
dans tout le royaume ; la culture qui fe fait avec
les boeufs difparoîtroit prefqu'entièrement, parce
que le produit procureroit par-rtout aux propriétaires
de riches fermiers en état de faire les frais
d une bonne culture. Si la petite culture fe con-
fervoit enc.ore dans quelques pays* où elle pa.roî-
troit préférable à la grande culture , elle pourroit
elle-même prendre une meilleure forme par T attrait
d'un gain qui dêdommageroit amplement les propriétaires
des avances qu'ils feroient : le métayer
alors pourroit payer fur fa part de la récolte la
même taille que le fertnier; car fi un métayer avôit
pour fa part dix-huit ou vingt boilfeaux de bled.
par- arpent de plus qu'il n'en recueille par la petite
culture ordinaire , il trouveroit en payant quatre
ou cinq fois plus de taille , beaucoup plus de profit
qu'il n'en retire aujourd'hui. L'état de la récolte
du métayer pourroit donc fournir auffi une
règle fure pour l'impofition d'une taille proportionnelle.
■
Voilà donc au moins des règles fimples, faciles
& fûres pour garantir les laboureurs delà taxe
arbitraire -, pour ne pas abolir les revenus de
l'état par une impofition deftruètive, pour ranimer
la culture des terres & rétablir les forces du
royaume.
L'impofition proportionnelle des autres habi-
tans de la Campagne peut être fondée auffi fur des
rofits ou fur des gains connus ; mais l'objet étant
eaucoup moins important , iLfuffic d'y apporter
plus de ménagement que d'exaélitude ; car l'erreur
feroit de peu de conféqüetice poùç les revenus du
roi, & un effet beaucoup plus avantageux qui
en réfulteroit feroit de favorifer la population.
La taille dans les villes ne peut fe rapporter aux
mêmes règles : c'eft à ces villes elles-mêmes à en
propofer qui leur conviennent. Je ne parlerai pas
de la petite maxime de politique que l'on attri-
bue au gouvernemenr , qui, dit-on , regarde l'impoli
tion arbitraire comme un moyen alfuré pour
tenir les fujet-s dans la foumiflion : cette conduite
abfurde ne peut pas être imputée à de grands mi-
niftresqui en connoifient tous les inçorivéniens &
tout le ridicule. Les fujets taillables font dès
hommes d'une très-médiocre fortune , qui ont plus
befoin d'être encouragés que d'être humiliés ; ils
font aflujettis fouverainement à la puiffance royale
8c aux loix > s'ils ont quelque bien 3 ils n'en font
que plus dépendans , que plus Jiifceptibles de
crainte & de punition. L'arrogance ruftiquéqu’on
leur reproche éft une forme de leur état-qui eft
fort indifférente au gouvernement; elle fe.borne
à réfifter à ceux qui font à peu-près de leur ef-
pèce , qui font encore plus arrogàns , 8c qui veulent
dominer. Cette petite imperfe&ion ne dé-,
fange point l'ordre $ au contraire elle : repoulfè le
mépris que le petit bourgeois affeéle pour l'état
le plus recommandable & le plus eflentiel. Quel
avantage donc prétendroit-on retirer de f'impofi-
tion arbitraire de la taille, pour réprimer des
hommes que le miniftere a intérêt de protéger ?
Seroit-ce pour les expofer à l'injuftice de quelques
particuliers qui ne pqurroient que leur nuire
au préjudice du bien de l'état.
Objervation fur /'exportation des grains. L'exportation
des grains qui eft une autre condition ef-
fentielle au rétabliifement de l'agriculture ne con-
tribueroit pas à augmenter le prix des grains. On
peut en juger par le prix modique qu'en retirent
nos voifîns qui en vendent aux étrangers ; mais
elle empêcheroit les non-valeurs du bled j ce feul
effet, comme nous l'avons remarqué plus d'une
fois, éviteroit à l'agriculture pltisde cent cinquante
millions de perte. C e n'eft pas l'objet de la vente
en lui-même qui aous enrichiroit, car il feroit
fort borné faute d'acheteurs Voye\ l'article F e r m
i e r . En effet notre exportation pourroit à
peine s'étendre à deux millions de feptiers de
tous grains.
Je ne répondrai pas à ceux qui craignent que
l'exportation rt'occafïonne des difettes ( i ) , puif-
que fon effet eft au contraire d'afiurer l'abondance,
8c que l'on à démontré que les moiffons des
mauvaifes années furpafleroient celles que nous ‘
recueillons actuellement dans les années ordinaires;
ainfi je ne parlerai-pas non-plus des projets
chimériques de ceux qui propofent des éta-
bliffemens de greniers publies pour prévenir les
famines , ni des inconvéniens ni des abusinfépa-
rables de pareilles précautions. Qu'on réfléchiflè
feulement un peu fur ce que dit à eet égard un
auteur anglois (2).
