
par ce partage, fuppofe froidement ce qui eft
en quefrion : c ’é tôit, dit-il, une furcharge.
On v o it , dans la loi des wifigoths ( 1 ) , que
quand un barbare occupoit le fonds d’un romain,
le juge l’obligeoit de le vendre , pour que ce
fonds continuât à être tributaire : les barbares ne
payoient donc pas de tributs fur les terres (2).
M. l’abbé Dubos (3) , qui avoit befoin que
les wifigoths payaient des tributs , quitte le fens
littéral 8c fpirituel de la loi (4 ) , & imagine,
uniquement parce qu’il imagine, qu’il y avoit eu
entre l’établiflement des goths & cette lo i, une
augmentation de tributs qui ne concernoit que
les romains* Mais il n’eft permis qu’au père Har-
douin d’exercer ainfi fur les. faits un pouvoir arbitraire,
M. l’abbé Dubos (y) va chercher dans le code
de Juftinien (6) des lo ix , pour prouver que les
bénéfices militaires, chez les romains, étoient
fujets aux tributs : d’où il conclut qu’il en étoit
de même des fi.efs ou bénéfices,chez les francs.
Mais l’opinion , que nos fiefs tirent leur origine
de cet établiffement des romains, eft aujourd’hui
profcrite 5 elle n’a eu de crédit que dans le temps
où l ’on connoifloit l’hiftoire romaine & très-peu
la nôtre, & où nos monumens anciens étoient
enfevelis dans la poufliè-re.
M . l ’abbé Dubos a -tbrt de citer Cafiiodore,
Sc de rappeler ce qui fe pafîoit en Italie 8c dans
la partie de la Gaule foumife à Théodoric, pour
nous apprendre ce qui étoit en ufage chez les
francs j ce font des chofes qu’il ne faut point
confondre. Il eft aifé de prouver que le plan de
la monarchie des oftrogoths étoit entièrement différent
du plan de f&utes celles quj furent fondées dans
ces temps là par les autres peuples barbares 5 8c que,
bien loin qu’on pififfe dire qu’une chofe étoit en
ufage chez les francs, pirce qu’elle l ’étoit chez
les oftrogoths, on a au contraire un jufte fujet
de penfer qu’une chofe qui fe pratiquoit chez les
oftrogoths, ne fe pratiquoit pas chez les francs.
C e qui coûte le plus à ceux dont l ’efprit flotte
dans une vafte érudition , c’eft de chercher leurs
preuves là où elles ne font point étrangères au
fujet, & de trouver, pour parler comme le? aftror
nomes, le lieu du foleil.
Mf. l’abbé Dubçs abpfe des capitulaires çpmme
de Thiftoire , • 8c comme des loix des peiiples barc
b a r e sQuand il veut que les francs aient payé
des tributs, il applique à des hommes libres ce
qui ne peut être entendu que des ferfs (7) j quand
il veut parler de leur militaire , il applique à des
ferfs (8) ce qui ne pouvoit concerner que des
hommes libres.
B AR B AR IE , PEUPLES B^RBARESQUES,
habitans de la côte feptentrionale de Y Afrique.
Dans le feptième fîècle les farrafins, redoutables
par leurs inftitutions & par leurs fuccès,
armés du glaive 8c de l’alçoran, obligèrent les
romains, affoiblis par leurs divifions, à repafler
les mers, 8c ajoutèrent l’Afrique feptentrionale à
la vafte domination que Mahomet venoit de fonder
avec tant de gloire..Les lieutenans du calife
arrachèrent dans" la fuite ces riches dépouilles à
leur maître : ils érigèrent en états indépendans les
provinces commifes à leur vigilance.
C e t ordre des chofes fubfîftoit au commence*,
ment du feizième fîècle, lorfque les mahométans
d’A lg e r , qui craignoient de tomber fous le joug
de FEfpagne, appelèrent les turcs à leur fecours.
