
fiance reparoîtr'a î & les avides agioteurs, qui ref-
ferroient l'argent, dans l’efpoir de profiter du dif-
crédit & de la misère publique, pour opprimer le
befoin & la néceflité par des marchés üfuraires ,
feront déroutés dans leurs fpéculations ennemies,
obligés de faire entrer leurs fonds dans la voie du
commerce licite & favorable , & d’dffrir eux-
mêmes leur argent.
Au lieu de cela, fi l’on veut relever le commerce,
& ranimer la circulation, en attirant de
toute autre manière un furcroît de matières d'or
& d’argent, en faifant frapper de la monnoie, &c.
Ces feçours momentanés peuvent devenir décififs
dans des cas preffans de guerre & de politique
extérieure : mais reçût-on cet argent en pur don,
il n’influera pas plus fur la circulation, que le,
lilium donné à un-malade ne peut devenir nourriture.
Il faut en dire autant du papier & de tous autres
lignes admis dans le commerce, comme gages
des valeurs, & que le befoin peut fubftituer à la
monnoie. La vraie circulation & la feule utile
commence à la confpmmation , parcourt tous
les rameaux de l’arbre focial , pourvoit à la
nutrition générale, & fe termine à la reproduction.
Telle eft elfentiellement & uniquement le
cercle de perpétuité des fociétés & de l’efpèce
humaine.
( Cet article eft de M. G r i v e l .)
Le le&eur nous faura gré fans doute de lui offrir
des idées fur la circulation envifagée d’une autre
manière. Ce morceau eft tiré d’un ouvrage
célèbre.
On a parlé fouvent des avantages du mouvement
& de la rapidité de la circulation j &
comme, ce font - là des mots fouvent employés,
fans que jamais peut-être on s’en foit fait une idée
diftinéte, je ne crois pas indifférent d’elfayer d’en
développer le véritable fens ; & j’indiquerai en-
fuite jufqu’à quel degré l’adminiftration des finances
en France peut concourir à la plus grande
aélivité de cette même circulation,
Le numéraire d’un pays s’applique à deux objets
abfolument différens ; une partie fert de me-
iure continuelle dans les échanges, & devient le
moyen néceffaire pour payer journellement les
befoins & les commodités de la vie : e’eft avec
cette partie du numéraire que 3 d’un bout du
royaume à l’autre, l’on fe préfente dans les marchés
, dans les atteliers de travail & dans tous les
lieux de trafic, pour fe payer réciproquement le
prix de fon temps & de fes denrées. Le numéraire
, fous ce rapport, eft fournis à Une rotation
continuelle, provoquée par les befoins journaliers,
& auflî immuable qu’eux. Voilà donc une première
circulation de l’argent, fur laquelle le gouvernement
n’a aucune influence, & ne doit point
defîrer d’en avoir.
Il eft impoflible de connoître quelle portion du
numéraire d’un pays eft employée à l’execution des
échanges dont je viens de parler : on apperçoit
feulement que cette fomme doit être plus grande ,
à mefure que le prix des denrées augmente 5 &
l’on découvre auflî que plus la population d’un
royaume eft étendue, & plus la quantité d’argent,
applicable aux échanges journaliers, doit être con-
fidérable.
Si chacun en France , fans diftin&ion d’âge ni
de fexe, avoit conftamment dans fa bourfe ou dans
fa caflTette , 90 liv. réfervées pour l’acquifition des
divers objets dont on a befoin , tout l’argent du
royaume feroit employé à cet ufage, & ne fervi-
roit, pour ainfi dire , qu’à la facilité des comptes
(i)î
Sans doute, un nombre confidérable de particuliers
ont conftamment plus de quatre-vingt-dix
livres deftinées uniquement, foit à leurs dépenfes,
? foit à la tranquillité de leur efprit, foit à la fatif-
faétion de leur avarice > mais un nombre, infiniment
plus étendu de perfonnes, n’a pas cette
fomme en efpèces > & c’eft par cette raifon qu’il
exifte en France , comme dans tous les pays ri-
cheSv, une grande fomme d’argent, au-delà de
celle qui eft deftinée à l’exécution des échanges
journaliers.-
Cet excédent forme la partie du numéraire qu’on
peut appliquer aux emplois utiles , & qui fe porte,
ou aux emprunts de l’état & des particuliers, ou
aux entreprifes de toute efpéce : ainfi la circulation
dont la rapidité importe au crédit public, eft celle
qui ramène, des mains de tous les habitans du royaume
, dans les mains des çapitaliftes, toute la partie
du numéraire qui n’eft pas néceffaire à la facilité
des tranfaélions multipliées, qui font l’effet
des dépenfes de l’état & de l’univerfalité des citoyens.
