
qu'eux ' mêmes y rendent compte des affaires de
leur ^département. On ne les nomme que pour
trois ans ; mais leur million a communément plus
de durée. La loijeur défend de fe marier dans la
contrée foumife à leur jurifdiétion , de s'intérefler
dans aucune branche de commerce, d'accepter le
moindre préfent, de recevoir des émolumens pour
J^es fonctions de leur charge ; & cette loi eft aflez
rigOHreufement obfervée depuis quelques années.
Auffi rien n'eft-il plus rare aujourd'hui qu'une
fortune faite, ou même commencée, dans ces pof-
tes du nouveau monde. Celui qui les quitte volontairement
doit, comme celui qui eft révoqué,
compte de fa conduite à des commifiaires choifis
par la métropole; & les citoyens de tous les ordres
font indiftinCtement admis à former des accu- !
fations contre lui. S'il meurt dans fa place, l'évê- j
que, l'officier militaire le plus avancé, & le premier
magiftrat, prennent conjointement les renes
du gouvernement jufqu'à l'arrivée de fon fuccef-
fëur. ;
La .jurifprudence du Brefil eft abfolument la
même que celle du Portugal# Chaque diftriét a fon
juge, dont on peut appeller aux tribunaux fupé-
rieurs de Bahia & de Rio-Janéiro, à ceux-même
de Lisbonne , s'il s'agit de grands intérêts. Il n'y
a que le grand Para & le Maragnan qui ne foient
fournis à aucune des deux jurifdi&ions, & dont
les procès foient portés , en fécondé inftance, à
la métropole- Une route un peu différente eft
fuivie dans, les caufes criminelles. Le juge de
chaque canton punit fans appel les fautes légères.
Les forfaits reffortiffent du gouverneur , aidé de
quelques afleffeurs que la loi lui nomme.
Un tribunal particulier doit, dans chaque province,
recueillir les fucceflions qui tombent à des
héritiers fixés au-delà des mers. Il retient cinq
pour cent pour fes honoraires , & fait paffer le
refte en Portugal dans un dépôt formé pour le
recevoir. Le vice de cette inftitution, d'ailleurs
judicieufe , c'eft que les créanciers du Brefil ne
peuvent être payés qu'en Europe.
Le commandant & quatre magiftrats adminif-
trent les finances. de chaque province. Le r.éfultat
de leurs opérations paffe tous les ans ,au tréfor
royal de la métropole , & y eft difciité très-févè-
rement. Il n'y a point de ville , ni même de bourg
un peu confidérable, qui n'àit une affemblée municipale.
Elle doit veiller aux petits intérêts qui
lui font confiés, 8c régler, fous FinfpeéHon du
commandant, les légères taxes dont elle a befoin.
/J)n lui a1 accordé plufieurs privilèges, celui? en particulier
de pouvoir attaquer au pied du trône le
chef de la colonie.
Le militaire eft réglé au Brefil fur le même pied
qu'en Portugal & dans le refte de l'Europe. Les
troupes font à la difpofîtion de chaque gouverneur
, qui nomme à toutes les places vacantes ,
jufqu'à celle de capitaine exclufivement. Il a la
jnêms autorité fur les milices, eompoféesde tous
les citoyens qui ne font pas fidalgos, c'eft- à-dire
de la haute nobleffe, ôu qui n’exercent pas des
fondions publiques. Hors les cas d'un befoin extrême
, ces corps, qui doivent tous avoir un uniforme
& le payer eux-mêmes , ne font pas
affemblés dans l'intérieur des terres ; mais à Fer-
nambouc, à Bahia, à Rio-Janéiro, on les exerce
un mois chaque année, & c'eft alors le fifc qui
les nourrit. Les nègres & les mulâtres ont des-
drapeaux particuliers , & les indiens eombattent-
avec les blancs. Au temps où nous écrivons, la*
colonie compte quinze mille huit cens quatre-
vingt-dix-neuf hommes de troupes réglées, 8c
vingt - un mille huit cent cinquante hommes de'
milice.
