
les papiers publics s'expriment avec une licence
qui annonce la guerre civile , parce que des troupes
d'ouvriers, de ioldats ou de gens du peuple excitent
des efpèces d'émeutes.
La prépondérance du roi ou cell®*du peuple,
cft le feul danger véritable que court le gouvernement
d’Angleterre ; & il falloit que la puiflance
du troilîème corps légiflatif fût telle , qu'elle devint
un -corps intermédiaire, qui redoutât également
le trop grand pouvoir de l'un ou de l'autre.
Le crédit & la puiflance dont les nobles font revêtus,
remplit très-bien cet objet. Comme citoyens,'
ils font intéreflés à ce que le pouvoir exécutif ne
prenne pas d'accroiflement ; mai» ils craignent fur-
tout la prépondérance du peuple, qui entraTnéroit
«ne confunon de rangs, laquelle, fans leur ôter ex
prefiément le privilège dont ils jouiffent, l'anéan-
tiroit par le fait, en l'empêchant d’être apperçu.
Dans le balancement continuel de la puiflance
du roi & de celle de la nation, le corps de la
noblefle , comme un poids pofé & établi de
façon à fe jetter du côté foible , entretient toujours
l'équilibres
C'eft dans les mêmes vues qu'orj a rendu la
pairie héréditaire, & qu'on a donné aux pairs
un titre excliifif (i).
De plus, l'étiquette donne à leur corps une
grande fupériorité fur celui des repréfentans du
peuple. Ils forment la chambre haute, & la chambre
des communes fe nomme la chambre baffe ;
e'eft dans le lieu de leur afîemblée qu'eft le, trône
du roi. Lorfque la feflion s'ouvre, ou en gé :éral
lorfque le roi vient au parlement, c'efl a la chambre
des pairs qu'il appelle les communes, & elles
y comparoiflent a la barre , pour entendre fa déclaration.
C'efl; à la chambre haute que les communes
portent leurs diverfes accufations 5 quand
elles ont pafle un bill, elles l'envoient à la chambre
haute par quelques-uns de leurs membres (1) , &
les pairs envoient les leurs par quelques-uns des
afliftans de leur chambre (3). Si les modifications
que l'une des chambres voudroit mettre à un bill
préfenté par l'autre, rendent une conférence né-
ceffaire, les députés de celle des communes doivent
y être découverts : enfin tous les bills qui
ont pafle doivent refter dans la chambre haute,
pour y attendre le eonfentement royal.
De plus, les lords font cenfés membres nés
du corps légiflatif, ils fiègent au parlement pour
leur propre compte , & en vertu d'un droit inhérent
à leur perfonne : aufli ont-ils le privilège
de donner leur fuffrage par procuration (4), &
de protefler fur leurs regiflres contre les réfolu-
tions de leur chambre. En un mot, ce troifième
ordre de la puiflance législative étant deftiné à
balancer le pouvoir du peuple, pour ajouter à
fa force réelle, on lui a donné7des prérogatives
d'appareil ; & lorfqu’il ne peut réfifter par fon
poids, il en impofe par fa grandeur.
En étudiant les conftitutions de l'antiquité, on
voit que dans toutes les anciennes républiques, la
fonction du peuple étoit d'approuver ou de rejetter
ce qu'on lui propofoit, & de donner aux loix la
fanéiion finale. Les individus ou les corps chargés
de l’exercice du pouvoir exécutif, préparoient les
loix & les propofoient, & ils avôient toujours
ce que M. de Lolme appelle Yinitiative, c'eft-à-
•dire, le droit de mettre la puiflance légiflative
en mouvement. .
Cette initiative, qui appartenoit exclusivement
aux individus ou aux corps dont je viens de parler,
étoit devenue dans plulîeurs endroits un moyen
de limiter la puiflance légiflative, & c'efl encore
: aujourd'hui celui qu'emploient plufîeurS petites
républiques.
Il falloit fuivre d'autres principes dans un grand
état, & on doit admirer encore ici la conftitütion
à?Angleterre. C'efl: le peuple, ou du moins ceux
qui le rspréfehtènt, qui ont Y initiatives c'efl-à-
dire, qui préparent les loix & qui les propofent.
Et parmi les Singularités de cette constitution, qui
frapperoient les politiques de l'antiquité-, jh fe-
roient étonnés fur-tout de voirla perfonne chargée
du pouvoir exécutif, faire ce qu'ils crôyoient ap»
partenir nécefîairement au peuple, & le peuple,
ce qu'ils regardoient comme : la! fonction indif-
penfable. de Ses magistrats.
On objectera peut-être que le roi d'Angleterre
pouvant diflbudre, ou même ne pas convoquer
fon parlement, a un droit qui par le-fait fe trouve
égal à celui que je dis Si dangereux'.
D'après tout ce qu'on a vu plus haut, cette
objection eft frivole j fans doute ,’ Si le roi d'Angles-
terre eût pu exifter fans fon parlement, il y a long-*
temps qu'il fe feroit difpenfé de le convoquer,
& cette affemblée, ainSî que les alfemblées nationales
de plufieurs états, n’exifteroient plus que
dans l'hiftoire. Mais il a befo n chaque année de
fublîdes , & le parlement feul accorde -les fubr
Sides.
( 1 ) Il n’y a en Angleterre que ceux qui forment h chambre des pairs, ou qui dnt droit d?ÿ fiéger un four. commç:
les lords en âge de minorité, qui aient le titre d’homme noble ( nobleman) : tout le refte eft ççmmoner , c’ efr-à d ire ,
du peuple. Les pairs d’Irlande eux-mêmes , Sc les fils des lords, quoiqu’ ils aient en certains cas le titre de lord , par
eou rto ijiene le reçoivent pas dans lès: tribunaux.
