
pofe beaucoup de projets » mais il eft difficile de
compter fur de pareilles conjectures.
ün dit, par exemple, que la Crimée fervira de
point de grecs , Se réunion, pour raffembler les chrétiens
fonder un nouvel empire d’Orient ;
mais les autres puiffances européennes ne s’op-
poferont - elles pas à l'exécution de cet ancien
projet de la cour de Pétersbourg. On allure
même qu’il n’eft pas impoffible à la Ruffie mée mêler la race des tartares qui peuplent la Cri
de
, à celle des grecs chrétiens i ce qui donne-
roit tout-à-coup à la Ruffie i, 500,000 fujets, qui
en apparence fuivroient la loi mufulmane. La fertilité
de la Crimée , qui jufqu’ici n’a été cultivée
qu’auprès des villes , nourriroit aifément une poÏ
mlation trois fois plus conlidérable. On croit que
a Ruffie fe propofe d’augmenter la population ,
en encourageant les familles grecques, errantes
dans le Curdiftan, l’Arménie, la Circaffie , la
Mingrelie & la Géorgie, à fe ralfembler fous fes
loix. Le dénombrement des grecs qui habitent ces
quatre provinces , la Crimée & le Cuban, Se
tout l’Archipel, ainfi que la Natolie & la Morée,
n’eft pas porté , dans un tableau préfenté au divan
, à moins de 3,970,000 âmes î ce dénombrement
ne comprend pas les familles grecques établies
dans la Thrace, la Macédoine, laTheffalie, la
Bulgarie, la Servie, l'Epire, la Grèce-, la Bofnie te l’Albanie j ce qui porte au moins au double de
ce nombre, les chrétiens.: on voit toute l’étendue
de ce projet, te de quelles vaftes Combinaifons il
auroit befoin. Le commerce aduel de la Crimée
eft peu de chofe, te ne confifte guères qu’en chevaux
5 mais elle en offre une quantité conlidérable
de très-propres aux remontes. Il feroit aifé de monter
30,000 hommes dans cette prefqu’ifle en moins
de trois mois j mais on peut, en la cultivant mieux,
en faire le grenier de Conftantinople , où l’on fe
rend en trois jours de Calfa, qui eft le port de
la Crimée le plus éloigné de cette capitale de l’Empire
turc. Quand la Ruffie n’auroit enlevé au
grand-feigneur, par cette acquilïtion , que fa cavalerie
légère la plus formidable, ce feroit un
avantage précieux pour elle j les tartares de Crimée
ayant fourni jufqu’à quatre-vingt mille chevaux à
fa hautelfe dans la dernière guerre. Ils haraffent
‘ ks convois de l’armée ennemie, en fe portant perpétuellement
fur les derrières Se fur les ailes avec
une a&ivité infatigable ; ils firent plus de mal à
l’armée ruffie, dans la guerre de 1774, que le
corps principal de l’armée ottomane. Nous détendrons
pas plus loin ces fpéculations : pour qu’elles
fe réalifent, il faut que la Ruffie garde la Crimée
\ il faut que les tartares, qui connoiffient peu
le frein des gouvernemens defpotiçues , s'accoutument
au joug des ruffes $ il faut que leur ancien
goût pour les émigrations s’éteigne ; il faut que
la fierté des ruffes ne les révolte pas, & que le
cabinet de Pétersbourg' Se fes agers ne bleffient
point les-moeurs, les ufages , les préjugés 8e les
opinions des habitans de la Crimée j & vu d’ailleurs
la pofition & la force naturelle de cette pe-
ninfule, on peut prédire qu’il ne fera pas aifé de
la maintenir dans la foumiffion.
Enfin la nobleffe tartare jouiffoit de la prérogative
d’élire elle-même fes kans. Parmi plus de
cent fultans ou princes, tous iffus de la famille
dé Gueray, dont chacun avoit l’efpoir d’obtenir à
fon tour cette dignité, elle en choilïffoit un. Ces
fultans poffèdent prefque tous en Crimée , dans la
Romélie & en d’autres provinces de l’Empire ottoman
, des Villes ou villages. Ils ont toute l’énergie
dés paffions & toute Ta morgue des peuples
barbares : ils feront difpofés à la révolte, Se auront
des moyens de la propager.
Quoi qu’il en foit, il paroît que lp cara&ère & la
foibleffe de Sahim-Gueray ont contribué aux fuc-
cès delà Ruffie : un prince plus ferme & plus éclairé
eût peut-être déconcerté les projets de la czarine.
