
fuffit que ces lettres offrent des réglemens utiles
à la tranquillité des fociétés & au bonheur des
hommes : quoiqu'on y trouve plufieurs inftitu-
tions qui n'ont pas le mérite de la nouveauté,
quoiqu elle$ ne foient pas toujours propofées de
la maniçre la plus féduifante, elles renferment
néanmoins des principes & des règles de légifla-
tion qu'on pourroit aifément mettre en pratique,
linon dans les états policés & corrompus de
l'Europe, au moins dans les nouvelles colonies
de l'Amérique.
La première lettre expofe les raifons qui ont
porté l'auteur à laifler fon ami en Hollande,
pour venir s'établir dans un pays prefque inhabité.
C e détail eft affez infipide, & on peut en dire
autant d'une partie de la fécondé lettre.
La troifîeme lettre décrit la forme de gouvernement
établie parmi les Cejfares : ce gouvernement
qui eft héréditaire eft compofé d'un petit
nombre de fénateurs au choix des citoyens. On
y fait plufieurs objections très-folides contre les
inftitutions ariftocratiques , démocratiques , monarchiques,
telles qu'on les voit dans les diverfes
contrées de la terre.
Les lettres fuivantes donnent de plus grands
détails fur les loix qui concernent les magiftrats,
les droits de propriété, le châtiment des crimes,
& plufieurs autres matières importantes ; voici
ce qu'on y dit du luxe.
« Le fénat aura foin d'établir des loix fomptuai-
» res, & de veiller à ce qu'il ne s'introduife
03 aucune forte de luxe, On défendra expreffé-
» ment les arts & les branches de commerce qui
foumiffent à la vanité & à la molleffe des
» fuperfluités qu'on procure à l'homme aux dé-
» pens des biens plus réels. Q u ’on examine bien
» les effets du luxe , on verra toujours qu'il
33 çréfage la ruine d'un état. Sans doute il faut
» etre propre ’•& paroître décemment en public 3
» mais rien n'eft plus déraifonnable que de s'oc-
93 cuper avec trop de foin de fa parure & de fon
93 ameublement 5 & des changemens de mode an-
93 noncent infailliblement des efprits vains &
93 petits : le fénat régléra donc l'habillement de
93 chaque citoyen félon l'âge & le fexe. C e t habit
93 fera fimple, decent & propre. Il ne fera permis à
93 perfonne de porter ni diamans, ni foie , ni o r ,
90 ni argent, de peur que l'orgueil & la vanité,
93 l'aniour de la pompe & du luxe ne s'établif-
33 fent peu à peu dans la république. Les foux
93 & les idiots feront feuls exceptés de ce régle-
» ment : on les obligera même de porter des habits
99 chamarés d'or & d'argent pour les diftinguer
93 des citoyens fenfés. Comme d'ailleurs l'amour
93 de la parure eft une paffion particulière au
93 fexe, toute femme qui violera les loix fomp-
33 tuaires en s'habillant d'une manière audeflus
?» de fon rang , fera condamnée à porter, pendant
*» une année entière , l'habillemçnt propre aux
P çkffçs inférieures à h fienne.
La huitième & la neuvième lettre parlent des
occupations des citoyens : elles font toutes réglées
de manière à prévenir la misère & l’indigence >
on y traite aufli des mariages & des encourage*'
mens donnés à la population, ainfi que de plufieurs
autres points. Ce roman politique bien
inférieur à tant d'autres ouvrages de cette, efpèce,
n'éxige pas une plus longue analyfe. L'auteur ne
s'occupe guères que des moyens de rendre heu-
reufe une très-petite fociétéd^ou du moins fes
idées ne font praticables que® our les petites
nations 3 & nous avons fur ce plan borné des
livres beaucoup meilleurs.
