
achats foit faite par leurs concitoyens : mais ceux-
ci ne feront invités à faire des amas que par l'ef-
perance du bénéfice.
Ce bénéfice dépend dés récoltes inégales , &
de la diminution de la maffe des grains dans une
certaine proportion avec le befoin.
D'un côté j il n'eft pas ordinaire que fept années
fe paffent fans éprouver des récoltes inégales : d'un
autre côté on voit fouvent plufieurs bonnes
moiffons fe fuccéder. Si les grains ne fortent jamais,
la diminution de la mafle des grains fera
infenfible ; il n'y aura point de profit a ies garder,
point de greniers établis, plus d’abondance j ou
bien il enréfultera un autre mauvais effet : fi les
grains font à vil prix, les plus précieux feront in- „
différemment deftinés à la nourriture des anintaux ,
qui pouvoient également être engraiffés avec d'autres
efpèces. Ces moindres efpèces étant ainfi avilies,
les terresmauvaifes ou médiocres qui les pro-
duifent feront abandonnées > voilà une partie confi-
dérable de la culture anéantie.
La diminution de la maffe des grains, après
une moiffon abondante, ne peut donc s'opérer
utilement que par les achats étrangers.
Il doit donc y avoir des permiflions d’exporter
les grains, pour parvenir à s'en procurer une quantité
fuffifante auxbefoins, & établir l’équilibre fur
les prix.
Une queftion fe préfente naturellement 3 c'eft
de déterminer la quantité qui doit fortir.'
Je répondrai que c'eft précifément celle qui
aflïïre un bénéfice à nos magafiniers de grains,
fans gêner la fubfiftance des ouvriers , des matelots
, & des foldats.
C'eft donc furie prix du pain ou des grains qu’il
convient de régler l'exportation, & ce prix doit
être proportionné aux facultés des pauvres.
Etabliffons des faits qui puiffent nous guider. Le
prix commun dufeptier de froment pefant 230 liv.
s'eft trouvé de 18 liv. i$f. 8 den. depuis 1706,
jufqu'en 1745 inclulîvement : mais depuis 1746,
il paraît que le prix commun a été de 19 à 26 liv.
fuppofons de 19 liv. iof.Tant que ce prix ne fera
point excédé, ni celui des autres grains en proportion,
il eft à croire que le pain fera à* bon
marché fur le pied des falaires actuels.
Deux tiers de la récolte font réputés fournir la
maffe de grains , néceffaire à la fubfiftance de la nation.
Mais il eft dans la nature des chofes, que les
prix augmentent au delà du prix commun de 19 liv.
1 o f. lorfqu'il ne fe trouve que cette quantité jufte.
Ceux qui font le commerce des grains, doivent,
fi on leur fuppofe la plus petite intelligence de
leur profeffion, amaffer dans leurs magafins, outre
ce qu'ils deftinent à leur débit journalier, une
quantité réfervée pour les cas fortuits, jufqu'à ce
que les apparences de la récolte fuivante les décident,
Le rifque d'une pareille, fpéculation eft
toujours médiocre 4 fi les grains ont été achetés à
bon compte. Dès que les apparences promettent
une augmentation de prix, le grain devient plus
rare dans les marchés, parce que plufieurs forment
à l'infçu tes uns des autres le même projet ;
& à toute extrémité chacun fe flate de ne pas vendre,
mêmé en attendant, au-deffous du prix ao-
tuel. Le prix des bleds doit donc augmenter au-
delà du prix commun, lorfque la quantité exiftante
fe trouve bornée dans l'opinion commune au néceffaire
exaél : ceux qui connoiïfent ce commerce
ne me dédiront pas.
Evaluons ces réferves de marchandifes à un 6e.
feulement, lorfque les fromensfontà leur prix corn-
mun de 19 liv. 10 f. le feptier & les autres grains
à proportion. De ce raifonnement on pourra inférer
qu’au prix de 16 1.ƒ f. le feptier de froment, &
en proportion celui des autres grains, il fe trouve
dans le royaume pour une demi-année de fubfif-
ftance au-delà de la quantité néceffaire, ou deux
fixièmes de bonne récolte. Ainfi, quand même la
récolte fuivante ne feroit qu'au tiers, on n'auroit
point de difette à éprouver. Le peuple alors fait
un plus grand ufage de châtaignes , de bled noir,
millet, pois, fèves, & c . ce qui diminue d'autant
la confommation des autres grains.
