
loufie de Tes ennemis, l’un de ceux dônt les inf- |
titutions font le moins parvenues à la poftérité.
Les grecs paroiffent ne s’être occupés des grands
chemins que pendant les beaux jours de leurs républiques.
Le fénat d’Athènes étoit chargé de
kur adminiftration. Thèbes & Lacédémone en
avoient confié le foin à leurs citoyens les plus im-
portans. Mais fi, comme on le croit, la Grèce
n’eut jamais de voie pavée , elle fut loin de perfectionner
l’heureufe invention des carthaginois.
Il valoit fans doute mieux ouvrir & former des
chemins commodes que de prodiguer fur leurs bords
les inutiles ftatues de leurs dieux tutélaires , qui ;
vraifemblablement les gardoient allez mal. La vanité
des grecs mit fouvent le faite à la place de
l’utilité. La nature , au reite, ne paroilfoit pas
avoir deftiné ces peuples à donner au monde des
exemples de ce genre & de ce moyen de civilifa-
tion. Les grecs en effet , par la pofition de leur
pays 3 avoient, moins que tout autre peuple, be-
foin de grands chemins : ils habitoient un archipel;
la plupart de leurs villes étoient bâties fur la cote}
la mer étoit le vrai chemin qu’ils dévoient chercher
le plus à s’ouvrir, puifqu’elle étoit l’obftacle
qui s’oflroit le plus fouvent à leur communication
réciproque. ' _ t
Les romains, conquéranspar fy{terne, dévorés de
la foif de dominer fur les nations, eurent, pour les
fubjuguer & les contenir après la conquête, doublement
befoin de donner la plus férieufe attention aux
chemins. Àiiffi de tous les peuples qui ont paru
avec éclat fur la fcène mobile du monde, font-
ils celui qui, dans ce travail, a développé la plus
grande induftrie. Les monumens de cette efpèce
qu’il a créés ont furvêcu long-temps à fon empire
} plufieurs fubfiftent encore de nos jours, &
les principaux chemins qui partent de la Rome
moderne font ceux que la Rome ancienne, la Rome
libre & guerrière avoit conftruits.
Les chemins firent à Rome la fortune & la gloire
de fes premiers citoyens & de fes meilleurs princes;
ils acquirent une réputation durable méritée
aux noms d’Appius , de Flaminius , d Au-
relius, à ceux de Céfar, d’Augufte , d’Agrippa,
de Trajam Cependant, en Italie comme en Grèce
, leur conftru&ion demandoit moins de dépen-
fes qu’elle n’en exige dans nos climats. Ils n’a-
voient befoin que d’un entretien très-médiocre &
peut-être nul, parce que la qualité des matériaux
dont ils étoient formés étoit fupérieure à celle de
ceux dont nous femmes forcés de faire ufage, &
que la chaleur de ces régions les préfervoit de la
caufe la plus immédiate de leur deftruéfcion, de
l’humidité, de fa fréquence, de fa durée, de l’alternative
du froid & du chaud, du fee & de l’humide
, qui tient les corps dans un état voifîn de
la diffolution ; qu’enfin les chemins n’avoient pas,
eomme les nôtres, des fardeaux de dix à douze
milliers à fupporter. Sans compter les chemins faits
p^r les rondins dans l’Italie 3 dans les Gaules >
dans la Germanie, ils avoient achevé, pour communiquer
avec les autres parties de leur empire ,
10797 lieues. Mais tous ces chemins n’étoient pas,
comme on l’a cru, faits par leurs légions. Vefpa-
fien payoit de fes propres deniers la réparation de
ceux d’Italie, tandis que les peuples conquis
étoient forcés de faire les autres par corvée*
L’an 441 de Rome, Appius Claudius commença
le premier & le pljis beau grand chemin qu’aient
eu les romains, la voie appienne qui menoit. de
Rome à Capoue. Deux voitures y pouvoient palfer
de front ; elle fut pavée de pierres de trois, quatre
& cinq pieds de furface, apportées de carrières
fort éloignées, & affemblées entr’elles aufli exactement
que celles des murs les mieux conftruits.
L’an 512, Caius AureliuS Cotta ouvrit la voie
aurelienne, qui conduifoit de Rome en longeant
la mer de Tyrrhene, jufqu’au Forum Aurèlii. .
L’an 533 , C. Flaminius entreprit la voie flami-
nienne, qui menoit de Rome à Rimini. Il fut tué
dans la deuxième guerre punique, & ce chemin
fut achevé par fon fils.
