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»» de cette divifion. 11 faut donc que la théorie de
« la politique ne foit pas exaéfce à cet égard , puif-
« qu'elle s'égare dans la pratique, & qu'elle ne
« peut arriver à Ton but.
« Cependant le fyftême de la balance polique de
« l'Europe , quelque mal combiné qu'on puiffe le
« fuppofer, nous fournit de grands argumens,
« pour prouver que toutes les nations de cette par-
» tie de la terre fe regardent comme une feule &
» même fociété, formée par un intérêt commun,
« par un intérêt qui doit néceffairement réunir
*> toutes leurs forces particulières, pour leur don-
*■ ner une feule & meme dire&ion, afin que leur
« fureté commune en foit le réfultat. La bafe de
« ce fyftême eft la perfuafion où l’on eft que cha:
« que nation veut naturellement fa fureté per-
» fonnelle j que toutes celles dont la fureté per-
« fonnelle eft direétement ou indirectement me-
« nacée, font naturellement décidées, par ce dan-
« ger commun , à s'unir pour lui oppofer une
« réfîftance commune ;• qu'ainfi leur confédérat
i o n , fans être ni prévue ni convenue par aucun
«traité antérieur, doit néceffairement embraffer
»■ toutes les nations qui ont à craindre d'être tôt
« ou tard dans le même danger.
« Une confédération générale de toutes les puif-
» fances de l'Europe n'eft donc point une chi-
« mère , comme bien des gens l ’ont imaginé j elle
« eft même tellement dans l'ordre de la nature ,
« qu’on doit la fuppofer toujours faite , ou du
« moins toujours exiftante , fans l’entremife d'au-
» cune convention expreffe à cet égard, & par
» la feule force de la nécefuté dont elle, eft à la
« fureté politique de chaque nation en particu-
« lier. Le fyftême de la balance de l'Europe n'a
« pu s'établir fur un autre fondement que fur
» l'exiftence de cetre confédération naturelle &
« néceffaire ; & la manière de régler les procédés
« qui dévoient en réfulter, a été le feul point
» dont la politique a dû s'occuper.
ce Si ce fyftême vu dans le principe dont il eft
« émané, dans l'ordre naturel des intérêts des
« nations & des procédés que ces intérêts leur
» fuggèrent, nous montre que tous les peuples de
?i l'Europe ne forment naturellement qu’une feule
>> & même fociété, ce même fyftême, envifagé
« dans les mauvais effets dont il eft fuivi, nous
» offre encore une preuve de cette vérité , pour
« peu que nous voulions remonter aux caufes na-
« turelles de ces mêmes effets : par lui - même le
« projet d'entretenir la paix ne peut jamais occa-
?i fionner la guerre, à moins que pour l'exécution
« de ce projet on n'ait choifi des moyens qui
?s foient contradictoires avec la fin qu'on fe pro-
« pofe j alors les caufes de la guerre font dans les
?s moyens, & non dans le deffein projette : ainfi
-« par la raifon que le fyftême de la balance politi-
« que de l'Europe ne la préferve point de la guerre,
« nous 1 devons ponçiure avec certitude quç ce
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« point de vue politique peche dans les moyens
» de l'exécuter.
«Deux circonftances peuvent rendre vicieux ces
« moyens : ils le font s'ils tendent à divifer les
« puiffances de l'Europe pour les mettre, en con-
» tre-forces & en oppofition les unes aux autres ;
« ils font vicieux encore s'ils bleffent les intérêts
« naturels & légitimes de quelques nations : ef-
« fayons maintenant de nous développer.
» Si, pour établir un équilibre entr'elles, les
« puiffances de l’Europe forment des çonfédéra-
«. tions particulières & fe divifent, il eft impolfi-.
« ble qu'elles parviennent à leur. but> & quand
« elles y parviendroient, il feroit impoflible que
» cet équilibre pût fe conferver.
» Suppofons, par exemple, la maffe générale
« des forces égales à douze : pour trouver l'équi-
» libre en les divifant feulement en deux parties,
» il faut les compofer chacune de fix j mais cette
« égalité de forces devient néceffairement égalité
» de danger pour chacune de ces deux divifîons *
« & par ce moyen leur fureté refpe&ive eft fort
» équivoque. Cette égalité parfaite eft donc une
« polîtion inquiétante & périlleufe , que chaque
» puiffance a grand intérêt d'éviter, 8c qui natu-
» Tellement doit la décider à fe confédérée, de
« manière qu'elle ait pour elle la fupériorité des
« forces.