La multiplicité des greniers accroîtroit infiniment
ces réferves ; .& quand même il n'y en auroit
que le double de ceux qui exiftent aujourd'hui,
la reffource dureroit deux années : ce qui eft moralement
fuffifant pour la fureté de la fubfiftance
à un prix modéré.
Il paraîtrait donc que le prix de 1 6 1.5 f. lefetier
de froment, feroit le dernier terme auquel on
pourrait en permettre la fortie pour l'étranger.
Peut-être feroit-il convenable, pour favorifer un
peu les terres médiocres qui ont befoin d'un plus
grand encouragement, de ne pas fuivre exafèe-
ment la proportion fur lé méteil, le feigle & l'orge.
On pourroit fixer le prix de la fortie du méteil
au-deffous de 14 liv. y fols , celle du feigle au-
deffous de 13 livres, celle de l'orge au-deffous
de 10 liv. le feptier. Le prix commun du feptier
d'avoine , de quatre cents quatre-vingt liv. pefant
, s’étant trouvé pendant quarante ans de 12
livres environ, on en pourroit permettre l'ex-
traélion au-deffous du prix de 11 liv.
- Si nous fuppofons à préfent les greniers remplis
dans un temps d’abondance, lorfque le froment
feroit à 14 livres le feptier > le bénéfice
qu'on en pourroit elpérer, avant même que le
• prix annonçât la defenfe de l'exportation y feroit
de iyf. La fpéculation étant évidemment
avantageufe , les fpéculateurs ne manqueraient
point.
A ce même prix le laboureur qui n’eft pas en
état de garder, trouverait encore affez de profit
dans fa culture pour la continuer & l'augmenter
j car je fuppofe une année abondante où la
récolte des terres moyennes feroit de quatre pour
un par arpent- Le froment à ce prix y &: les menus
grains à proportion, là récolte de trois années
produirait, fuivant l'ancienne culture 88 liv.
la dépenfe va à 43 livres, ainfi relieraient pour
le fermage, le profit du cultivateur & les impôts,
43 liv. fans compter le profit des beftiaux 5
c'ell-à-dire que les impôts étant à 3 f. pour livre,
pour que l'arpent fut affermé 7 liv. 10 f. par an ,
il faudrait que le cultivateur fe contentât par an
de 36 f. de bénéfice & du profit des beftiaux.
Comme, d’un autre côté , il eft beaucoup de
terres capables de produire du frpment, qui exigeront
plus de 43 liv. de dépenfe par arpent en
trois années , & qui rapporteront moins de 88 1.
même dans les bonnes moiffons, il s'enfuit évidemment
qu’il eft à fouhaiter que jamais le froment
ne foit acheté au-deffous de 14 liv. le feptier
, lorfque l'impôt fur les terrés eft-4 3 fols
pour livre, & ainfi de fuite > fans quoi l'équilibre
de cette profeflion avec les autres fera anéanti,
beaucoup de terres relieront en friche, & beaucoup
d'hommes fans fubfiftance. La concurrence
intérieure & extérieure des acheteurs bien combinée
, eft feule capable de garantir les grains de
cet aviliffement, tandis qu'elle confervera aux
autres ouvriers l'efpérance de ne jamais payer le
froment, dans les temps de rareté , au-deffus de
2{ à 22 liv. le feptier : car à la demi-année de
fubfiftance d'avance que nous avons trouvée devoir
exifter dans le royaume quand le froment
eft à 16 liv. y f. le feptier, il faut ajouter l'ac-
croifferhent naturel des récoltes, lorsqu'une fois
le laboureur fera affuré d'y trouver du bénéfice.
