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dans le délire : lî le'roi veut gouverner fans fcon-
fe il, il eft accablé fous le fardeau de Tétât. Tout
ramène donc à une forte arifiocratie.
Quelques écrivains de droit public penfent que
Yarifiocratie proprement' dite eft , par fa nature ,
de toutes les çonftitutions la plus paifible. Us
difent que les conquêtes dont la gloire & l’utilité
fe partagent j ne flattent point Tambition per-
Tonnelle ; que la paflion de la guerre agit moins
fur des perfonnes fenfées 8e capables de réflexion,
que fur un peuple capricieux , ou fur un roi volontaire
8e orgueilleux; que les alliances font
plus folides, plus durables qu'avec les monar-
chies ; qu'un fénat n'a point d'inconftance ; qu’il
eft inaccellible à plufieurs des motifs qui déterminent
'les princes à une rupture ; qu'enfin l'état
ariftocratique eft plus affermi contre la tyrannie
que l'état populaire , qu'un plus grand nombre de
perfonnes font intéreffeesJ veiller à fa confer-
vation j qu’on y épie davantage les intrigues &
les projets des hommes ambitieux ; qu'il y a plus
de force pour réprimer l'ambition 5 que le peuple
aveuglé ne fauroit y porter un tyran fur le
trône.
Mais on peut répondre que le gouvernement
ariftocratique eft injufte 8e oppreffeur ; que le
peuple y cède à un petit nombre, non-feulement
la Touveraineté, mais encore les charges, les
prééminences, les honneurs , 8e que le facrifice
de fa liberté eft fi entier, qu'il n'a point de dif-
tin&ion à efpérer dans la foule des fujets ; que
le mérite , ' le talent ne peuvent fe déployer.
D'ailleurs il eft difficile 8e même impoflible que
les affemblées riombreufes dont les membres ont
une autorité égale , ne fe partagent en faéfions.
A Gênes les Fregofes 8e les Adornes, les Doria
8e les Fiefque, l'ancienne nobleffe 8e la nouvelle
ont reiqpli la république d'intrigues , 8e lui ont
attifé des guerres fanglantes. Il eft vrai que les
confpirations ont rarement réuffi dans les arifto-
xraties y mais il s'y en forme beaucoup ; 8e lors
même qu'une conspiration ifapas de fuccès, elle
fait toujours du mal à un état.
Il eft inutile de difcuter les avantages 8e les
çonftitutions des divers gouvernemens ; excepté
celles du defpotifme, elles peuvent toutes faire
Je bonheur des peuples lorfque les loix font fa-
g e s , 8e lorfqu'on y exécute fidèlement ces loix.
Enfuite une multitude de caufes particulières
produit ces diverfes çonftitutions ; 8e les hommes.
feuls d'un efprit peu étendu confeillent à
tous les peuples d’adopter le même gouvernement.
M . de Montefquieu l'a obfervé. Le gouverne-
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ment d'un feul fe trouve plus fouvent dans les
pays fertiles 8e le gouvernement de plufieurs
dans les pays qui ne le font pas, ce qui elLquel-
quefois un dédommagement.
La ftérilité du terrein de TAttique y établit le
gouvernement populaire ; 8e la fertilité de celui
de Lacédémone., le gouvernement ariftocratique ;
c a r , dans ce temps J à , . . on ne vouloitpoint dans
la Grèce du gouvernement d'un feul. Or le gouvernement
ariftocratique a plus de rapport avec
le gouvernement d'un feul.
Plutarque f i ) nous dit que la .{édition cilo-
nienne ayant été appaifée à Athènes y la ville re-?
tomba dans fes anciennes diffenfions, 8c fe divifa
en. autant de partis qu'il y a voit de fortes de ter?
ritoire-s dans le pays de TAttique. Les gens de la
montagne vouloient à toute force le gouvernement
populaire;, ceux de la plaine demandoient
le gouvernement des principaux ; ceux qui étoient
près de la'mer , opinoient pour un gouvernement
mêlé des deux.