« Laifions aux autres nations l'inquiétude fur
»2 les moyens d'éviter la famine ; voyons-les éprou-
» ver-la faim au milieu des projets qu'elles for-
» ment pour s'en garantir ; nous avons ttouvé 3
33 par un moyen bien fimple, le fecret de jouir
33 tranquillement & avec abondance du premier
33 bien héceffaire à la vie 5 plus, heureux que nos"
33 pères, nous n'éprouvons point ces excefiîvrs
» &Yubites différences dans le prix des bleds ,
33 toujours caufées plutôt par crainte que par
i> la réalité de la difette . . . ; En place de vaftès &
» nombreux greniers de reffource 8c de prévoyance
33 nous avons de vaftes plaines enfemencées ».
« Tant que l'Angleterre n'a fohgé à cultiver
» que pour fa propre fubfiftance, elle s'eft trouvée
33 fouvent au defious de Tes befoins, obligée d'a-
33 cheter des bledsS étrangers : mais depuis qu'elle
33 s'eri eft fait un objet de commerce, fa culture
|| a tellement augmenté, qu’une bonne récolte
33 peut la nourrir cinq ans, 8c elle eft en état
fi) Voyelle Traité de la;policé' de*: grains , par M. Herhetc.
j?) & défavantages de la G ra u dé- 13 r £ ta g ne.
3 •‘maintenant
» maintenant de porter les b’ed$ aux nations qui
33 en manquent ». ■
33 Si l'on parcourt quelques-unes des provinces de
» la France, on trouve que non-feulement plufieurs
33 de fes terres reftent en friche, qui pourroient
33 produire des bleds ou nourrir des beftiaux j
03 mais que les terres cultivées, ne rendent pas à
» beaucoup près à proportion de leur bonté j parce
33 que le laboureur manque de moyens pour les
33 mettre .en valeur ».
33 C e n'eft pas fans une joie fenfible que j'ai re-
33 marqué dans le gouvernement de France, un vice
33 dont les conféquences font fi étendues, 8c j'en
33 ai félicité ma patrie j mais je n'ai pu m'empê-
33 cher de fentir en même - temps combien formi-
33 dable feroit devenue cette pniflance, fi elle eût
33 profité des avantages que fes pofleffions 8c fes
33 hommes lui offroient. O fuaJi bona norint ( i ) » /
Il n'y a dojnc que les nations où la culture eft
bornée à leur propre fubfiftance , qui doivent
redouter-les famines..Il Tenable au contraire que
dans le cas d'un commerce libre des grains, on
pourroit craindre un effet tout oppofé. L'abondance
des productions que procureroit en.France
l'agriculture portée à un haut degré , ne pourroit-
elle pas les faire tomber en non - valeur ? On peut
s'épargner cette inquiétude ; la pofîtion de ce
royaume, fes ports, fes rivières qui le traverfent
de toutes parts, réunifient tous les avantages pour
le commerce : tout favorife le tranfport 8c le débit
de fes denrées. Les fuecès de l'agriculture y réta-
blifoit la population & l'aifance 5 la. confomma-
tion de toute efpèce de productions premières 8c
fabriquées, qui augmenteroit avec le nombre des
habitans , ne laifieroit que le petit fuperflu qu'on
pourroit vendre à l'étranger. Il eft vrai qu'on
pourroit redouter la fertilité des colonies de l'A -
mérique, 8c l’accroiffement de l'agriculture dans
çe nouveau monde, mais la qualité des grains en
France eft fi fupérieure à celle des grains qui naif-
fent dans ce pays-là, & même dans les autres ,
que nous ne devons pas craindre l'égalité de
concurrence ; ils donnent moins de farine , & elle
eft moins bonne. Celle des colonies qui pafle les
mers fe déprave facilement, 8c ne peut fe. confer-
ver que fort peu de temps : celle qu'on exporte de
France eft préférée, parce qu'elle eft plus profitable
, qu'elle fait de meilleur pain, 8c qu’on peut
la garder long-temps. Ainfi n o s bleds 8c nos farines
feront toujours mieux vendus à l’étranger.
