
Cette vi&oire livra le pays de Bënarès aux
anglois, & il fembloit que rien ne pût les empêcher
de réunir cette fouveraineté à celle du
Bengale. Mais , Toit modération , foit prudence,
ils fe contentèrent de lever huit millions de contributions
3 & ils offrirent la paix au nabab, à.
des conditions qui dévoient le mettre dans l'im-
puiffance de leur nuire , mais qu'il étoit encore
trop heureux d'accepter, pour rentrer dans fes
états.
Parmi fes défaftres, Koflîm-Alikan trouva encore
le moyen de fauver une partie de fes tré-
fors y & il fe retira chez les Seiks, peuples fitués
aux environs de Delhy , d’où il chercha à fe
faire des alliés & a fufeiter des ennemis aux anglois.
Pendant que ces chofes fe paffoient dans le
Bengale 3 l'empereur Mogol 3 chaffié de Delhy
par les patanes, qui avoient proclamé fon fils à
fa place , erroit de province en province , cherchant
un afyle dans' Tes propres états 3 ‘ & demandant
vainement du fecours à tous* fes vaflaux.
Abandonné de fes fujets 3 trahi par fes alliés 3
fans appui , fans armée 3 il fut frappé de la puif-
fance des anglois , & il implora leur pfoteélion.
Il lui promirent de le conduire à Delhy , & de
le rétablir fur fon trône ; mais ils commencèrent
par fe faire céder d'avancé le Bengâlê~ên toute
fouveraineté. Cette ceffion fut faite par un a£le
authentique, & revêtue de toutes les ‘ formalités
ufitées dans l'empire Mogol.
L e s . anglois munis de ce titre qui légitiment,
en quelque forte, leur ufurpation aux yeux des
peuples, oublièrent bientôt leurs promeftes. Ils
firent entendre à l’empereur que lès circonftances
ne leur permettoient pas de fe livrer à une pareille
entreprife, qu'il falloit attendre des temps
plus heureux ; & ils lui alignèrent une réfidence
& un revenu pour y fubfîfter. Alors l'empire
Mogol fe trouva partagé entre deux empereurs ;
l'un, qui étoit reconnu dans les différentes contrées
dé l'Inde, où la compagnie angloife ayoit
des établiflemeiæ & de l'autorité; l'autre, qui
Té toit dans les provinces qui environnent D e lh y ,.
& dans les pays ou cette compagnie n'avoit point
d'influence.
Les anglois ainfi devenus fouverains du Bengale
crurent devoir conferver l'image des formes
anciennes, dans un pays où elles ont le plus ’
grand pouvoir, & peut-être le feul pouvoir qui
foit fur & durable. C ’étoit fous le nom d’un
fouba qu'ils gouvernoient ce royaume j ,& qu'ils
en percevoient les revenus. C e fouba, qui étoit
à leur nomination ; à leurs gages, fembloit donner
des ordres. C 'eft de lui que paroiffoient émanés
Jes actes publics y les décrets qui avoient été
réellement délibérés dans’ lè confeil de Calcutta,
de manière qu'après avoir changé de maîtres,
ces peuples purent croire, pendant long temps,
qu'ils étoient encore courbes fous le même joug.
La conquête du Bengale 3 dont les bornes ont
été encore depuis reculées jufqu'aux monts en-*
tafifés qui féparent le Tibet & la Tartarie de l'In-
doftan, fans apporter aucun changement fenfible
à la forme extérieure de la compagnie angloife,:
en a changé effentiellement l'objet. C e n'eft:
plus une fociété commerçante, c'eft une puif-
fance territoriale qui exploite fes revenus, à
1 aiçle d'un commerce qui faifoit autrefois toute
fon exiftence, &. qui, malgré l'extenfion qu'il a
reçu , n'eft: plus qu'un'acceffoire dans les com-
binaifons de fa grandeur actuelle.
S e c t i o n I Ie.
De Vétçit attuel du Bengale & des revenus quil
produit.
