
paroît que la révolution dans les efprits n*étoït
pas encore confommée. On a peut-être même méconnu
dans plulieurs endroits la liaifon des fepul-
tures avec les moeurs & avec la religion : la fcience
& la railon, qui dépofoient des idées dans la nation
, ne Ce font point déconcertées de l’inéxécu-
tion de ces premières loix. Sûres de l’effet qui
finirait par avoir lieu , elles ont paru pendant
long-temps indifférentes fur les moyens qu on a
pris pour mettre en oeuvre leur bienfaifante théorie.
On a d’abord fait tomber la réforme fur une
foule de cimetières qui en avoient le moins befoin j
cette réforme étoit concertée, 8i , doit-on le dire,
néceffaire pour Paris feul 8c quelques villes du premier
ordre. On a vraifémblablement cru que
l’exemple donné par des paroifles, dont les inhumations
étoient fans danger , difliperoit le nuage
des difficultés qui s’élevoient du cote de la capitale.
Mais des opérations exécutées avec facilité
& fans grande utilité, dans les campagnes ,
étoient-elles propres à obvier aux obftacles que
la complication des mefures 8c la neceffite des de-
dommagemens occafionnent dans Paris 8c dans les
grandes villes ? > « .
Enfin , on en eft venu au point ou 1 on délirait
arriver, 8c d’où l’on auroit du partir j & 1 autorité
doit fe laffer des oppofitions, fi peu 8c fi
mal difcutées, qu’éprouvent fes vues droites &
utiles. Il eft peu de faits aufïî propres que celui-
ci, pour faire mefurer à un miniftre qui veut conf-
tamment le bien , quelle eft la multitude & la nature
des obftacles que rencontrent les innovations
les plus fages. L’autorité a paru même obligée
de ceder de temps en temps j mais elle arrive in-
fenfiblement à fon but, & cette fois elle veut y
parvenir.
Ainfi nous venons de voir profcrire la grande
fépulture de Paris. Il eft vrai qu’on n’avoit point
fuffifamment pourvu aux lieux où l’on placerait les
corps qu’on y dépofoit. Le défordre s’eft jetté parmi
les ag£ns chargés de trouver de nouveaux cimetières.
C’étoit le moment de s’affembler, degénéralifer les
vues 8c l’exécution. Il n’y a point eu d’accord 8c
d’enfemble dans l’acquiefcement. On a fini par
imaginer un ordre qui a plus d’inconvéniens que
l’ancien. Mais ce que le gouvernement vouloit a
eu lieu, 8c enfin, au premier décembre 1780,
on a écarté du cimetière des Innocens les morts
qui ne dévoient plus s’y rendre, dès le premier
novembre.
Il a fallu, pour interdire ce cimetière, qu’après
une multitude de faits 8c d’obfervations qui conftatoient
foft infalubrité (1), le malheureux acci-*
dent du 4 juin 1780 vînt fournir des armes. Le
gouvernement defiroit commencer l’entreprife. On
a donc défendu l’accès de ce cimetière j & probablement
on a prévu que l’embarras dans lequel
l’interdiélion de. cette vafte fépulture alloit jetter
les quatorze paroiffes qui y portoient leurs corps ,
conduirait à profcrire les autres cimetières par un
arrangement qu’il feroit néceffaire de rendre général.
Effectivement, on n’avoit parlé hautement juf-
qu’alors que contre le cimetière des Innocens. Quels
cris les mefures qui viennent d’être prifes pour y
fuppléer 3 n’ont-elles pas produits ! des cimetières
déjà trop refferrés pour une feule paroiffe, reçurent
les corps de celles qui étoient voifines î 8c ainfi les
maux qu’on reprochoit à un feul cimetière 3 vont
en défoler plulieurs. Il y a des paroiffes qui oqt
été jufqu’à placer toutes leurs fépultures dans des
caveaux, & même dans des caves (2), tandis que
ces caveaux font eux-mêmes regardés comme au-
j tant de foyers où peuvent fe préparer des mofettes
! pernicieufes pour ceux qui les ouvrent, & pour
ceux qui feraient alors placés aux environs.
