n é , & qu’il faudroit augmenter le prix de leur I
lo y e r, au point que le loueur, pût efpérer de le
payer à la fois du prix de leur achat & de celui
des journées quelles ferviroient, fur le feul loyer
affeébé à ces journées ; ce qui eft impoflible, ou
deviendrait ruineux pour l'état : c’ eft d’ailleurs
une mife chère que l’achat d’une voiture & de
fon attelage ; & , dans les pays de petite culture,
la plupart des cultivateurs font hors d’ état de faire
de telles avances. Comment enfin , en fuppofant
qu’ils puifent & vouluifent faire ces frais, nourri-
roient-ils ces attelages furabondans ? Dans beaucoup
de pays 3 le produit des pâturages eft fenfî-
blement en équiübre avec la confommation : ce
cas arriverait fur-tout dans ceux ou 1 on ouvrirait
de nouvelles routes, & qui feraient d ailleurs dépourvus
de canaux ou de rivières navigables. Si
vous forcez celle-ci.fubitement 3 fans avoir da-
vance augmenté les autres , les prix hauflent a
l’excès 3 ou vous manquez abfolument de nourriture,
nouvelle fource de renchériflement, qui
reflue fur lé prix du travail des chemins, ou im-
poffibilité de trouver à prix d’argent la quantité
de voitures néceffaires : elles ont toujours manque
dans les atteliers de quelqu'importance , & partout
on s'eft vu réduit à la néceffité de taxer celles
des campagnes, & de les commander pour
venir au fecours du nombre toujours infuffifantdes
voitures libres., - ,
Si les troupes travaillent deux mois de fuite dans
les deux faifons favorables, le printemps & 1 au
tomne,.les voitures manqueraient d’autant plus
vite & d’autant plus infailliblement, qu’ alors les
travaux de la campagne, dans la plupart des pays,
les occuperaient toutes, quelques bénéfices qu’ on
offrit aux cultivateurs ; parce qu'on ne peut leur
en donner d'affez forts pour compenfer les rifques
qu'ils auraient à courir de ne pas enfemencer ou de
ne pas recueillir.-Les troupes ne peuvent donc
fervir aux tranfports éloignes des matériaux , & ,
fans ces tranfports & ces matériaux, point de
chemins.
Les officiers de ces troupes fe tiendront-ils ou
ne fe tiendront-ils pas fur les atteliers ? S'ils font
à s'amufer dans les châteaux voifins , comme le
propofe trop férieufement un auteur dont il faut
plus confidérer le zèle que les lumières , pourra-
t-on compter fur la bonne difcipline du foldat ?
S'il en manque , quel pillage n'en réfultera-t-il
pas ? quelles Æfputes ! quelles violences de toute
efpèce! On me dira q ue , dans les travaux faits
par les troupes, on n'a pas toujours à fe plaindre
de ces défordres : en voici la raifon, qui ne détruit
point le fondement de nos craintes. Elles ne
font généralement employées que dans les ports
ou aux travaux des fortifications, ou aux grandes
conftruftions des ponts : dans les deux premiers
genres d'ouvrages, le foldat eft fous les veux d'officiers
ou d'ingénieurs militaires, qu'il eft dès-
long? temps inftruit à refpeéter, & qui favent le
contenir : il eft dans fa garnifon * rentre chaque
foir dans fon quartier, & ne peut en aucune manière
échapper à la vigilance de fes fupérieurs ,
ni aux punitions qu'ils infligent : dans la troifieme
efpèce a'ouvrage, fur les plaintes des ingénieurs
des ponts & chauffées, il eft puni par fes officiers
qui ne font jamais éloignés : un autre frein
les contient encore : l'ingénieur mécontent le renvoie
du travail,. efpèce de châtiment auffi fenfi-
ble que les autres punitions, parce que chaque
régiment ne fournifiant qu’un certain nombre d'ouvriers
, & ces ouvriers étant bien payés, c'eft
en effet punir le foldat renvoyé que de le priver
du gain qu'il trouve à faire > & remarquez que le
travail n'y perd rien, puifqu'on peut faire remplacer
fur le champ le pareffeux ou l'ivrogne, ou
le tapageur qu'on a chaffé.
