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89 Ils fe rapportent à ces loix qu*on faifoit à Ro-
» me contre des citoyens particuliers , & qu'on
*» appelloit privilèges ( i) . Elles ne fe faifoient que
89 dans les> affemblées du peuple. Mais de quel-
« que manière que le peuple les donne, Cicéron
»veut qu'on les aboliffe, parce que la force de
» la loi ne confifte qu'en ce qu'elle, ftatue fur
« tout le monde (2). J'avoue pourtant que ml?
w fage des peuples les plus libres qui aient jamais
89 été fur la terre , me fait croire qu'il y a des cas
M où il fant mettre > pour un moment , un voile
89 fur la liberté , comme l’on cache les flatues
88 des dieux ».
S e c t i o n X I e.
Des avantages particuliers a la eonfiitution ^’A ngleterre.
Si Ton examine les états libres qu’on a vus dans
l'antiquité, on obfervera que le peuple, toujours
jalçux-du pouvoir exécutif; mais ne penfant jamais
au moyen de le limiter , qu'on a lî heureufe-
ment employé en Angleterre 3 n'a fu faire autre
chofe que le confier à des magiftrats pour une
ou plufieurs années, c'eft - à - dire , s'en réfer-
ver la difpofîtion. D'où il arrivoit que Je peuple
déjà revêtu de la puiffance fouveraine , avoit
encore toute la majefté de l'adminiftration ; & par
la loi & par le fait , compofoit tout l'état. Pour
ébranler tout l'état 3 il fuffîfoit donc de mettre en
mouvement un certain nombre d'individus.
. La conftitution angloife a prévenu les malheurs
qui fuivent les conllitutions populaires 3 en diminuant
le pouvoir 3 ou plutôt l’exercice aétuel du
pouvoir du peuple (3) > & en ne le faifanr intervenir
dans la legiflation que par fes repréfentans, elle
a évité la violence irréfiftible de ces affemblées
générales, q u i, de quelque côté qu'elles fe jettent
3 renverfent & abattent tout. Lorfque Je peuple
a du pouvoir , & qu'il fait ou qu'il veut s’en
îervir 3 il eft toujours formidable : on a imaginé
fagement d'employer la puiffance royale comme
un contrepoids.
Pour donner au roi la force néceffaire fur cet
objet 3 elle l'a revêtu premièrement du pouvoir
d'appeller & de faire difparoître le pouvoir légif-
latif ^ & de s'oppofer à fes réfôlutions.
Secondement, elle lui a accordé la totalité du
pouvoir exécutif.
Enfin, pour que ce contrepoids produisît mieux
.fon effet , elle a donné à celui qu'elle faifoit le
chef unique de l’état, tous les privilèges, tous les
honneurs, toute la majefté poffibles. Dans le langage
de la loi le roi eft maître, & les peuples font
fujets ; il eft, par une fiétion de la lo i , le propriétaire
univerfel dii royaume; toutes les dignités
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& les places font des effets de fa libéralité : on ne
s adreffe à lui qu’avec un profond refpeél. Sa per-
fonne eft facrée & inviolable, & confpirer contre
lu i, eft un crime égal à celui d'une confpiration
contre tout l'état.
. Comme il étoit impôflible de rendre l'équilibre
reel , Tans facrifier le but aux moyens, c ’eft-à-dire}
fans introduire l'efclavage ou la licence , elle a
cru devoir jeter, du côté du chef unique, toute
la force qui peut réfulter de Topinion. « E t , au
89 milieu des agitations qui font abfolument nécef-
89 faires, pour que l’état conferve fa liberté, dit M.
89 de Lolme, la puiffance royale, qui eft l'ancre
» qui doit le retenir dans certaines bornes, réfillfe,
» non - feulement par la grandeur de fon poids *
» mais par fa prife ».
L ’étendue de la prérogative du roi, en donnant
une Habilité générale à l'é ta t, a donc affoibli les
caufes des malheurs dont nous avons parlé ci-def-
fus : elle les a même prévenues tout-à-fait, en dif-
pofantles chofes de manière qu'aucun citoyenne
peut jamais parvenir à une grandeur dangereufe.
