
monarques conquérans,.les engage à réunir leurs intérêts.
Elles doivent témoigner des égards , de la
politeffe même aux petits princes, 8c entretenir
avec eux, s’ il eft poflible, des liaifons d’amitié.
Il nefaut pas cependant que cette circônfpe&ion aille
jufqu’à la foibleffe. Il n’eft prefque jamais de l’intérêt
d’une république de s’avilir par une baffe
complaifance j & fi la conftitution de fon gouvernement
n’ eft pas vicieufe, il eft mille 8c mille oc-
çafions où il lui eft permis de parler & d’agir avec
une noble fermeté. Les forces des républiques ne
font point à méprifer, même pour les fouverains
les plus formidables. L ’hiftoire nous offre à cet
égard des exemples frappans.
Lorfqu’une republique pofsède de grandes provinces
, outre le territoire qui environne fa capitale,
il lui en coûte toujours beaucoup de foins,
de peines 8c de dépenfes pour les garder. Quels
efforts prodigieux la république de Venife n’a-
t-ellè pas fait de tout temps, pour fe maintenir en
poffeffion de fes domaines éloignés, 8c fur-tout
des ifles de l’Archipel & de la mer d’ Ionie? Le
frivole honneur d’être maitreffe du royaume de
Corfe auroit ruiné tôt ou tard celle de Gênes. Ces
fortes de poffeffions entraînent toujours un double
inconvénient. Il faut les garantir des attaques du
dehors 8c des rébellions des fujets.
La deftinée des républiques dont J e gouvernement
eft purement démocratique, n’eft point de
former de grandes entreprifes. Les routes qui con-
duifent les états à une grande gloire politique,
font toujours fecretes ; & un fecret ne fcauroit
être mis entre les mains de tout un peuple j une
machine compofée de tant de petits refforts, fe
détraque à tous momens $ 8c elle ne peut jamais
opérer de grands coups d’état. Une république démocratique
doit donc fe propofer fa confervation ,
G* non pas fon agrandijfement.
Il eft encore une précaution bien néceffaire pour
les petites républiques : c’eft de ne point fe laiffer
entraîner dans des ligues ou des alliances contre
les puiffances formidables : elles en font tôt ou
tard la dupe. Les premiers efforts des ennemis
tombent fur elles ; & leurs puiffans alliés les fa-
crifient, lorfqu’il s’agit de ligner la paix. Une
neutralité exaéte eft tout ce qui leur convient 5 8c
quand leurs intérêts les obligent indifpenfablement
a faire un traité avec quelque puiffance, il eft de
leur politique de ne point traiter féparement, 8c
de ne point s’ériger en partie contra&ante 5 elles
ne doivent pas oublier le fort de la brebis qui fit
un accord avec le lion. Elles ont mille occafions
d’accéder aux traités que les grands princes font
entre eu x , de s’y mettre à de certaines conditions,
6c d’engager par-là ces puiffances formidables,
non-feulement à les protéger contre tous ceux
auxquels leur démarche ne plairoit point, mais
suffi à faire effectuer en leur faveur les articles du
traité qui lpur^pnt été garantis.
C O N F E D E R A T IO N , alliance ou ligue entre
dijferens printti ou états pour leur défenfe commune.
Lorfque plufîeurs fouverains fe lient entre eux par
une alliance offenfive envers 8c contre tous, à perpétuité
, ils forment un corps qu’on appelle confédération
, ou république fédérative.
La confédération peut être compofee de princes
ou de républiques, ou des uns 8c des autres. L’Allemagne
eft un exemple de confédération de piinces 8c
de republiques 5 la Suiffe, une confédération de républiques.
Chaque province, ville ou diftriét conferve fa
fouveraineté particulière, & fe régit, quant à fon
adminiftration intérieure, par fon confeil, 8c fui-
vant fes 'coutumes. L’état qui renoncerait à fa fouveraineté
, ne feroit plus affocié : il feroit partie
de l’un des corps confédérés, ou bien il feroit
fujet.