Sahim, dont l’ame a peu d’énergie, & dont le
corps eft également affaibli par les maladies, fut
épouvanté d’un rival que la Porte foutenoit hautement
, & la terreur qu’on lui infpira de ce rival
fut le premier moyen qu’on mit en ufage pour le
déterminer à abdiquer fon autorité. On fait que
les ruffes qui l’entouroient, l’engageoient dès-longtemps
à prendre ce parti.
Les arrangemens pris par la cour de Ruffie au
fujet de fes nouvelles poffeffions, ont pour objet
trois points principaux. iQ. de changer la confti-
tution intérieure & l’adminiftration de ces pays ,
pour leur en donner de plus analogues à celles du
refte de l’Empire. 20. De les mettre dans un état
de défenfe convenable pour l’avenir, & de les af
furer contre les invafîons qu’on pourroit y faire
du côté de la Turquie. 30. D’executer les grands
projets de commerce Se de navigation qu’on avoit
fondés fur l’acquifition de ces contrées, te de
mettre ainfi réellement à profit le traité de commerce
conclu en 1783 avec la Porte. On nes’eft
pas contenté de changer le nom de Crimée en celui
de Tauride 9 on a fait reprendre à toutes les villes
& places de cette contrée les noms qu’elles por-
toient anciennement. Caffa s’appelle maintenant
Tkéodofie , Sec. La"- prefqu’ifle fera partagée en
fept cercles difféjrëns, qui formeront avec celle de
Taman un gouvernement général. Le gouvernement
civil fera mis fur le même pied où les autres
provinces de la Ruffie, de la Finlande, de
l’Eftonie, de la Livonie & de l’Ukraine ont été
mifes par l’ordonnance de 177 5 -, mais on peut entrevoir
quelques obftacles à cette difpofition. Les
principales places feront fortifiées., on y mettra
de nombreufes garnifons., &e Pon porte à 50,000
hommes les troupes qu’on y employera. On rétablira
le port de Cherfonefe ou du vieux Cherfon ;
on le garnira des fortifications néceffaires, comme
le plus propre pour y mettre à l’abri, non-feulement
des bâtimens marchands, mais auffiais auffi
des vaiffeaux de guerre. On en fera , dit-on ,
l’entrepôt
l’entrepôt du commerce de la Ruffie. Ce port,
auquel les anciennes cartes donnent le nom de Cner-
fortefe, & qui eft fitué dans la Crimée fur le bord de
la Mer-noire, à quinze ou vingt lieues de l’endroit
où le Dnieper fe débouche dans cette mer, ne
doit point fe confondre avec la ville de Cherfon
que la Ruffie a fondée depuis peu d’années fur le
bCohredrf odne. cette rivière, Se qui fe nomme le nouveau-
1 L’impératrice , par un ukafe du 22 février
1784, accorde à toutes les nations le droit de commerce
dans la Crimée, lè Cuban Se l’ifle de Taman.,
Les provinces immenfes Se fertiles, baignées par
les grandes rivières qui aboutiffent à la Mer-noire,
St qui font encore peu connues, font donc ouvertes
à tous les négocians, & la Ruffie a lieu
d’efpérer que le commerce, cette fource de prof-
pérités qui donne tant d’éclat aux nations, ne
mtaéredera pas à prouver à l’Europe que la Cri
jouit d’une forte de profpérité. La cour de
Ruffie enfante chaque jour les plus vaftes pro-
ts, & la promptitude qu’elle a mis dans l’exécution
de plufieurs , rendent tout croyable. On
dit que le canal projetté pour ouvrir une communication
entre le Don & le Wolga, qui n’aura
que 20 milles d’étendue, fera bientôt exécuté j
qu’on pourra rétablir le commerce que quelques
nations faifoient fur la Mer-cafpienne, & que divers
obftacles ont interrompu j que ces obftacles
n’exiftent plus. Le dernier traité, conclu entre la
Ruffie Se la cour de Perfe favorife cet efpoir j il
renouvelle tous les articles du traité précédent,
te accorde aux ruffes la liberté de conftruire plufieurs
forts pour protéger leur navigation fur la
Mer-cafpienne.