C E S S I O N , fe dit en général d'un aéle par
lequel un propriétaire tranfporte fa propriété à
un autre. On fent qu'il n'eft ici queftion que
de la ceffion des états. Nous pourrions traiter
une foule de queftions, bien délicates & bien in-
téreffantes. Lorfque les princes , par exemple ,
fe cèdent mutuellement des états, révêtent-ils
cette ceffion des formalités qui la rendent légitime
? Les maximes de droit politique qu'on fuit
fur cette matière, font elles conformes aux maximes
du droit naturel ? Le nouveau ferment
prefque forcé, qu'on exige des peuples après la
ceffion d'un état, fuffit-il pour les dépouiller de
leurs droits ? Il fera aifé de réfoudre les queftions
d'après les principes établis dans le cours de cet
ouvrage. Nous nous contenterons d'en examiner
deux autres qui ont rapport à cet article.
£4 çejfion du bien de Jes fujets que fait un état
a un autre état 3 eft - elle valable s indépendamment
du confentement des propriétaires ?
Dans.les traités de p aix , de limites, d'échang
e , &c, l'une des parties contractantes cède
fouvent à l'autre des terres particulières qui
appartiennent à fes fujets. C'eft une fuite dé
l'autorité fouveraine, qui eft fubjuguée par l'autorité
fupérieure d'un autre fouverain, ou qui fe
décide à facrifier les intérêts de quelques particuliers
pour’ l'avantage*de tous. Il eft clair, que la
république la mieux conftituée a le droit de faire
ces facrifices. Ces fortes de cejflons bleffent le
droit naturel dans les autres gouvernemens 3 mais
ce qu'il faut dire avec regret, & ce qui eft bien
trille, les hommes qui vivent fous les gouvernemens
monarchique ou ariftocratique ont renoncé à
une partie de leurs droits naturels, même à ceux
qui ne font pas habituellement néceffaires au
maintien de la fubordination. Ainfi la ceffion que
je difcute ic i, paroît valide 5 car enfin les divers
états obfervent le droit politique & le droit des
gens, & non pas le droit naturel. Les fujets
facrifiés au bien de tous, ont, félon les principes
de l'équité rigoureufe, un recours contre leur
fouverain, mais ils n'en ont pas contre le ceffion-
naire. Ces particuliers doivent être dédommagés
par l'état ae ce que le fouverain leur ôte pour
l'avantage même du public, cela n'eft pas dou-»
tçux 3 mais qu'ils le foient ou non, le prince qui
reçoit ces domaines particuliers, de la main du
fouverain même & par un traité public, en devient
légitimement propriétaire. Il n'eft pas oblige
de prouver que les befoins de l’état furent allez
preffans, ou l’avantage du public affez marqué
pour autorifer l'autre puiffance à ces facrifices. Ces
terribles maximes font une fuite du terrible droit
de la guerre.
A ne confulter que l'équité, tout ce qui a
été pris dans une guerre injufte, doit être rendu.
L e prince dépouillé, peut armer fes fujets pour
s’en remettre en poffeffion, mais il ne faut pas
qu'il ait abandonné fon droit, par un aéfce ou
exprès, ou tacite. S'il a laiffe palier un trop
long efface de temps, fans réclamer ce qu'on lui
a pris 5 où s'il a cédé par un traité formel les pays
conquis, il ne lui eft plus permis d’employer les
voies de la force. Selon le droit naturel, le pof-
feffeur eft toujours obligé à la reftitution, fi l'ac-
quifition a été injufte 3 mais dans le droit politique
la poffeffion eft juridique.
Si l'on en croit un jurifconfulte françois {a) ,
le roi très-chrétien ne peut en aucune manière
obliger fon fucceffeur à l'éxécution des traités
qu'il Fait, parce qu’il n'eft qu'ufufruitier de fon
royaume 5 &que fon fucceffeur appelé à la couronne
par la loi fondamentale de l'état, ne la
tient pas de lui. C e jurifconfulte raifonnoit, dans
une matière du droit des gens , d'après les principes
du droit civil qui n'y ont aucune application.
Mille écrivains françois ont copié cette erreur
de Bodin. Si fon opinion étoit fondée, ceux qui
ne font les chefs du gouvernement ariftocratique
ou démocratique que pour un temps, & feulement
comme fimples adminiftrateurs, pourroient
encore moins que les rois de France & tous les
monarques abfolus , obliger leurs fucceffeurs.