La compagnie angloife, jouit en propriété des
revenus du Bengale. , des provinces de Bahar
& d'Orixa ; elle eft maitreffè fouveraine de
l'a d mini le ration de la juftice & de tout ce qui
a rapport au gouvernement. Le prince, qu'on
appelle grand m o g o ln'eft que Tinftrument .de
fa puiflance > elle Ta établi fur le trône , elle
l'y entretient par une penfîon, pour le faire fer-
vir à fes deftfeins particuliers. Les prétendus nababs
du Bengale & de Bahar font des valets à
gages dont elle difpofe à Ton gré. Le titre de
dewan fous lequel elle prétend, avoir acquis fes
pofîdïions territoriales , eft une fi&ion qu'elle a
inventée pour cacher , s'il eft poffible, fa fouveraineté
à l'Angleterre & aux autres nations de
l'Europe qui ont des établiftements dans ce
pays.
Au moment de la conquête', les revenus publics
du Bengale étoient de quatre-vingt millions.
Les dépenfes pour régir ou pour défendre cet
état, montaient alors à quarante & un millions ; il
fut convenu d'en donner fix à l’empereur mogol ,
& trois au fouba. Ainfi il en reftoit trente à la
compagnie. Ses achats, dans les différens mai>
chés de l'Inde, dévoient en abforber la plus grande
partie ; cependant l'on avoit eftimé q u'il, reT
teroit encore .plufieurs millions qui feroient portés
dans la Grande-Bretagne , & qu'en réformant les
abus il feroit aifé de les porter à fix millions fterl.
Des écrivains* anglois les évaluent même à deux
cens millions tournois , ainfi que nous l’ayons
dit ailleurs. •
Les arrangemens imaginés pour donner de la
Habilité à une fituation fi favorable , font peut- '
être les plus râifonnables qu'il fût poftïblë de faire.'
L'Angleterre a aujourd'hui dans l'Inde, en temps
de paix , le fonds de neuf mille huit cens foldats
européens, & de cinquante-quatre-mille cipayes
bien armés, bien difeiplinés. Trois mille de ces
européens & vingt-cinq mille de ces cipayes font
difperfés fur les bords du Gange. Mais lorfqué'
B E N
la compagnie eft en guerre avec quelques - fines
des puiffances du pays, l'armée eft beaucoup plus
confidérable.
Les anglois n'ont pas encore pu former dans
l'Inde un bon corps de cavalerie européenne. Ils
y ont fait paffer dernièrement un régiment de
dragons; & , félon toutes les apparences , ils
reufliront un jour fur ce point, comme ils ont
réufli fur tous les autres.
Malgré la fagelfe des précautions qu'ils ont
pnfés , ils ne font pas , ils ne fauroient être
fans inquiétude. La puiflance mogole peut s'affermir
& Chercher à délivrer d'un joug étranger
la^ plus riche de fes provinces. Ayder-Ali-Kan
a beaucoup affoibli leurs reffources ; il a lailfé à
fon fils plus de 100,000 hommes d'infanterie &
trente mille bons cavaliers, & une artillerie fer-
vie par cinq cens européens. Typo-Saïb , qui lui
a fuccédé fur ie trône , montre la même valeur
& la même audace que fon père. Il ne paroît
pas qu'il fort en état de vaincre les anglois ; mais
il peut les harceler , & les épuifer par des guerres
-continuelles ; enfuite l'Angleterre doit* craindre
que des nations barbares ne foient attirées de
nouveau dans cet heureux climat. Il eft difficile d'ef-
perer que les princes du pays mettront fin à leurs
difcordest & fe réuniront pour leur liberté mutuelle
; mais ils peuvent amener le gouvernement
anglois au point ou il fe détruira lui-même. D'ailleurs
les foldats indiens, qui font actuellement la
force du conquérant, tourneront peut - être un
jour-contre lui les armes dont il leur a enleigné
i'ufagè ;,fa grandeur, uniquement fondée fur l'il-
lufion , peut même s'écrouler , fans qu'il foit
chaflfé de fa poffeffion. Perfonne o'ignore que
les marates réclament des droits fur le quart des
revenus du pays, & qu'ils viennent à tous mo-
mens lever parla force des taxes que les anglois
refufent de reconnoître. Si on ne réuffit pas ;à
détournèr cet orage, par la corruption ou par
l'intrigue , le Bengale fera pillé » ravagé , quelques
mefures qu'on puiftè prendre contre une cavalerie
légère dont la célérité eft extrême. Si les courfes
de ces brigands fe multiplient*, il y aura nécelfaire-
ment moins de tributs & plus de dépenfes.