Quoique le ro i, comme grand maître de l'ordre
de C hrilt, jouiffe feul au Brefil des dixmes ecclé-
fiaftiques ; quoique le produit de la croifade foit
tout entier verfé dans fes coffres, on a vu fe former
fucceffivement , dans cette vafte partie dm
Nouveau - Monde , fix évêchés qui reeonnoiflent-
pour leur métropole l'archevêché de Bahia, fondée
en 1552. Les heureux prélats , prefque tous
européens | qui rempliflent ces lièges honorables-,,
vivent très - commodément avec les émolument
attachés aux fondions de leur miniftère y & avec
une penfion de . douze mille cinq cens a trente
mille livres que le fifc leur donne.
Parmi les pafteurs fubalternes, il n'y a que les
millionnaires, fixés dans les bourgades indiennes r
qui foient payés par le gouvernement : mais les
autres trouvent des reflources fuffifantes dans les
peuples fuperttitieux qu'ils font chargés d'édifier,,
a ’inftruire,. & de confoler. Outre un tribut annuefc
, que chaque famille doit à fon curé , il lui faut
quarante fols pour chaque naiflance , pour chaque
mariage, pour chaque enterrement. La lo i , qui?
réduit cette contribution à la moitié pour les pauvres,
&. à rien pour les in d ig e n s e ft rarement
refpedée. L'avidité des prêtres s'eft même portée
jufqu’à doublerrce falaire dans- la région _ des>
mines..
On tolère quelques afyles pour les vieilles filles
à Bahia & à Rio-Janéiro : mais jamais il ne fut permis
dans le Brefil de fonder aucun couvent pour
des religieufes. Les moines ont trouvé plus de
facilité. Ifexifte vingt-deux maifons de diffcrens
ordres, dont, les deux- plus riches font occupées
par des bénédictins, auffi libertins qu'oififs. Au=-
eun de ces établiflemens n'eft:plâcé dans le pays'
de l'or. Les jéfuites avoient profité de l'influence
qu’ils avoient dans le gouvernement, pour fe fouf-r
traire à la loi qui en interdifoit le féjour à to,us les
réguliers. Depuis leur expjjlfion, aucun inftitutne
s’eft trouvé aflez.puifîant pour arracher une faveur
fi fignâlée.-.. -
Sans avoir proprement l'inquifîtion , 1 e tyrefil
eft fouvent la viCtime des perfécutions religieufesv
Les eccléfiaftiques de.la colonie , que ce tribunal
, choifit pour fes agens, en prennent les maximes
Leur fanatifme s'eft quelquefois porté à des excès
incroyables. L'accufation de judaifme eft celle qui
provoque le plus fouvent leur impitoyable févé-
rité. Les rigueurs en ce genre furent pouflees fi
loin, depuis 1702 jufqu’en 171-8 , que tous les
efprits fe remplirent de terreur, que la plupart
des cultures relièrent négligées.
. Dansle Brefil, il rfy a point d'ordonnance particulière
pour les efclaves, & ils devroient être
jugés par la loi commune. Comme leur maître eft
oblige de les nourrir, & que l’ufage s'eft aflez
généralement établi de leur abandonner un petit
terrein qu'ils peuvent cultiver à -leur profit, les
fêtes & les dimanches, ceux d'entr'eux qui font
fages & laborieux, fe trouvent en état, un peu
plutôt, un peu plus tard , d'acheter leur liberté, j
Rarement leur eft - elle refufée. Ils peuvent même j
l'exiger, au prix fixé par les réglemens , lorfqu’on H
les opprime. C'eft vraifemblablement pour cette
raifon que, malgré de grandes facilités pour l'éva-
fion, il n'y a guères de nègres fugitifs dans ce vafte
continent. Le peu qu'on en voit, dans le pays des
haines feulement, s'occupe au loin & paifible-
ment du foirnde faire naître les productions né-
ceffaires à leur fubfiftance.
Ceux des noirs qui ont brifé leurs chaînes,
jouiflent du droit de cité comme les mulâtres :
mais les uns & les autres font exclus du facerdoce
&des charges municipales. Au fervice même, ils
ne peuvent être officiers que dans leurs propres
bataillons. Rarement les blancs donnent-ils leur
nom aux femmes de cette couleur. La plupart fe
contentent de former avec elles des liaifons fe- \
crettçs. Ce commerce , que les moeurs autorifent,
ne diffère guères du mariage dans une région où
tout homme difpofe de fa fortuné^ au gré de fes
caprices 8c de fes pallions.
