
pendant quelques mois à une difette que Ton attribue
, avec rail'on , à l'exportation.
Mais quand la liberté d'exporter eft générale, la
levée des grains n’eft pas fenfible, parceque les marchands
tirent de toutes les parties du royaume , &
fur-tout des provinces où les grains font à bas prix.
Alors il n'y a plus de province où. les denrées
foient en non-valeur. L'agriculture le ranime partout
à proportion du débit.
Les progrès du commerce & de l’agriculture
marchent enfemble 5 & l’exportation n'enlève jamais
qu'un fuperflu qui n'exifteroit pas fans elle ,
& qui entretient toujours l'abondance , & augmente
les revenus du royaume.
Cet accroiffement de revenus augmente la population
& la confommation , parce que les dé-
penfes augmentent & procurent des gains qui attirent
les hommes.
Par ces progrès, un royaume peut parvenir à un
haut degré de force & de profpérité ; ainfî par
des moyens bien (impies, un fouverain peut faire,
dans fes propres états, des. conquêtes bien plus
avantageufes que celles qu’il entreprendroit fur
fes voilins. Les progrès font rapides. Sous Henri
IV, le royaume épuifé, chargé de dettes, devint
bientôt un pays d’abondance & de richeües. Voyeç
Impôt.
Observations fur la nécejjitê des rickejfes pour la
culture des grains. II ne faut jamais oublier que cet
état de profpérité , auquel nous pouvons prétendre
, feroit bien moins le fruit des travaux du
laboureur , que le produit des richeffes qu'il pourvoit
employer à la culture des terres. Ce font les
fumiers qui procurent de riches moiffons ; ce font
les beftiaux qui produifent les fumiers ; c'eft l’argent
qui donne les beftiaux , & qui fournit les
hommes pour les gouverner. On a vu, par les
détails précédens , que les frais de trente millions
d’arpens de terre, traités par la petite culture ,
ne font que de 285 millions, & que ceux, que
L’on feroit pour 30 millions d’arpens bien traités
par la grande culture, feroient de 710 millions ;
mais, dans le premier cas , le produit n'eft que de
390 millions , & dans le fécond , il feroit de
1,378,000,000. De plus grands frais produiroient
encore de plus grands profits. La dépçnfe & les
hommes , qu'exige de plus la bonne çulture pour
l'achat & le gouvernement des beftiaux, procurent
de leur côté un produit qui n’eft guère moins
çonfidérable que celui des récoltes.
\ La mauvaife culture exige cependant beaucoup
de travail 5 mais le cultivateur ne pouvant faire les
dépenfes néceffaires, fes travaux font infructueux 5
il fuccombe, & les bourgeois imbécilles attribuent
fes mauvais fuccès à la pareffe.- Us croient
fans doute qu'il fuffit de labourer, de tourmenter
la terre pour la forcer 4 porter de bonnes ré-
çoltes. On s'applaudit lorfqu’on dit à un homme
pauvre qui n'eft pas occupé, va labourer la terre ;
ce font les chevaux, les boeufs & non les hommes,
qui doivent labourer la terre. Ce font les
troupeaux qui doivent la fertiüler ; 'fans ces.fe-
cours elle récompenfe peu les travaux des cultivateurs.
Ne fait-on pas d'ailleurs qu’elle ne fait
point les avances, quelle fait au contraire attendre
long-temps la moiiTon ? Quel pourroit-donc
être le fort de cet homme indigent à qui l’on dit :
Va labourer la terre l Peut- il culti ver pour fon
propre' compte ? Trôuvera -1 - il dç'i’ouvrage chez
les rêrmiers s'ils font pauvres? Ceux-ci dans l'inr-
puiifance de faire les frais d'une bonne culture ,
hors d'état de payer les ialaires des domeftiques
& des ouvriers, ne peuvent occuper les payfans.
La terre fans engrais & prefque inculte , ne peut
que laiffec languir les uns & les autres dans la
mifère.