Ces travaux plurent tellement au peuple & au
fénat, que, fous Jules-Céfar, Rome communi-
quojt déjà par des chemins pavés avec toutes les
principales villes d’Italie. Alors on poufla les routes
jufques dans les provinces conqüifes, & , pendant
la dernière’ guerre d’Afrique, on conftruifît
un chemin de cailloux taillés en quarré , de l’Ef-
pagne dans les Gaules jufqu’aux Alpes.
Domitius (Enobarbus pava la voie domitienne,
qui conduifoit dans la Savoie, le Dauphiné & la
Provence. Les romains ouvrirent depuis en Afte*
magne une autre voie domitienne.
Augufte, maître de l’empire , ne perdit pas de
vue les chemins, & fut parfaitement fécondé dans
leur adminiftration par Agrippa. Il ouvrit plufieurs
routes en Efpagne, fit élargir & continuer celle
de Médina à Cadix ; il en dirigea deux autres fur
Lyon ; l’une traverfoit la Tarentaife, l’autre fut
pratiquée dans l’Apennin. Lyon devint le centre
| de la diftribution des chemins dans la Gaule ; le
! premier conduifoit, au-travers de l’Auvergne, dans
l’Aquitaine ; le fécond fut pouffé jufqu’au Rhin
; & à l’embouchure de la Meufe , & ne s’arrêta
' qu’à la mer d’Allemagne.; le troifième parcourant
la Bourgogne , la Champagne, la Picardie, finir
foit au port de Boulogne ; le quatrième couroit le
long du Rhône, entroit dans le Bas-Languedoc ,
& retournoit finir à Marfeille.
D’autres chemins partoient de ces routes prin-
| cipales, pour fe rendre dans les villes vojfines. T rêves
aroît avoir été un fécond centré de diftribution.
on nom feul où l’on reconnoîtles mots très vis,,
l’indique alfez. L’un des chemins qui fortoit dé
Trêves, fe dirigeoit fur. Strasbourg & menoit à
Belgrade. Un autre traverfoit la Bavière, & pé-
nétroit jufqu’à Sirmifch en Efclavonie.
L’Italie avoit également des communications ouvertes,
par les Alpes & la mer Adriatique, avec
les provinces orientales. Aquilée, fur^ cette cote,
étoit un nouveau centre de réunion, d ou partoient
différentes routes ; l’une pour Conftantinople, &
c’étoit la plus importante ; les autres pour la Dal-
matie, la Hongrie , la Croatie, la Macédoine &
les Moefies. L’un de ces chemins alloit aux bouches
du Danube, & s’étendoit jufqu’à 1 ornes.
Les mers coupèrent plutôt qu’elles n’interrompirent
les chemins des romains. Des ports lièrent
par-tout la communication de l’Italie avec les ifles
& les provinces de l’empire où l’on avoit conftruit
des chemins. On comptoit plus de 600 lieues de
chemins pavés en Sicile, 100 en Sardaigne, 73
en Corfe , onze cents dans les ifles britanniques
, 4250 en Afie, & 4674 en Afrique. La
communication de Rome avec cette Afrique fi célèbre
alors , fi dégradée aujourd’hui, fe faifoit du
port d’Oftie à celui de Carthage, & c’étoit fur-
tout aux environs de cette malheureufe ville que
les chemins étoient les plus fréquens , parce que
fans doute les romains, profitant de ceux faits par
les carthaginois, les comptèrent parmi ceux qu’ils
purent y ajouter. Enfin telle fut la correfpondance
des routes des deux côtés du détroit de Conftantinople
, qu’on pouvoit aller de Rome à Milan,
à Aquilée, fortir de l’Italie, arriver par l’Efcla-
yonie à Conftantinople, traverfer la Natolie, la
Galatie 3 la Syrie , pafier à Antioche , dans la
Phénicie, la Paleftine, l’Egypte, voir Alexandrie,
fe rendre à Carthage, s’avancer jufquil Clyfmos
aux confins de l’Ethyopie, & s’arrêter à la mer
Rouge, après avoir fait 2380 de nos lieues françoifes.
L’imagination s’effraie, en ne confidérant même
que l’immenfîté de ces prodigieux travaux : &
combien la furprife & l’admiration n’augmentent-
elles pas , lorfqu’on embraffe fous un feul point
de vue les difficultés qu’ils ont préfèntées, les
forêts ouvertes, les montagnes coupées, les collines
applanies, les vallons comblés , les marais
defféchés, les ponts élevés dans une auffi vafte
étendue ?
