fur les lieux. Le temps, la preflïon avoient fuffi
pour en former une couche de la plus extrême dureté
, & il eft préfumable que la plupart de leurs
chemins ne furent pas conftruits par des procédés
différens. On. pourroit foupçonner , même avec
quelque fondement 3 que les romains ont plus cherché
à éviter les grands obftacles qu'ils pouvoient
rencontrer dans la conftruérion des chemins 3 qu'à
les vaincre j en effet 3 au lieu de combler un vallon
ou de percer une montagne, ils détournoient leur
route & la dirigeoient fur ies pentes les plus ac-
ceffibles > s'ils avoient fait dans les montagnes les
travaux qu'y ont achevé les européens modernes ,
les veftiges en fubfîfteroient encore ; car les traces
des grands travaux dans les montagnes ne fauroient
s'effacer.
S'il en falloit croire les hiftoriens efpagnols ,
plutôt que le favant Paw leur contradicteur, les
péruviens auroient rendus croyables ,s & même
furpaffé tous les travaux qu'on attribue aux romains
dans ce genre. Ces peuples privés de l’ufage
du fer, par une induftrie dont on a peine à fe
former quelqu'idée , conftruifirent, de Cufco leur
capitale à Quito 3 un grand chemin bien nivelé de
coo lieues de long. Il étoit pavé, de pierres dont
les plus petites avoient dix pieds en quarré, fou-
tenu des deux côtés par des murs d'appui , &
bordé de parapets j deux ruiffeaux coûtaient au
pied de ces murs, & deux rangs d'arbres plantés
Air leurs bords formoient de ce chemin la plus étonnante
& la plus magnifique avenue. Si l'exiftence
de et chemin n'eft pas une fable , ou fi en le décrivant
on n'a rien exagéré il faut l'avouer, aucun
peuple ancien ou moderne n'a créé un monument
public de cette grandeur & de cette utilité.
La décadence de l'empire romain en Europe y
amena fucceffivement celle des chemins. Les barbares
qui renverfèrent ce coloffe de puiffance,
qui avoit foulé le monde, mais qui l'avoit éclairé
8c civilifé, ne favoient qu'envahir &: détruire, La
France a fenti l'une des premières la nécefïité des
chemins. Dagobert publia quelques réglemens à ce
fujet, il défendit de les barrer 5 mais déjà les chemins
avoient çté abandonnés depuis long-temps.
Çharlemagne, qui fut en tout fupérieur à fon fiè-
cle 3 fit réparer, par fes fujets & par fes troupes,
les voies militaires des romains-, & avant lui la
reine Brunehaut avoit fait rétablir cette longue
route qui, dans quelques endroits, a encore retenu
le nom de cette princeffe, Non-feuletïiçnt l'ef-
prit qui avoit animé Charlemagne s'éteignit dans
fes fucceffeurs, mais tous les refforts du gouvernement
fe rompirent ou fe lâchèrent dans leurs
foibles mains. La France devint la proie d'une multitude
de feigneurs qui , tous d'accord pour fe
fouftraire à la puiffance des loix & du trône, le
furent ençore prefque tous pour accabler les infortunés
habitans de leurs terres. L'anarchie féodale
détruifît toute police générale. Les moeurs
devinrent atroçes , il nç rçfta bientôt p!u$ .4
la nombreufe nobleffe qui tyrannifoit la France s d'autres vertus, que le courage dont elle avoit be-
foin, & quelques-unes de celles qui dérivent de
cette difpofition de l'ame. Le peuple alors avoir
tout perdu, excepté la patience avec laquelle il
fupportoit.fes longs & incroyables malheurs, fen-
timent paflif qui prouve trop qu'en effet il avoit
tout perdu. Alors naquirent, fur le peu de chemins qui fubfiftèrent, ies droits de péage , barrage ,
pontonnage , travers , bac ,. &c. : droits qu'ufur-
pèrent ou fe créèrent les puiffans. Point de pont
dont une tour ne défendît l'accès , ni qu'on pût
paffer fans payer : le pont tomboit, le feigneur
n'étoit pas alfez riche ni affez induftrieux peut-être
pour le faire reconftruirèj il y fubftituoit un bac.
& de nouveaux droits. Un chemin fubfiftoit, il le
fermoit par des barrières, & exigeoit un droit en.
argent pour les ouvrir. Des abus de tous genres
fe multiplièrent ; & à mefure que l'oppreffion s'é-
- tendit, les chemins devinrent impraticables , le
commerce fe perdit, & le peu de voies qui avoient
échappé à tant de caufes de deftruétion , en cef
fant d'être utiles, ceffèrent d'être entretenues.