Du principe de tarifiocratie. Comme il faut de
la vertu ( i ) îdans le gouvernement populaire , il
en fautauffi dans l'ariftocratique. Il eft vrai qu'elle
n'y eft pas abfolument requife.
Le peuple qui eft à l'égard des nobles ce que
les fujets font à l'égard du monarque, eft contenu
par leurs loix. Il a donc moins befoin de vertu
que le peuple dé j à démocratie. Mais comment
les nobles feront-ils contenus ? Ceux qui doivent
faire exécuter les loix contre leurs collègues ,
fendront d'abord qu'ils agiffent contre eux-mêmes-.
Il faut donc de la vertu dans ce corps , par la
nature de la conftitution.
Le gouvernement ariftocratique a par. lui-même
une certaine force que la démocratie n'a pas. Les
nobles y forment un corps q u i, par fa préroga^-
tive & pour fon intérêt particulier, réprime le
peuple : il .fuffit qu'il y ait des loix , pour qu'à
cet égard elles foient exécutées.
Mais autant il eft aifé à ce corps de réprr-
mer les autres, autant il eft difficile qu'il fe ré=-
prime lui-même (3). Telle eft la nature de cette
conftitution , qu'il femble qu'elle mette les mêmes
gens fous la puiffance des loix » & qu'elle lés
en retire.
Or un corps pareil ne peut fe réprimer que de
deux manières ; ou par une grande vertu , c;ji
fait qUe les nobles fe trouvent en quelque façon
égaux à leur peuple, ce qui peut former une
grande république ; ou par une vertu moindre ,
qui eft une certaine modération qui rend les nobles
au moins égaux à eux-mêmes , ce qui fait
leur confervation.
(1) Vie de Solon.
(V) Tout le. monde fait aujourd’hui l’acception que Montefquieu donne â ce mot.
(.3 > Les crimes publics ÿ pourrons être punis, parce que c’eft l’affaire de tous : les crimes particuliers n’y fer ont pas
punis, parce que J’-affaire de tous elt de ne les pas punir.
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; La modération eft donc l'ame de ces gouverné-
mens. J'entends celle qui eft fondée fur la vertu,
non pas celle qui vient d'une lâcheté & d'une pa-
reffe de l'ame.;
Des loix relatives- a la nature de l’arifiocratie.
Dans Y arifiocratie , la fouveraine puiffance eft
entre les mains d'un certain nombrfc de perfonnes.
C e font elles qui font les loix & qui les font
exécuter , & le refte du peuple n'eft tout au plus
a leur égard que comme , dans une monarchie ,
le.s fujetsj font à l'égard du monarque.
On n’y doit point donner le fumage par fort y1
®n n'en auroit que lés inconvéniens. En e ffe t ,
dans un gouvernement qui a déjà établi les dif-
tinélions les plus affligeantes , quand on feroit
choifi parle fo r t, -on n'en feroit pas moins odieux ;
c'eft le noble qu'on envie , & non pas le ma-
giftrat. .
Loifque les nobles font en grand nombre, il
faut un fénat qui règle les affaires que le corps
dés nobles ne fauroit décider , & qui prépare
celles dont il décide. Dans ce cas , on peut dite
qutY arifiocratie eft en quelque forte dans le fénat,
la démocratie dans le corps des nobles, & que
le peuple n’eft rien.
Ce, fera une chofe très-heureufe dans Yariftocratie
3 f i , par quelque voie indirecte , on fait
fortir le peuple de fon anéantiffement ; ainfi à
Gênes la banque de S. George, qui eft adminif-
tree en grande partie par les principaux du peuple
, donne à celui-ci une certaine influence dans
le gouvernement, qui en fait toute la profpérîté (1 ).
Les fénateurs ne doivent point avoir le droit
de remplacer ceux qui manquent dans le fénat ;
rien ne feroit plus capable de perpétuer les-abus.
A Rome, qui fut dans les premiers temps une
efpèce à’arifiocratie , le fénat ne fe fuppléoit pas
lui-même ; les fénateurs nouveaux étoient nommés
(2) par-les cenfeurs.
