
dèles s ou elle ne les croit pas concluantes. Mais,
fans vouloir élever aucun ‘doute fur leur authenticité
trop bien garantie par ceux qui fe font
donné la peine de les drefier.; fans vouloir examiner
fi le tableau de comparaifon eft jufte , me
lèra-t il permis de demander ce qu’on en veut conclure
? Que l*air du cimetière des Innocens eft
moins dangereux que l’air d’aucun aiitre quartier
de Paris , puifque ce relevé eft à la décharge ?
Que T air du quartier le plus étouffé par les miaf-
mes putrides des cadavres , par l’entaffement des
citoyens , par les exhalaifons , foit du marché aux
legumes , qui touche au cimetière 3 foit de la grande
halle qui n’en eft pas éloignée,. eft néanmoins
le plus fain ? Si tel pouvoir être le réfultat de ce
tableau de comparaifon ( & nous ne pouvons dif-
fimuler que c’eft celui qu’on a voulu en tirer ) 3
il faudrait alors bannir de Paris cette police de
fanté fi eftimable & fi difoendieufe. 11 faudrait
convenir que les villes les plus chargées d’immondices
font les plus falubres. Voilà ou conduifent
de pareils travaux t qui n’embraffent pas toutes les
modifications d’un fait. La fimple réflexion que la
population des environs du cimetière eft celle d’une
horde vagabonde de citoyens 3 qui fouvent vont
porter, dans les quartiers les plus éloignés de Paris
, le germe de mort qui- les a furpris fous les
charniers, eût épargné lin labeur pénible de plu-
fieurs femaines.
Mais à quoi fert fur ce point de vue toute dif-
culfion ? Le gouvernement a déjà profcrit le cimetière
des Innocens 3 & a le bras levé pour bannir
de nos demeures ces afyles de la mortalité. J’ai
tnême dit que les précautions que plufieurs curés
viennent de prendre 3 étoient peut-être le piège
heureux où il les attendoit pour opérer une révolution
générale.
Il n’eft plus pofïible de douter que le'miniftère
n’ait pris fon parti dans cette affaire. Il fe réunit
aux compagnies dépofitaires des loix. Le défaut
de leur accord fut en partie caufe de l’inéxécution
du fameux arrêt du parlement de Paris en 17
Mais depuis le Mandement célèbre que tout le
Languedoc a exécuté , & que le cl'erge 3 dans fon
affemblée de 1775, a approuvé, jjputes les parties
dè l’adminiftration confpirent enfemble fur ce même
objet. La tranfplantation a commencé par avoir
lieu à Verfailles. C ’eft le roi lui-même qui a afli-
gné & donné le terrein du nouveau cimetière. Vous
-verrez ,' dans le recueil des pièces qui ont rapport
a ce fait, & qui ont été imprimées en 1774, que
.ce changement s’eft fait contre le voeu des curés,
& n’en a pas moins eu lieu. Il n’eft point d’année
prefque où vous n’ayez appris que, conformément
a*la déclaration de 1775 & aux inftruéHons de
MM. les aeens-généraux, l’on avoir changé les
lieux des fépultures dans un ou plufieurs diocèfes.
Je l’ai vu moi-même s’exécuter, ce changement,
4 ans une partie de la France, où la foible population
& la grandeur des cimétières mettoient à
l’abri de tous dangers. C ’eft ainfi qu’on a enveloppé
les paroiffes des grandes villes d’exemples,
pour les obliger de foufcrire à une opération qui
eft devenue le yoe u de toute la nation.
O n ne peut fe le diflimuler , c ’eft ce travail
fourd de l’eforit national qui prépare les meilleures
opérations. Elles préfentent alors au miniftre l’oc-
cafion d ’agir avec gloire & fans craindre les ob£
tacles. T elle eft la difpofition adtuelle de nos peuples.
Ils ont vu dans leurs bourgades ces tranfla-
tions avec une efpèce de jo ie , & on les a regardées
comme les fruits d ’une bienfaifance éclairée.
En eft-il beaucoup parmi les habitans de Paris ,
qui n’ aient applaudi à l’interdidlion du cimetière
des Innocens, & qui ne l’ aient vue comme le
prélude heureux de l’expulfion des autres cimetières
? O n d ira , fi l’on v e u t , que la multitude eft
plus imprégnée de miafmés philofophiques, que
des gaz fétides des cadavres \ il eft toujours vrai
que les p eu p les , & fur-tout celui de cette v i l le ,
ont manifefte leur voe u ; & que les écrivains, qui
font comme leurs organes, l’ont publié , & n’ont
point été contredits.