Il faut encore obferver que tous les habitans du
royaume doivent profiter des avantages.de la bonne
culture, pour qu'elle pui.ffe fe foutenir, ^produire
de grands revenus au fouverain.. C’eft en
augmentant les revenus des propriétaires & les
profits des fermiers, qu'elle procure des gains à
tous les autres états, & qu'elle entretient une
confommation & des dépenfes qui la foutiennent
elle-même. Mais fi les impôts du fouverain font
établis fur le cultivateur même', fi elles enlèvent
fes profits, la çulture dépérit, les revenus des propriétaires
diminuent^ d’où réfulte une épargne
inévitable, qui influe fur les ftipendiés, les marchands,
les ouvriers, les domeftiques: le fyftême
général dès dépenfes, dés travaux, des gains 8c
de la confommation, eft dérangé > l’état s’affoi-
blit ; l’impofition devient, de plus en plus, def-
truélive-. Un royaume ne peut donc être florifiant
& formidable que parles productions qui fe renouvellent
, ou qui renàiffent continuellement de
la richeffe même d’un peuple nombreux & aCtif,
dont l’induftrie eft foutenue & animée par le gou?
vernement. .
On s’eft imaginé .que le trouble que peut caufer
le gouvernement dans la fortune des particuliers,
eft indifférent à l’état j parce que, dit-on,'fi les
uns deviennent riches aux dépens des autres, la
richeffe exilte également dans le royaume. Cette
idée eft fauffe & abfurde ; car les richeffes d’un
état ne fe foutiennent pas par elles-mêmes, elles
ne fe confervent n'augmentent qu’autant qu'el-r
les fe renouvellent par leur emploi dirigé avec
intelligence. Si le cultivateur eft ruiné par le financier
, les revenus du royaume font anéantis, le
commerce &l’induftrie languiffent; l’ouvrier manque
de travail; le fouverain, les propriétaires, le
clergé, font privés des revenus ; les dépenfes &
les gains font abolis. Les richeffes renfermées dans
les coffres du financier , font infru&ueufes, ou fi
elles font placées à intérêt, elles furchargent
l’état. Il faut donc que le gouvernement foit très-
attentif à protéger toutes les profeffions productrices
, les richeffes qui leur font néceffaires pour
la produftion & l'accroiffement des rieheffes du
royaume.
■ Obfervations fur la population foutenue par la culture
des grains. Enfin on doit reconnaître que les
produirions de la terre nç font pas des richeffes
par elles-mêmes; qu'elles ne font des richeffes
qn'autant qu'elles font néceffaires aux hommes ,
& qu'autant qu’elles font commerçables : elles
ne font donc des richeffes qu'à proportion de
leur confommation de la quantité des hommes
qui en ont befoin. Chaque homme qui vit en focîété
n'étend pas fon travail à tous fes befoins ; mais par
la vente de ce qui produit fon travail il fe procure ce
qui lui manque. Ainfi tout dévient commerçable ,
tout devient richeffe par un trafic mutuel entre les
hommes. Si le nombre des hommes diminue d'un
tiers dans un état 3 les richeffés doivent y diminuer
des deux tiers, -parce que la dépenfe & le
produit d’e chaque homme forment une double
richeffe dans la fociété. Il y avoit environ 24 millions
d'hommes dans le royaume il y a cent ans :
après des guerres prefque continuelles pendant 40
ans, & après la révocation de l'édit de Nantes,
il s'en eft efiçore trouvé , par le dénombrement
de 170c, dix - neuf millions cinq cens, mille; mais
la guerre ruineufe de la fucceffion' à la couronne
d’Efpagne J la diminution des revenus du royaume
3 caufée par la gêne du commerce , 8c par
les impofitions arbitraires, la milère des campagnes
, la défertion hors- du royaume , 1 affluence
des domeftiques , que la pauvreté & la milice
obligent de fe retirer, dans les grandes villes 3 ou
la débauche leur tient lieu de mariage ; les défor-
dres du luxe dont on fe dédommage malheureufe-
incnt pat Une économie fur la propagation; toutes
ces caufes n'autorifent que trop l'opinion de ceux
qui réduifent aujourd’hui le nombre d hommes
du royaume à 16,000,000 ; & .il y en a un grand
nombre à la campagne réduits a fe procurer leur
nourriture par la culture du bled noir 3 ou d'autres
grains de vil prix; ainfi ils font auffi peu utiles
à l'état par leur travail, que par leur confomma-
ti on. Le paÿfan n’eft utile dans la campagne qu’autant
qu'il produit, & qu’il gagne par fon travail,
& qu’autant que fa confommation en bons ali-
mens & en bons vêtemens, contribue à foutenir
le prix des denrées 8c le revenu des biens, à
augmenter Sc à faire gagner les fabriquans 8c les
artifans, qui tous peuvent payer au roi des fubfi-,
fides à proportion des produits 8c des gains.