Si les fommes qu’un gouvernement emprunte ,
étoient employées en entier à des rembourfemens,
-il pourroit, pour ainfi dire, emprunter fans fin &
fans interruption : car les fonds reçus des capita-
liftes, retournant fur le champ à d’autres capita-
liftes, il y auroit continuellement , entre les mains
de cet ordre de particuliers , la même fomme de
capitaux à placer.
Mais il y a une grande différence, entre la fup-
pofition que je viens de faire, & ce qui fe pafle
réellement ; car la fucceflion des emprunts publics
en temps de guerre, étant deftinée aux befoins
extraordinaires, les fonds qüi proviennent de ces
emprunts ne peuvent pas être appliqués à des rembourfemens
, & retourner ainfi rapidement des
(1) Quatre-vingt-dix livres, multipliées par 24 millions, 676 mille âmes , nombre des habitans de la France , feroien*
jjeux milliards n o millions 840 mille livres, fomme équivalente environ à la mufis totale du numéraire du royaume«
paains. des çapitaliftes aux çapitaliftes : le gouvernement
eft forcé de répartir ces fonds en foldes,
en gages, en fubfiftances, en journées d’hôpitaux
, en fournitures de toute efpèce, enfin de
mille manières différentes } ce qui s’exécute par un
nombre infini de divifions & de fubdivifions, depuis
la capitale jufqu’aux extrémités du royaume.
Cet argent, ainfi répandu, donne aux uns les
moyens de continuer leurs dépenfes, à d’autres
celui de les augmenter : chez quelques-uns, cet
argent forme le commencement d’une épargne ,
& chez d’autres il prépare un capital dont on méditera
bientôt l’emploi. Mais, dans un royaume
tel que la France, il faut néceffairement un très-
long circuit, avant que des fonds immenfes dif-
perfés de cette manière fe réuniffent de nouveau«
entre les mains des çapitaliftes en général, & particuliérement
encore entre les mains des capita-
liftes de Paris , qui, jufqu’à ces derniers temps ,
étoient prefque les feuls du royaume qui s’inté-
reffafient dans les fonds publics.
Ces réflexions, cependant, aident à découvrir
pourquoi l’on a vu conftamment les emprunts de
l’Angleterre fe fuccéder avec beaucoup plus d’activité
& d’étendue que ceux de la France, même
dans les moments où ce dernier royaume avoit fe
plus de crédit j circonftance qui a dû paroître
d’autant plus extraordinaire, que le numéraire de
l’Angleterre, en y comprenant les billets de banque
qui font office d’argent, égaloit à peine ,
il y a dix ans, la moitié du numéraire a&uel de la
France.
Ce n’eft pas feulement dans l’étendue de la
confiance publique qu’il faut chercher la caufe de 1
cette étonnante faculté d’emprunter, dont l’An- 1
gleterre a donné des exemples plus frappans que
jamais dans la dernière guerre : je fuis perfuadé
qu’avec le même crédit, elle n’y feroit jamais parvenue
, fans l’activité qui règne d^js fa circulation 5
ou, pour m’expliquer plus diftin&ement, fans la
promptitude avec laquelle les fonds attirés au tré-
ïor public par des emprunts, & répartis enfuite
pour les dépenfes publiques , retournent entre les
mains des çapitaliftes, qui les-prêtent de nouveau
l’année fuivante j & la rapidité de cette circulation
tient à des caufies particulières. Premièrement ,
fans doute, à l’ufage habituel & général d’un papier
monnoie, qui rend les paiemens dÿin bout
du royaume à l’autre, auffi prompts que la pofte.
