
S e c t i o n p r e m i e r , e .
. Un fouverain peut-il aliéner.fes états en tout ou
• en partie' ?
Il paroît que les fouverains ont toujours décidé
cette queftion d'une manière affirmative. Sans
parler des teftamens de ces anciens fois qui'donnèrent
leurs royaumes au-peuple romain y donations
que Rome accepta comme légitimes * parce quelles
s'accordoient avec fa politique , & qu'elle
avoit affez de puifTan.ee pour en pourfuivre l'exécution;
le-traité de Vienne- en 1738 ; celui de
Worms-en 1743, & celui d' Aix-la-Chapelle en
1748 ne nous offrent-ils pas y le premier [’aliénation,
des duchés de Lorraine >& de Bar , par le blîef
de la maifon de Lorraine, en-'faveur du roi Sta-
nillas & de la couronne de France ; le fécond la
ceflion d'une partie des duchés de Parme & de
Plaifance au roi de Sardaigne , par l'héritière de
l'empereur Charles VI ; & ledernier la ceflion
du ces mêmes duchés & de celui de Guaftallë à
dom Philippe infant d'Efpagrie ? La. république de
Gênes, n'a-t-elle pas vendu dernièrement Tille de
Corfe- à la France , lors même que les corfes armes
refufoient de rèconnoître la .fouverainete de
cette république ,’ & faifpient les derniers efforts
pour en fecouer le joug ? Ne pourroit-on pas citer
une foule d'autres exemples?
. Mais il ne s'agit que du droit ; & fi les vérités
de l'économie politique ^deviennent un jour à la
portée de tout le monde -, de quelle manière cette
quellion fera-t-elle réfolue : Il En admettant que
les princes font les maîtres d'aliéner ou d’échanger
les états , on fuppofe que les peuples font
de vils troupeaux i ou tout au plus dés efclaves
dont on peut trafiquer ; que les fujets., en promettant
d'obéir 4 un'chef dont ils reconnpiffent
la piiiflancè, & auquel ils fuppofent les qualités
propres à les rendre heureux par Tiri bon gouvernement
, lui ont donné le droit de les livref à un
autre maître ; que l'état eft'- une propriété dont-le-
fouverain peut difpofer à fon gre. Eft-ce affez de
dire qu'il elVpeu convenable de laifïer à la difpo-
fition d’un feul homme les grandes principautés
& les royaumes ? Ne peut-on pas dire, en termes
formelsqu'un fouverain n'a point le droit
de difpofer d'un bien qui ne lui'appartient pas
en propre; que le pouvoir d'aliéner étant uni caractère
effentiel de la pleine propriété, le fou-
verain n'en jouit pas, puifqu'ii eft feulement pof-
foffeur ufufruitier ?
Des écrivains de droit public ont diftingué les
états patrimoniaux des états fucceflifs. Les états
patrimoniaux , onf-ils dit-, reffemblent aux biens
libres , aux pofteflions des particuliers. Le poffef-’
feur en eft maître abfolu ; il peut les donner, les
vendre , les aliéner ; eh ün mot, en difpoTer cofh-
Pîe bon lui femble, par tel contrat ou par tel
traite qu*îl juge à propos. Grotius, par exemple ^
êffaÿe de démontrer que celui; qui poflede une
fouveraineté patrimoniale, peut en. difpofer par
teftament ; il y a en effet bien des exemples d'une
pareille tranflation. Puffendorf foutîent que, dans
-les royaumes patrimoniaux:, le r©i eft en droit de
régler fa fooceffion comme il lè veut, & que Ibrf-
qu'il a expreffénierit déclaré fa Volonté , fes fujets
font obligés de s'y foumettre : c'eft ainfi que les
Czars de Ruffie-transfèrent leur couronne à qui
bondeurfemole.