A u milieu de ce concert de phyficiens, de ces
operations combinées du gouvernement & d e sp a r -
lemens , de ces voe u x de la n a tion , que doivent
faire les curés ? Se permettront-ils de difcuter encore
la queftiori du danger des fépultures dans
les cimetières aétuels ? Qu elle confiance peut - on
leur accorder fur une matière qui tient d’une manière
particulière à la phyfique ? Qu els profélytès
peuvent-ils efpérer faire au milieu d’ un peuple
que les plus habiles phyficiens ont é c la iré , & contre
la force toujours preffante de l’ autorité ?
N e feroit-il pas malheureux qu’on attribuât à
des motifs d’intérêt perfonnel les oppofitions que
jufqu’ ici ils ont formées contre l’ exécution du réglement
b Ils ont trop mérité la confîdération dont
ils jouiflent, pour ne pas chercher à faire évanouir
un fou pçon , qui certainement ne ferait pas appuyé
fur leur^ véritable manière de p en fer , & qui les
avilirait aux yeux du citoyen & du chrétien. D i s cutons
donc les raifons de leur pppofition , &
qu’on ne puiffe pas dire que l’ intérêt fufpend l’effe
t d’un projet qu’on s’obftine à regarder comme
utile.
Miniftres de la religion auprès du peuple, dépofitaires
de fes idées , de fes fentimens &
de fon ca ra c tère , vous alléguez cette même religion
, & vous craignez que la tranfplantation
des 'cimetières ne lui porte encore un coup fu-
nefte !
V ou s favez avec quelle circonfpe&ion on doit
oppofer le motif de la religion contre des innovations
dans des matières qui ne lui font pas efifen-
tiellement liées. O n eft trop prévenu que ce m otif
a , nombre de fois, coloré des entreprises injuftes
& des oppofitions condamnables. Dans un fiècle
comme le n ô t re , la prudence demande peut-être
que nous Soyons traitables fur les objets qui ne ;
paroiffent y tenir que par des fibres très-légères. ;
Ainfi il eft vrai q u e , ch ez tous les peuples, les
lieux des fépultures ont toujours été fa c ré s , &
ont comme appartenu aux prêtres. Mais néanmoins
fi une bonne phyfique d ém o n ta que la fituation.
de ces lieux eft dangereufe, & confeille de porter
les fépuhures a illeurs, comment démontrera-t-ori
que notre religion, s’y o p p o fe , que cette tranflation
peut lui faire courir des jrifques ? Seroit-il même
fâge de la mettre ainfi en oppofition avec une
opération qu’on croit tendre au bien de l’humanité
?
Mais il me paraît bien difficile de perfuader
que l’efprirde la religion s’oppofe à l’éloignement
des fépultures des villes ; il femblera peut-être au
Contraire, à beaucoup de monde, que la religion
le confeille & l ’invoque.
Vous connoiflez mi^ix que m o il’e fp r itd e l’ancienne
difcipline d e .l’eglife fur les fépultures dans
les temples & dans les villes. L ’étude continuelle \
que vous faites de fes refpe&ables monumens ,
vous a appris que les chrétiens n’eurent point de
fépultures fixes jufqu’au temps de Conftantin. Les
fidèles alloient recueillir fur les échaffauds les membres
précieux de leurs frè res, qui étoient morts
pour la défenfe de la loi de notre divin rédempteu
r , & déroboient aux payens la connoiflfance des
lieux où ils les enterraient , & où ils les honoraient.
L e refte des chrétiens qui n’avoient point
eu le bonheur d’expirer dans les tourmens, étoient
enterrés dans des endroits retirés & inconnus, foit
pour pouvoir réciter des prières fur leurs co rp s ,
foit pour les fouftraire aux cérémonies fuperftitieu-
fes des funérailles, des infidèles.