Tant de magnificence, il faut le répétera ceux
qui, ne courant ni ne connnoiffant le monde , ne
lifent & ne voient que des livres , & n’admirent
fi exclufivement les anciens que par ignorance de
ce qu’ont fait les modernes ; tant de magnificence,
dis-je, a été infiniment furpaflfée depuis deux fîè-
cles par les peuples de l’Europe. Cette partie du
monde contient feule trente fois plus- de chemins
que les romains n’en ouvrirent dans l’immenfe étendue
de l’empire qui leur fut fournis , & leurs chê-
mins n’ayant guères que le tiers de la largeur des
nôtres, il fe trouve que les européens a&uels
ont, dans le court efpace de deux fiècles, fait
dans ce genre au moins foixante fois plus detra-j
vaux, que les romains n’en exécutèrent pendant
la longue durée de leur domination.
On commençoit la conftruérion de leurs grands
chemins par tracer au cordeau deux filions parallèles
qui en fixoient la largeur : on creufoit enfuite
l’intervalle de ces filions, & Fon y etendoit
par couches fucceffives les matériaux ; c’etoit da-
bord un lit de ciment compofé de chaux & de
fable de l’épaiffeur d’un pouce ; fur ce lit on en
étendoit un fécond de pierres larges, planes, af-
fifes les unes fur les autres jufqu’à dix pouces de
hauteur, & liées entr’elles par un mortier très-
dur ; on donnoit huit pouces d’épaiffeur à la troifième
couche qu’on formoit de petites pierres rondes
plus tendres que le caillou , melées à des
moellons, des platras, des décombres d’édifices s le tout battu dans un ciment d’alliage ; la quatrième
couche avoit un pied d’épaiffeur & étoit com-
pofée de terre graffe mêlée avec de la chaux. Ces
matières intérieures formoient un maffif depuis deux
pieds & demi jufqu’à trois & demi d’épaiffeur,
La furface du chemin enfin étoit compofée de gra-
vois liés par un ciment mêlé de chaux. Cette
croûte étoit fi ferme, qu’elle a pu réfifter jufqu’à-
préfent dans quelques endroits de l’Europe, &
l’on avoit tellement reconnu fa folidité , qu’on en
avoit fait ufage pour tous les chemins } à l’exception
des grandes voies, lefquelles , en partant des
poftes de Rome, étoient pavées de grandes pierres
jufqu’à la diftance de yo lieues.
Les fonds pour le travail des chemins étoient fi affu- •
rés & fi confidérables, qu’on ne fe contenta pas de les
rendre commodes &: durables, mais qu’on s’occupa
de les embellir. On y plaça des colonnes de mille
en mille pour en marquer les diftances, des pierres
pour fervir de fièges aux gens de pied , & pour
aider les cavaliers à monter à cheval ; des' ponts
furent conftruits par-tout où ils parurent néceffai-
res , & aux environs de Rome & des grandes villes
de l’empire les chemins fe trouvèrent ornés d’arcs
de triomphes, de temples , des maufolées des
grands & des ftatues d’Hermès, dont on fe fèr-
voit dans les croifés des routes pour indiquer les
chemins aux voyageurs.
Telle eft l’idée que la première Encyclopédie
avoit donnée de l’étendue , de la magnificence &
du travail des chemins par les romains. Cependant
il ne faut pas croire que tous ceux qu’ils avoient
ouverts fuflent conftruits avec ces foins qu’ils ont
pu mettre à quelques - uns plus néceffaire's & plus
fréquentés. On doit avoir de la peine à fe per-
fuader que les romains aient trouvé par-tout des
matières calcaires, des platras, des décombres
d’édifices, &c. : la chaux & la pierre qui la produit
n’eft pas univerfellement répandue fur le
globe : on y parcourt des*diftances déplus de cent
lieues fur des terrains totalement dénués de pierre
.calcaire, & qui n’en renferment que du genre des
vitrefcibles. Or fi les romains ont tracé des routes
.dans detelles contrées, certainement ils les ont
feonftruites par d’autreç procédés que ceux que
nous venons de décrire. Nous avons vu des vertiges
d’anciens chemins romains, dont l’eneaiffe-
ment n’avoit été formé que de petites pierres raf-
femblées fans ciment, & telles qu’on les trouvent