» Rien de plus fimple que l'argument qu'on
» propofe ici contre la divifion des puiffances : en
« fuppofant leurs forces dans l'équilibre le plus
« parfait, chacune d'elles fe trouve réellement
« en danger î car fi deux forces égales s'attaquent,
« rien ' de plus incertain que l'évènement. Com-
» ment peut-on fe flatter d'établir ou de çonfer-
« ver ce même équilibre, parmi, des puiffances
« dont il n'en eft aucune qui ne doive le redou-
» ter ?
« Cependant fi, dans le cas que nous venons
« de fuppofer , une feule puiffance preffée par cet
« intérêt majeur, fe détache de fon parti pour fe
«réunir à l'autre, voilà que celui - ci fe trouve
« être fept contre cinq ; alors,plus d'équilibre , il
» faut que toutes les autres branches du parti
« qu'elle vient d’abandonner fuivent Çon exem-^
« pie, auquel cas la confédération devient géné-*
» raie, ou que la guerre s'allume entre les deux
« divifions, foit parce que celle qui fe croit fupé*
« rieure en forces, peut être tentée d’en abufer,
« foit parce que l'autre, qui redoute cette fupé-r
« riorité , doit fe propofer de faire les plus grands
« efforts pour la difliper : aufli, dans ces circonf-
» tances , la-politïque épuife-t-elle toutes ces refi-
« fources pour faire naître de nouveaux intérêts.,
« qui puiffent faire changer l'état des confédéra-
« tions : 8c de-là les méfiances , les jaloufies , les
« haines nationales » les. guerres enfin* qui ne fe
j' « terminent que par des traités faits par force, &
« déftinés à être rompus fitôt qu'on croira pouvoir
« le faire avec quelqu'avantage,
« Il
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« Il eft encore une autre faifôn à rendre de
« l’impoffibilité de pouvoir compter fur un équi-,
«libre parfait entre les puiffances de l’Europe,
«en les divifant, pour les oppofer les-unes aux
« autres : il eft certain que pour établir cet équili-
v» bre, il faudroit pouvoir calculer & garantir de
» toute variation un genre d i puiffance '3 qui eft
« tout à Ja fois inculpabler8c fujet à des révolu-
« tions qui le changent du tout au tout. Les forces
«phyfiques d'une nation n'ont , pour ainfi dire,
« d'autre valeur , que celles qu’elles acquièrent par
« la manière de les employer: d e-là s'enfuit que
« le génie , les talens, l'a rt, en un mot, de faire
« valoir les forces phyffquès d'une nation , font
« une . grande partie de fa puiffance j, or ces
«avantages ont une ft grande influence dans
« les opérations pour lefquelles qn cherche à ba-
« lancer les forces , qu'un homme de plus fait
*» pencher cette balance. Ajoutez que ces.mêmes
« avantages font reconnus pour être fi inconftans,
« f i paffagers, qu'on ne peut jamais favoir de
« quel côté fe trouvera cet hômme de plus.
« L e projet de divifer des puiffances pour les
« forcer, les unes.par les autres;,ià,vivjre;en.paix,
« renferme donc-:üne contradiction évidente entre
« la fin 8c les moyens. Mais fbbjervez qué çette
« idée, chimérique tient effentieljementiau fécond
« vice qui peut fe trouver dans les pratiques,
« par lefquelles on croit pouvoir maintenir la ;
« balance de l'Europe : toutes les fois que les inté-r
« rets naturels & légitimes dç quelques nations
« feront-bleffés [| il y .aura néceffairement divifion
« entr’elles. C e fchifme politique ne, ceffera mê-
«*me de changer dé forme • 8^*d'état jufqu'à ce
« que l'arbitraire ait été banni des prétentions.
