
nivers, étoient dès néceflités indifpenfables pour
Jes fécondés. Toutes ces chofes qu’ils emportèrent
de leur berceau, furent autant de points de re- I
connoififance, qui perpétuèrent chez ces nouveaux
peuples la mémoire de leur origine : les langues
d’ ailleurs étoient devenues nombfeufes & variées,
en proportion de la multiplication des befoins 8c
des ordonnances de la fociété. Les chemins & les
communications plus libres entretenoient cette-forte
de fraternité. En un mot , les colonies reconnurent
leur louche, & confervèrent en général
avec elle une alliance de prédilection.
Cependant, on ne voit nulle part que ces colonies
aient eh aucune manière relevé de la métropole.
Le chef ou la république leur donnoit des
k>ix plus ou moins relatives à celles des pays dont
ils etoient originaires 3 félon que l’exigeoient les
neceffités des temps 8c des lieux, & félon l’humeur
ou le pouvoir foit du peuple, foit du gouvernement
? ils envoyoient -même quelquefois demander
des loix a leurs voifins, ainfi que des hommes
capables de les faire exécuter. On en voit
plufîeurs exemples dans l ’hiftoire ancienne? mais
jamais ces peuples ne renonçèrent à leur liberté
primitive , en faveur de ces voifins, moins encore
en faveur de la louche dont ils tiroient leur origine
: & comme l’homme en général édifie avec
infiniment plus de vivacité 8c de fuccès qu’il ne
fçait conferver, il arriva prefque par-tout, que
ces nouveaux établiflfemens devinrent plus puif-
fans que ne feraient les anciens.
T e l fut en général le régime des colonies du fécond
âge.^ Depuis long-temps l’A fie , berceau de
l’humanité, etoit en proie à l ’ambition 8c aux !
malheurs, qui accablent les peuples des monarchies
trop étendues 5 lorfqu’ au centre de l’Europe,
pays plus divifé par la nature, & mieux défendu
par le cara&ère de fes habitans, il fe forma une
puiffance deftinée à réunir toutes les parties du
monde qu’ on pouvoit connoître alors.
! Depuis la naiffance de Rome, l’hiftoire ancienne
fe rapproche de nous 5 c’ eft-là l’époque où
l ’on peut marquer la ceffation des colonies du fécond
âge, en renvoyant à l’ordre des fondations
St des fortereffes , les établilfemens postérieurs
faits dans divers états pour garder les frontières,
ou pour fervir d’étapes de commerce. Les inva-
flons des barbares dans l’empire romain qu’ils inondèrent
de toutes parts, & les incurfions de leurs
fucceffeurs fur les monarchies qu’avoient fondées
les premiers, font des dévaluations & non des
branches de la population.
Enfin la barbarie ayant plus que jamais féparé
& concentré les différentes parties de l’univers,
tout à coup l’invention de la bouflole ouvrit de
nouvelles routes à la curiofité humaine. Cette belle
découverte, qui fut fuivie de quelques autres non
| moins importantes ( 1 ) , nous fit contioître un nouveau
monde 8c un nouvel ordre de chofes. C ’ell
J ici que commence le troifième âge des colonies qui
vient jufqu’ à nous.
Les premiers peuples de l’Europe qui pafsèrent
en Amérique, ne furent pas des colons 5 mais au
contraire des eonquérans, c’eft-à-dire, des dévaf-
tateurs, & les pires de tous. La foif de l’o r , toujours
excitée & toujours accrue par ce qui devroit
la fatisfaire , fut la première caufe du paffage de
nos aventuriers dans le nouveau-monde. Elle y retarda
long-temps leurs fuccès, & fit de ces vafte*
contrées un théâtre d’horreurs qui deshonore l’humanité.
Cette fo if , quoique moins brutale en apparence,
& plus éclairée aujourd’hui, eft encore
néanmoins le principal motif de l’ attention des.
puiflances, puifque l’intérêt le plus fordide, 8c
nous ofons dire le plus mal entendu dans fes
moyens, eft l’ame de leur conduite en cette partie.
Inutilement nous donnerions ici le précis des
annales du nouveau-monde, depuis fa découverte
? il ne pourront fervir qu’ à nous faire rougir de
la conduite de nos p è re s fan s nous porter fans
doute à en avoir une meilleure. Nous ne devons
prêcher la morale, que dans l’acception de l’intérêt
bien entendu ? & dans .ce fens if fuffit de prendre
les chofes telles qu’elles font aujourd’hui.