Mais une autre raifon qui doit tranquillifer, c'eft
que -l'agriculture ne peut pas augmenter dans les
colonies, fans que la population 8c la confomma-
tion des grains n'y augmentent à proportion ; ainfi
leur fuperflu n'y augmentera pas en raifon del'ac-
croiflement dé l'agriculture.
Le défaut de débit & la non - valeur des denrées
, qui ruinent nos provinces, ne font que l'effet
de la mifère du peuple, 8c des empêchemens
qu'on oppofe au commerce de nos produ&ions.
On voit tranquillement dans plufieurs provinces
les denrées fans débit 8c fans valeur ; on attribue
ces défavantages à l'abfence des riches, qui ont
abandonné les provinces pour fe retirer à la cour
8c dans les grandes villes j on feuhaiteroit feulement
que les évêques, les gouverneurs des provinces,
8c tous ceux qui, par leur état, devroient
y réfîder 3 y confommaftent effectivement leurs
revenus > mais ces idées font trop bornées ; ne
voit-on pas que ce ne feroit pas augmenter la con-
fommation dans le royaume, que ce ne feroit que
la tranfporter des endroits où elle fe fait avec
profufion, dans d’autres où elle fe feroit avec
économie ? Ainfi cet expédient, loin d'augmenter
• ( t )S i malgré des raifons fi décifives, on aroic encore de l’inquiétude fur fes difettes dans le cas d’exportation , il eft facile
de fe rafiurert; car on peut, en permettant l’exportation, permettre auffi l’importation des bledsétrangers fans exiger des droits :
par là le paix du bled ne pourra pas être plus haut chez nousque chez les autres nations qui en exportent. Or , on fait par une
longue expérience qu’elles font dans l’abondance & qu’elles éprouvent; rarement des chertés ; ainfi la concurrence de leurs bleds
dans notre pays empêcheroit nos marchands de fermer leurs greniers, dans l’efpérance dune cherté, & l’inquiécude du peuple
ne feroit point augnenter le prix du bled, par la crainte de la famine, ce qui eftprefque ’toujours l’unique caule-des chertés
exceffives; mais quand on le voudra de telles caufes difparoîtiront à la vue des bacteaux de bleds étrangers qui arriveroient à
Taris. Les chertés, n’arrivent toujours que par le défaut de liberté dans le commerce du bled. Les grandes difettes réelles fone
très-rares eh France, & elles le font encore plus dans les pays ou la liberté du commerce du bled foutiént l’agriculture. En
1709 , la gelée fit par-tour manquer la récolte ; le feptier de bled valoir en France , cent livres de notre monnoie adhielie , &
on ne le vendoit en Angleterr que quarante-trois livres, ou environ le double du prix ordinaire dans ces temps-là : ainfi ce n’etoie
pas pour la nation une grande cherté. Dans la difette de 16)3 & de 1694 > coûtolt moitié moins en Angleterre , quoique
l’exportation ne fût établie en Angleterre que depuis trois qu quatre ans : avant cette exportation , les Anglois efiityoicnt fou-
vent de grandes chertés, dont nous profitions par la liberté du.;ç©mmerce de nos grains. Sous les règnes d’Henri IV, de Louis
XIII, & dans les premier temps du règne de Louis XIV, l’abondance ôc le bon prix entretenoienc les richefiès de la nation ;
car le. prix commun du bled en France étoit fouvent zs liv. & plus de notre monnoie ; ce qui formoic annuellement
tins richefie dans le royaume de plus de trois milliards qui , réduits à la monnoie de ces temps - là , écoient environ
i2oo millions. Cette richefTe eft diminuée aujourd’hui de 5 fixièmes. L’exportation ne doit pourtant pas être illimitée
; il faut qu’elle foit comme en Angleterre interdite , lorfque le bled pafle un prix marqué par la loi. L’Angleterre vient
d’efluyer une cherté, parce que le marchand eft contrevenu à cette règle par des abus & des monopoles que le gouvernement
a tolérés, & qui ont toujours de funeftes effets dans un état qui a recours à des refiources fi odieufes : ainfi la
nation a éprouvé une cherté dont l'exportation même l’avoit préfervée depuis plus de 60 ans. En France , les famines font
fréquentes, parce que l’exporta'ion du bled y etoit fouvent défendue, & que l’abondance eft autant défavantageufe aux
fermiers que les difettes font funeftes aux peuples. Le prétexte de remédier aux famines dans un royaume , en interceptant
le commerce des grains entre les provinces , donne encore lieu à des abus qui augmentent la mifère , qui dc-
fruifent 1 agriculture , & qui anéantifïenc les revenus du royaume»
polit. & diplomatique, Tom. I , Y y