La Porte leur envoya Barberouffe, qui, après
avoir commencé par les défendre, finit par les
affervir. Les Bachas qui lui fuccédèrent t ceux
qui gouvernoient Tunis 8c Tr ip o li, villes égale*-
ment fubjugées & opprimées, exercèrent un-s
tyrannie heureufement aflez■ cruelle, pour devoir
expirer dans fes exc.ès. On s’ en , délivra par la
violence qui la foutenoit ; & , ce qui mérite
peut-être d’être remarqué, le même gouvernement
fut adopté par les trois états : c’eft une
efpèce d’ariftoçratie. Le chef qui, fous le nom
de dey , conduit la république , eft choifi par la
milice , qui eft toujours turque ,. & qui compofe
feule la nobleffe du pays. Il eft rare que ces
éle&ions fe faflênt entre des foldats fans effufiou
de fang $ 8c il eft ordinaire qu'un homme élu
dans le carnage, foit maffacré dans la faite.par
des gens inquiets qui veulent s’emparer de fa
place ou la vendre pdur s’avancer- L'empire de
Maroc, qui a englouti fuccçflivement les royaumes
fie F e z , de Tafilet 8c de Sus ] parce qu’il eft
héréditaire dans une famille nationale, eft cependant
fujet aux mêmes révolutions. L ’atrocité des
( 1 ) Judices atqut prtrpofiti terras romajiorum , çb illis qui occupatas tenent, çuferant.; & romajû{ fuâ exiflione fine aliqua
dilmone rcftituant, ut mkil fifco debeat deperire. Liv. %, rit. 1. chap. 14.
(2) Les vandales n’en payoienc point en Afrique. Procope, guerre des vandales , liv. I & U ; Hiftoria mifcella ,
Hr. XVI, pag. jo«î. Remarquez que les çonqqérans de l’Afrique étoient un compofé de vandales, d'alaijis & de francs^
fîijh r ia aiifielU , ' liv. XIV , pag. 94.
( 3 ) EubliÆèmenc dçs francs dans les Gaules , tom. 3 , chap.14, pag. j io , .
C4) Il s’appuie fur une autre loi des wifigoths, nv. X , tit. 1 , art. x 1 , qui ne prouve abfolument rien ï e lle d k
feulement que celui qui a reçy d’uji feigneur une terre . fous conditiçn d’une redevance, doit la payer.
| | ) Tom. 1 , pag.- s v i,
($) Lege I I I , tit. 7 4 , lib. XI. ^
(7 ) Etablilfement de la monarchie françoifej tom, 3, chap, 14 , pag, 5x5 , cù il cite l’art, a S de l’édition de Pifto9|
f|J Ibid, tom 1 , chap. 4 , p.ag, zpo,
ibuverains & des peuples eft la fource de cette
inftabiîité.
Une égale averfion pour les travaux champêtres
& pour les arts fédentaires a fait de ces
peuples des pirates. D ’abord ils fe contentoient
de ravager les plaines vaftes & fécondes de l’Ef-
pagne_; ils furprenoient dans leurs lits les habitans
pareffeux des riches campagnes de Valenc-e,
de Grenade, d’Andaloufie, & les emmenoient
efclaves. Dédaignant dans la fuite le butin qu’ils
faifoient fur des terres qu’ils avoient autrefois
cultivées, ils conftruifirent de gros vaiffeaux 8c
infultèrent le pavillon de toutes les nations. Cette
marine, qui s’eft élevée, fucceflivement jufqu’à
former de petites efcadres, s’accroît tous les ans
par l’avidite d’un grand nombre de chrétiens, qui
ifourniffent aux barbarefquçs les matériaux de leurs
arméniens, qui s’intéreifent dans leurs courfes,
qui ofent même quelquefois diriger leurs opérations.
Déjà ces pirates ont réduit les plus grandes
.puiftances de l'Europe à l’aviliflemènr de leur
faire des préfens annuels, qui, fous quelque nom
qu’on les d é g u ife fo n t un vrai tribut.
Charles-Quint, qui toujours occupé à troubler
le lîècle où il v écut, favoit cependant quelquefois,
par cette prévoyance qui rachète les
défauts d’ un efprit inquiet, pénétrer dans l’aven
ir , entrevit ce que les barbarefques pourroient
un jour devenir. Dédaignant d’entrer dans aucune
efpèce de négociation avec eux, il forma le généreux
projet de les détruire. La rivalité de François
I le fit échouer j 8c l’hiftoire ne loue aucun
prince d’avoir repris depuis l’idée d’une entre-
prife fi glorieufe : l’exécution en feroit pourtant
facile.