Une opinion fi fauffe ne mérite pas d'être réfutée
en détail : c'eft une des cent mille fottifes de
nos graves écrivains fur le droit public & le
droit politique :* dès qu'un fouverain a le droit
de faire la guerre & de conclure la paix, toutes
les ceffions qu'il fait, fient fes fujets & fes
fucceffeurs. Quand la guerre eft déclarée, tout
ce dont le vainqueur s'empare lui appartient, &
le fucceffeur du vaincu , doit fe trouver heureux
qu'un traité de paix lui ait confervé une partie
de fes domaines.
2°. Des ceffions forcées. Sont-elles obligatoires ?
D 'autres jurifconfultes jugent aufli des traites, comme*
des contrats particuliers 3 & quelque différence
qu'il y ait entre ces fortes d'aéles, ils appliquent
aux traités la maxime du droit civ il, qui difpenfe
les particuliers d'exécuter les a êtes qu'a diété la
force : mais les loix civiles même n'annullent que
les aétes qui tirent leur origine d’une force réelle.
Tous les jurifconfultes conviennent que la crainte
qu'ils nomment révérentielle , c'eft-à-dire , celle
qu'un inférieur peut avoir de déplaire à fon fupé-
rieur, une femme à fon mari, un fils à fon père ,
un fujet à fon roi, n'ôte point la liberté, & par
corrféquent ne rend point l'aéle invalide. Si cette
efpèce de crainte pouvoit être admife dans les fociétés
civiles, elle offriroit un prétexte pour anéantir
tous les aétes des particuliers 5 & fi l'exception
tirée de la crainte invalidoit les traités des fouve-
rains, il n'y en a pas un feul qu'on ne pût annul*
ler. C e ne feroit pas feulement ériger l'infidélité en
maxime d'état, & mettre àl'aife ia confcience des
princes *, ce feroit bannir la foi publique de toutes
les négociations.
Un auteur célèbre prouve très-bien ce principe
par un autre raifonnement. « La liberté eon-
»» fifte principalement à ne pouvoir être forcé à
33 faire une chofe que la loi n'ordonne pas 3 & on
33 n’eft dans cet état, que parce qu'on eft gou-
33 verné par des loix civiles. Nous femmes donc li-
»» bres, parce que nous vivons fous des loix civi-
33 les ? Il fuit de-là, que les princes, qui ne vivent
33 point entr'eux fous des loix civiles, ne font point
33 libres; ils font gouvernés par la force3 ils peu-
33 vent continuellement forcer ou être forcés. De-
•3 là il fuit que les traités qu'ils ont fait par la for-
33 c e , font aufli obligatoires , que ceux qu'ils au-
33 roient fait de bon gré. Quand nous , qui vivons
» fous des loix civiles, femmes contraints à faire
33 quelque contrat que la loi n'exige pas , nous
» pouvons, à la faveur de la loi, revenir contre la
33 violence ; mais un prince, qui eft toujours dans
33 cet état, dans lequel il force , ou il eft forcé ,
33 ne peut pas fe plaindre d'un traité qu’on lui a
33 fait faire par violence. C'eft comme s'il fe plai-
33 gnoit de fon état naturel, c'eft comme s'il vou-
33 loit être prince à l'égard des autres princes , &
33 que les autres princes fuffent citoyens à fon
33 égard, c'eft-à-dire, choquer la nature des cho-
33 fes ». De l’Efprit des loix.
C E Y L A N , ou C E IL A N , une des ifles les plus
importantes & les plus fertiles des Indes orientales
, connue des anciens fous le nom de Taprobane.
Defcription de rifle. Les grecs & les romains n'ont
eu que des lumières très-imparfaites fur cette ifle.
Les chinois apprirent vers le commencement du
quatrième fiècle qu'elle exiftoit ; mais avant ce
temps ils n'avoient aucune connoiffance de ceux
qui l'habitoient.
On dit que cette ille a fept royaumes, ce qui ne
feroit pas étonnant ; puifque fur les côtes des Indes
, chaque petit pays a fouvent fon roi , ou fon
rajah particulier, comme on le voit au Malabar &
dans les ifles de l'Orient : au refte il paroît qu’elle
dépend aujourd'hui de deux puiflànces fopérieures.
Les hollandois poffedent prefque toutes les côtes >
<i) Bodin,