
de lu i, & qu'il a fucceffivement ravagé : cependant
ce même peuple , oui a peu ou point
é c r it, contraignit l'hiftoire de fe renfermer dans
les probabilités j mais elles font telles qu'en les
comparant avec les .annales de tous les peuples ,
on eft forcé de convenir que les Tartares ontpar-
devers eux les titres d'ancienneté les mieux conf-
tatés.
Il feroit difficile de démêler rien de fixe & de
parfaitement avéré dans les annales des tartares
avant Gengiskan 5 mais on fait, que ce prince ,
élu grand kan par les kans des différentes tribus,
ne fut çhoifi pour être le roi des rois que parce
qu'il étoit le plus puiffant d'entr'eux. On fait également
qu'à cette époque Gengiskan conçut &
exécuta les projets d'envahiifement, qui lui ont
formé Je plus vafte Empire dont l'hiftoire faffe
mention. Les émigrations qui ont fuivi ce conquérant,
& qui ont couvert les pays conquis prouvent
encore le degré de population néceffaire à
ces débordemens , & tous ces motifs réunis rejettent
l'origine de cette famille dans l’obfcurité des
temps les plus reculés.
Une chaîne non interrompue a amené jufqu'à
nos jours cette dynaftie des princes Gingifiens, ainfi
<pue le gouvernement féodal auquel les tartares
etoient encore fournis , au moment de la dernière
révolution. On retrouve chez eux les. premières
loix qui nous ont gouvernés, les mêmes préjugés
qui nous maîtrifent ; & fi l'on réunit ces rapports
avec les émigrations de ces anciens peuples vers
le nord, & celles des peuples dtinord vers nous,
on s'accordera peut-être pour reconnoître la fource
de nos ufages les plus antiques.
Après la famille fouveraine , on comptoit celles j
de Chirine, de Manfour, deSedjoud , d'Arguin
& de Baroun. La famille de Gengiskan fournif-
foit les feigneurs fuzerains , & les cinq autres familles
fourniffoient les cinq grands vaffaux' de cet
Empire. Ceux - c i , qu'on nomme beys , étoient
toujours repréfentés p ar les plus âgés de chaque
famille , & cet ordre étoit invariable. Ces anciens
Mirzas, dont les annales placent la tige dans les
compagnons de Gengiskan , formoient la haute
nobleffe dans l'ordre où ils font nommés : ils ne
pouvoient jamais être confondus avec les familles
ennoblies. Celles-ci, réunies, fous la dénomination
de Miiza-Capikouly, c'eft-à-dire, Mirzaefclave
du prince, avoient cependant un bey qui les re-
prefentoit, & le droit de grande vaffalité, celui
de fiéger aux états. Parmi les Mirza-Capikouly ,
la famille de Kondalak, diftinguée par l'antiquité
de fon ennobliffement, jouiffoit du droit de fournir
, dans le plus âgé de fes membres, le repré-
fentant de toutes les familles ennoblies-; & ces fix
b eys, réunis au fuzerain, formoient le fénat, la
cour-ilté, la toute-puiffànce des tartares.
On ne convoquoit ces aflemblées que dans les
cas ^extraordinaires ; mais pour .que le kan ,. quU
avoit le droit de réunir les grands valfaux , ne pût |
I abufer de leur éloignement pour étendre fbn aw-
torite au-delà des bornes de la féodalité, le bey
des Chirines repréfentoit conftam’ment les cinq
autres b eys } & ce chef de la nobleffe tartare
avoit, ainfi que le fouverain , fon calga, fon
nouradin, fes miniftres & le droit de convoquer
les beys, fi leur réunion négligée par le kan deve-r
noit utile contre lui-même: La charge de calga des
Chirines étoit toujours occupée par le plus âgé
de la famille après le bey : ce chef avoit donc conf-
tamment fon lucceffeur auprès de lui, & ce contrepoids
de la puiffance fouveraine étoit toujours en
activité.
Le même ordre, qui réuniffoit toutes les forces
contre les attentats du defpotifme, veilloit également
à la sûreté & au maintien du pouvoir légitime
du fouverain. Les grands vaffaux tartares fem-'
blcient en effet n'appartenir au gouvernement que
. comme des colonnes à Un édifice ; ils le foute-
noient fans pouvoir l'ébranler. On n'a jamais vu
chez ce peuple aucun exemple de ces troubles qui
ont à^ite la France dans tous les temps de fa féodalité.
