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l’autre ordinaire où entrent les miniftres d’état ,
qu’on nomme Co-la-os : ce font ceux-ci qui examinent
les grandes affaires , qui en font le rapport
à l’empereur 3 & qui reçoivent fes décidons.
c h a p i t r e I V .
L’ 1 M P Ô T.
La fomme que les fujets de l’empire doivent
payer eft réglée par arpent de terre qu’ils poffè-
dent , & qui eft eft eftimé félon la bonté du territoire
( i ) } les propriétaires feuls font tenus de payer
la taille, & non les colons. Nul terrein n’eft
exempt de taille, pas même celui qui dépend
des temples. On n’exerce point de faille fur ceux
qui font lents à payer, & depuis le printemps
jufqu’ à la récolte il n’eft pas permis a ’inquiéter
les payfans propriétaires. C e temps paffé, on reçoit
d eux une quotité de fruits en nature ou en
argent, ou l’on envoie dans leurs maifons les
pauvres & les vieillards qui font nourris des charités
du fouverain, &: ils y relient jufqu’à ce
qu’ils aient confommé ce qui lui eft dû.
Le père du Halde dit que le total de l’impôt
annuel de la Chine eft de mille millions ou d’un
milliard de notre monnoie. C et impôt modéré, lï
l’on confîdère ceux qu’on perçoit dans les états
ce l’Europe & l’étendue du pays qui e lt fous la
domination de l’empereur, prouve que les biens,
quoique tenus -• en bonne valeur , font fort peu
chargés. L ’empereur a coutume d’exempter chaque
année de fournir leur part les provinces qui
ont fouffert quelques dommages , foit par maladies
ou autres événemens fâcheux.
On ne connoît à la Chine ni fermiers, ni receveurs
généraux ou particuliers des finances. Des
mandarins font chargés de la perception de l’impôt
j ils rendent compte au tréforier général établi
dans chaque province, qui rend compte au
Hou-pou, & ce tribunal à l’empereur.
Regardé comme le chef d’une grande famille,
l’empereur pourvoit à tous les befoins de fes officiers.
Une grande partie des tributs de la province
s’y confommé par les penlîons de tous les genres
de magiftrats & de tous les autres ftipendiés ;
par l’entretien des pauvres, des vieillards, des
invalides j par le paiement des troupes > par les
dépenfes des travaux publics ; par l’entretien des
polies & des grandes routes j par les frais des
examens des afpirans aux degrés j par les revenus
deftinés à foutenir la dignité des princes de la famille
impériale 5 par les fecours accordés aux provinces
affligées > enfin par les récompenfes diftri-
buées pour foutenir l’émulation & les bons exemples
, ou pour reconnoître les bons fervices rendus
à l’ état.
c h 1
Les mandarins, app'ellés à lacôur ou envoyés
dans les provinces, font défrayés | ainfi que leur
fuite. La même chofe s’obferve à l’égard des am-
balfadeurs des puilfances étrangères, qui de plus
font entretenus aux dépens de l’empereur 3 depuis
le jour qu’ils entrent fur fes terres jufqu’ à ce qu’ ils
en. fortent.
Sous ce gouvernement paternel, non monts
économe que fage, le revenu public & particulier
n’ eft pas détourné par le luxe' de fa vraie deftina-
tion 3 les chinois bâtiffent, fe meublent & s’ha-
biilent avec limplicité. Les grands feigneurs & le
prince lui-même ne font point de dépenfes en cho-
fes d’oftentation & de fantaifiç. Mais, dans les
ouvrages qui intéreffent la gloire de la nation ,
c’ eft-à-dire l’utilité publique, l’économie fait place
à la magnificence, & rien n’ eft épargné pour les
porter au plus haut point de grandeur & de foli-
dité. Cela fe voit dans ces arcs élevés à la gloire
des ancêtres, & fur-tout dans les chemins & dans
les canaux publics qui coupent en tout fens le territoire
de la Chine. Les grands chemins ont communément
80 pieds de large : des tours placées
fur les bords de demi-lieue en demi-lieue, & qui
contiennent des corps-de-garde de foldats fervent
à marquer les dillances, & veillent à la fureté des
voyageurs. Mais rien ne lailfe une plus haute idée
de la bienfaifance du gouvernement & de l’induftrie
de la nation , que les canaux fans nombre qui
fervent à l’arrofement des terres & au tranlport
des marchandifes, & principalement le canal itn-
périal qui traverfe du nord au fud une grande
partie de l’empire.
