
monde croit qu'Henri IV , après la bataille d'Y-
vri , fe feroit rendu le maître de Paris , s'il eût
marché à cette capitale ; Tes miniftres l'en détournèrent
par différens motifs qui les regardoient
perfonnellement. On dit que le maréchal de Biron
cràignoit la paix 3 qui devoit anéantir ou diminuer
fon crédit. On allure que M. d 'O , fur-
intendant des finances , attendoit une occafion
favorable pour piller cette ville & pour remplir
les coffres du roi. Le maréchal de Biron fouhaitoit
fi fort de continuer la guerre , qu'il ne voulut
pas permettre à fon fils de prendre le général de
la ligue.: « Voudrois-tu 3 dit le maréchal, nous
« faire envoyer planter des choux à Biron ? «
Le marquis de Louvois, minillre de Louis X IV ,
fe conduifoit par le même principe. Il ne fongeoit
qu'à engager Louis X IV dans, des guerres continuelles,
parce qu'il étoit fecrètaire de la guerre,
que c'étoit durant la guerre qu'il avoit plus de
crédit, Pendant la minorité du même roi, la du-
cheffe de Longueville fouffloit le feu de la guerre
civile pour n'etre pas obligée de vivre avec fon
mari que fçs galanteries avoient irrité. Le duc de
Nemours fomençoit de fon côté la guerre civile,
afin d'éloigner le prince de Condé dela duçheffe
de Chatillon dont il étoit épris, Catherine de Me-
diçis excitoit des troubles , des çonfpirations &
même des guerres civiles contre fon propre fils
Henri I I I , afin de jouir de quelqu'autorité. Elle
ne réufïit que trop bien ; elle épuifa ce beau
royaume, opprima les fujets , & détruifit la liberté
& les loix. Lorfque Te calme fut rétabli ,
elle ne ceffa de cabaler jufqu'à ce qu'elle eût fait,
rompre les derniers arrangemens; & , grâces à fes
foins , les françois s'égorgèrent de nouveau; pour
bannir toute vertu de la France , elle encoura-
geoit toute forte de débauche. Afin de gagner
corrompre les grands par les voluptés les plus
criminelles, elle ten oit, félon le langage d'un
hiftorien, « fa cour bien fournie de belles dames
a dreffées à cajoler les mécontçns & propres à
- H amollir les héros ; ceux qui avoient réfîfté à d'au-
v très tentations, fuccombèrent à celle-ci” .
Les favoris de Richard II avoient un tel afcen>
dant fur çe roi d’Angleterre, qu'on difoit d'eux
« qu’ils avoient pris le royaume à ferme *>. Ils ac-
cordoient des patentes, ils faifoient des proclamations
, levaient de l'argent , dépouilloient les
fujets fans en inftruire le prince, ou fans daigner
demander une feule fois fon contentement. Ils eurent
la hardielfe de défendre, par une proclama^-
tion publiée dans la ville de Londres, « de rien
» dire contre eux, fous peine de confifcation dç
sa biens v. Ils allèrent plus loin , ils obligèrent
ce foible monarque à leqr promettre par ferment
« de fe gouverner uniquement par leurs çonfeils,
a de les foutenir , de les défendre & de vivre & de
?a mourir avec eux »?. Us ne permirent à auçun fujet
anglois, pair ou roturier, de donner des avis ou des
inftruélions au roi , de l'abcrder meme, û ce q-eft
en leur préfence. Brember, l'un d’entre eux , fit
pendre vingt-deux hommes en une feule n u it,
fans forme de procès. IF avoit infcrit fur fes tablettes
fix ou fept mille citoyens qui lui faifoient
ombragé , & qu'il vouloit exterminer : il eut la
tête tranchée avec le glaive qu'il deftinoit à
cet affreux maffacre. Difcours hiftoriqûes , critiques
6* politiques de Th. Gordon fur tacite.
