
de l'autorité, toujours éclairée par une réclamation
libre, qui eft une des conditions eflentielles
d’un gouvernement sûr & inaltérable. On croit
trop généralement que les gouvernemens des empires
ne peuvent avoir que des formes paflagères >
que tout ici bas eft livré à des vicifiitudes continuelles
î que les empires ont leur commencement, !
leurs progrès, leur décadence & leur fin. On s’a- 1
bandonne tellement à cette opinion, qu’on attribue
à l’ordre naturel tous les déréglemens des gouvernemens;
Ce fatalifine abfurde a-t-il pu être
adopté par les lumières de la raifon ? N’eft-il pas
évident au contraire, que les loix qui conftituent
l’ordre naturel font perpétuelles & immuables,
& que les déréglemens des gouvernemens ne font
que des prévarications à ces loix paternelles ? La
durée, l’étendue & la profpérité permanente ne
font-elles pas affûtées dans l’empire de . la Chine
par l’obfervation des loix naturelles ? Cette nation
fi nombreufe ne regarde-t-elle pas avec raifon
les autres peuples, gouvernés par les volontés
humaines, & fournis à l’obéiffance fociale par'
les armes, comme des nations barbares ? Ce vaftè
empire affuietri à l’ordre naturel ne préfente-t-il
pas l’exrmple d’un gouvernement ftable, permanent
& invariable , qui prouve que l’inconftance
des gouvernemens paffagers n’a d’autre bafe, ni
d’autre règle que l’inconftance même des hommes
? '
Mais ne peut-on pas dire que cette heureufe &
perpétuelle uniformité du gouvernement de la
Chine, ne fubfifte que parce que cet empire eft
moins expofé que les autres états aux entreprifes
des puiffances voifines ? Non. La Chine n’a-t-elle
pas des puiffances voifines redoutables ? n’a-t-elle
pas été conquife ? Sa va'fte étendue n’eût-elle pas
dû fouffrir des divifions & former plufieurs royaumes
? Ce n’eft donc pas à des circonftances particulières
qu’il faut attribuer la perpétuité de fon
gouvernement ; c’eft à un ordre fondé fur la nature
& par cela même ftable- par effence.
( Cet article eft de M. Gr iv s l . )
Nous avons cru devoir ajouter à l’article précédent
des détails fur Ië commerce qu’entretiennent
les chinois avec les diverfes nations du
monde , fur ceux des peuples de l’Europe qui
ont formé des liaifons avec la Chine , fur la valeur
de leurs exportations , & enfin quelques
conjectures fur le 6>rt qu’éprouvera le commerce
de Ja Chine.
1 ° . Rapports de commerce qu'entretiennent les
chinois avec les diverfes nations du monde. La Chine
eft le,-pays de la terre où il y a le moins de gens
ôifîfs. Dans une région trop peuplée , malgré l’abondance
de fes productions, l’attente de la difette
qui s’avance remplit tous les citoyens d’aCtivité,
de mouvement & d’inquiétude. Ils doivent être
iméreffés , bas, faux & trompeurs.
Cet efprit d’avidité réduifit les chinois à renon-
cer, dans leur commerce intérieur, aux monnoies
d’or & d’argent qui étoient d’un ufage général.
Le nombre des faux monnoyeurs , qui augmen-
toit chaque jour , ne permettoit pas une autre
conduite : on ne fabriqua plus que des elpèces de
cuivre.
Le cuivre étant devenu rare, par des événemens
dont l’hiftoire ne rend pas compte, on lui affocia
les coquillages, fi connus fous le nom de cauris.
Le gouvernement s’étant”* apperçu que le peuple
fe degoûtoit d’un objet fi fragile, ordonna que les
uftenfiles de cuifine, répandus dans tout l’empire,
fuffent livrés aux hôtels des monnoies. Ce mauvais
expédient n’ayant pas fourni des reffources
proportionnées aux befoins publics ,, on fit raferv
environ quatre cens temples aé Foé, dont les idoles
furent fondues. Dans la fuite, la cour paya les
magiftrats & l’armée, partie en euivre &: partie
en- papier. Les efprits fe révoltèrent contre une
innovation fi dangereufe, & il fallut y renoncer.