Le gouvernement tartare, encore dans fa
pureté, ne laiffoit aucune marge à l'ambition.
Il eft probable que le même ordre étoit anciennement
établi dans la famille fouveraine, & que
le kam des tartares étoit conftamment le plus âgé
des membres de cette famille ; mais quelque fût
lordre de fucceffion avant l'arrivée des génois en
Crimee ,- on apperçoit diftinétement à cette époque
la tyrannie protégeant les intrigues , trois
kams élus à la fois , & Mingli-Gueray,, dont les
droits étoient les plus certains, prifonnier dans
Mancoup.
Mahomet II venoit de confbmmer la conquête
de Conftantinople ; il en avoit expulfé les génois,.
Ü .cou.rut ^es chaffer de la Crimée , & délivra
MinglLGueray de leurs mains mais il ne le rétablit
fur le trône , qu'après avoir fait avec ce prince
un traité qui foumettoit à la Porte fa nomination
& celle d efes fucceffeurs. Une grande partie de
pJJ Romélie fut donnée en appanage au prince
Gingizien ; de riches' poffeffions devinrent le dédommagement
de la liberté des fultans tartares,
& le garant de leur-foumiffion ; & chacun des
princes de la famille régnante eut Pefpoir de parvenir
au trône par fes intrigues à Conftantinople..
Malgré les précautions que prit Mahomet I I ,.
vainqueur des génois en Tartarie , pour afsûrer
l'exécution de fon traité avec Mingli-Gueray, il
eft certain que les parties contrariantes ne pouvoient
réellement ftipuler qu'en vertu de leurs
droits refpeétifs : que ceux de la république des
tartares ne purent être compromis , que la dé-
pofition du fuzerain attribuée au grand-feigneur
ne portoit aucune atteinte légitime à l'indépendance
de la nation. Le droit public des tartares a
donc été négligé ou méconnu, quand on a prononcé
l'independance de cette nation. Déclarer
libre une nation qui n'a jamais ceffé de l'être , eft
le premier aéte de fon affujettiffement.
Genes qui domina long-temps par fon induftrie,
avoit étendu fon commerce & fes conquêtes juf-
ques dans la Cherfonefe-Taurique , où les def-
cendans du fameux Gengiskam furent contraints,
jufqu'à Mahomet fécond, de céder à l'oppreffion
de ces négocians.
On voit encore en Crimée les débris des chaînes
qui contenoient les tartares & les affujettiffoient
aux génois. Ces monumens de la tyrannie attef-
tent également la crainte & l'inquiétude qui tour- .
mentoient les tyrans. C e n'eft que fur les rochers,
les plus efcarpés que l'on retrouve lès traces de
leurs anciennes habitations. Le rocher même qui
fervoit de bafe à des châteaux-forts, eft creufé tout
autour, & repréfente encore le plan de leurs demeures.
On y voit des écuries, dont les mangeoires
font taillées dans le roc. La plupart de ces
excavations fe communiquent entre elles, & quelques
unes joignent la ville fupérieure par des fou-
terreins, dont les avenues font encore libres. J'ai
trouvé , dit M. le baron d e T o t t , ( dont nous
» emprunterons ici les remarques , ) dans Je
» centre d'unefalleaffez grande, un baffin quarré,
'» de dix pieds de diamètre fur fept de profon-
» deur, remplis d'offemens humains. Je ne ha-
»3- farderai aucune conjecture fur cette circonf-
» tance, & je me borne à rapporter le fait qu'on
» peut encore obferver, puifque ces ruines ne
» font qu'à z lieues de Baétchéferay ». On voit
en Çrimée plufieiirs de ces retraites ménagées dans
le roc, & toujours fur des montagnes d'un accès
difficile ; & l'on peut préfumer qu'elles fervoient
d'afyle aux troupeaux que les génois faifoient paître
dans les plaines pendant le jour, & qu'ils ren-
fermoient ainfi pendant la nuit.
