
Il eft à meilleur marché depuis le commencement
de février jufqu'à la fin de mai, que durant le
refte de Tannée où la rade fe trouve remplie de
vaîfTeaux étrangers. Cependant, dans les temps
les plus favorables, il n'y a que dix-huit pour cent
à gagner, gain infuffifant pour tenter perfonne.
Les employés de la compagnie de France font les
feuls qui n'aient pas fouffeit de la ceflation de ce
commerce, qui leur fut toujours défendu. Les directeurs
fe réfervoient exclufivement cette fource
de fortune. Plufieurs y puifoient ; mais Caltanier
feul fe conduifoit en grand négociant : il expédioit
des marchandifes pour le Mexique. Les piaftres qui
provenoient de leur vente, étoient portées à Acapulco
, d'où elles paffoient aux Philippines, 8c
de-là à la Chine où on les convertifloit en or. Cet
habile homme , par une circulation fi lumineufe ,
ouvrait une carrière dans laquelle il eft bien étonnant
que perfonne n'ait marché après lui.
' 2°. Quels font les peuples de C Europe qui ont
formé des liafons avec la Chine ? A quelle fomme
s'élèvent leurs achats ? Toutes les nations européennes
qui paffent le Cap de Bonne-Ef^érance, vont
a la Chine. Les portugais y abordèrent les premiers.
On leur céda, avec un efpace d'environ
trois milles de circonférence Macao, ville bâtie
dans un terrein ftérile & inégal, fur la pointe
d'une petite ifle fituée à l'embouchure de la rivière
de Canton, Ils obtinrent la difpoiïtion de la
rade trop refferrée, mais fûre & commode, en s'af-
fujettifiant à payer à l'empire tous les droits d entrée
; & ils achetèrent la liberté d'élever des fortifications
, en s'engageant à un tribut annuel de
37,500 liv. Tout le temps que la cour de Lisbonne
donna des loix aux mers des Indes, cette,place
fut un entrepôt important. Sa profperite diminua
dans les mêmes proportions que la puiffance qui
en difpofoit. Infenfiblement elle s'eft anéantie. A
peine fe fouviendroit-on de ce lieu autrefois renommé
, fi, pendant une partie de l'année, il ne
fervoit d'afyle aux fa&eurs européens , qui, après
le départ de leurs navires, font obligés de quitter
Canton, où ils ne peuvent rentrer qu'à leur arrivée.
Cependant ces foibles reftes d'une colonie
autrefois fi floriffante, jouirent d'une efpèce d'indépendance
jufqu'en 1744. . . ,
A cette époque , Taffaffinat d un chinois détermina
le viceroi de la province à demander à fa
cour un magiftrat pour inftruire les barbares^ de
Macao : ce furent les propres termes de la requête.
On envoya un mandarin qui prit poflefiiop de la
place au nom de fon maître. Il dédaigna d'habiter
parmi des étrangers, pour lefquels on a un fi grand
mépris, 8c il fixa fa demeure à une lieue de la
V* Les hollandois furent encore plus maltraités, il
y a près d'un fiècle. Ces républicains qui, malgré
l'afcendant qu'ils avoient pris dans les mers d'A-
fie, s'étoient vus exclus de la Chine par les intrigues
des portugais, parvinrent enfin a s’en ouvrir |
les ports-. Mécontens de Texiftence précaire qu'ils
y avoient , ils tentèrent d’élever un fort auprès
de Hoang-pou, fous prétexte d'y bâtir un maga-
fin. Leur projet étoit, dit - oh , de fe rendre
maîtres du cours du Tygre, & de faire également
la loi aux chinois 8c aux étrangers qui voudroient
négocier à'Canton. On démêla leurs vues, plutôt
qu'il ne convenoit à leurs intérêts. Ils furent maf-
facrés , & leur nation n'ofa de long - temps fe
montrer fur les côtes de l'empire. Elle y reparut
vers Tan 1730. Les premiers vaifleaux qui y abordèrent
étoient partis de Java 5 ils portoient différentes
productions de l'Inde en général, -de leurs
colonies en particulier , & les échangeoient contre
celles du pays. Ceux qui les conduifoient ,
uniquement occupés du foin de plaire au confeil
de Batavia, de qui ils recevoient immédiatement
leurs ordres, 8c dont ils attendoient leur avancement
, ne fongeoient qu’à fe défaire avantageufe-
ment des marchandifes qui leur étoient confiées ,
fans s'attacher à la qualité de celles qu'ils recevoient.