La navigation qu’on fait fur ce canal , en y
comprenant les grandes rivières qu’ il joint, n’ êll
guères moindre de 300 lieues. L ’empereur Chi-
T fo u , fondateur de là vingtième dynaftie, ayant
établi fa cour à Pékin , comme au centre de fa
domination, fit conftruire ce beau canal pour ap-
provifionner fa réfidence de tout ce qui étoit né-
ceffaire à fa cour & aux troupes qu’il avoit à fa
fuite. Là il ÿ a toujours 4 à yooo barques , dont
plufieurs font du port de .80 tonneaux, continuellement
employées à fournir la fubfîftance de cette
grande ville. Le foin de veiller à fon entretien eft
confié à des infpeéleurs en grand nombre, quivi-
fîtent continuellement ce canal ^vec des ouvriers
qui réparent auffi-tôt fes ruines.
L ’excavation de tous ces canaux dans des ter-
reins rudes & quelquefois à travers des rochers
efcarpés, a dû coûter des fommes immenfes, &
leur entretien exige encore beaucoup de frais ;
mais le gouvernement, convaincu dés grands avantages
qui en réfultent pour l’aifance & la commodité
de fes peuples, a pourvu libéralement aux
dépenfes qu’entraînoient ces ouvrages, & fournit
(Oïl paroîc, par ce que nous difens ici, d’après ja plupart des écrivains cjui ont parle de la Chine, que la dixme des
fruits de la terre que nous avons dit ailleurs être le feul injpôc qui fie perçoive dans cet enipire, doit lit® abonnée re-,
ktivement à La sature &c à la valeur des terres»
avec
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avec joie tout ce qu’il faut pour les réparer &
les entretenir.
C H A P I T R E V .
D E L ’ A U X O R I T É.
Il n’y a point d’état civil fans une puiffance
fouveraine j la convention, le réglement ou la loi
qui détermine la manière de l’exercer, forment la
conftitution politiaue de cet état.
Ç e point eft véritablement capital dans la formation
d un état civil. La puiffance fouveraine
reunie dans un feul homme & illimitée peut devenir
un defpotifme funefte 5 partagée, elle peut
manquer de force & d’aélivité $ limitée par les
loix ^ elle peut corrompre les tribunaux qui en font
depofitaires , & anéantir les loix par de fauffes interprétations,
^ ou être envahie par les tribunaux
charges du dépôt des loix > confiée à une claffe
de citoyens, elle peut dégénérer, & elle a pref-
que toujours dégénéré en tyrannie j exercée par
le peuple, elle conduit à l ’anarchie.
Tels font les écueils contre lefquels ont échoué
prefque tous les légiflateurs.
A la Chine y l’empereur feul exerce la puiffance
fouveraine j mais il doit l’exercer en père. C e n’efl
point comme père de la nation qu’il a la puiffance
ïbuyeràine, c ’eft comme empereur j mais il faut
qu’ il l’exerce comme s’il étoit fon père. Il jouit
d un pouvoir abfolu $ mais il ne l’a qu’ à condition
qu il n ufera de ce pouvoir , que comme un père
ufe de fon autorité dans fa famille & fur fes en-
fans. Ainfi la conftitution politique de la Chine
réunit dans le . fouverain la force du defpotifme
avec la douceur de l’autorité paternelle.
Le gouvernement de la Chine n’eft ni le gouvernement
patriarchal, ni une monarchie mixte 3
ni une monarchie limitée par les loix $ c’eft la com-
binaifon de la monarchie abfolue avec le gouvernement
paternel.