Le nouveau-monde, dont la plupart des anciens
habitans fe prétendent libres, eft partagé plus en
defir encore qu’en réalité, entre plufîeurs puiffan-
ces de l’Europe ? les efpagnols établis fur les débris
des deux grands empires du Mexique 8c du
| Pérou, les portugais qui occupent une grande &
riche partie de l’Amérique méridionale , les an- '
glois qui naguère s’étendoient fur les côtes, depuis
le golfe de Honduras jufqu’ à la baie d’Hudfon ,
& qui pofsèdent encore quelques ifles dans le
golfe du Mexique, ainfi que les hollandois, les
françois enfin, autrefois les maîtres de l’Amérique
feptentrionale, maintenant bornés à la pofleflion
d’un territoire médiocre fur les côtes de la Guyan
e, & infulaires comme ceux-ci aux Antilles 8c
aux Ifles fous le vent. Chacune de ces nations a
une façon d’être dans ces nouveaux établiffemens,
relative à fes moeurs & à la forme de fon gouvernement
en Europe.
L ’efpagnol, toujours immuable dans fes pré-'
jugés, parce que l’orgueil en fait le fonds, &
que l’orgueil eft toujours content de fa façon
d’être ? l’efoagnol, de tous les peuples celui
qui a le plus retenu des vices & des vertus
des fiècles d’ignorance , obéit & commande'
avec hauteur, fait confifter fa dignité dans la pa-
reffe, ne connoit d’autres richeffes que l’o r , 8c
d’autre ufâge de l’or que le faite & l’oftentation.
Il dédaigne de fe courber vers la terre nourricière,
8c force des èfclaves à s’enterrer dans des piines,
fa) La poudre à canon , l’împnmçrie t le télçfcope , $cç.
pour en arracher l’objet de fa cupidité. Vrai déf-
pote de l ’Amérique, il a fait par le fer ce qu’il
n’eût pas manqué de faire par la forme de fon gouvernement.
Il a dévafté des pays immenfes, & il
règne fur des contrées défertes, qui ne lui donnent
d’autres foins , que celui d’ en défendre l’en-
prée aux étrangers 5 maître terrible, 8c fidèle fu-
- je t, il attire fans ceffe les habitans de fon ancienne
patrie, & lui renvoie en échange ces tréfors qui
la ruinèrent autrefois, 8c dont elle n’eft plus que
l’entrepôt.
L e portugais, puiffance précaire, 8c qui n’a de
la fouveraineté que l’ indépendance, eft en Amérique
ce qu’il eft en Europe pour la conduite. 8c
le gouvernement. Il a-long-temps fouillé les mines
& les' carrières de diamans, fait la contrebande ,
franchi les barrières des efpagnols, 8c attiré de chez
eux de la poudre d’or , 8cc. le tout pour le compte
des anglois ? dont il n’eft encore que le faéteur,
a titre fi onéreux, que l’Angleterre perdroit beaucoup
à être fouveraine du Portugal 8c maitreffe
du Brefil.
Il femble pourtant, que le Portugal commence
a fentir tout le poids du monopole que les anglois
exercent fur lui depuis plus d’un fiècle, 8c' qu’il
veuille changer de politique à cet égard, en donnant
aux autres nations la liberté du commerce
dans fes états. Quelques ordonnances de la reine,
récemment publiées, nous préparent à ce changement.
L ’anglois, que des yeux prévenus . ont longtemps
regardé comme le peuple de l’Europe le
plus éclairé dans fa conduite au nouveau-monde,
a cependant fait voir dans le régime de fes colonies
la même politique qu’il fuit fi conftamment
chez lui. O r , cette politique, fondée fur deux
principes oppofés de leur nature, n’ a jamais p u ,
& ne peut encore avoir que les fuccès les plus fu-
neftes. En effet, le defir de la liberté & l’amour
exceffif des richeffes , dont nous voulons parler,
font naturellement inaliables ? 8c l’on tenterait vainement
de les réunir en un point. En luttant fans
ceïfe l’un contre l’autre, ils font fermenter toutes
les pallions dans la fociété, en rompent tous les
liens , en défunilfent toutes les parties. Leurs combats
ont de tout temps préparé la ruine des peuples
: ils feront celle de toute fociété, 8c ne peuvent
manquer de détruire l’Angleterre elle-même,
fi elle continue à céder à leur doublé aétion.