Auffi je me perfuade que fi jamais on avoit fait
pendant fept à huit ans l'expérience beureufe de
cette méthode, il feroit indifpenfabie, pour achever
d’établir la proportion entre tous les falaires,
d’étendre la permifîion des exportations jufqu'au
prix de 18 & même 191. Egalement fi la France,
fait .un commerce annuel de deux cents millions,
& qu'elle en gagne vingt-cinq par la balance , il
eft clair que dans quarante ans il faudrait, indépendamment
des reduélions d’intérêt de l'argent,
étendre encore de quelque-chofe la permiflion
d'exporter les grains , ou bien la claffe du laboureur
feroit moins heureufe que les autres.
Au prix que nous venons de propofer , l'état
n'auroit pas befoin de donner des gratifications
pour l'exportation , puifq-ue leur objet principal
ell de mettre les négocions en état de vendre en
Concurrence dans les marchés étrangers ; mais il
feroit très-convenable de reflreindre la faculté de
l'exportation des grains aux feuls vaiffeaux fran-
ço is , & conûruits en France. Ces prix font fi
bas , que la cherté de notre fret ne nuirait point
à l'exportation 3 & pour diminuer le prix du fret,
ce qui eft effentiel, les feuls moyens font l'ac
croisement de la navigation & la diminution de
l’intérêt de l'argent.
On objectera peut-être â ma dernière propofi-
tion que, dans le cas où les capitaux feraient ra~
res dans îe commerce, ce feroit priver le cultivateur
de fa reffource.
Mais les capitaux ne peuvent déformais être
rares dans le commerce , qu'à raifon d'un difcrédit
public. C e difcrédit feroit occafionne par quelque
vice intérieur : c'eft où il faudrait néceflaire-
ment remonter. Dans ces circonftances funeftes ,
la plus grande partie du peuple manque d'occupation
y il convient donc, pour conferver fa population
, que la denrée de première nécellité
foit à très-vil prix ; il eft dans l'ordre de la jullice
qu’ un défaftre public foit fupporté par tous. D ’ailleurs
fi les uns refiferrent leur argent, d’autres ref-
ferrent également leurs denrées : des exportations
confidérables réduiraient le peuple aux deux plus
terribles extrémités à la fo is , la cefiation du travail
& la cherté de la fubfiftance.
La réduction des prix de nos ports & de nos
frontières fur les prix propofés, relativement aux
poids & mefures de chaque lieu, eft une opération
très-facile, & encore plus avantageufe à l’état
, par deux raifons.
i° . Afin d’égaler la condition de toutes les provinces
, ce qui eft jufte.
20. Afin d’éviter l’arbitraire prefqu'inévitable
autrement. Dès ce moment, l'égalité de condition
cefferoit entre les provinces 5 on perdrait
tout le fruit de la police , foit intérieure, foit extérieure
, qui ne peuvent jamais fe foutenir l’une
fans l'autre.
A l'égard des grains venant de l ’étranger, c'eft:
une bonne police d'en prohiber l'importation pour
favorifer fes terres : la prohibition peut toujours
être levée, quand la néceffité l'ordonne. Nous
n'avons point à craindre que les étrangers nous
en refufent ; & fi , par un événement extraordinaire
au-deffus de toutes les loix humaines, l'é tat
fe trouvoit dans la difette, il peut fe repofer
de fa fubfiftance fur l'appas du gain & la concurrence
de fes négocians. La circonftance feule
d'une guerre, & d'une guerre malheureufe par
mer, peut exiger que le gouvernement fe charge
en partie de ce foin.
Il ne feroit pas convenable cependant de priver
l'état du commerce des grains étrangers, s'il
préfente quelque profit à fes navigateurs. Les
ports francs font deftinés à faire au-dehors toute!
les fpéculations illicites au-dedans. Avec une
attention médiocre il eft très-facile d'arrêter dans
leur enceinte toutes les denrées , qu'il feroit dangereux
de communiquer au refte du peuple * fur-
tout lorfqu'elles font d'un volume auffi cônfidé-
rable que les grains. Il fuffit de le vouloir, & d e
perfuader à ceux qui font chargés d'y veiller ,
qu'ils font réellement payés pour cela.
Ainfi , en tout temps , on pourroit en fureté
laiffer les négocians de Dunkerque , de Bayonne
& de Marfeilîe entretenir des greniers de grains
du Nord , de Sicile ou d'Afrique, pour les réexporter
en Italie , en Efpagne., en Portugal, en