Ainfi on doit appercevoir que fi la mifère aug-
mentoit, ou que fi le royaume perdoit encore
, quelques millions d’hommes, les richeffes aétuel-
les y diminueroient exceffivement , 8c d'autres
nations tireroient un double avantage de ce dé-
. faftre ; mais fi la population fe réduifoit à la moitié
de ce qu'elle doit erre , c'eft-à-dire de ce qu'elle
étoit il y a cent ans, le royaume feroit dévallé ; il
n'y auroit que quelques villes ou quelques provinces
commerçantes qui feroient habitées, le refte
du royaume feroit inculte , les biens ne produiroient
plus de revenus, les terres feroient partout
furabondantes & abandonnées à qui voudroit
en jouir, fans payer’ni connoître de,propriétaires.
Les terres, je le répète , ne font des richeffes
que parce que leurs productions font néceffaires
pour fatisfaire aux befoins des hommes, & que
ce font les befoins eux - mêmes qui établiffent les
richeffes. Ainfi, plus il y a d’hommi s dans un
royaume, dont le territoire eft étendu & fertile,
& plus il y a de richeffes. C’eft la culture animée
par le befoin des hommes , qui en eft la fource la
plus féconde , & le principal foutien de la population
; elle fournit les matières néceff.lires à nos
befoins , & procure des revenus au fouverain &:
aux propriétaires. La population s’accroît beaucoup
. plus par les revenus & par les dépenfes y
que par la propagation de la nation même.
Obfervations fur le prix des grains. Les revenus
multiplient les dépenfes, & les dépenfes attirent
les hommes qui cherchent le gain. Les étrangers
quittent leur patrie pour venir participer à l'ai—
fance d’une nation opulente, & leur affluence
augmente encore fes richeffes , en foutenant par
leur confommation le bon prix des productions de
l’agriculture , & en provoquant par le bon prix
l’abondance de ces productions ; car non-feulè-
ment le bon prix favorife les progrès de l’agricul-
tute , mais c’eft dans le bon prix même que ton-
fiftent lés richeffes qu’elle procure. La valeur d’un
feptier de bled 3 conftdéré comme richeffe , ne
confifte que dans fon prix : ainfî plus le bled, le
vin, fes. laines, les beftiaux font chers & abon-
dans, plus il y a de richeffe dans l’état. La non-
valeur avec l’abondance n’eft point richeffe $ la
cherté avec pénurie eft misère ; l’abondance avec
cherté eft opulence. J’entends une cherté & une
abondance permanentes j car une chçrté paffagèrc
ne procureroit pas une diftribution générale de ri-
cheffes à toute la nation, elle n’augmenteroic pas
les revenus des propriétaires ni les revenus du Roi.
Elle ne feroit avantageufe qu’à quelques particuliers
qui auroient alors des denrées à vendre à haut prix.
Les denrées ne peuvent donc être des richeffes
pour toute nation , que par l’abondance & par le
bon prix, entretenu conftamment par une bonne
culture ,.par une grande confommation & par un
commerce extérieur : on doit même reconnoître
que relativement à toute nation, l’abondance 8e
le bon prix qui a cours chez l’étranger eft grande
richeffe pour cette nation, fur-tout fi cette richeffe
confifte dans les productions de l’agriculture
5 car c’eft une richeffe en propriété, bornée
dans chaque royaume au territoire qui peut la produire
: ainfi elle eft toujours par fon abondance &
par la cherté , à l’avantage de la nation qui en a
le plus & qui en vend aux autres ; car plus il peut
•fe procurer de richeffes en argent , plus il eft
puinant, & plus les facultés des particuliers font
étendues, parce que l’argent eft la feule richeffe