S E C ,T I O N I I Ie.
Etat des naturels du. pays.
L’état des indiens n’a pas été toujours le même.
Dans l’origine , on fe faiftfioif d'eux; on les ven-
doit dans les'marchés ; op les faifoit travailler
comme efclaves dans les plantations.
Sébaftién défendit, en 1570, de mettre dans
les fers d’autres brefiliens, que ceux qui aur'oient
été faits prifonniers dans une guerre jufte: mais
cette loi n'eut aucune fuite, parce que les portugais
auroient cru s'avilir en remuant les terres,
& qu'on n’avoit encore demandé que très - peu
de cultivateurs à l'Afrique. ^
L'édit de Philippe II, qui , en 1595 , confirma
les difpofitions de Sébaftien, qui même ré-
duifit à dix ans la fervitude de ceux- que ce prince
avoit permis de retenir toujours dans les chaînes ,
ne fut pas mieux exécuté.
Deux réglemens de i6oj_ & de 1609, déclarèrent
de nouveau les indiens y 8c. tous les indiens
fans exception , parfaitement libres. Philippe
III, inftruit qu on fe jouoit de fes ordres,
porta, en 1611, une trôifième loi qui décernoit
des peines, graves contre les infraCteurs. Mais,
à cette époque, la colonie étoit encore fous un
gouvernement municipal, |là’ plupart de fes ad-
miniftrateurs étoient nés en Amérique ; de
forte que les nouvelles difpofitions ne furent,
guères plus refpeCtées que ne l'avoient été les
anciennes.
Cependant les millionnaires s'élevoient tous les
jours avec plus de force contre, la tyrannie qui
opprimoit leurs néophites. La nouvelle cour de
Lisbonne céda , en 1647, à leurs preflantes fol-
licitations, & renouvella très-formellement la
défenfe de retenir aucun brefilien dans la fervitude.
L'efprit d'indépendance qui fe -manifefta
d'une extrémité de la colonie à l'autre, fît fentir
à une domination mal affermie, qu'il ne lui étoit
pas permis de vouloir ce qui étoit jufte ; & elle
modifia fes ordres huit ans après, en permettant
l'éfclavage des individus nés d'une mère né-,
greffe & d'un père indien.
Alors les hollandois venoient d'être "chafles de
cette partie du Nouveau-Mondé. Les liaifons
avec les côtes d'Afrique, qui avoient été interrompues
par les guerres fanglantes qu’il avoit fallu
foutenir contre ces républicains, reprirent leur
cours. Les nègres fe multiplièrent dans le Brefil.
Leur fervice dégoûta des naturels du pays , plus
foibles & moins laborieux. On ne remplaça pas
ceux’qui périfloient ; & ce genre de fervitude
tomba peu à peu par - tout, excepté à Saint-
Paul , au Maragnan & fur l'Amazone, où l’oij
n'avoit pas encore établi de riches cultures, &
où les Portugais n'étoiënt pas en état d'acheter
des efclaves. Les loix portées en 1680, 1713 &
1741, pour extirper ce refte de barbarie, furent
impuiflantes. Ce ne fut qu'en 1755 , que tous les
brefiliens furent réellement libres.
Le gouvernement les déclara citoyens à cetté
époque. Ils durent jouir de ce titre de la même
manière que les conquérans. La même carrière fut
ouverte à leurs talens ; & ils purent afpirer au£
mêmes honneurs. Un évènement fi propre à atten*
drir les coeurs fenfîbles, fut à peine remarqué.
On s'occupe de plaifîr, de fortune, de guerre5
de politique. Une révolution favorable à l'humanité,
échappe prefque généralement, même au
milieu du dix - huitième fièçle , de ce fîècle ,de
lumières ; de philofophie.
Quelques efprits plus attentifs aux fcenes .in-
téreflantes qu’offre de loin en loin le globe, augurèrent
bien du nouveau fyftême. Ils fe flattèrent
que les indiens s'attacheroient à la culture
& en multiplieroient les productions ; que leur
travail les mettroit en état de fe procurer des
commodités fans nombre dont ils n'avoient pas
joui ; que le fpeCtacle de leur bonheur dégou-
teroit les fauvàges de leurs forêts, & les accou*