Une autorité exorbitante donnée tout-à-eoup
à un citoyen dans une république, forme une
monarchie, ou plus qu'une monarchie. Dans cel-;
le s-c i, les loix ont pourvu à là conftitution , ou
s'y font accommodées j le principe du gouvernement
arrête le monarque ; mais , dans une république
où un citoyqn fe fait donner (3) un pouvoir
exorbitant, fabùs de ce pouvoir elV plus
grand , parce que les loix qui ne l'ont point prévu
, n'ont rien fait pour l’arrêter.
L'exception, à cette règle eft lorfque la cpnfti-i
tution de l'état eft telle qu'il a befoin d'une ma-
giftrature qui ait un pouvoir exorbitant. T elle étoit
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1 : , — : — 7 v u t j i i i â g j u u -
^ures ^errlples , qui ramènent violemment l'état
U a liberté. Mars d'où vient que ces magiffra-
tures fe trouvent fi'différentes dans ces déKix
republiques?- C eft que Rome défendoit les ref-
tés de fon arifiocratie contre lé peuple , au
lieu que Veaife fe fert de fes itiquifiteurs d’état
pour -maintenir fon arifiocratie contre les noblçs.
De la il fuit qu a Rome la diéfatùre ne devoir
durer que peu de temps, parce que le peuple
agit par fa fougue, & non pas par fes deffeins.
Il falloit que cette magiftrature s'exerçât avec
éclat , parce qu il s agiffoit d'intimider le peuple,
& nen pas de le punir ; que le diâateur ne fut
créé que pour une feulé affaire, & n'eût une
autorité fans bornes q if à^râïfon de cette affaire ,
parce qu.il etoit toujours créé pour un cas inv-
prevu. A venife , au contraire, il faut une ma-
gmrature^ permanente : c 'e ft- là que les deffeins
peuvent etre commencés, fuivis, fufpendus, rèpris
; que 1 ambition d'un feul devient celle d'une
famille, 8c 1 ambition d'une famille celle de plufieurs.
On a befoin d'une magift rature cachée.,
parce que les crimes qu'elle punit, toujours pro*
tonds , fe forment dans le fecret & dans le filen-
ce. Cette magiftrature doit avoir une inquifition
generale y parce qu elle^n'a pas à arrêter les maux
que Ion connoit, mais à prévenir même ceux
qu on ne connoit pas. Enfin cette dernière eft
établie pour venger les crimes qu'elle foupconne;
& la première employoit plus les menaces que lés
punitions pour les crimes , même avoués par leurs
auteurs.
Dans toute magiftrature', il faut compenfer la
grandeur de la puiffance par la brièveté de la duree.
Un an eft le temps que la plupart deslégif-
lateurs ont fixe; un temps plus long feroit dangereux
, un plus'court feroit contre la nature de la
chofe. Qui eft-ce qui voudroit gouverner ainfi
fes affaires domeftiques ? A Ragufe , (4) le chef
de la-république change tous les mois; les autres
officiers toutes , les femaines ; le gouverneur du
chateau tous les jours. Ceci ne peut avoir lieu
que-dans Une petite république. (5) environnée de
puiffances formidables, qui corromproient aifé-
nient de petits magillrats.
La meilleure arifiocratie eft celle où la partie
du peuplé , qui n'a point de part à la puiffance
oft l»APativre que h partie dominante n'a aucun
-intérêt à l'opprimer. Ainfi, quand Antidater (6)
établit à Athènes que ceux qui n'auroient pas
( i ) Voye\ M. Adiflpn , voyage d’Italie, page 15.
( 2 ) Ils le furent d’abord par les confuls.
C'eft ce q»i renveifa H répatlique romaine. Voye\ les Confidêrations fur les caufes de la crandeur des romain.
oc de leur décadence. ° v
(4) Voyages de Tourneforr.
(S ) A Luques-, les magiftrats ne font établis que pour deux mois.
(<5) Diodore, liv. XYJ1I , pag, âoj , édition de Khodoman.