^Mais il ne s'agit pas de favoir quel eft Tufage ;
d'ailleurs à quoi fert cette diftinCtion des états
patrimoniaux & des états fucceflifs , au milieu
des ténèbres qui couvrent l'origine des gouverne-
mens.LEn çônnoiffons.-nous un feul en Europe
qupn puiffe affurer être patrimonial ? Qu'eft-ce
qu'une fouverainete patrimoniale ? Qui peut la
rendre telle? N'èft-ce pas la force ou le confentement
de la nation ? Or où eft la nation qui, en
choififfaht un fouverain , lui ait déféré le droit
d'aliéner fa couronne , & de difpofer à fon gré
de la fouverainete ? Et qu'eft-cp qu'un droit éta-
bli par la force & la violence , finon une ufur-
pation ?
Les mêmes écrivains difent qu'un conquérant a
lé droit de difpofer d’une : conquête légitimé ;
qu'un état conquis d'une manière jufte devient un
bien patrimonial que le conquérant poffède en
toute propriété. Mais une conquête, quelque jufte
qu'on la îuppofe^ eft toujours le fruit de là forcé
; une force fùpérieure peut enleveV'ces domai<
nés à celui qui lés pôffêde./Lqrfque les peuples
fubjugués mettent bas les armes, ils obtiennent
une capitulation , des conditions auxquèllés ils re-
connoiffent la fouveraineté du vainqueur, & lui
prêtent ferment dç fidélité ; c*eft çettç capitulation,
c'eft la preftaçion de ferment qui rendent
le conquérant fouverain légitime des peuples vain*
eus 5 & fi la faculté d'aliéner Tétat conquis n'eft
pas une des conditions-ftipuléês dans î'aÇte de
foumiflion ou de capitulation , on ne voit pas
qu'elle puiffe être regardée çpmmç upe fuite de
la conquête.
Voye^ C o n q u ê t e , D r o i t d e c o n q u ê t e ,
P a t r im o in e , P a t r im o n ï a x a S u c c e s s if &
S u c c e s s io n .
Sans nous arrêter davantage à cette diftinCtion
frivole, il fuffit de dire que le droit fe plie quelquefois
à des circonftances diîficilèSà des vo-
lontésrimpérieufes', fur-tout a-la loi abfolu» de la
néceflité ; mais que ces accidens ne doivent point
fervir de règle.
Quant aux royaumes fucceflifs, ils ont été rem
dus tels par le libre confentement des peuples qui
font cenfés avoir élu un premier roi, & avoir
attaché la royauté-à fa famille* -Par cette élection
primitive, le peuple fe dépouilla du droit d'élire fes
fouverains, tarit que fubfifteroîtla pôftérité du roi;
& celui-ci acquit en même temps pour fes déf
eendaris le droit exclufif de régner-. Il en eft donc
d’une couronne fucçeflive comme de ces biens
qui, dans les familles :p.articulières , font fiibfti-
tués, .& dont aucun poffeffeur nerpeut difpofer
au préjudice de fes defeendans, pu des. fuGcef-
feurs compris dans la fubftitutipn. LeSi princes qui
polîedent un état fuCceflif, c’eft-à-dire, da,ns lequel-
la fuçceflion à la couronne a été, réglé,e_ par, pne
loi conftitutivè, ne peuvent faire aucune difpqfitip.n
au préjudice de leurs fuccèfleurs, inftitués de droit
comme eux par la même loi. Ils font économes.,
adminjftrateurs » ufufruitiers d'un bien qui doit
pafler après eux. aux princes 4e leur fang<«,- fui-
vant la ligne de fucceflion ; celui qui fuccède ne
tient rien de fon;prédéçefleurî il n'en eft pasl'hé-'
ritier, il n'en eft que le fucceffeur. Il tient la'
couronne de la difppfltion de la loi, qui la lui
confie pour la tranfmettre de la même manière à;
celui que la loi défigne pour lui fuceéder.
Si le fouverain aliène fa fouveraineté fans le
confentement du peuple , ce peuple n'eft tenu de
fe foumettre à la domination du princé à qui on la
cède , en violant la loi conftitutivè de l'état ,
qu'après lui avoir prêté ferment de fidélité: Mais
dès qifil a prêté ferment de fidélité à fon nou-;
veau monarque, il ratifie par Cet aéle la tranflation
de la fouveraineté , & il ne peut violer fon
ferment;
S e c t i o n I Ie.