Philippe-Augufte ayant déjà recueilli de grands
fruits de la politique de fes prédéceffeurs, qui
tous s'étoient attachés à rendre à l'autorité royale
le pouvoir que les feigneurs lui avoient arraché ,
fe trouva affez puiffant pour faire quelques réglemens
relatifs aux chemins, & créer quelques officiers
chargés de veiller à leur exécution, & de
lui en rendre compte. C'eft à ce prince que Paris
dut en 1184 le pavé de fes rues. Ces commiffaires
de Philippe-Augufte furent bientôt négligés, ainfî
que les chemins 3 fous les fucceffeurs de ce roi
moins vigilans que lui. On crut bien faire, en attribuant
aux juges civils des lieux là connoiffance
de tout ce qui concernoit la voierie, & c'étoit ce
qu'il étoit poffible de faire de plus mal. On s'en
apperçut en 1508, & on donna aux tréforiers de
France quelque part à la grande voierie. Alors les
tribunaux relatifs aux chemins furent très - multipliés.
Henri II autorîfa, en les élus à faire
les réparations qui n'exçéderoient pas l o liv.
Henri ÎII leur affocia, en 1583, les juges des^
eaux &. forêts, enforte . qu'il y eut à cette époque
quatre efpèces de grandes voieries & quatre fortes
de jurifdiétions auxquelles reffortiffoit cette matière.
Henri IV ayant reconnu la confufion qu'une
telle concurrence y devoit apporter, créa en 15-99
un office de grand-yoyer, ayant la furintendance
des chemins le pouvoir de créer des lieutenans
dans les provinces. Le duc de Sully, grand-maître
de l'artillerie & premier miniftre, fut revêtu de
cet office 3 & cette partie de l'adminiftration de
ce grand homme ne fe fentit pas, comme les au-
Üres, du génie avec lequel il favoit tout améliorer.
Louis XIII fupprimala charge] de grand-voyer,
& attribua la jurifdiétion des grands chemins aux
tréforiers de France, en 1626 > mais le roi reconnut
bientôt la néçeffité de fe téfçrver la furintendance
des
C H E
des chemins. Louis XIV, né avec le goût & le
fentiment de tout ce qui étoit grand & utile, connut
l'importance des routes, & fit ouvrir & commencer
nos premiers grands chemins. Occupé de
guerres & de bâtimens, il ne put avancer beaucoup
' leur travail. Cette gloire étoit réfervée à
Louis XV. Ce prince, embraffant un plan plus
vafte , voulut que toutes les parties de fon empire
communiquaffent entr'elles & avec l'étranger. Il
ouvrit & perfectionna feul plus de routes, que n'en
avoient fait enfemble tous fes prédéceffeurs. Il ne
refte guères aux héritiers de fon trône que le tiers
des ouvrages faits fous ce roi, pour voir achevée
l'immenfe entreprife de la confection de toutes les
routes de Frante.
Aujourd'hui tout ce qui concerne l'ouverture,
la conftruCtion & l'entretien des chemins, eft du
reffort du miniftère des finances. Le confeil du
roi prononce fur tous ces objets. Les fonds defti-
nés aux ponts & chauffées font annuellement de
f ,000,3 000 liv* Les pays d'états veillent eux-mgmes
a l’entretien de leurs chemins, & font pour cela
les fonds néceffaires > mais ils ne peuvent appliquer
la dépenfe de ces fonds. C'eft le confeil du
roi, par le miniftère du contrôleur général & des
intendants des provinces, qui ordonne l'emploi de
ces fonds à telle ou telle partie d'ouvrage.
' On a formé une école des ponts & chauffées,
& un corps d'ingénieurs des ponts* & chauffées.
L'école & le corps ont un directeur général, lequel
a fous fes ordres, des infpeCteurs & ingénieurs
qui, répandus dans les provinces, corref-
pondent tous avec, lui j c'eft fur le rapport du di-
reCteur-général que le roi ordonne chaque année,
dans fon confeil, les ouvrages qui doivent être
faits. Les devis, plans, coupes & profils en font
fervis, & les adjudications des ouvrages faites au
rabais par les tréforiers de France à Paris, & par
les intendans dans les,provinces. On ne peut fe
difpenfer, quand on a parcouru la France, de
donner à cette admini%ation & à cette école des
Ï).onts & chauffées, qui a déjà produit les artiftes
es plus diftingués & les plus magnifiques ouvrages
, le trjjput d'éloges qu'ils ont mérité.