Pendant ce t intervalle, il paraît que l’ufage de
brûler les corps avoit toujours lieu > & M a c ro b e ,
qui v iv a it vers la fin du quatrième f iè c le , eft
le premier qui ait parlé de l’ abolition de ce t ufag
e ( 0 . - ; v I I W Ë
- Lorfque la paix fu t rendue à l ’ é g life , on bâtit
des autels & des temples fur les tombeaux des
martyrs. O n tranfporta aufli leurs reliques dans
les^ temples des pa yens, dont on s’emparoit , &
qu’on purifioit. L a fainteté reconnue de quelques
fidèles leur o b t in t , depuis , l’honneur d ’être enterrés
auprès des martyrs. V o ilà les feules fépultures
qui eurent lieu pendant long-temps dans l’églife
: Nemo apoftolorum v e l martyrum fedem ha-
mandis ( & non point humanis ) corporibus exifti-
met ejfe conceJfam3 difent trois empereurs, lib. 2.
de facrof. Eccl. . . . . O n accorda depuis à ces
memes empereurs le privilège d’être enterrés le
long des murs extérieurs des temples. Conftantin
fut le premier, & , pendant long-temps, le feul
qui eût reçu cet honneur. Atque kic quidem ( Confi
tantinopoli ) Confiantinum magnum filius itd démuni
ingenti honore f e affecdu fum exiftimavit } f i eum in.
pifcatoris veftibulo conderet , &c. S . C h ry f. 16 . in
2. ad Corintkios.
C e tte difcipline fe foutint pendant plufieurs fiê-
cles avec une telle fé v é r ité , que le pape Benoît I I I ,
en 8 5 7 , & N ico la s I , en 8 6 7 , n’osèrent fe faire
inhumer qu’au parvis de l’églife de Rome.
Il paraît inconteftable que , jufqu’au huitième
fiècle , on n’ eut aucune autre loi fur les fépultures
que celle de T h é o d o fe , dont voici les paroles :
Omnia que, fupra terram urnis claufa , v e l farco-
fa g is (2 ) corpora detinentur ; exra urlem delàta
ponantur} ut & humanitatis infiarexhibeant } & re-
linquant incolarum domicilio fanitatem (3 ) . Cod»
T h éo d . Iib. 9. tit. 17 . c . 6. D e- là l’explication du
jurifconfulte P a u l, dans fes Sentences, lib. tit. 1 .
2 1 . i . Corpus in civitatem inferri non lic e t , nefu-
neftentur facra civitaiis. Nullum in civitate ftpulchrum
firuitur, S. C h ry f. tom. 74. in M a tth ..........
Ne foetore ipfo corpora viventium infirmarentur. O r ig .
lib. 15 . Placuit ut'corpora defunftorum nullo modo
in Bajilica fanctorum fepeliantur. Nam f i firmijfimum
hoc privilegium ufque nunc manet civitates , ut nullo
modo intra ambitus murorum cujufiibet defuncii corpus
humetur » quant à ma gis hoc venerab ilium martyrum
débet reverentia obtinere ? C o n c . Brac. ann.
c. 18. Imperatores chrifiiani, dit V an -efp en , fane«
(1) «e On ne foupçonneroic pas, dit M. PaW, que les caufes phyfiques & la nature du climat influent jufques fur la
*> fépulture des nations. On en a néanmoins une preuve aflèz convaincante en Europe , où l’on avoit généralement la
» coutume de brûler les morts il y a 19 cents ans. II a fallu enfin les enterrer , parce que nos arts , notre population,
*» nos défriehemens ont tellement déraciné les forêts , que des villes & des cantens fhtiers font déjà menacés d’une pro-
*• chaîne difette de bois & de chauffage. Dès le fécond fiècle , les romains preflèntirent la néceflité de quitter l’ancienne
»* méthode funéraire, de changer les bûchers en cimetières, & d’y abandonner les dépouilles de l’homme aux infères
fe & à la p.utréfa&ion , dont la feule idée leur faifoit horreur. Accoutumés à conferver les cendres de leurs ancêtres &
» à les compter au noinbre de leurs richeffes, ils ne pouvoient fe résoudre à les répandre au fein de la terre.
» La religion chrétienne , quoiqu’originaire d’un pays où l’on embaumoit groffiérement les cadavres, n’a contribuée»
s» rien à la révolution générale dans cette partie de nos moeurs » , Recherches philo/, fu r Us américains, 1 . 1. p. 16 6, \6j i
(a) Et non pas facro-fagis,
fo ) Et non pas fanélitatem.
D d d d i