La Ruffie a donc aujourd’hui de fait Se de droit
la liberté de la navigation fur la Mer-noire ; mai-
treffe d’un territoire conlidérable fur les bords
de cette mer, elle y trouve des matériaux pour
la conftru&ion des vaiffeaux, Se des ports également
importans Se sûrs j elle peut former une
marine proportionnée à ion ambition Se à fes
moyens ? elle peut lancer fes flottes au fud & au
nord , embraffer l’Europe & réclamer peut - être
une portion de l’Empire d’océan.
S e c t i o n V e.
Remarques fur la pojidon , la population , les productions
, les mines , le commerce & les revenus de
la Crimée.
La Crimée eft fermée par les lignes d’Orcapi,
du côté de la terre. Aucun tableau de ce genre n’eft
plus impofant ; mais à cela près que cet ouvrage
eft un peu gigantefque, on n’en connoît point où l’art
ait mieux fécondé la nature. On peut auffi garantir
la folidité de ce retranchement. Il coupe l’Ifthme
fur trois quarts de lieue d’étendue,^ deux mers lui
fervent d’épaulement î il domine d’environ qua-
d£co/i. polit. diplomatique, Tom. 1,
rante pieds fur la plaine inférieure , Se il refiftera
long-temps à l’ignorance qui néglige tout. Rien
n’indique l’époque de fa conftru&ion j mais tout
àffure qu’elle eft antérieure aux tartares , ou que
ceux-ci étoient jadis plus inftruits qu’ils ne le font
à préfent. Il n’eft pas moins évident que fi ces lignes
étoient paliffadées en fauffe braie, ainfi que
les redoutes qui les coupent, & garnies d’artillerie
& fur-tout d’obus, elles affureroient la libre
poffeffion de k Crimée contre une armée de cent
mille hommes. En effet une pareille armée , ne pouvant
prendre ces lignes d’affaut, feroit bientôt réduite
par le manque d’eau à chercher fon falut
dans la retraite. Qt n’eft auffi qu’en paffant un
petit bras de mer marécageux, pour gagner la tete
d’une langue de terre très-étroite qui prolonge parallèlement
la côte orientale de la Crimée , que les
ruffes y ont pénétré dans la dernière guerre. Cette
route avoit déjà été tentée avec fuccès dans les
campagnes de 1736 Se 1737 par le général Mu-
nick ,* mais elle n’a point infpiré aux tartares^ le
defir & les moyens de fe garantir déformais d un
pareil malheur, en défendant la naiffance de cette
langue de terre, où la moindre réfiftance auroit
fuffi pour arrêter leurs ennemis.
La Crimée n’eft plus auffi peuplée qu’elle le fut autrefois
î fa population a perdu confidérablement en
177q, époque à laquelle un grand nombre de
chrétiens grecs font allés s’établir dans le gouvernement
d’Azof, les villes principales de la Crimée
font Batcheferay, jadis la réfidence du kan , Baka-
lawa où l’on conftruit des navires , Tuttacrim Sc.
Caffa ; plus de la moitié des habitans de cette
dernière elt compofée de familles polonoifes. Comme
on fe propofe, fur-tout dans cet article, de
donner une idée des nouveaux domaines que vient
d’acquérir la Ruffie, nous ne craindrons pas d’y
placer ce qui regarde le Cuban & l’ifle de Taman.
Les tartares du Cuban ont la même origine que
ceux de la Crimée 5 la partie cédée à la Ruffie eft
celle qui eft au-delà de la rivière de Cuban, contiguë
à rifle de Taman : ce font les tartares de
cette province qui approvifionnent les férails de
Conftantinople d’efclaves circaffiennes > ils ont été
fournis autrefois au kan de Crimée j mais ils s’é-
toient fouftraits à fon gouvernement long - temps
avant la dernière révolution. L’ifle de Taman ,
féparée du Cuban par la rivière , eft peu coniîdé-
rable 5 les habitans font prefque tous pêcheurs. On
compte que ces trois pays offrent à la czarine à-
peu-près deux millions de nouveaux fujets.
Une grande partie du Cuban , contrée où eft
fîtuée Azow, ville & fortereffe ruffe ■, avoit été
fubjuguée par l’impératrice Anne , en 173^. Le
refte, ainfi que toute la petite tartarie, à l’exception
de k feule Crimée , offre un pays aride ,
inhabité , dénué de villes, où fe trouvent à peine
quelques bourgs ou villages, Sc feulement un petit
nombre de hordes tartares, rodant de coté Sc
d’autre avec leurs tentes, ou plutôt leurs cabanes