Les ingénieurs forment les projets des nouvelles
routes. Les plans doivent être fournis à leur directeur
général, être approuvés par l'intendant des
lieux, & confacrés par un arrêt du confeil, avant
de pouvoir être exécutés ; alors les ingénieurs tracent
la route, en plantant des piquets, de diftance en
diftance le long de fon alignement. Une loi de
1783 veut que ces piquets fojent plantés fix mois
avant le commencement d'aucun travail, afin que
les propriétaires du fol deftiné au chemin puiffent
•adreffer leurs réclamations au confeil. Il eft d'ufage
de payer les édifices que le tracé du chemin force
d'abattre. Dans quelques provinces , on paye aux
propriétaires la partie de leur fol qui eft prife pour
le chemin ; dans d’autres, & ce qui eft très - remarquable
dans des provinces d'état, le proprié-
(■ffleon. polit, & diplomatique. Tom. I,
taire ne reçoit aucune indemnité. Les terres né-
ceiTaires pour le travail des remblais , les pierres
pour 1J empierrement doivent être prifes fe plus
proche du chemin que faire fe peut , en dédommageant
les propriétaires. *
Des loix de 1720 & de ' 1776 ont fixé la largeur
des chemins ; ils doivent etre bordés de folfés
pour faciliter ^écoulement de leurs eaux, & d'arbres
diftans l'un de l'autre de cinq toifes, & éloignés
d’une toife du bord extérieur du fofle. J'ob-
ferverai ici que cet ordre de planter le bord des
chemins , qui ajoute à leur magnificence & en fait
effectivement de fuperbes avenues , nuit à leur
bonté 3 à leur durée dans les provinces feptentrio-
nales. De grands arbres empêchent le vent & le
foleil de les deflécher après de longues pluies. Ils
feroient fagement ordonnés pour les provinces du
midi, parce qu’ils y offrent l’abri très-néceffaire
de leur ombrage , qu'ils fourniffent des reffources
à ces pays, moins abondans en bois s mais il me
femble que l'on devroit defîrer que les chemins de
celles du nord ne fuffent bordés que d’arbres fruitiers
qui s'élèvent peu, & dont l'ombre ne peut
nuire au chemin.
Il eft défendu d’anticiper fur les chemins, &
d’y mettre rien qui puiffe'les embarrafïer; &pour
éviter les incorivéniens des voitures trop larges, il
fut enjoint, dès 1624 , de ne pas fabriquer d’ef-
fieux qui excédaffent cinq pieds dix pouces de
longueur. Dés loix très-fages ont été promulguées
relativement à la confervation des routes. Celles de
1783 ont étendu celles de 1724. Une voiture à
deux roues ne peut être attelée de plus de trois
chevaux ; celles à quatre rques ne peuvent avoir
que quatre chevaux attelés en file ou fix attelés
en couple, & il leur eft défendu d’attacher aucun
animal propre au tirage derrière leur voiture
,au-delà du nombre fixé ci-deffus.
Les. voitures dont les jantes des roues auront
fix pouces de largeur à la femelle, peuvent atteler,
fi elles font à deux roues , quatre chevaux
&. huit fi elles font à quatre roues. Si l’un des ef-
fieux de ces dernières eft plus court que l'autre,
& de manière que les roues de devant ne paffent pas
dans les traces de celles de derrière , elles peuvent
atteler un nombre de chevaux indéterminé.
Oh a proferit, fous peine d'amende, les doux dé
bande taillés en pointe ; & pour affurer l'exécution
de ces utiles réglemens, les commis de barrière
s & en plufieurs lieux les cavaliers de rnaré-
chauffée, les courriers, les portillons ont été au-
torifés à faifirries.contrevenans, en drefïant procès
verbal de ladite faille; & afin que lesrouliers
faifis ne puiffent cacher leurs noms, il leur eft enjoint
d'avoir toujours, attachée au brancard de
leur voiture une plaque de métal, où foient gravés
ou peints leu« noms, furnoms & domiciles.
Ces précautions infiniment fages obvient à la promte
dégradation des routes, dont le commerce abufoit
trop réellement, en leur faifant porter dans une
S f f