Les peuples qui habitent la Barbarie gémiffent
fous un joug qu’ils font impatiens de rompre. Le
tyran de Maroc fe joue infolemment de la liberté
8c de la vie de fes fujets. C e defpote , bourreau
dans toute la rigueur du terme, expofe tous les
jours, aux murs de fon palais ou de fa capitale,
les têtes innocentes ou criminelles qu’il n’a pas
frémi d’abattre de fon propre bras. A lg e r , T u nis,
Tripoli-, quoiqu’ à l’abri d’une femblable férocité
, ne laiffent pas de traîner des chaînes
très-pefantes. Efclaves de quinze ou vingt mille
turcs ramaffés dans la boue de l’Empirè ottoman,
ils font de cent manières différentes la vi&ime de
cette audacieufe foldatefque. Le.ur conftitution
qui les partageoit en plufieurs tribus , dont les
intérêts étoient oppofés , fut caufe de cet afifer-
viffement, & depuis elle a perpétué leur fujétion.
Le gouvernement, attentif à la fermentation de
ces fociétés particulières , n& ceffe d’irriter leur
méfinteiligence , 8c fait naître de temps en temps
-entr’elles de nouveaux fujets de divifion. Il a recours
à cette politique , quand il veut détourner
je mécontentement de la nation par des querelles
inteftines. C ’eft alors qu’il foulève, contre la
peuplade qu’il a aigrie., une peuplade voifine qu’il
ÇBUon. polit, 6* diplomatique, J'om. /.
fait toujours triompher par les fecours dont il la
renforce. Une autorité qui porte fur unebafe aufli
mobile, ne peut avoir jette des racines bien profondes
j rien ne. feroit plus aifé que de la ren-
verfer.
Nul fecours étranger ne retarderoit d’un inf-
tant fa chute. La feule puiflance qu’on pourroit
foupçonner d’en defirer la confervation, l ’empire
ottoman n’eft pas aflez content du vain titre de
protecteur qu’on lui accorde pour y prendre un
v if intérêt. Il lui feroit inutilement infpiré par les
déférences que les circonftances arracheroient
vraifemblablement à ces brigands. D ’ ailleurs depuis
deux fiècles, la Porte fi’a point de marine,
8c fa milice fe précipite vers le même anéahtif-
fement.
Mais à quel peuple eft-il réfervé de briTer ces
épouventails qui glacent d’effroi nos navigateurs ?
Aucune nation ne peut le tenter feule; 8c fi elle
l’ofoic-, peut-être la jaloufie de toutes les autres
y mettroit-elle des obftacles fecrets. C e doit
donc être l’ouvrage d’une ligue univêrfelle. Il
faut que toutes les puiffances maritimes concou^
rent à l’exécution d’un deffein qui les intéreffe
toutes également. Ces états, que tout invite à
s’allier, à s’aimer, à fe défendre, doivent être
fatigués des malheurs qu’ils fe caufenc réciproquement.
Q u’après s’être fi fouvent unis pour
leur deftruCtion mutuelle, ils prennent les armes
pour leur confervation ; la guerre aura été du
moins une fois utile & jufte.
On ofe préfumer qu’elle ne feroit pas longue ,
fi elle étoit conduite avec l’intelligence & l’harmonie
convenables. Chaque membre de la confédération
, attaquant dans le même temps l’ennemi
qu’il auroit à réduire, n’éprouveroit qu’une
foible réfiftance. Qui fait même s’il en trouveront
aucune. Les barbarefques, mis tout-à-coup
hors d’état de défenfe, abandonnèrent fa* s
doute à leur fatale deftinée des maîtres & des
gouvernemens dont ils n’ont encore fenti que
l ’oppreiFion. Peut-être la plus noble, la plus grande
des entreprifes, coûteroit-elle moins de fang 8c
de tréfors à l’Europe, que la moindre des querelles
dont elle eft continuellement déchirée.
- On ne fera pas aux politiques qui formeroient
ce plan , l’injure de foupçonner qu’ils borneroient
leur ambition à combler des rades, à démolir
des forts, à ravager des côtes. Des idées- fi,
étroites feroient trop au-delfous des progrès de
la raifon humaine. Les pays fubjugués refteroient
aux conquérais, & chacun des alliés auroit des
poffeflîons proportionnées aux moyens qu’ils au-
r.oient fournis à la caufe commune. Ces .conquêtes
deviendroient d’autant plus fures, que le bonheur
des vaincus en devroit être la fuite. C e peuple
de pirates, ces monftres de la mer, feroient
changés en hommes avec de bonnes loix & des
exemples d’humanité. Elevés infenfiblement jufqu’
à nous par la communication de nos lumières ,