Depuis cette époque , qui remonte à trois fiècles,
la monnoie de cuivre eft la feule monnoie legale
* Malgré le caraClère intéreffé des chinois, leurs
liaifons extérieures furent long-temps très-peu de
chofe. L’éloignement où cette nation vivoit des
autres peuples ., venoit du mépris qu’elle avoit
pour eux. Cependant on defîra., plus qu’on ffa-
voit fait, de fréquenter les ports voifins j & le
gouvernement tartare, moins zélé pour le maintien
des moeurs que l’ancien gouvernement, fa-
vorîfa ce moyen d’accroître les richeffes de la na*
tion. Les expéditions, qui jufqu’alors n’avoient été
permifes que'par la tolérance intéreffée des com-
mandans des provinces maritimes, fe firent ouvertement.
Un peuple dont la fageffe étoit célè-
; bre, ne pouvoit manquer d’être accueilli favorablement.
Il profita de la haute opinion qu’on avoit
de lui pour établir le' goût des marchandifes qu’il
pouvoit fournir, & fon aélivité err.ibraffa le continent
comme les mers.
Aujourd’hui la Chine trafique avec la Corée ,
qu’on croit avoir été originairement peuplée - par
les tartares , qui a été fûrement plufieurs rois conquife
par eux, & qu’on a vue tantôtefçlave, tantôt
indépendante des chinois, dont elle eft actuellement
tributaire. Ils- y portent du thé, de la porcelaine
, des étoffes de foie, & prennent en échange
des toiles de chanvre & de coton,. & du ginfeng
médiocre.
Les tartares, qu’on peut regarder comme etrangers
, achètent des chinois des étoffes de laine ,
du riz, du thé , du tabac, qu’ils payent avec
des moutons, des boeufs , des fourrures, & fur-
tout du ginfeng. Cette plante croît fur les confins
de la Tartarie, près de la grande muraille. On la
retrouve auffi au Canada.
Le commerce que la Chine a ouvert avec les
habitans de la petite Bucharie, fe réduit à leur
donner
donner du thé, du tabac, des draps, en échange
des grains d’or qu’ils trouvent dans leurs- torrens
ou dans leurs rivières. Ces liaifons, actuellement
languiffantes, ne prendront un grand accroiffe-
ment que lorfqu’ôn aura appris à ces barbares l’art
d exploiter les mine?, dont leurs montagnes font
remplies.
La Chine eft féparée des états du Mogol & des
autres contrées de l’Inde par des fables mouvans
ou par des rochers entaffés qui rendent impraticable
toute communication avec ces régions fi riches.
Audi n ajoutent-elles rien au foible commerce que
cette nation fait annuellement par terre. Celui que
la mer lui ouvre eft plus considérable.
L’empire ne confie guère à l’océan que du thé,
des foieries & des porcelaines. Au Japon , ces
chofes font payées avec de l’or & du cuivre j aux
1 hilippines, avec des piaftres, à Batavia, avec des
épiceries j à Siam, avec des bois de teinture &
des vernis j, au Tonquin, avec des foies groffières >
a la Cochinchine, avec de l’or & du fucre. Les
retours ne paffent pas trente-cinq ou quarante millions
|| quoique ce commerce double les papitaux
des. chinois. Dans la plupart des marches qu’ils
fréquentent, ils ont pour agens ou pour affociés
les defcendans de ceux de leurs concitoyens qui
fe, refusèrent au joug des tartares.
,Ces liaifons qui, d’un côté, fe terminent au Ja-
;.,pon, & de l’autre aux détroits de Malaca & de
• h Sonde, auroient acquis vraifemblablement plus
détendue , fi les conftru&eurs chinois , moins
affervis aux anciens ufages, avoient daigné s’inf-
truire à l’écôle des navigateurs européens.
Les ruffes qui, vers la fin du feixième fiècle ,
avoient conduis les plaines incultes de la Sibérie,
etoient arrives de défertsen déferts jufqu’au fleuve
Amur, qui les condüifoit à la mer orientale, &
jufqu’à la Selenga qui les approchoitde la Chine,
dont ils avoiênt entendu vanter les richeffes.
Les chinois comprirent que les coûtées des ruffes
pourraient avec le temps troubler leur tranquillité
} & ils conftruifirent quelques forts, pour
arrêter un voifin dont l’ambition devenoit füfpeéte.