Secondement, à la moindre étendue de l’Angle- i
terre. Troifiémemént, à la réunion de prefque tout
le numéraire dans la ville de'Londres, qui fe
trouve tout-à-la-fois port de mer, capitale, chef-
lieu de commerce, & centre de prefque tous les
paiemens de banque. Quatrièmement, à l’habitude
©ù font tous lçs négociants & tous les particuliers
dé n’avoir point d’argent chez eux, & de le tenir
chez des caifliers auxquels on ne donne point
d appointemens 5 mais gui ont la permiflion tacite,
de faire valoir les fonds dont ils font dépofitaires :
enforte que cette multitude de fommes d’argent,
qui relient ailleurs en ftagnation entre les mains
des particuliers, forment par leur réunion, dans la
main des caifliers, un capital affez confidérable ,
pour qu’ils aient un intérêt majeur de le mettre
en aélion. Enfin cette rapidité de circulation tient
encore eflentiellement à la confiance continuelle &
foutenue dans les effets du gouvernement, & à
la facilité avec laquelle on a pu jufqu’à préfent
les réalifer à toute heure, & de beaucoup de manières
différentes , toutes tolérées par le gouvernement
, comme autant de moyens propres à fa-
vorifer l’a&ivité de ce commerce.
Voilà, ce me femble, les principales circonf-
tances qui accélèrent l’efpèce de circulation 3 dont
f la rapidité importe fi fort au renouvellement des
emprunts publics. Et fi l’on pouvoir drefler avec
exactitude l’itinéraire de cette circulation, on trouverait
peut-être que , s’il faut deux ou trois ans
en France pour voir revenir, entre les mains des ca-
pitaliftes, .le produit des emprunts que le gouvernement
difbérfe en dépenfes publiques, il fe peut
qu’en Angleterre cette même circulation s’effeétue
dans le cours d’une année 5 enforte que, fous ce
point de vue, la facilité des emprunts d’Angleterre
, auroit quelque rapport avec celle qu’on
éprouveroit dans tous les pays, où l’on n’emprun-
teroit que pour faire des rembourfemens.
C’eft auffi par ces divers motifs que l’augmentation
des richelfes publiques en Angleterre, foit
que cette augmentation vienne du commerce^-ou
des fortunes faites aux Indes, ou par quelqu’autre
voie, eft envifagée comme autant de nouveaux
fonds, qui ne tarderont pas à groflir la fomme
des capitaux applicables aux emprunts publics.
Une partie des circonftances qui contribuent,
en Angleterre, à la brièveté de la circulation ,
appartiennent particuliérement à fa fituation , au
gouvernement & aux ufages du pays} & fi l’adminiftration
des finances en France peut, par fes foins,
abréger une circulation dont la rapidité eft fi eflen-
tielle, il eft cependant des défavantages qu’elle ne
fauroit vaincre ni changer.
Telle eft, par exemple, lavafte circonférence
du royaume, qui occafionne une difperfion plus
étendue des capitaux fournis par les emprunts publics
, & appliqués enfuite aux diverfes dépenfes :
telle eft la fituation de fa capitale, qui l’empêche
d’être le centre d’un grand commerce 3 telle eft
encore l’habitude où l’on eft , en France, de
garder fon argent foi-même, ou de le remettre à
des notaires qui tranfgrefferoient les devoirs de leur
état en le dénaturant} & l’on auroit peine à guérir
de la défiance qu’in fpireroit u-n dépofitaire
, s’il faifoit valoir les fonds qui lui font remis : il
y auroit d’ailleurs un-véritable péril à fe fervir
defimples caifliers, tant qu’on ne trouveroit pas,
comme en Angleterre, des hommes riches de plu-
fieurs millions, qui fe voueroient à cet état 5 &
l’on ne peut l’efpèrer dans un pays où, dès les