Dans le travail des chemins s rien ne peut fe
rapporter à ces différens cas. Loin des yeux de fes
officiers, fous ceux des ingénieurs des ponts &
chauffées qui n'ont pas le droit de lui en impofer
autant, ne pouvant être puni par la privation du
travail, fans que cette punition retombe fur le
travail même auquel elle nuit & qu'elle retarde ,
on doit voir qu'il feroit d'un extrême difficulté d'en
obtenir de bons fervices.
Propofera-t-on de faire furveiller les troupes
par leurs officiers ? Ce feroit peut-être une de ces
chofes que l'autorité ne doit jamais tenter,. parce
que l'autorité feroit compromife en y échouant ,
& trop malheureufe fi elle réuffiffoit. Je voudrois
que chaque officier fut affez inftruit & affez citoyen
pour croire fermement qu'il fert la patrie
en faifant travailler un courvoyeur, comme il la
fert en montant. fa garde > mais qui ne fait que
nos moeurs & nos opinions répugnent à un pareil
emploi de fon temps ? Qui ne fait qu'un officier
qui prodigue fa vie pour acquérir quelques^ diftinc-
1 tions, quelques marques d'honneur , qui, pour
I le bonheur de l'état, n'a que cette heureufe chimère
en tête, & - veut bien la regarder comme
' le digne prix de fes travaux 5 qui ne fait, dis-je ,
qu'il fe croiroit avili, fi on le forçoit de defcen-
dre du rang qu'il occupe, au metier, plus utile
que noble , de piqueur ? Il fe regarderoit du même
oeil dont il voit les cornes de la chaîne, &
quitteroit, par honneur & fans regret, un fervice
qui l'expoferoit à de femblables fervitudes > fi le
befoin l'y enchaînoit, qu'oferoit efpérer la patrie
d'un être qui, fe croyant dégradé , pourroit en
fupporter l'opprobre ? & où pourroit-elle retrouver
fes d'Affas ? .
Dans tous les travaux où les foldats font' employés
en temps de paix , ce ne font point des officiers
qui font chargés de furveiller l'emploi de
leurs bras 5 ce foin regarde les entrepreneurs ou
leurs prépofés. Mais, me direz-vous, ils dirigent
ils conduifent leurs foldats, dès qu'il s'agit d'ouvrir
une tranchée ou d'élever des retranchements : jp
l'avoue, mais ici tous les rapports changent y *1
s'agit de la défenfe de tous & d'un chacun , & le
travail eft ennobli par fa caufe. Je ne ferai pas à
mes le&eurs l'injure d'appuyer fur ce raifonne-
ment j ils fentent aufli-bien que moi combien il eft
raifonnablement impoflible d'établir entre ces deux
genres d'ouvrages, aucune parité.
On abufe de bien peu d'érudition, quand on
ne çeffe de nous renvoyer aux troupes romaines,
& aux travaux qu'elles ont exécutes. Les foldats
romains ont, il eft vrai, travaillé aux chemins ,
mais eft-ce dans l'Italie ? Eft-ce à leurs bras qu'on
dut les voies Appienne, Aurélienne & Flarni-
nienne ? Non. Ces chemins furent faits à prix
d'argent, par des ouvriers volontaires.
Dans les pays de conquête, Rome adopta un
autre fyftême. Pour achever de foumettre les
vaincus, elle fentit que les chemins étoient néceffaires
: ce font des chaînes qu'on étend fur tout
un pays, & dont on enveloppe fes habitans. Les
foldats, pour conferver les pays qu'ils avoient
conquis, trayailloient aux chemins, comme les
nôtres travaillentent à des retranchemens, mais
fur-tout ils y faifoient travailler “les vaincus : ce
fut même avec tant de hauteur & de dureté qu'ils
conduisirent ces travaux , que leurs vexations oc-
cafionnèrent un grand nombre de revojtes. Lorf-
qu’on crut devoir y employer les légionnaires ,
afin de contenir ce corps pendant la paix, ils fe
crurent avilis & fe fouleverent. O âa ve Augufte,
le lâche Oétave qui les craignoit, fut le premier
qui les condamna aux travaux publics j mais une
preuve évidente qu'ils n'y étoient principalement
employés que pour diriger l'ouvrage & faire trembler
la multitude qu'on appelloit à ce travail ,
c'eft que ce même Augufte n'entretenoit dàns la
Gaule, beaucoup plus vafte que la France actuelle
, que huit légions ou j ^,400 hommes, dont
une grande partie étoit de cavalerie. Comment avec
un fi petit nombre d’hommes eut-il p u , je ne dis
pas achever, mais feulement ouvrir les çhemins qui
furent faits dans les Gaules ? Comment fous Tra-
jan, fous ce grand, ce bon prince, qui fit faire ou
réparer tous les chemins du plus vafte empire ,
trente légions euffent-elles pu fuffire à ce travail,
faire prefque continuellement la guerre & gagner
des batailles ? D'aufli prodigieux travaux peuvent-
ils être l'ouvrage de 207,900 hommes, dont la
plupart étoient de cavalerie. Nous verrons dans la
fuite comment, fous le gouvernement républicain
de Rome, & fous celui des empereurs , les chemins
furent faits à prix d'argent j mais nous devions
d'abord réfuter l'opinion généralement répandue
que nous venons de combattre, & avertir
des hommes trop peu inftruits de ne plus
déformais nous propofer dans leurs déclamations
d'imiter les romains , qui n'ônt jamais pratiqué
ce qu'ils prétendent nous faire faire à leur imitation.