Les perfonnes qui appartiennent à la famille du
R o i, ont le titre de princes du fang, & en cette
qualité une prééminence décidée ; & les premiers
lords s'honorent des titres & des emplois qu’ils ont
dans la maifon du roi. Si on laiffe à part l'étendue
& la réalité du pouvoir du roi, ainfi que les nom-
breufes efpérahces qu’il peut donner ; fi on ne
confidère que la majefté & la force uniquement
d'opinion, qui réfulte de ce pouvoir, on le trouve
fi grand, que vouloir l'attaquer par la fimple
prérogative de la tiaiffance, qui n'eft elle - même
qu'une force d'opinion, & une force d'opinion
très - fubordonnée j feroit la chofe du monde la
plus abfurde.
Le feul homme qui paroiffe, à ceux qui ne con-
noiffent pas la conftitution à!Angleterre , capable
de mettre le gouvernement en péril, feroit
celui q u i, par la grandeur de'fes talens & de fes
fervices , pofféderoit à un haut dégré l'amour du
peuple, & jouiroit d'un grand crédit dans la chambre
des communes.
Mais, quelque grand que foit cet enthoufîafme
du public, l'homme dont nous parlons ne doit
attendre que des applaudiffemens ftériles : il n’y a
pour lui ni confulat ni diélature, ni aucun pouvoir
à l'abri duquel il puiffe démafquer tout-à-
coup l’ambition qu'on voudroit lui luppofer. La
feule porte que les loix ouvrent à fon ambition,
eft une place dans le miniftère fous le bon plaifir
du roi. Si de nouveaux fervices-, & le maintien
de fon crédit? lui permettent, d'afpirer à
quelque chofe de plus, il ne peut fonger qu'à la
pairie.;
<i) De privis homimbus lata. Cicéron, de leg. liy.. III.
(a ) Scitum eft jujfum in omnes. Cicéron, ibid.
D Pn rerra plus bas qu’ofl n’a ^ijpinué fon pouvoir quç pour augmenter fa liberté.
Mais ces nouvelles dignités de l'homme du peup
le , lui »font perdre quelque chofe de cette puiffance
qui pouvoit le rendre redoutable. S’il paffe
dans la chambre des pairs, /on influence n'eft
plus à craindre > & la conftitution lui fait trouver
l'oftracifme dans la récompenfe qu'on lui
donne. Je citerai pour exèmple le célèbre Pitt.
Son mouvement étoit grand, & fa courfe rapide ;
c'étoit, fi l'on v eut, un torrent qui alloit tout
fenverfer; mais à peine fut - il lord Chatam, qu'il
perdit fa popularité & fon crédit.
Les loix d * Angleterre ne fouffrent point cette
Réunion de pouvoirs, qui a perdu tant de républiques.
Elles n'offrent à l'ambiti-hix aucun moyen
de profiter de l ’inadvertance, du même de la re-
connoiffance du peuple 3 pour s'en faire le tyran ;
Sc la force publique, dont le roi eft dépofitaire,
tant que les chofes relient dans le cours légal,
ëft inébranlable.
Dans les états où l'exécution des loix eft remife
en plufieurs mains, cette divifion, & la mobilité
qui en eft la fuite, dérobent toujours la véritable
caufe des maux de l'état. Au milieu de cette éternelle
variation des chofes, aucun principe ne s'étab
lit, & les malheurs relient fans utilité.
Les tribuns militaires ou les confuls, les patriciens
ou ceux qu'on appelle nobles, envahifient
tout : tantôt on eft opprimé par des confuls, &
tantôt par des dictateurs. La tyrannie, dans ces
gouvernemens ,. ne renverfe pas toujours les barrières
, mais elle s'élance par-deffus : lorfqu'on la
croit bornée dans un lieu 3. elle reparoît tout-à-
coup dans un autre : fi elle fe joue des efforts, du
peuple, ce n'eft pas qu'elle foit invincible, mais
c ’elt qu'on ne fait où l’attaquer; fi on la faifit
avec les bras d'Hercule, elle échappe avec les
rufes de Protée.