C e compofé , tout défectueux qu’ il e ft, forme
cependant la bafe de fon. fyftême : il entra dans
Kétablifiement de fes colonies. L ’efprit de liberté 8c
de pâtriotifme que les colons apportaient d’Angleterre
; multiplia ces colonies, leur donna des loix
de république, des confeils, des autorités balancées
, 8c. c. Partout où le gouvernement fe trouva
au gré des colons, l’induftrie, le commerce, les
ârts s’établirent, à l’inftar de nos plus florifiantes
Villes d’Europe^, tandis qu’aux lieux où l’autorité
fut plus, militaire que municipale, & la forme des
loix;moins -analogue' à l ’efprit de liberté, quelques
avantages que promirent le fol 8c le climat, la
population s’arrêta j. & tout demeura dans la langueur.
D ’autre part,’ la cupidité de l’Angleterre gênoic
en tout fens, ou affoiblilToit ces mêmes colonies ,
( pour lefquelles le patriotifme de la nation faifoit
de fi fortes avances & de continuels fâprifices. Elle
ne leur ouvrit la mer qu’à des conditions toutes
onéreufes 8c partiales , 8c concentroit dans fes
mains Je commerce exclufif de leurs productions*
Démefurée dans fon . ambition, elle n’embraffoit
pas moins que l’empire du nouveau-monde. Son
plan était d’enlever au nord toutes les pêches, au
midi les mines, fur les terres les pelleteries ; 8c.
d’exécuter fon projet, en s’établilfant de proche en
proche fur toutes les côtes. C ’eft ce projet,conftamment
fuivi par l’Angleterre, mais hors de proportion
avec fes forces,; qui a fait naître le mécontentement,
l’aigreur, l’efprit d’indépendance dans le
coeur de fes colons la jaloufîe chez fes voifins.,
& qui forçant les américains de fe lier avec fes
anciens ennemis, a donné lieu à la dernière guerre,
où l’Angleterre, humiliée & dans la détrefïe, loin
de parvenir à cet empire qu’elle fe forgeoit à plai-
fir, a vu démembrer fes propres pofleftions ; 8c
par fon defpotifme fifcal & mercantile, a perdu
pour jamais treize de fes plus belles provinces.
« Le françois, dit l’Ami des hommes, dans fon
M ftyle peu correÇt, mais original & piquant, le
” françois e ft, ainfi que les autres, dans fes colo-
33 nies, marqué au coin de fon gouvernement, &
33 malheureufement auflî au coin de fon génie. Un
33 gouverneur, un intendant fe prétendans tous les
3:3 deux maîtres, & jamais d’accord? un confeil
33 pour la forme ? gaieté, libertinage, légèreté ,
33 vanité, force fripons très-remuans, d’honnêtes
” gens, fouvent mécontens, 8c prefque toujours
» inutiles ? au milieu de tout cela, des héros nés
; 3* pour faire honneur à l’humanité, & d’afiez
” mauvais fujets -, capables dans l’occafion de
33 traits d’héroifme ? le vol des coeurs, pour ainfi
53 dire, 8c le talent de fe concilier l’amitié des na-
« turels du pays ; de belles entreprifes , & jamais
|| de fuite? le fife qui ferre l’arbre naiffant, &
33 déjà s’attache aux branches ? le monopole dans
33 toute fa pompe? voilà nos colonies & nos colons,
33 . . . . Arrivés ou établis les premiers en Amé-
33 rique feptentrionale , ils avoient à choifir de
» tous les dons de la nature, à la réferve du feul
» qu’on cherchoit alors, & dont ils fe dégoûtè-
» rent heureufement, je veux dire les mines. La
»» terre étoit excellente dans fes productions; la
» mer la plus poiflbneufe qui foit au monde ? le
« commerce des pelleteries tout neuf, 8c fi abon-
» dant, qu’on n’en favoit que faire. Ils fe déter-
v minèrent en braves françois : ils prirent tout, 8c
» tout de fuite ils furent plus loin pour voir s’il
v n’y aurait pas encore quelque chofe de meiï-
» leur ; iis étoient fept : l’une demeura en Terre7