Il eft probable que la ville de Cafa , qui eft aujourd'hui
le centre du commerce de la Crimée,
étoit également celui où fe réuniffoit le commerce
des génois : mais en confidérânt la beauté du port
de Baluklava & quelques ruines d'anciens édifices
qu'on y apperçoit, on eft porté à penfer qu'ils
n’avoient pas négligé d'en faire ufage. C e port eft
fitué fur la pointe la plus méridionale de la Crimée 5
les deux capis qui en forment l'entrée, font la
première terre qui fe préfente au nord-eft du bof-
phore de Thrace. A la proximité de ce port, à
fon étendue, à fa sûreté fe joint le voifinage des
forêts qui pouvoient fournir les bois de conftruc-
tion ; entièrement abandonné aujourd'hui, le port
de Baluklava ne conferve que des veftiges de fon
ancienne importance.
La Crimée en offre peu d'ailleurs qui foient dignes
d'être citées, on doit cependant compter
Geuzlevé, à caiife de fon port fur la côte occidentale
de la prefqu'ifle , & Acmedchid qui étoit
la réfidence du Calga-fultan.
la dernière guerre de la Ruffie contre la Porte. O n
fait que Catherine II l'a terminée d'une manière
très-glorieufe, & qu'elle a diété les conditions de
la paix. Voulant affoiblir & humilier la Porte de
toutes les manières, elle a fait déclarer la Crimée
indépendante, par le traité de Kainardgi.
Le kam de Crimée avoit été jufqu’alors vaffal
du grand-feigneur, qui le dépofoit à fa volonté ,
obfervant en même temps de ne le jamais faire
mourir.
La Crimée ne devint pas indépendante ; elle fut
à peu près foumife à la Ruffie, par la reconnoif-
fance du kam, qui lui devoit fon élévation; &
par fon intérêt qui ne lui en montroit la fiabilité
que dans la protection qui la lui avoit donnée:
elle fut bientôt en proie aux divifions. Le mépris
& la haine que la religion des tartares leur inf-
pire contre toutes les nations qu'elle réprouve -,
fe fortifièrent encore par le ton de. fupériorité
qu'affeCtoîent leurs protecteurs, qui les accusèrent
L'hiftoire de la Crimée, depuis l'expulfion des
génois, n'offre rien de propre à cet article jufqu à \
alors de ne favoir ni goûter ni chérir une indépendance
qui n'etôit pour eux qu'un vain nom.
Leur fouverain , qui tenta de les ramener à d'autres
fentimens, leur parut donner une préférence
odieufe à des étrangers, & ils le confondirent
dans leur haine. Des partis fe formèrent, l'ambition
leur donna des cnefs , il s'en trouva dans la
famille même de Sahim-Gheray. La Ruffie, qu’une
révolution eût privé de fon influence fur le pays
qui fervoit de barrière à fes ennemis naturels, in-
téreffée à s'affurer cette barrière à elle-même,
s'empreffa d'intervenir dans ces troubles, & de
foutenir le prince qui étoit fon ouvrage.
La Porte, après avoir rappellé en vain PaCte
d'indépendance par lequel les tartares dévoient
être livrés à eux-mêmes, fans que leurs voifins fe
mêlaffent de leurs affaires intérieures, finit de fora
côté par foutenir le parti oppofé. Les ménagemens
qu'elle crut devoir mettre dans fa conduite, l'empêchèrent
de la rendre efficace 5 celle de la Ruffie
le fu t, & Sahim-Gheray fut rétabli. L'amour ©11
le befoin de la paix fit fermer les yeux au divan
fur toutes les humiliations. Il reconnut le kam j
mais il ne pouvoit voir fans jaloufie les efforts
qu'avoit fait fa rivale, le fuccès qui les avoit fin-
v is, & fur-tout les forces qu'elle vouloit confer-
ver dans cette péninfule, fous le prétexte d'y
maintenir le calme , & de prévenir de nouvelles
révoltes.
Cette circonfpeCtion devant une cour qui ag-îP
foit ouvertement, annonçoit de la foiblefle,, 8c
difpofoit à ofer davantage. De-là la demande d 'O c -
zakow faite d'abord au nom du kan, comme d'une
place qui avoir autrefois dépendu de la Crimée ,
& enfuite la hauteur avec la quelle la Ruffie rn-
fifta fur le paflage de fes vaiffeaux, de la Mer-
noire dans l'Archipel.
La eondefcendance du grand-féigneur augmentai
l'ambition de la Ruffie. Cette puiffance négocia
auprès du kan des tartares qui ^ fur la fin de