U intervention du peuple eft-elle nécejfalre a tout ,
démembrement d’un état ? '
s II paroît que tout démembrement d'un état a
bêfoin du confentement du prince, de. celui de
la nation, & de celui'des habitans du pays qu'on
veut aliéner . , ,
• Ce dernier confentement eft encore plus né-’
-ceflaire que les deux autres ; ceux qui ont forrrie
*es fociétés civiles, ou qui fe font Fendus fujets
d'un état déjà- formé , fe font engagés les uns envers
les autres à ne reconnoître qu'un feul & même
gouvernement, tant qu'ils voudroient obéir
àu même fouverain. D'après cette convention ,
chacun des fujets^ ne peut être banni ou fournis à
une domination étrangère , à moins qu'il n'y foit
juftement condamné. La même convention a donné
à tous les citoyens en 1 général, un droit fur
chaque particulier, en vertu duqifel les individus
rie peuvent fë foumettre à un gouvernement étranger
3 ni fe fouftraire à celui de Tétat.
C'eft par l’intention de ceux qui ont fondé les
corps politiques, qu'il faut juger du pouvoir de
tout le corps fur chacune de fes . parties : or on
ne fauroit préfumer que les fondateurs des fo-
ciétés civiks aient voulu accorder à ce corps
, (|.ro'c de retrancher à fon gré quelques-unes
de fes parties.
S E -C T I O N, I I Ie.
La nêcejftté résultant de la guerre,, peut-elle autorifer
.. une partie du peuple a pajfer fous la domination
. du vainqueur ? ,
yLorî^e,l’état ou une pprtion de Tétat fe trouve
dans uq ppril extrême; lorfqu'une partie du
peuple eft réduice à fe foumettre à une nouvelle
domination i on peut fuivre la loi que la néceflité
impofe. Dans toutes les conventions, on excepta
toujours, finon expreflement au moins tacitement,
le cas d’une extrême néceflité qui donne droit à
chacun de fortir 'de l'embarras où il fe trouve.
Blâme-t-on une ville qui, après s'être défendue
autant qu'il a été poflible, fe rend à l’ennemi plutôt
que de fe laiifer fa,ccager ?
S E C T I O N I Ve.
La même néceffité autorife-t-elle, un prince a l ’aliénation
de fes états, & avec quelle réferye doit-
i l la faire ?
Si un roi eft réduit à la néceflité de faire la paix
avec un ennemi plus puiflanty qui l'oblige à lui
céder Une partie de 'fes états dont les habitans ne
veulent pas changer de maître , il paroît qu'il doit
retirer fes garnifons & fes troupes, pour empêcher
qu'elles ne tombent fous le joug du vainqueur j
mais qu'il ne peut forcer les habitans à reçon-
noître pour leur fouverain le prince étranger :
que s'ils font affez forts pour réfifter à ce prince
étranger &' fe former un état indépendant, ils
font les maîtres d'en courir les rifques. Le prince
qui a fait une ceflion, eft, de fa part, privé de
tout droit à la chofe cédée ; & il perd tout droit
fur ce pays. J’ajouterai que le vainqueur n'en
devient le légitime fouverain que par le ferment
de fidélité des habitans.
S e c t i o n Ve.
Un roi peut-il rendre féudataire le royaume fuccejftf,
remettre un hommage qui eft dû à fon état , ou
aliéner le domaine ?
Il fuit des principes établis ci-defliis , qu'fl n’eft
pas permis au roi de rendre féudataire de quel-
qu'autre prince, un royaume non patrimonial,
fans le confentement du peuple.
Que le peuple peut, par la même rai'fon, revendiquer
un hommage que le roi a cédé, de fa
feule autorité , à un yaffal du royaume.
Que le prince ne peut, fans l’approbation] du
peuple , & fur-tout fans le confentement du pays
dont il eft queftiqn , engager une partie de fes
états; qu'il le peut encore moins , li l'engage