux moyens de fubfiftance ,
le pâturage 8c l’agriculture.
Comme l’homme tend toujours au plus court
moyen de concilier fes befoins, avec fon goût pour
le repos 8ç l’indépendance, la vie paftorale fut la
première profeffion de l’homme , à qui la terre
offrait alors un champ libre. Il ne s’aflervit à l’agriculture
, que fixé par la crainte^ ou rçfjerré par
des Yolfîti»,
Dans
Dans la première de çës deux conftitutiôns,
l’homme dut d’abord- employer là' chajfe comme un
moyen de prendre 8c d’aflervir des animaux utiles
pour en faire fa propriété, 8c pour les multiplier.
Il dut l’exercer enfuite pour préfervër 8c défendre
fes troupeaux de la fureur dévorante des animaux
féroces, indomptables 8c çàrnaci'érs. - : j ri :j ■
Dans la fécondé ., la garde des moiflbn§ expofées
aux dégâts des bêtes qui cherchent leur j^ature,
dut être un objet de chajfe induftrieufe, 8c l’emploi
d’un vrai fervice fociaL
D’après ces deux motifs juftes & néceflairés, là
chajfe put 8c dut devenir l’origine de la guerre,
qui dans fon principe iveft que.la.^rf^è aux farouches
, aux dévaftateurs 8c aux méchans. :
L’homme dans le feu..'du jèune âge eft .naturellement
porté à la vie errante, parce qu’elle, ref-
femble a l’indépendance par fon irrégularité',
qu’elle exerce fon courage 8c fes forces , 8c que lui
préfentant fans cefle de nouveaux objets, elle fait
naître dans fon coeur l’envie de s’en rendre maître
8c le flatte de l’efpoir de les pofîeder.
L’homme errant échappe aux liens dé famille^
aux égards d’habitude , aux objets d’émulation ; .il*
n’a plus befoin , quant à l’a&ion, que d’un point
de ralliement pour fe trouver en force ; (cJeft ce.
befoin qui fit l’inftitution d’un chef chez les peuples
déprédateurs 8c conquérans. ) Bientôt le pafifé
n’eft qu’un fonge, tous lès rapports antérieurs
s’oublient, on ne reconnoît que fon chef; 8c ce
chef qui doit guider tout fon monde, ne peut
l’employer qu’à l’invafion : car le befoin de vivre
8c la nççeflité commandent plus impérieufemerit', l
qu’il ne le ferait lui-même; 8c maîtres plus accrédités
font écoutés de préférence.
Comme la fubfiftance n’éft que le fruit du travail,
8c que des hommes errans n’ont ni la volonté
ni le loifir de s’en occuper, il faut que tandis qu’ils
courent, d’autres travaillent pour les nourrir. Ce
n’eft-là certainement Le calcul de perforine. De
tout temps chacun a travaillé pour loi 8c les fiens ; '
néanmoins le chafleur, par attrait 8c par habitude,
doit néceflairement vivre fur ià portion d’autrui ; •
il doit l’arracher par violence , ou l’obtenir par
menaces ou par un confentemènt d’habitude : car "
Êhomme foüffre tout, jufqu’à ce que la nature qui
ne recule pas, indignée enfin des outrages qu’elle
reçoit, fe foulève contre la main qui.l’opprime ^I8c
reprenne fes droits.
Némrod, chafleur puiflant 8c fort, fut le premier
conquérant, dit l’écriture, comme fi «lie
vouloit nous faire entendre par ces expreflions que
l’un eft la fuite néceflaire ae l’autre.
Des nations nomades fe formèrent dans les vaftes.
plaines de l’Afie des débris de la vie paftorale :
ceux qui la pratiquoient, devenus avec le temps
néceflairement ennemis de la population croiflante
comme de la domination chaflerefle , 8c pouffant
devant eux les dégâts ; tandis qu’ils làiflbient les
déferts derrière eux, furent enfin obligés de re-
GEçon. polit. & diplomatique* Tom. I .
fluer fur eux‘;friêmes ;; réduits à fé contenter drim •
«genre de vie rçrriférable, 8ç dont pourtant ils riraient
! vanité , ils fë1 trouvèren t forcés à: traîner leurs familles
fur des chars ; à fe nourrir du lait 8C de la
-chair de- leurs jumens ; à vivre 8c à dormir toujours
à cheval. On les-vit Gaffer fans cefle de pâ-
tiirages brûlés endépâittes renaiflans , fe divifer en
hordes diverfès, ennemies à chaque- rencontré, fe ;
difputér le terrein, fans: connôîtrè ni 'confins ni li- '
mirés1; 8c après- avoir -d'évâfté leurs contrées habituelles,
aller fnfeftèr les territoires voifiris.
Lé courage eft l ’effet 8c la cómpenfation d’une
vie duré. Qui n’a rien - à perdre, pas-même le fendraient
de fa propre injuftice-, deviendra facilement
le maître du riche , qui oublie-les droits 8c les de-
voirs de la• propriétés Ainfi des déferts de laTar-
; tarie 8c des pays que le voifi'nage avoit fait parti- _
cipër à leurs-moeurs ; fbrtirent- 'en divers âges dès,
1 conquétans, qui changèrent la face de L’un 8c de
l’ autre hémifphèrë. -
A là Chine, ces conquétans, contenus par des
: loix fages 8c confiantes, devinrent chinois : dans
l’Indç ils fe perdirent flansTopulence*, la tyrannie,
les; voluptés : en Europe ürie conftitution fifcale ,
un empire caduc leur ouvrant les barrières , une •
religion fainte, unrterritoire fertile, mais coupé,
un climat favorable, - mais: exigeant^ variable ,
les bornes du monde enfin'les-arrêtèrent 8c les fixèrIel
nfta. llut aflortir lentement ,l eurs ,l oi• x ,b ar.bares >
i mais vigoureufes ; leurs ufages grofliers. 8c fouvent
! féroces,' mais fermes 8c dominans, aux loix indif-
j penfablës des pofleflions rurales 8c des propriétés
i foncières , aux ufages de la vie agricole.'
! 'Celle-ci, comme les plantes les plus vivaces»
: renaîtra toujours de fes racines, pour peu qu’il lui
. en refte ; elle couvrira peu à-peu tout le territoire
de fes rameaux, 8c-fera naître ou ranimera l’ufage
des poids 8c des mefures, des bornes, des héri-
! tages 8c des tribunaux, pour décider les questions
; nombreufés réfultantes-de la propriété, dont l’en-
! femble- compofe le code côniHtutif des états 8c des
’ empirës. ; ^ ■; - * Mais cette rellauration eft longue 8c lente
quand les préjugés dominans lui font contraires,
comme on peut s’en convaincre par l’établiffement
: 8c la" durée de quelques ufages chez les nations
: modernes. Par exemple notre ancienne noblefle
françoifè, qui tenoit d# fes ancêtres , vainqueurs
des gaules^ l’habitude journalière d’aller à cheval,
; étoit toujours à cheval, confultoit 8c délibérait à
cheval dans des pays coupés, ferrés 8c montueux ,
8c par-là même peu. propres à la cavalerie, Quoique
la raifon 8c l’exemple des premiers conquérans
du monde euffent dû lui faire préférer le fervice de
l’infanterie, qui coûte 8c confomme fi peu par
comparaifon. Cette noblefle, l’oifeau fur le poing,
s’ébattoit 'fans cefle à la chajfe dont elle étoit infiniment
jàloufe, en étendoit l’exercice qu’elle pré-
féroit à tout autre 5 8c l’appelloit l’image de h
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