S e c t i o n I I I e.
Obfervations fur\£admiinJlration compagnie angloife tyrannique de la £r fur ies moyens quon vient
d'imaginer en Angleterre pour la reformer.
Le Mogol & les princes du pays, fubjugués
par les^ anglois dans le Bengale , difpofoient à-
peu-près de toutes les terres de cette contrée,
comme s'ils en euflent été les propriétaires. La
compagnie en difpofe de la même manière ; elle
choifit-ppur fés fermiers des naturels du pays,
dont elle exige des avances fi confidérables, que
B E N 5 1 j
pour les payer, ils font obligés d’emprunter juf-
qu à douze , quinze même pour cent d'intérêt
par mois. L état violent où ces hommes avides
fe font mis volontairement, les réduit à la né-
celïlte. d'exiger des habitans 3 auxquels ils fous-
ferment quelques portions de terre 3 un prix fi
exorbitant 3 que ces malheureux abandonnent
leurs aldees, 8c les abandonnent pour toujours.
L e traitant 3 devenu infolvable par cetre fuite 3
eft chaffé, 8c on lui donne un fuccefieur qui i
communément le même fort.
On avoit fuivi une marche différente dans les
polxelïions angloifes 3 à la côte de Coromandel.
On avoit remarque que les aidées étoient formées
par plufieurs familles qui3 Ja plupart, tenoient
les unes aux autres, & cette obfervation avoit fait
bannir l ufage des fermiers,, Chaque .champ étoit
taxé à une redevance annuelle., 8c le chef de là
famille étoit caution pour fes parens , pour fes
alliés.. Cette méthode lioit les colons entr'eux ,
8c leur donnoit la volonté 8c les moyens de fe
foutenir réciproquement. Les établifiemens ' de
cette nation avoient acquis par là le degré de
profpérité dont ils étoient fufceptibles, tandis
que ceux de fes rivaux languiffoient fans culture ,
fans manufaétlires, 8c par conféquent fans population.
Pourquoi faut-il qu'une adminiftration , qui
fait tant d'honneur à la raifon 8c à l'humanité ,
ne fe foit point étendue au-delà du petit terri-
toire^ de Madraff?. Seroit-il donc vrai que la
modération, eft une vertu uniquement attachée à
la médiocrité ?
Auroit - on imaginé que cette même compagnie,
changeant tout-à-coup de conduite 8c de
lyftême, eu viendrait bientôt au point de faire
regretter aux peuples du Bengale, le'defpotifme
de leurs anciens maîtres; Cette funefte révolution
n'a été que trop prompte 8c trop réelle. Une
tyrannie méthodique a fuccédé à une adtorité
arbitraire.. Les exaffions font- devenues générales
8c régulières; l'oppreffion a été continuelle
8c abfolue. On a pêrfeétionné l'art deftru&eur des
monopoles ; on en a inventé de nouveaux. En un
mot, on a altéré, corrompu toutes les fources'
de la confiance 8c de la félicité publique.
Sous le gouvernementdes empereurs mogols, les
foubas, chargés de l'adminiftration des revenus
étoient forcés, par la nature des chofes, d'en
abandonner la perception aux nababs, aux *paléa-
gars, aux zémindars, qui les fous - affermoient à
d'autres indiens, 8c ceux - ci à d'autres encore ï
de manière que le produit de ces terres pafïoit 8c
fe perdoit en partie dans une multitude de mains
intermédiaires, avant d'arriver dans le tréfor du
foub a, qui n'en rendoit lui-même qu'une très-
petite portion à l'empereur. Cette adminiftration ,
I vicieufe à beaucoup d'égards, avoit du moins
R r i