. Mais, en Angleterre, l'immobilité & la grandeur
de la force exécutrice des lo ix , ont prévenu
cette erreur ; les peuples, conftamment tournés
vers cette fortereffe antique du pouvoit royal,
ne la perdent pas de vue depuis fept fiècles; ils en
confinèrent avec inquiétude toutes les parties , ils
ep obfervent toutes les iffues > ils ont même percé
la terre, pour en découvrir les fouterrains & les
voies fecrettes.
Réunis par la grandeur du danger, ils ont formé
régulièrement leurs attaques; ils ont établi, d'abord
au loin, leurs ouvrages; il les ont enfuite
rapproché fuccefliveinent 3 & lorfque les barrières
qu'ils avoient jetées autour de l’enceinte fe font
trouvé ébranlées par les efforts de la puiffance
royale, ils en ont établi de nouvelles.
Après avoir obtenu la grande charte , ils ne fe
font pas crus en fureté, ils ont demandé fouvent
la confirmation de cette charte 5 ils ont demandé
enfuite l'a&e de la pétition des droits & celui
de- la feizième année de Charles I er. Quelques
années apres on vit s'établir l'a été d'kabeas cor*
pus ,* & le bill des droits eft encore poftérieur.
Enfin , dans toutes les circonftances, les anglois
ont l'ineftimable avantage de connoitre avec certitude
la fource de leurs maux; & chaque op-
preflion, chaque éruption particulière , en indiquant
un endroit foib le, a procuré un nouveau
rempart à la liberté.
Pour tout dire en deux mots, le pouvoir qui
gouverne en Angleterre eft redoutable ; mais il
avertit : fes reffources font vaftes, mais on les
connoît.
Lorfqu'on étudie l'hiftoire politique Angleterre
3 on voit avec étonnement que depuis la reftau-
ration, on a fait toutes les loix utiles que les circonftances
ont indiquées. Bien plus, on a changé
très-peu de loix particulières ; & fi l'on excepte
l'aélè qui fous Georges I er rendit les parlemens
feptenniaux, le gouvernement n'a montré de l'inf-
tabiiité fur aucune des loix qui intéreffoient la
conftitution.
Si l'on compare une telle confiance aux boule-
verfemens continuels de la légiflation de quelques
anciennes républiques, à la folie de plufieurs loix
qu'on y portoit ( 1 ) , .& à la folie plus grande
encore avec laquelle on y renverfoit les loix les
plusfalutaires lelendemain du jour où on lesjavoic
établies ; fi on fe rappelle les moyens extraordinaires
auxquels la puiffance légiflative étoit obligée
de recourir pour fe donner des entraves (2 ), on.
ne doutera plus de la fupériorité de la conftitutidn
ài Angleterre.
Depuis la même époque de la reftauration , le
maintien, & même le progrès continuel de la
liberté, n'a pas caufé de troubles férieux en Angleterre
: par troubles férieux, j’ entends ces troubles
qui font ceffer le pouvoir des loix. Je demande
où eft l'état libre qui ait joui du même
avantage ?
On n'objeélera pas le détrônement de Jacques
fécond, car ce détrônement fe fit fans le moindre
défordre.
Les états de l'europe où l'on regarde le plus
la tranquillité comme une compenfation de la perte
de la liberté , ri'ont pas été plus tranquilles. Il ne
faut pas croire que l'Angleterre eft en feu , parce
qu'il fe paffe des Ccènes violentes dans la chambre
des pairs & dans celle des communes , parce que
(1 ) Les Athéniens, entre autres loix, en avoient fait une qui Jéfendoit d’appliquer à d’autres ufages qu’a l’entrerien;
des théâtres, une partie des revenus publics.
( i ) On avoit défendu, dans plufieurs endroits, que peifonrie proposât certaines chofes, fous peine de mort’ ; & ceux
qui pour le bien de l’état, dans une circanftahce prenante, v.ouloient violer cette loi, comptant fur la compalfion ats
peuple, paroiffoient en public la corde au cou.