Un confeil, compofé des députés de chaque
état, dirige les intérêts communs de la confédération.
Chacun des affociés nomme les membres de
ce confeil en nombre égal, ou relativement à fon
étendue 8c à fa puiffance. Dans le dernier cas,
quelques états ont plus de voix que les autres.
On pourroit refufer le nom de république fédérative
aux villes de Lycie, que YEfprit des loix cite
pour un exemple de la différence du nombre des
voix. Les ligues-grifes en fourniffent un plus exaét.
Une de leurs républiques envoie vingt-huit députés
j la fécondé vingt-quatre, 8c la troifième quatorze.
Il eft jufte alors que les charges foient réparties
d’après le nombre des voix.
On calcule la force d’une confédération par le
nombre des villes 8c des provinces qui la compo-
fent. Chacun des habitans demeure fujet de fon
premier fouverain : mais chacun d’eux eft affujetti aux
loix générales d’adminiftration ou de police qui
émanent du confeil général pour l’intérêt commun
, 8c aux loix particulières de fon pays.
Une confédération doit'reffembler à une famille
unie 8c bien gouvernée. Si le père diftribue des
portions de fon domaine à fes enfans, pour leur
en donner la direction, chacun régira la fienne,
fuivant ce qu’il croira convenable à fon terrein 8c
à fa fortune. L’autorité 8c les avis du père les
empêcheront de la gouverner mal, 8c de la diffi-
per. L’union qu’il entretiendra entre les frères les
obligera de s’aider mutuellement : tout fe rapportera
à la maffe commune. Si les parties qui com-
pofent un tout, veulent fe perfuader que leur intérêt
particulier dépend de l’intérêt général, le
corps aura beaucoup de force. La douceur, la
bonne intelligence régneront plus que le commandement.
Il eft du bon ordre que l’un des membres ne
puiffe faire d’alliance particulière avec qui que ce
foit, que de l’avis de l’affociation. Lorfque les
circonftances le permettent, il eft bon qu’il n’y ait
point d’alliances particulières.
Le confeil fupérieur créé pour régir, l’eft auffi
pour terminer les querelles, 8c rétablir le bon ordre.
La différence des religions eft feule capable 1
d’y faire naître des diffentions férieufes. C’eft la
feule caufe qui ait produit en Suiffe des animofites
affez fortes pour faire prendre les armes , ,8c
craindre une divifion qui pût entraîner la perte de
la liberté.
Douze villes de la Grèce formèrent d’abord une
affociation de cette nature, 8c fondèrent le célèbre
confeil des amphyétions. D’autres villes en
grand nombre fe joignirent à celles-ci. Ce confeil
jugeoit les différends des villes particulières. Il
impofoit des peines 8c des amendes à celles qui
ofoient infulter les autres. Les états qui ne vou-
loient pas fe foumettre à fes décrets, attiraient fur .
eux l’indignation 8c les forces de la Grèce entière.
Tels étoient les principes de cette affociation : on
ne les fuivit jamais exactement, 8c on finit par
placer parmi les amphyétions un roi qui détruifit
le confeil 8c la liberté.
Quel nom faut-il donner à un état, lorfque les
yilles d’une ligue fe réuniffent fous une même fouveraineté,
qui abforbe les fouverainetés particulières
?
La fameufe ligue des achéens fut de cette ef-
pèce. Elle n’étoit compofée, dans fon origine,
que de trois petites villes, fans force 8c fans nom.
Aratus y joignit la ville de Sicyone fa patrie, après
l’avoir délivrée du joug des tyrans. La ligue s’accrut
bientôt par le crédit de ce grand homme j
il gagna les villes de l’Achaïe, 8c plufieurs de
celles du Peloponèfe. Il trouva le moyen de ne
faire de ces diftérens corps qu’une république d’un
genre particulier. Cette république n’avoit point
de métropole : la métropole étoit par-tout ; la ville
où le confeil s’affembloit, félon les circonftances ,
en étoit le chef-lieu.
