
laquelle acheva de porter atteinte à l'inftru&ion
& à l’e'ducation , fources principales des vertus
rhorales & civiles des chinois. On confervoït; les
anciens livres} mais ils étoient peu confultés &
encore moins entendus. Ils étoient tombés dans
l'oubli. A r lg e de 19 ans, Confucius'entreprit de
rétablir, dans l'efprit de fes concitoyens, la doctrine
des premiers temps. Pour cçt effet, il commenta
les anciens livres , mit dans les principes
qu'ils renfermoient, plus d' ordre, plus de fuite ,
plus de liaifon, leur donna allez, de clarté & de
fimplicité pour être entendus de tout homme doué
une intelligence commune, & obtint ainfi tout
Te fuccès qu'il defiroit.
On conferve à la Chine la plus grande vénération
pour ce philofophe. Ses ouvrages ont une lî
grande autorité , que ce fer oit un. crime punifla-
61e d'y faire le moindre changement. Dès qu'on,
cite un paffage de fa doârine , toute difpute celfe.
■ t e s mandarins & les gradués s'affemhlent, en. certains
temps de l'année , pour rendre leurs devoirs
a Confucius. Dans le pays, qui lui dpnna la naif-
fance , les chinois ont élevé plufieurs monumens,
témoignages publics de leur reconnoilTancè. Chao-
Hoang-ti, fondateur de la cinquième dynaftie ,
allant vilîter le tombeau de Confucius, lui rendit,,
à la manière chinoife, les mêmes honneurs qu'on
rend aux rois , & dit aux courtifans furpris de J
cette aéfion : s'il ne mérite pas ces honneurs par
fa qualité, il en eft digne par l'excellente doctrine
qu'il a enfeignée (1 ). -
Ses fuccefieurs marchèrent fur fes traces 5 ils
rétablirent les écoles , fondèrent des collèges, inf-
tituèrent des académies , & ne dédaignèrent pas
de s'y montrer les inftituteurs & les do&eurs de
leurs fujets. Enfin Han-Tchang-ti fit conftruire
une falle où il plaça l'effigie de Confucius & celles
de foixante & douze de fes difciples ; & avec
toute la pompe qui accompagne l'empereur dans
fes plus grandes folemnités, rendit à Confucius les*
devoirs que les difciples rendent à leur maître (2)..
' Confucius eft donc en effet le do&eur de la
Chine : les falles confacrées en fon honneur dans
toutes les villes & le culte qu'on lui rend, donnent
à fa doctrine une autorité irréfragable, & en
aflurent la perpétuité dans tout l'empire.
$. I I.
JLtendue & projpérité de. l'empire de la, Chine.
C e t empire eft borné à l'orient par la mer du
Japon, au nord par la grande muraille, à l'oujeft
par de hautes montagnes & des déferts de fable.,, |
au fud par l'océan., les royaumes de Tunquin &
de Cocninchine. On, fait, d'après des obfervations ‘
très-fcrupuleufes, que la Chine proprement dite
n a pas moins de 500 de nos lieues du fud au
nord '3 & de 4^0 de l'eft à l'oueft ; mais fi l'on
veut avoir l'exadte dimenfion de l'empire entier
de la Chine, on trouvera qu'il n'a pas moins de
900 lieues d'étendue depuis les frontières de la
Tartane Rufle au y y8 degré , jufqu'à la pointe de
I ifie de Hainang, au 2oG degré un peu au-delà
du tropique du cancer.
On ne peut rien dire de pofitif fur l'étymologie
du nom de Chine que les européens donnent à cet
empire j les chinois l'appelloient, fous la race
precedente , royaume de la grande fplendeur ; fon
nom aéluel eft , royaume de la grande pureté. Quoi
qu il en foit, on doit convenir que c'eft le plus
beau pays de l'univers, le plus peuplé, & le plus
floriflant royaume que l'on eonnoiffe > & que l'em-
pue de la Chine vaut autant que toute l'Europe,
II elle étoit réunie fous un feul fouverain.