J’ai compté affez fur l’indulgence de mes lecteurs
, pour ofer leur préfenter le réfultat de mes
réflexions fur cette importante matière. Je com?
mencerai par difcuter la néceffité de l’innovation $
je ne m’arrêterai pas long-temps à cette partie ,
parce que je crois qu’il eft plus temps d’agir que
de raifonner, 8c parce que cette matière tenant à
la phyfique 8c à des nuances religieufes & mora-
! les, je penfe que l’attention fe porte principalement
fur ces dernières. J’ouvrirai enfuite le plan
de conciliation, qui m’a paru le plus heureux pour
fatisfaire le gouvernement, conferver la décence
des fépultures, & dédommager les curés 8c les
fabriques.
Les cimetières dans les villes font-ils nuifibles ?
Si cette queftion doit fe décider d’après l’autorité
des phyficiens, eft-il encore 'permis de l’agiter ?
Ce n’eft point à l’épidémie de tout innover, que
nous devons des obfervations multipliées & des
réfultats fur cette matière. On trouve encore ici en
défaut cette fureur de crier à la nouveauté contre
toute fpéculation utile. Ramazzini, dans fon traité
de noxiis paludum effluviis j Henricus Sécréta 3 dans
fon ouvrage de Morbis cafirenfibus j Claude Guichard
3 fur les fépultures des anciens } Filius Gre-
gorius Giraldus , de fepulchris & vario fepeliendi
ritu ,* Joannes Meurfius , de funere ; Alexander ah
Alexandro , de genialibus diebus ; Ludovicus Coelius ,
(1) En ix8j , Philippe VI fit interdire pendant ciriq ans ce cimetière. En 1154, Houllier & le célébré Fernel furent
appelle«, & donnèrent contre ce cimetière un rapport très-détaillé. La plus ancienne des plaintes qui fe trouvent aux bureaux
de la police, eft de 17*4. Le rapport eft de 1725. En 1737, fur de nouvelles plaintes, le parlement, par fon
arrêt du 9 juillet, nomma pour examiner ce cimetière MM. Lemery, Hunauld & Çeoffroi, qui firent le «a mai 1738
un rapport qui eft volumineux. En 174<5, nouvelles plaintes, nouveau rapport du comroiflairc nommé, à cet effet par
M« de Marville. Le 7 novembre 175$ , M. Berryer fit encore dreftèr un rapport*
(9) Eftài fur les dangers des lepulgircf* Difcours prélim» pag. 114« ' - ’ ' - ,
in lettionibus aniiquis ,* Jacob Gutherïus 3 de jure
manium, Onuphrius Panvinius 3 de ritu fepeliendi
apud veteres & eorumdem coemeteriis ; Guillaume
Bernard , de fepulturis & exequiis ; Thomas Por-
caccius, Dialogue fur les funérailles des anciens ;
Rirchmannus » de funere romanorum j funerati An-
tichi de diverfi populi è nationi 3 con figur. dél
porto. Venife, 1674. Paofor, Diemerbbr, Crânts
& plulieurs phyficiens des derniers fiècles, avoient
déjà renouvellé l ’opinion que les anciens ont eue
fur le danger des fépultures dans les villes;
Les adverfaires de nos fépultures me permettront
d’obfèrver que la plus grande partie des faits
allégués par ces naturaliftes, ne déponent que contre
les inhumations dans les temples. Et on fent
la différence des exhalaifons que doit répandre
une multitude de corps enterrés dans une églife
q u i, la plus grande partie du temps, eft fermée,
& ne s’ouvre que pour recevoir un peuple nombreux
, avec les-exhalaifons que des cadavres jettent
dans un air auffi libre que celui de nos cimetières.
Il y auroit encore une difficulté à faire , c’eft
que fa plupart des faits prouvent moins le danger
abfolu des fépultures dans -les églifes ou dans les
cimetières 3 que la néceffité des précautions qui les
empêcheraient d’être nuifibles. C ’eft fur-tout la
trifte vérité qu’il faut recueillir des célèbres foffes
de Saulieu, de Dijon 8c de Montpellier ; 8c il
ne ferait pas jufte de rejetter fur la nature les évé-
nemens qu’il ne faut attribuer qu’à la criminelle
négligence des foffoyeurs.
Quoi qu’il en fo it , doit-on regarder comme un
guide fur, dans la matière qui nous occupe, l’accord
univerfel de tous les gens de l’art qui ont
été cônfultés ? O r , il n’en eft aucun qui ait en-* !
core ofé prendre la défenfe de nos cimetières. Au
contraire, on voit avec confolation que la réaction
contre ces dangereux établiflemens, faite d’abord
chez l’étranger j procure aduellement à plulieurs
villes du nord une parfaite falubrité.