Les fouverainetés particulières difparurent. Cette
révolution fut l’ouvrage de deux délibérations. On
réfolut d’abord d’élire un capitaine général ; mais
il n’étoit pas à vie : on procéaoit toutes les années
à une nouvelle élection. La fécondé délibération
transféra le pouvoir de décider à dix citoyens élus
parmi le nombre des députés. On ne laiffoit aux
autres que la voix confultative.
Chaque ville fut comme obligée de prendre
les mêmes loix 8c les mêmes coutumes. Tout y
fut femblable jufqu’aux poids 8c mefures. Les différentes
villes, fans être fujettes, ceffèrent d’être
fouveraines, 8c cette faute amena la ruine du corps
entier.
Les romains craignirent d’attaquer cette puiffance
> ils cherchèrent à la divifer. On chargea le
proconful Gallus d’en trouver les moyens. Il féduifit
quelques-unes des villes confédérées} il leur perfuada
qu’elles n’étoient plus libres, parce qu’elles n’a-
voient plus de réfolutions particulières à prendre.
Elles fe plaignirent aux états que, fous l’ombre
d’une alliance égale , on leur avoit ôté leurs ufa-
ges 8c leur fouveraineté. Affurées de la protection
des romains, elles fe féparèrent de la. communauté
des achéens j 8c la fauffe lueur cFune fouveraineté
idéale les détermina à tendre les mains
aux fers que Rome leur préparait.
Les nations ou les villes modernes qui, d’après
leur pofition , pourroient fonger à une république
fédérative, devraient profiter des fautes des am-
phyétions ; elles devraient s’occuper d’abord de ce
qui eft relatif à la religion 5 car cette caufe qui ne
troubla guères les peuples de l’antiquité, a acquis
une force redoutable dans les temps modernes.
Lorfque les meilleurs efprits de nos jours ont bien
examiné les avantages 8c les abus des diverfes
formes de gouvernement, ils ont été obligés d’entrevoir
beaucoup de bien dans les confédérations
ou les républiques fédératives. Mais les combi-
naifons les plus propres à cét arrangement dépendent
toujours des circonftances locales, 8c il n’eft
pas poffible d’établir fur ce point une théorie applicable
à tous les cas.
Les grecs furent la viCtime de la politique adroite
de Philippe. Si leur confédération eût été plus
étroite j s’ils l’euffent maintenue, ils n’auroient jamais
fuccombé fous les fers de la Macédoine j ils
auroient oppofé une barrière infurmontable aux
vaftes projets des romains : nous n’aurions peut-être
jamais; entendu parler des victoires d’Alexandre
, de la grandeur romaine, ni de l’ambition de
Céfar.
Une république fimple ne doit pas être auffi
étendue qu’une monarchie. Une république fédérative
peut être plus étendue que ne doit l’être la
plus puiffante monarchie. Plus le centre où réfide
la force motrice eft éloigné, plus elle arrive lan-
guiffante aux extrémités. C’eft le défaut des grands
états régis par une feule autorité. Mais fi la circonférence
eft compofée de divers corps, qui ont
par eux-mêmes une force agiffante qui leur appartient
, l’aélion 8c la réfiftance y auront leur activité
naturelle.
Si Rome, qui s’étoit agrandie par les affocia-
tions, n’avoit pas changé de fyftême 5 fi elle n’avoit
eu dans fon enceinte 8c fur fes frontières , que
des républiques confédérées, dont elle eût été le
centre, elle auroit été impénétrable aux barbares.
Chaque côté , chargé de les propres intérêts, 8c
ayant fes forces particulières à oppofer, auroit
donné le temps aux forces générales de s’affem-
bler 8c d’apporter des fecours.
On dit qu’Henri IV , roi de France, fon-
geoit à former de l’Europe chrétienne une république
fédérative (1), 8c à y ériger un confeil fu-
prême, dans le goût à-peu-près de celui des an>
I phyétions. On eft étonné de ce projet. Henri IV ,
(1) Voye{ les Mémoires de Sully,
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