( ») L ’orateur de la chambre des pairs, qui eft .ordinairement le lord chancelier, doit defcenire de fon fac de laine
pour venir recevoir le bill....,
( 3 ) On donne le nom d'ijjiftans de la chambre des pairs aux douze grands juges & aux maîtres de la chancellerie.
(4) Les membres'de la chambre des communes n’ont pas ce droit, parce qu’ils font eux-mêmes procureurs ou yicé»
géreas du peuple, 4. Infi, p, u ,
L«
Le parlement d'Angleterre n eft point réduit à
attendre patiemment les loix qu'on voudra bien
lui propofer. A l'ouverture de chaque feflion , il
prend lui-même en main le grand livre de l'état ;
il en ouvre toutes les pages ; il en examine tous
les articles.
Ldrfqu’il découvre des abus, il recherche quelles
en font les caufes : s'ils proviennent de la
violation des loix , il raffermit les loix : s'ils
viennent de ce que les loix n’ontpas prévu tels cas,
il établit fur chacun de ces cas des loix nouvelles.
Il ne fe prefle pas fur le grand objet des fub-
fldes, & il ne fe détermine à cet égard que quand
il voit toutes les fûretés de l’état folidement établies.
Le contrat qu'entraînent les loix n'efl point
un contrat gratuit, & où le peuple foit obligé
de prendre ce qu'on lui donne, & comme on le
lui donne : c'efl un contrat dans lequel il achète
&paye, & dont il dicte lui-même l'es conditions.
Il étoit donc indifpenfablc que les chofes fuf-
fent ordonnées en Angleterre » comme elles le font.
Si les reflorts moteurs du pouvoir exécutif font
entre les mains du roi un dépôt facré,. ceux du
pouvoir légiflatif font, entre les mains des deux
chambres j un dépôt qui ne l'eft pas moins,, dès
qu'on met en mouvement ces reflorts du pouvoir
légiflatif, le -roi èft frappé de l'immobilité
dans laquelle fe trouvent les lords & le peuple
à l'egard des prérogatives royales : lorfqu'il eft
au parlement, il a laifle fa puiflance en dehors,
& il n'a que le droit de dire oui ou non.
Si une malle, telle que la puiflance royale, avoit
pu s'agiter dans le corps légiflatif, elle l'auroit
Rarement bouleverfé.
Quelques auteurs (1) , féduits par une admiration
peu réfléchie pour les gouvernemens de 1 antiquité
, ou par le plaifir de montrer de la grandeur
au milieu de ce qu'ils appellent la lie de
nos temps modernes 3 n'ont fu voir de modèle
que dans l'inftitution de Sparte ou de Rome. Suivant
eux , la feule affaire du citoyen eft d etre
fans ceffe affemblé fur la place , ou de marcher au.
combat : être vaillant , endurci aux travaux , dévoré
d’un ardent amour de là patrie , c'eft-a-dire ,
de l'ardent defir de'nuire aux autres hommes ,
en faveur de- la fociété dont on eft membre :
avoir un ardent amour de la gloire (2) , c eft-adire
, l'ardent defir de maflacrer fes voifins pour
fe glorifier enfuite de cette boucherie, leur ont
paru les feules chofes quL^uiffent faire eftimer
l'homme focial : afin de donner un air de vigueur
a ce fyftême, ils fe fervent de mots exagérés ,
ils emploient fans celle les termes de lâcheté ,
d'aviliffement, de grandeur darne , de vertu ; ils
ne nous ont jamais dit la feule chofe qu il falloit
dire , favoir , fi l'on- était heureux dans ce*
états qu'ils nous exhortoient d’imiter. Peu-
fonne ne rend plus de jufliee que moi aux vertus
& au patriotifme de Rome & de Sparte.
Malheur au coeur foible que n'échaufferojent pas
de fl nobles exemples l Mais lorfqu'il s'agit de
donner aux hommes des. leçons de politique, il
eft inutile de parler fans ceffe d'un état de chofe*
qui ne reviendra plus ; & les bons efprits ne
peuvent établir que des maximes propres à la fi-
tuation où fe trouvent aujourd'hui les différent
peuples du monde.
Qu'on me dife , par exemple, fi l’inflitution
de Rome ou de Sparte- conviendroit aux anglois*
Par l'arrangement des chofes, les loix fon dame nr
taies de ces deux républiques dévoient d'une année
à l'autre dégénérer , & le citoyen perdre
peu à peu quelques articles de fa liberté : par la
forme du gouvernement anglois au contraire chaque
année perfectionne la conftitütion > le citoyen
y acquiert un nouveau degre d energie & de liberté.
On peut obferver en, effet les progrès journaliers
de la chambre des communes. On a vu
Yés repréfentans du peuple fe donner tout ce qui
peut fervir à déployer avec effet le pouvoir dont
ils font dépôiîtaires , tout ce :j qui peut rendre
leurs réfolutions juftes & éclairées. Dès leur origine,
ils demandèrent à s'affembler féparément ;
ils obtinrent enfuite de fe nommer un préfi-
dent (3)-, bientôt après ils voulurent être cou-
fultés fur la dernière forme^ desj adtes j enfin ils
voulurent les dreffer eux-mêmes.. .
Pour prévenir dans leur intérieur toute poflibi-
lité de furprife -, chaque propofition ou chaque
bill doit être lu trois fois à des jours différens;
& avant chaque leéture du bill, il faut réfoudre
expreflement qu'on doit s'en occuper : fi le bill
eft rejetté l’une désarrois fois, il tombe & on
ne peut plus le repréfenter dans cette feflion (4).