La compagnie ne tarda pas à s'apperce-
voir que., de cette manière , elle ne foutiendroit
jamais dans fes ventes la concurrence des nations
rivales. Cette confidération. la détermina à faire
partir directement d'Europe, des navires avec de
l'argent. Ils touchent à Batavia, où ils fe chargent
des denrées du pays propres pour la Chine ,
8c reviennent directement dans nos parages avec
des cargaifons beaucoup mieux compofées qu'elles
nrétoient autrefois ; mais non pas aufli - bien que
celles des anglois.
De tous les peuples qui ont formé des liaifons
avec les chinois, cette nation eft celle qui en a eu
de plus fuivies. Elle avoit une loge dans l’ifle de
Chufan, du temps que les affaires fe traitoient
principalement à Emouy. Lorfqu'elles eurent été
concentrées dans Canton, fon activité fut toujours
la même. L'obligation impofée à fa compagnie d'exporter
des étoffes de laine , détermina ce corps à
y entretenir afîez conftamment des fadeurs chargés
de les vendre. Cetje pratique, jointe au goût
qu'on prit dans les pofleflions britanniques pour
le thé, fit tomber dan^ fes mains, au commencement
du lïecle , prefque tout le commerce de la
Chine avec l'Europe. Les droits énormes que mit
le parlement fur cette confommation étrangère ^
ouvrirent les yeux des autres nations, de la France
en particulier.
Cette monarchie avoit formé en 1660 une compagnie
particulière pour ces parages. Un riche négociant
de Rouen, nommé Fermanel, étoit à la
tête de Tentreprife. Elle fut commencée avec des
fonds infuffifans, 8c eut une ifiue malheureufe.
L'éloignement qu'on avoit naturellement pour un
empire, qui ne voyoit dans les étrangers que des
hommes propres à corrompre fes moeurs, à entreprendre
fur fa liberté , fut confidérablement
augmenté par les pertes qu'on avoit faites. Inutilement
les difpofitions de ce peuple changèrent
vers Tan 1685, 8c avec elles la manière dont nous
étions traités. Les françois ne fréquentèrent que
rarement fes ports. La nouvelle fociété qu'on forma
en 1698 ne mit pas plus d'adivité dans fes
expéditions que la première. Ce commerce n'a
pris de la confiftance que lorfqu'il a été réuni à
celui des Indes.
Les danois 8c les fuédois ont commencé à fréquenter
les ports de la Chine à-peu-près dans le
même temps, 8c s'y font gouvernés fuivant les
mêmes principes. Il eft vraifemblable que la compagnie
d'Embden les auroit adoptés, fi elle eût
eu le temps de prendre quelque confiftance.
Les achats que les européens font annuellement
à la Chine , peuvent s'apprécier par ceux
de 1766, qui s'élevèrent à 26, 754, 494 livres.
Cette fomme, dont le thé feul abforba plus des
quatre cinquièmes, fut payée en piaftres ou en
marchandifes apportées par vingt-trois vaifîeaux.
La Suède fournit 1,935,168 liv. en argent; &
en étain , en plomb , en autres marchandifes
427,500 liv. Le Dannemarck, 2,161,630 livres ,
& en fer, plomb 8e pierres à fufil 231,000 liv.
La France, 4,000,000 liv. en argent, 8c 400,0001.
en draperies. La Hollande , 2,73 5,400 liv. en argent
, 44,600 liv. en lainages, 8c 4,000,15© liv.
en productions de fes colonies. La Grande-Bretagne,
5,443,566 liv. en argent, 2,000,475 livres
en étoffes de laine , 8c 3,375,000 liv. en plufieurs
objets tirés de diverfes parties de l'Inde. Toutes ces
fommes réunies formèrent un total de 26,754,4941.
Nous ne fâifons pas entrer dans ce calcul dix millions
en argent que les anglois portèrent de plus
que nous n'avons dit, parce qu'ils étoient defti-
nés à payer les dettes que cette nation avoit con-
tradées, ou à former un fonds d'avance pour négocier
dans l’intervalle des voyages. .