«-Si, dans les, confédérations, on fe rappelloit
» que tous les peuples ne forment entr'eux qu'une
« fociété générale > fi d'après cette première véy
« rite on examinoit de bonne foi les droits effen-
« tiels, dont chacun d'eux doit invariablement
«jou ir dans rcette même fociété ; qu'on évitât
.« avec foin de; préjudicier à pesr droits y que les
« traités ne fufferçt que Texpreffion de cet ordre
« naturel, fidèle 8c immuable, dont iï ne nous eft
« pas poflîble de; nous écarter fgns être injuftes,
« toutes les nations regarderoient comme avan-
« tageux pour elles d'accéder à ces, mêmes trai-
« tés j au moyen de quoi- la confédération de-
« viendroit naturellement &• -néceffairement gé-
« nérale. Ainfi, quandAc fyftême de la‘ balance
apolitique laiffe fubfifter cette, divifion , nous
« devons être certains qu'elle eft le fruit de fes
« inconféqüences î des injuftices qui fe trouvent
«dans les moyens qu'il emploie^, .ainfi, lorfque
« cette divifion devient une occafion de guerre,
« c'eft par une fuite naturelle 8c, néceffaire de
« cette même injufti.ee j ainfi, confidéré dans.fon
« principe ou dans fes mauvais effets , ce fyftême
« eft. également .une preuve qu’une confédération
«générale eft l'état naturel de l'Europe ; 8c que
Q$çon. polit. & diplomatique. Totn. 1,
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» tous les peuples • de notre continent, divifés.
« dans le fait & par dés méprifes-, ne forment
« cependant ‘dans le droit, qu'une feule 8t même
«fociété.
« Au fond, ce qu'on entend par la balance dé
» l'Europe, ne peut être qu'une forte de ligue
« défenfîve, dans laquelle les engagejnens auxi-
« liaires. font conditionnels & relatifs aux diffé-
« rens évènemens. qui peuvent troubler la paix.
« Sous ce point dey-ue, il .eft ;encore évident que
«.le; fyftême de c z i t t balance ,. ou ne peut pro-
« duire l’effet qu'on en attend , ou fuppofe une
«confédération générale«.
C'eft une queftion à décider, favoir fila balance
du pouvoir eft djue .entièrement à la. politique
moderne, ou fi c'eft feulement là phrafe qui a
été inventée dans cés.' derniers' temps. On lit
dans Xenophon & dans Hérodote, que lacom-
binaifon des. puiffances afiàtiques , la confédération
des affyriens , des lidièns & des égyp.-
tiens, à la tête ,de laquelle étoit Créfus, naquit
de la jaloufie que leur {ivoit caufée l'accroiffèment
dé jà puiffance des-perfes foùs Cyrus.
Dans fhiftoire des grecs, l’inquiétude de ces
peuples à Fégard de 1 a, balap.ee politique eft très-
remarqüable, Thuçidide. ..rêprefénte la lîgûe formée
.^ontre Athènes, ;&‘qui produifit là guerre
du Péloponèfé ,. comme .' entièrement due à cé
principe. Lorfqu'Athèhes commença à • décliner-,'
& que les thébains & les lacédémoniens difpu-
toiènt pour là foiiveraineté , nous trôüvohs que
les athéniens & plüfieurs autres républiques cra-
braffèrent le côte le plus foible pour conferver la
balance
En.lifant les Oraifons de Démpfthèhes,' on
voit qu'à peine- la puiffance macédonienne com-
mençe à s’élever , que cet‘orateur fonneTàllârme
8c affetnble cette armée de confédérés, qui, fous
les bannières d'Athènes, livre la bataille de Ché-
ronnée où elle eft vaincue.
Lès' f^Ccéffeurs d’Alexandre montrèrent une
grande, jaloufie a l’égard de la balance du pouvoir,
'& divifés d'intérêts, formèrent plufieurs fois differentes
confédérations lés uns contre les autres.
Tous cés exemples de confédération, dûs à
des circonftances particulières , ne prouvent pas
cependant que le fyftême de la balance dû pouvoir
fît dès lors une partie effentielle de la politique.
Les hiftoriens regardent les guerres des
grecs comme des guerres d'émulation j euffent-
elles eu pour principe le maintien de l’équilibre ,
elles n'en feroient.pas plus louables.
La fuppofitipn que les anciens ne connoiffoient
aucunement la balance du pouvoir, paroît avoir
plus de fondement dans Fhiftoire romaine que
dans la grecque. En effet, en aucun temps les
romains ne virent fe former contr'eux des confédérations
générales. Leurs voifins fe laiffèrent fub-
juguer tranquillement les uns après les autres, juf-
qu’à ce qjuç Rome eut «tendu fon empire fur la
N u