Ainfi les capitales de Danemarck, de Tlrlande
& de l’Empire, doivent en partie à cette innovation
la bonté de “l’air qu’on y. refpire. L ’impératrice
reine que toute l’Europe regrette, après l’avoir
long-temps admirée, avoit rènouvellé dans fes
états les ordonnances impériales, 8c avoit voulu
qu’il fût conftruit un cimetière public hors des
murs de Vienne. Vous pouvez lire à ce fujet l’ex-
ceilente differtation que le favant 8c religieux
M. Habbermann a publiée fous ce titre : D.ijfer-
tatio de optimo fepeliendi ufu thefis publicè propug-
nota y VindebonSy I772.
En France, nous ne connoiffons pas un feul
livre en faveur de nos cimetières. Mais chacun a
cotinoiffance d’une multitude d’ouvrages écrits pour
éloigner de nos habitations le fléau des fépultures.
Tels font les Mémoires de M M. Haguenot,
(Scon. polit. & diplomatique. Tom. I.
Maret, Louis, Olivier, Guillaume Bernard, Na-
vier, &c. Tel eft encore le nouvel eflai fur les
heux & les dangers des fépultures, imprimé à
j sx e? : c une traduâion de l'italien
de M. icipion Piatolli, avocat &profeffeur d'hif-
toire ecclefiaftique dans l’univerfité de Modène.
J invite fur-tout à prendre connoiffance de l’aver-
tinement qui précédé cette traduâion ; on y trouvera
un tableau affez bien fait des efforts que la
nouvelle phyfique a faits, pour préferver nos villes
de ces cloaques religieux.
Il eft un moyen bien fimple de s’affurer de la
maniéré de penfer d'es phyficiens fur nos cimetières
; c eit de confulter les compagnies qui s’occupent
d une maniéré fpéciale de l'étude de la na-
jUred & J,ce qui,infPire encore plus de confiance,
de lart de guérir; y auroit-il de la témérité 1
préjuger leur decifion-uniforme , par ce qu'elles
ont déjà dit dans plulieurs occafions importantes ,
& de croire qu il n y auroit aucune de ces com-
pagnies, & peut-etre pas un-feul de leurs membres,
qui elevaffent leurs voix en faveur du fvf-
terne de nos inhumations. 1
Ileftvraifemblable que nos phyficiens ont trop
groffi leurs dangers. C'eft l'effet ordinaire de
théories que le bien.de l'humanité oblige d'expo-
fer C eft peut-etre auffi l'effet des oppofitions
quils ont prevues , & que même ils ont éprou-
vees.
Mais ne peut-on pas auffi reprocher aux par-
tifans de nos cimetières d'avoir trop diffimulé leur,
malignes influences ? & même la prévention n'a-
t-eHe pas ete jufqu'à leur attribuer des qualités
bienfaifantes ï J ai moi-meme entendu prefque affi-
miter les odeurs fétides qu'ils vomiffent, aux dou-
ces vapeurs dont la terre baigne les plantes qui
1 embelbffent, & a l'air pur que la convalefcence
va demander aux campagnes les mieux fituées ;
comme fi les gazinfeâs & peftilentiels que répandent
au loin fes cadavres des infeâes, qui vont
en foule expirer dans les marais de l'Egypte
etoient auffi falutaires que les particules balfami-
ques. que les vents alifes du printemps viennent y
apporter. Des exagérations femblablesne produi-
lent point le choc qui donne l'étincelle de la vérité
: des obftrvations précires, des putréfadions
continuelles & toujours foudaines, nos propres
fenfanons font blanchir ces affertions outrées &
nous donnent l’avertiffement falutaire du danger
Au refte , je demande fi , dans le conflit des opi-
nions fur la nocibilité des cimetières 3 il ne fuffit
pas de demander de quel côté font les phyfî-
ciens. r 7
Je fais qu on a fait un relevé des perfbnnes
mortes pendant dix ans fur le cimetière des Innocens
; & il eft vrai que la médecine n’a pas trop
pris le temps de vérifier ces tables mortuaires >
parce que * ou elle ne les regarde pas comme
D d d d