Abus de La liberté dans les gouvernemens démocratiques
& aristocratiques. Si les chefs des nations
& les favoris des rois font enclins à abufer de leur
pouvoir, les peuples ne le font pas moins à abu-
fer de leur liberté ; & , s'il eft difficile de montrer
dans l'hiftoire une feule monarchie où le prince
&fes miniftres n'aient pas abufé de^I'autorité fuprê-
me , on ne çitç aucune république où le peuple
n'ait pas abufé dé fa liberté, où la multitude ignorante
n'ait pas fouvent pris des refolutions contraires
à fes intérêts, décidé de la paix & de la
guerre d'une manière directement oppofée à la
faine politique , aux loix fondamentales de l'état $
difpofé des charges & des dignités au gré de fes
caprices, plutôt que , félon les maximes de la
prudence & de l'équité , porté des loix deftruc-
tives de fa liberté même, payé d'ingratitude les
ferviçes des citoyens les plus courageux, les plus
zélés, les plus défintéreffés. Les décrets de l’of-
iracifme & du pétalifme ne furent-ils pas fouvent
des abus de la liberté ? Voye^ O s t r a c i s m e &
P é t a l i s m e . Voyez. , dans l'hiftoire de Gênes &c
dans celle de Florence , les jaloufies & les haines
continuelles du peuple & de la nobleffe. Chez
un peuple libre , les vertus & les talens ne font
pas moins fufpeéts que les riçheffes & la confédération.
On prend des précautions odieufes contre
le mérite , contre ceux que leur vertu femble
porter aux honneurs , contre ceux qui ont rendu
des ferviçes publics. De là les factions, les cabales
, les brigues, les guerres civiles où chacun ,
avec le mot de liberté dans la bouche , ne cherche
qu'à opprimer les autres, & qui ordinaire-«,
ment finiflent par la deftruétion de l'état.
U abus de la liberté eft au comblé , lorfque de$
hommes de parti font des loix & difpofent de
l'adminiftration. On ne fauroit imaginer les dé-
fordres étranges qu’enfante l'efprit de parti. Il n'y
a plus ni amitié ni union entre les citoyens j il
n'y a que des afïbciations paffagères entre les complices
de quelque attentat contre la nation ou
contre les particuliers : je dis des affoçiations paffagères
j car on ne tient alors fes termens que
lorfqu'on y trouve fon intérêt, les plus mé-
chans fe fervent de ces liens facrés de la bonne
foi pour abufçr plus fûrement de la fîmplicité des
âmes crédules. Au milieu de cette licence unir,
verfelle, on oublie les principes de l'honnêteté
naturelle ; les fçélérats font efiimés d'habiles gens,
& les gens de bien font traités d’imbéciles. Enfin
l’abus de la liberté rend les bonnes loix inutiles ;
& les hommes fages, s'il y en a encore queir
quçs-yns»
ques-iuns dans la corruption générale , les lécla- >
ment en vain. ... / ,
Abus de la liberté dans les monarchies temperees.
«Les grands avantages, dit Montefquiéu, que
*> les gouvernemens modérés tirent de la liberté,
oa font fouvent qu'ils en abufent. Parce que là
” ,modération a produit de grands effets, on quitte
” cette modération que l'on Tevroit çonferver
” comme le tréfor le plus précieux .Sc cultiver
» comme un fonds inépuifable. Parce'qu'on en
w tire de grands tributs, on veut en tirer d'ex-
0» ceffifsj & , méconnoiflant la main de la liberté
03 qui donne gratuitement & abondamment, on
» s'adreffe à la fervitude qui refufe tout.
»3 Ainfi Xabus de la liberté , dans les mônar-
33 chies tempérées, produit l'excès dés .tributs î
« mais l'effet de ces tributs excefljfs èft dé pro-
w duire à leur tour la fervitude , ’ & l ’effet de la
>3 fervitude de produire la diminution des trions
buts.
09 En Europe , les édits des princes affligent m&
33 me avant qu'on les ait vus , parce qu'ils ÿ par-
» lent toujours de leurs befoins, & jamais des
op nôtres.
os D'une impardonnable nonchalance que - les
os miniftres d e î 'A f ie tiennent du gouvernement &.
03' fouvènt du climat, les peuples tirent cet avan-,
>■3 tage,.qu'ils ne font point fans cene accablés
33 par de nouvelles demandes. Les dépenfes n'y
33 augmentent point, parce qu'on n'y fait point
=3 de projets nouveaux : & fi , par hafard , on y
»3 en fa it, ce font des projets dont on Voit là fin,
33 & non des projets commencés.: Ceux qui gôu-
« vernent rëtat, ne le tourmentent pas , parce
33 qu'ils ne fe tourmentent pas fans céffe èux-mê-
33 méfs-' M a is , pour -nous', îL eft impoffible que
»j nous ayons jamais de règle dans nos finances , .