La Chine fe partage en quinze provinces j la
plus petite, au rapport du père le Comte , eft fi
; fertile & fi peuplée , qu'elle pourroit feule former
un état confldérable.
; Chaque province fe divife en plufieurs cantons,
[ dont chacune a pour capitale un Fou, c'eft-à-dire,
1 une ville du premier rang. C e Fou renferme un
| tribunal fupérieur, duquel relèvent plufieurs autres
jurifdi&ions fituées dans des villes du fécond
rang, qu'on appelle t-cheous , qui préfident à leur
tour fur de moins, confidérables, appellées A-ycw
, ou villes du troilième rang, fans parler d'une multitude
jie bourgs & de villages, dont plufieurs
: font auffi grands que nos villes.
Pour donner une idée générale du nombre &
de la grandeur des villes de. la Chine , il nous fuf-
fira de rapporter ici les termes du père le Comte.
c< J'ai v u , dit-il, 7 ou & vil les toutes plus grandes
que Paris , fans compter plufieurs autres
” où je n'ai pas été. II y a plus de 8© villes du
tM premier ordre, qui font comme Lyon ou Bor-
; » deaux. Parmi 200 du fécond ordre, il y en a;
i » plus de ioq comme Orléans ; 8c , entre environ.
1 ». 12©o du troifième, on. en trouve y à 6oo auffi
; » confidérables que Dijon ou la Rochelle... J'ai
» parcouru moi-même la plus grande partie de la
» Chine, & deux mille lieues que j'ai faites peu-
» vent rendre mon: témoignage non- fufpeét ».
La vafte étendue de la. Chine fait aifément concevoir
que la température de l'air 8c l'influence'
des corps céleftes ne font pas par-tout les mêmes :
on peut juger de-là que la- diverfité des climats
m'exige pas différentes formes de gouvernement.
Les provinces feptentrionalos font très^-froides en
hyver, tandis quecellesdu fud font toujours tempérées
y en été la. chaleur eft fupportable dans- les
premières, & exceiEve dans les autres.
(1) Hiftoire générale de la Chine , tom. 2, pag. 518,
(2) Ibid, tom, j , pag; 386t
Autant il y a de différence dans le climat des
provinces , autant il s'en trouvé dans la furface
des terres, 8c dans les qualités du territoire : les
provinces de Yun-nan, de Quei-cheu, deSe-tchuen
& de Fo-kien font trop montueufes pour être cultivées
dans toutes leurs parties. Tche-Kiang, quoique
très-fertile du côté de l'orient, a des montagnes
affreufes à l'occident. Quant aux provinces
de Ho-nan, de Hou-quang, de Kiang-fi, de Pe-
tchelli & de Chan-tong, il n'y a pas un pouce de
terrein inutile.
\ C 'eft une vue charmante que celle de ces fertiles
campagnes où les terres ne repofent jamais,
ou les collines & les montagnes meme font cultivées
jufqu'au fommet. Rien de plus admirable
qu une longue fuite d’éminences entourées & comme
couronnées de cent terraifes, qui fe furmon-
tént les unes les autres en retréciffant : c'eft - là
qu on voit avec furprife des montagnes , qui ail?
leurs produifent à peine des ronces ou des buif-
fons, devenir ici une image riante de fertilité 8c rapporter
généralement jufqu'à trois moifibns chaque
année. ^
C e n'eft pourtant pas à des procédés particuliers
de culture, ni à l'exceffive bonté du fol qu'il
faut attribuer cette fécondité. Leurs terres ^ en
général, ne font pas de meilleure qualité qùé les
nôtres (1) j ils en. ont comme nous de bonnes,
de médiocres, de mauvaifes, de fortes, de légères
, d'argilleufes , & d'autres où4 le fable, les
pierres & les cailloux dominent. Mais c'eft que le
gouvernement de la Chine eft fondé fur l'évidence
des loix naturelles & fur la raifon éclairée} que
tous les citoyens y jouiffent de leurs droits de propriété
& de la liberté qu'ils ne tiennent que de
Dieu même, & que les cultivateurs en particulier
y font récompenfés de leurs intérefians & pénibles
travaux , par la- confidération & par l'aifance.