30. Que deviendra le commerce de l'Europe avec
la Chine ? Il n'eft pas aifé de prévoir ce que deviendra
ce commerce. Quelque paflion qu'ait la
Chine pour l'argent, elle paroît plus portée à fermer
fes ports aux européens, que difpofée à leur
faciliter les moyens d'étendre leurs opérations. A
mefure que Tefprit tartare s'eft affoibli, que les
çonquérans fe font nourris des maximes du peuple
vaincu, ils ont adopté fes idées , fon averfîon ,
fon mépris en particulier pour les étrangers. Ces
difpofitions fe font manifeftées par des gênes humiliantes
, qui ont fucceflivement remplacé les
égards qu'on avoit pour eux. De cette fituation
équivoque à une expulfion entière, il n'y a pas
bien loin. Elle pourrait être d'autant plus prochaine
, qu'il y a une nation adive qui s'occupe
peut-être en fecret des moyens de Teffeduer.
Les hollandois voient, comme tout le monde,
que l'Europe a pris un goût vif pour plufieurs proj
dudions chinoifes. Ils doivent penfer que l'impof-
fibilité de les tirer diredement du lieu de leur
origine n'en anéantiroit pas La confommation. Si
nous étions tous exclus de l'empire, fes fujets exporteraient
eux-mêmes leurs marchandifes. Comme
Timperfedion de leur marine ne leur permet
pas 4 e pouffer loin leur navigation, ils ne pourraient
les dépofer qu'à Batavia ou à Malaca. Dès-
lors la nation à laquelle ces colonies appartiennent
, verrait tomber ce commerce entier dans fes
mains. J'ai de la peine à foupçoflner ces républicains
d'une politique fi balfe ; mais perfonne n'i-
^nore que de moindres intérêts les ont déterminés
a des adions plus odieufes.
Si les ports de la Chine étoient une fois fermés ,
il eft vraifemblable qu'ils le feraient pour toujours.
L’obftination de cette nation ne lui permettroit jamais
de revenir fur fes pas, 8c nous ne voyons
point que la force pût l'y contraindre. Quels
moyens pourroit-on employer contre un état dont
la nature nous a féparés par un efpace de cinq ou
fix mille lieues ? 11 n'eft point de gouvernement
affez dépourvu de lumières, pour imaginer que des
équipages fatigués ofaffent tenter des conquêtes
dans un pays défendu par un peuple innombrable,
quelque lâche qu'on fuppofe une nation avec laquelle
les européens ne fe font pas encore mefu-
rés. Les coups qu'on lui porterait fe réduiraient
à intercepter fa navigation dont elle s’occupe peu,
8c qui n'intéreffe ni fes commodités, ni fa fub-
fîftance.
Cette vengeance inutile n'auroit même qu'un
temps fort borné. Les vaifleaux, deftinés à cette
croifière de piraterie , feraient écartés de ces parages
une partie de Tannée par les mouflons, 8c
l'autre par les tempêtes, nommées typhons , qui
font particulières aux mers de la Chine.
Nous examinerons à l'article I n d e trois quefi*
tions importantes. Doit-on continuer le commerce
des Indes ? Les grands établiffemens font-ils né-
ceffaires pour le faire avec fuccès ? 8c faut - il le
biffer dans les mains des compagnies exclufives ?
Voye% Tarticie I n d e .
CHOU-KING, livre facré des chinois : cet
ouvrage renferme les fondemens de l'ancienne histoire
des chinois , les principes de leur morale &
de leur gouvernement j mais on a déjà traité cette
matière avec beaucoup d'étendue dans d'article précédent
, 8c nous y renvoyons les leCteurs.
CHRÉTIENNE. ( république ) Nous parlerons
ici du fyftême de la république chrétienne ,
imaginé 8c foutenu par Léibnitz dans fon traité
de Jure fuprematûs ac legationis principum Germa-
nU (1 ).
Léibnitz foutenoit que les divers états chrétiens
, du moins ceux d'occident, ne forment qu'un
( 1 ) Cet ouvrage que [Léibnitz compofa à l’âge de trente ans , parut fous le faux nom latin de Çefarinus
Farjtenerius, ,