Il faut que le fouverain, tout puiffant comme
empereur, foit très-bon comme père ; qu’il n’ufe
jamais^ de fa puiffance au préjudice de fon peuple,
& qu’ il l’emploie toujours pour futilité publique.
Voilà le paéle fotigl de l’empire de la Chine
& l’ effence de fa conftitution politique : ce paéle
eft gravé fur le trône de l ’empereur 5 on n’y lit
q u e cettte infcription : l e t r è s - b o n ( i ) .
On peut connoître, d’après cela, ce qu’on doit
penfer du reproche que font au gouvernement chinois
quelques écrivains qui difent, qu’il n’y a
point de puiffance .fur la terre plus defpotique que
celle de l’empereur de la Chine. S’ils entendent
par defpotifme le pouvoir abfolu de faire obferver
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exa&ement les loix & les maximes fondamentales
du gouvernement, ils ont raifon j mais s’ils lui
attribuent une autorité arbitraire & fupérieure aux
loix du gouvernement, ils ignoroient que la conf-
titutibn de celui de la Chine , eft établie fur le
droit naturel, d’une manière fi irréfragable qu’elle
preferve le fouverain de faire le mal, & lui affure
le pouvoir fuprême de faire le bien.
En effet, par 1 éducation & l’inftruélion pref-
cirites par les lo ix , & q.ue reçoivent tous les chin
a s , le citoyen voit que fon bonheur & la conservation
de l’empire dépendent de la fidélité de
fempereur, du miniftre , du mandarin à remplir
les devoirs 'qui aaiffent des rapports que la conftitution
politique établit entr’eux & les citoyens.
Il n’y a donc pas de citoyen qui ne voie dans
la violation de ces devoirs , des loix &: des rites,
le commencement de la fubverfion de l’empire.
Perfonne n’y voit donq avec indifférence la violation
de ces devoirs ; & une injuftice faite à fon
concitoyen excite fon attention & fa fenfibilité ,
-non-feulement parce qu’elle rend fon concitoyen ^
fon ami, fon frère malheureux, mais encore parce
qu’elle porte une atteinte funefte à fon propre
bonheur, & qu’elle tend à renverfer les ufages,
les lo ix , les_ rites, qui font la bafe de la fécurité
de fa liberté & de fon bonheur (2).
C ’eft cette opinion prife dès l’enfance, & devenue
l’efprit général de la nation chinoife, qui,
oppofant une réfiftance invincible aux entreprifes
tyranniques de tous les mauvais empereurs de la
Chine , les a pour la plupart fait tomber du
trône.
Mais fi les chinois font inftruits de leurs droits,
ils connoiflent leurs devoirs ; aufli il n’y a point
de -temps ni de lieu dans les provinces de la Chine,
où la morale politique n’ait formé des citoyens ,
q ui, regardant l’empire comme une famille, l’empereur
comme leur père, & tous les chinois comme
leurs frères, ne reflentent les maux & les in-
juftices qu’ils fouffrent, & ne fe croient indifpen-
fablement obligés d’avertir le fupérieur de l’injuf-
tice qu’il commet ; & , s’il y perfifte , d’en avertir
fon fupérieur & l’empereur lui-même, s’ il eft né-
celfaire, pour faire cefler l’injuftice. Les menace
s , la prifon & la mort même n’arrêtent peint
les effets de l’ainour fraternel du chinois pour fon
concitoyen, ou de fon amour pour le bien public
(3).
Le refpeâ que les chinois ont pour leur fouverain
, approche beaucoup de l’adoration ; on lui
donne les titres les plus fuperbes, tels que fils du
c ic l,,fa in t empereur. On ne lui parle jamais qu’à
genoux, & l’on porte la vénération jufqu’à fe
P ^ rvat- prélim. des livres diadiques, tom. r , pag. p a , Sec.
Obfervac. prélini, dej livres dafliques de la Chine, cora. i , pag. 137.
(j) Jh:d. pa g-ug . '
(Scan, polie. & diplomatique. Tom. I . B b b b