Quelque grand que foit cet empire , il eft trop
étroit pour la multitude qui l'habite ; & cette multiplication
prodigieufe du peuple, fi utile & fi de-
firée dans nos états d'Europe ,< où l'on croit que
la grande population eft la fource de l'opulence ,
en prenant l’effet pour la caufe, cette multiplica^
rion y produit quelquefois de funeftes effets. On
voit des gens fi pauvres, que ne pouvant fournir
à leurs enfans les- alimens nécêflaires , ils les éx-
pofent dans les rues. La mifère produit à la Chine
une quantité énorme d'efcla-ves, ou- de gens qui
s'engagent fous condition de pouvoir fe racheter :
un homme vend quelquefois fon fils, fe vend lui-
même avec fa famille pour uu prix- très-médiocre,
& le gouvernement d'ailleurs fi attentif ferme les
yeux à; ces inconvéniens. |
Il eft vrai que l'autorité des maîtres fur les efclaves
fe borne aux devoirs ordinaires du fervice ;
qu'ils les traitent comme leurs enfans, & que fi un
efclave s'enrichit par fon induftrie, il peut fe racheter
, du confentement de fon maître, ou s'il s'en
eft réfervé le droit dans fon engagement j mais
l'indifférence du gouvernement à cet égard n'en eft
pas moins blâmable.
Il n'eft point de nation plus laborieufe que la
chinoife, point de peuple plus fobre & plus induf-
trièux. Un chinois pane les jours entiers à bêcher
la terre ; fouvent même après avoir refté pendant
une journée dans l'eau jufqu'aux genoux, il s'ef-
time fort heureux de trouver le foir chez lui du
r iz , des herbes & un peu de thé : mais ce payfan
a fa liberté allurée. Il n'eft point expofé à être
dépouillé par des impofitions arbitraires, ni par
des exactions de publicains , qui fouvent ailleurs
déconcertent ou ruinent les habitans des campagnes.
La plupart des ouvriers à la Chine n'exercent
pas leur métier chez eux ;■ ils vont travailler dans
les maifons particulières. Les artifans courent les
villes du matin au foir pour trouver pratique , &
l'on voit Jufqu'aux barbiers fe promener dans les
rues un fauteuil fur le dos 8c le coquemard à la
main. Les forgerons même portent ave£ éux leur
enclume & leur fourneau pour des ouvrages ordinaires.
Comme il n'y a pas un pouce de terre
cultivable inutile dans l'empire, il n'y a perfonne
ni hommé ni femme qui ne foit à même de gagner
fa vie. Les moulins pour moudre le grain font la
plupart à bras, une infinité de pauvres gens &
d'aveugles font occupés à ce travail.
Enfin toutes les inventions que peut chercher
I'induftrie, tous les avantages que la né.ceffité peut
faire valoir, toutes les reftources qu'infpire l'intérêt
font ici employées & mifes à profit. On fait
même trafic d’ordures pour fertilifer la terre, 8c dans
toutes les- villes il y a des lieux publics dont les
maîtres tirent de grands avantages.
S. I I I.
Ordres des citoyens.
II n’y a que deux ordres parmi la nation chinoife,
les gens diftingués (2) & le peuple. Le"
.premier ordre comprend les princes du fang , les
hommes qualifiés, les mandarins & les lettrés. Le
fécond, les laboureurs, les marchands, les artifans,
&c.
La nation chinoife a toujours été gouvernée comme
une famille, dont l’empereur eft le père. Se s
fujets font fes enfans, fans autre inégalité que celle
qü'établifrent le mérite & les talens. Ces diftinc-
(1) Voyey les voyages' d’un philofophe , par M. Poivre , ancien intendant des ifles de France & de Bourbon.
(2) Le mémoire du dofteur Quefnay , dit là noblejîfe ; mais on verra- ci-aiprèsque ce n’eft pis le mot, parce qu’à la Chine
u n y a pas de noblelTe, telle du r»oi*s que nous la- connoiftîonc.