Nous n'avons pas encore expofé toutes les difficultés
qui naiffent du projet d'employer nos troupes
aux chemins. Il faudra ou les faire camper ou
les baraquer , car les payfans ne les logeront point
de gré à gré > s'ils font contraints de le faire, ce
logement forcé fera un terrible impôt, & de toutes
les manières un dangereux fléau : comment encore
trouver où loger des atteliers nombreux ,
quelquefois éloignés de 3 , 4 ou y lieues de tout
village, & n'en ayant d'afiez confidérables pour
les contenir tous qu'à de plus grandes diftances
encore j & combien de temps perdu pour le travail
pafferoit-on à parcourir ces routes deux fois
pâr jour ?
Il faudra fournir le foldat d'outils qu'il ne me-.
nagera guères 5 il faudra l'en entretenir, en avoir
un magafin ambulant comme les atteliers, fi l’on
yeut que l'ouvrage n'en fouffre pas , pourvoir aux
moyens de faire tranfporter aux hôpitaux voifins
les foldats malades ou bleffés ; ainfi achat & entretien
de tentes & d'uftenfiles, ou frais de baraques
, ou impôt fur le peuple & défordre dans
les moeurs, frais d’hôpitaux & de voitures pour y
conduire : il faudra fournir au foldat le pain, la
viande, les légumes , le vin , & , en travaillant
beaucoup, il confommera une grande quantité de
ces denrées. Ainfi, adminiftration à créer, admi-
niftration compliquée & chère, & d'autant plus
chère que les atteliers feront plus mobiles. Le
foldat ufera plus de linge, devêtemens, de fou-
liers 5 il aura befoin d'un habit de travail, ou bien
il faudroit remplacer trop fouvent un uniforme
plus cher : par tous ces motifs, il faudra donc faire
une retenue fur fa folde ou fur le prix de fon travail.
Je veux que pour remplir tous ces objets ,
pour le nourrir, le vê tir , l'entretenir , Je guérir,
on lui retienne fix fous par jour, à peine cette
retenue y pourra fuffire : le prix de fa journée
évalué à 13 fous, fe réduira à 7 fous & à fa
folde 5 qu'on fera trop heureux de lui faire con-
fommer à boire, car il faut généralement que le
foldat ne connoiffe l'argent que pour le dépen-
fe r , & non pour en amaffer. Mais qui paiera les
tentes, l'uftenfile, les barraques, les outils, les
brouettes, &c. & c ? Voilà autant defources d’augmentation
à la dépenfè des chemins ; o u , fi l'on
fe borne à déperifer une fomme fixe , autant de
diminution fur l'ouvrage qui devoit fe faire chaque
année.
Croit-on que le foldat, ainfi répandu fur les
chemins, ne fe livrera pas davantage à la défer-
tiori, qui lui deviendra plus facile à mefure que
ces travaux le rapprocheront des frontières ? Croit-
on que le métier qu'on lui verra faire donne beau-'
coup d'envie de s'engager aux habitans des villes ?
Une grande partie de notre infanterie en fort : les
difficultés déjà très-fortes de s'y recruter augmenteront
bien davantage , lorfqù'elles auront pour
bafe l'orgueil des citadins, qui ne fe croiront pas
faits pour le métier de manoeuvre: de-là dériveront
la diminution des engagemens volontaires , l'ac-
croiffement de la défertion qu'on aura facilitée,