Alors commencèrent, entre les deux nations, des
difputes vives touchant les frontières. Leurs chaf-
feurs fe chargeoient fouvent, & l’on fe croyoit
tous les jours à la veille d’une guerre ouverte.
Heurêufement les plénipotentiaires des deux cours
parvinrent à fe concilier en 1Ô89. Les limites des
deux puiffances furent pofées à la rivière Kerbe-
chi, près de l’endroit même où l’on négocioit,
à trois cens lieues de la grande muraille. C’eft le
premier traité qu’euffent fait les chinois, depuis la
fondation de leur empire. Cette pacification offrit
une autre nouveauté. On accorda aux ruffes la liberté
d’envoyer tous les ans une caravane à Pékin
, dont les étrangers avoient été conftamment
éloignés avec des précautions tout-à-fàit myfté-
rieufes. Il fut aifé de voir que les tartares, qui
$ etoient pliés aux moeurs & au gouvernement de
/ (Scon polit, & diplomatique. Tome I.
la Chine, s’écartoient de fes maximes politiques.
/Cette condefcendance n’ipfpira pas de la modération
aux ruffes > ils continuèrent leurs ufurpa-
tions, & bâtirent, trente lieues au-delà des limites
convenues, une ville qu’on nomma Albarin'i ou
J fca. Les^ chinois s’étant plaints inutilement de
cette infidélité, prirent, en 1715- , le parti de fe
faire juftice. Les guerres où le czar étoit engagé
dans la Baltique, ne lui permettant pas d’envoyer
des troupes à l’extrémité de la Tartarie, la place
fut emportée après trois ans de fiége.
La cour de Pétersbourg fut affez éclairée pour
ne pas fe livrer à un reflentiment inutile. Elle fit
partir, en 1719, pour Pékin un miniftre chargé
de reffufciter le commerce anéanti par les derniers
troubles. La négociation-réuflit j mais la caravane
de 1721 ne s’étant pas conduite avec plus de ré-
ferve que celles qui l’avoient précédée, il fut arrête
que dans la fuite les deux nations ne traitement
enfemble que fur la frontière.
Avant ce nouvel arrangement, il partoit tous
les ans de 1 etersbourg une caravane qui , après
avoir traverfe des déferts immenfes , étoit reçue
jUr MSÊÊÊSêeJ!Ia WM Par <ïuelciues centaines
de foldats qui refcortoient jufqu’à la capitale de
1 empire.. La tous ceux qui la compofoient étoient
dans un caravenferail, où ils étoient
obliges d attendre que les marchands chinois vinf-
fent leur offrir le rebut de leurs magafins. Leur
traite ainfi confommée, ils reprenoient la route de
leur patrie, & fe retrouvoient à Pétersbourg, trois
ans apres -en être partis.
1 Dans le cours ordinaire des chofes, les mauvai-
les marchandifes qu apportoit la caravane n*au-
.roient eu c^ue peu de valeur : mais comme ce
commerce etoit pour le compte de la cour, & que
la vente s en faifoit toujours fous les yeux du fou-
verain, les .plus vils objets acquéroient du prix
Etre admis à cette efpèce de foire, étoit une grâce
que le czar n accordoit guères qu*aux gens eh
faveur. Tous vouloient le montrer dignes de cette
diftinélion. On y réuffiiToit en pouffant follemént
les enchères, & en faiiant placer ainlî fon nom
fur la lifte des acheteurs. Malgré cette honteufe
émulation, les objets offerts étoient fi peu impor-
tans, que leur produit, la confommation de la
cour prélevée, ne s'élevoit jamais à cent mille
ecus.
Depuis la ceffation des caravanes, on a établi
à Kiatcha deux grands magafins, l’un ruffe &
l’autre chinois, où font dépofées toutes les chofes
qu’on fe propofe d’échanger. Des commiffaires des
deux nations préfident à ce commerce, où il entre
rarement des métaux. Si les ruffes, qui n'en donnent
jamais, font réduits quelquefois à recevoir
dé l’or, ils font obligés de le livrer à la couronne
à des conditions qui la dédommagent des droits
qu’elle auroit perçus fur les marchandifes.
La plus confidérable de celles que les chinois
I apportent dans cet entrepôt, c’eft le thé verd.
C c c c