33 parce que nous lavons toujours que nous fe-
« rons quelque chofe, ’ & jamais ce que nous fe-
»3rons(i)'. .
' »s Trop fouvent on appelle parmi nous un grand
33 miniftre, non Celui qui eft le fage difpènfateür
33 des revenus publics , mais celui qui eft homme
>> d'induftrie, &.qui trouvé ce qu'on appelle des
à» expédiens : éxpédiens qui font toujours des abus
a» plus où moins fenfibles de la liberté , des con-
03 cuffions palfiées, des attentats plüs ou moins
y grands contre le droit de. propriété 33.-
A B Y S S IN IE , royaume d'Afrique. LeDiérion-
haire géographique a recueilli tout ce qu'on fait
furie gouvernement & l'adminiftration de ce pays,
& nous ÿ renvoyons les leéteurs.
A C C A P A R EM E N T , f. m. aélion d'accaparer
, monopole confiftant à faire des levées con-
fidérables de denrées ou marchahdifes , pour s'en
approprier la vente à foi feu l, à l'effet de les vendre
à fi haut prix que l'on voudra.
f t ) De l’Éfpr.it des Loix liv, XIII , chap. i j .
<Mcon. polit j, & diplomatique. Tom. I,
t A C C A P A R E R , fignifie donc acheter des,denrées,
ou des marcnandifes, & en faire de grandes
levées dans la, vue de les rendre rares &.fqrt chères.
On dit accaparer des bleds, des laines, des
cires , des fuifs , &c.
. Cette opération eft défendue fous peine de
confifcation dés marchandifes accaparées, d'amende
pécûniàire, & dé peine _corporelie en cas de
récidivé, t
Il ne. faut, pas confondre le terme d’accaparer
avec celui d’enàrrher3 quoiqu'on donne quelque-
fois des arrhes en accaparant, quoiqu'on ait prononcé
la même'peine dans lés deux cas, & que
l'un né foit pas fouvent plus condamnable que
l'autre. Voyè^ En a r r h e r .
L ’accaparement condamné par les loix & par le
préjugé n'eft , pourtant pas toujours, aufli condamnable
en lui-même qu'il femble l'être-, d'après
l ’opinion publique & les ordonnancés qui le
profcrivênt j car , pour l'ordinaire , il eft occa-
fionné par des vices d'adminiftration. D'ailleurs fî
. Ydecaparèùr n'ufoitpas demauvàife fo i , sfil n'em-
• plôyoit pas l'aftuce ou la furprife dans fes achats',,,
s'il .vifoit plutôt à fe donner des profits. ,honnêtes,
qtfa priver lé peuple de fubfiftance, les marchés
qu’ il fèroit étant , fondés fur la liberté naturelle,
dont tout citoyen doit jouir dans l'emploi de
| fes propriétés, & fur celle qui doit également appartenir
aux vendeurs des marchandifes qu'il
achète ^ il eft évident qu'il ne biefferoit le droit
de perfônnè en exerçant le fièn dans toute fon
étendue , & qu'il ne ferôit que ce que tout autre
citoyen pouvoit entreprendre avant lu i, & avoit
le droit de faire çbmmé lui. Il eft vrai qu'on peut
rarement alléguer cette dernière excufe en faveur
de ce monopole , & qu'on ne le voit point foiis
un point de vue favorable. Il paroît toujours dangereux',
mais il eft encore plus effrayant.
En effet l ’idée qu'on fe fait de {’ accaparement
eft le plus fouvent comme celle qu'on attache
aux mots de forcier & de maléfice y elle eft
groffie, élle. efF défigurée "par l'imagination. Ç 'eft
un fantôme qui , vu à travers les brouillards de
l 'ig n o r a n c e d u préjugé, a communément plus
d'apparence que de réalité. '
Mais , rangé dans la clafle- des abus & regardé
comme dangereux & funefte , il eft du petit nombre
de ceux qu'il faut confidérèr comme effet &
non cornhie caufe. La cherté des grains, les troubles
&Jes' défordres qu'on prétend qu'elle occa-
fionnè dans une année de difette, ont une caufe
plus éloignée à laquelle il faut remonter pour dé-r
couvrir la fource de Y accaparement & les moyens
d'arrêter ou de prévenir fes manoeuvres.
Vaccaparement n'exifte & ne- fe montre d'une
I manière nuifible que dans des pays où des loix
I pofitives erronées gênent ou combattent les loix
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