
t rice. Si Tune ne peut rien faire de confidérable
fans l'autre , les refîbrts de l'état, fe trouveront
bien montés ; 8c fi aucune des' deux ne peut entreprendre
de s'agrandir , elles feront toutes deux
réduites à ne s'occuper que du bien de l’état. Les
anglois foutiennent que leur conftitution a tous
ces avantages , 8c qu'elle eft par conféquent le
modèle le plus parfait des gouvernemens mixtes ( i ).
Si cette prétention n'ell pas vaine , on n'a plus
befoin de projets fur la manière de divifer lapuif-
Tance fuprême 3 de façon que toutes fes parties fe
tempèrent mutuellement. On peut dire avec Mon-
tefquieu : « Pour découvrir la liberté politique
« dans une conftitution 3 il ne faut pas tant de *> peine. Si on peut la voir où elle èft 3 fi où l'y
ai a trouvée , pourquoi la chercher .? » Efprit des
loix 3 Liv. X I » ehap. y.
ABUS dans V adminif ration 3 les fociétês les
gouvernemens. C'eft en général tout aéie contraire
3 l'ordre établi.
Le monde eft rempli A’abus 3 8c l'homme eft
ne avec la malheureufe faculté d'abufer de tout.
U abus eft aux deux extrémités du bien : au lieu
de nous attacher conftamment au bien qui fe trouv
e au milieu , nous fommes fans cefle entraînés
d'une extrémité à l'autre. L 'abus que les hommes
ont fait de leur liberté naturelle 3 a donné naiflance
à la fociété politique ; ils ont abufé 8c ils abufent
tous les jours de l'état de fociété 3 comme ils
abufoient de l'état de nature. Les fociétés politiques
ont pris différentes formes fimples ou mixtes
j les hommes ont abufé des unes 8c des autres,
8c quelquefois même ils en ont d’autant plus abufé
qu'elles étoient meilleures. L ‘abus des anciennes
conftitutions les a fait changer : on en a adopté
de nouvelles que l'on jugeoit préférables j Y abus a
fuivi de près la réforme. Il n'eft: aucune forme de
gouvernement j aucune efpèce d'adminiftration 3
aucune inftitution 3 aucune loi , aucun réglement 3
aucune coutume qui n'ait été fujette à des abus
plus ou moins funeftes.
C e feroit donc fe tromper^ue de chercher ou
de vouloir établir parmi les hommes une forme de
gouvernement dontils n'abufent pas. La plus parfaite
eft celle dont ils abuferont le moins , celle qui
donnera le moins de prife à l'aérivité des pallions
humaines , ou celle qui trouvera en elle-même un
remède fûr.^Sc prompt aux abus qu'elle pourra oc-
cafionner. Légiflateurs ou réformateurs du genre
humain 3. n'efpérez pas que votre fagefife garantiroit
vos inftitutions de toute efpèce A3abus ! Votre prévoyance
-, votre expérience 3 votre raifon ne mettront
point vos foibles établiffemens à l'abri des
attaques de l'ambition 3 de la cupidité 3 de la discorde
3 du luxe 3 8c de cette difpofition fourde
& inhérente à la nature humaine 3 qui tend à tout
dépraver. Mais parce que les hommes abufent des
bonnès loix 8c des plus fages réglemens » ne voilé
laflez pas de leur préfenter de bonnes loix 8c de
fages réglemens.. Voulez-vous fincérement diminuer
les abus politiques 3 que votre fage adminif-
tration dirige toutes les pallions3 tous les intérêts
vers le (bien public. Que toutes vos inftitutions
tendent à procurer aux hommes la juftice ,
la fureté 3 la liberté } que nul intérêt particulier
ne l'emporte fur l'intérêt de tous , ou plutôt que
chacun trouve fon intérêt dans celui de tous *
que la loi feule commande 3 8c que le plus grand
bien de chaque citoyen foit de lui obéir. Alors
tous confpireront au bien général 3 parce que chacun
fentira que le lien doit en réfulter j alors il y aura moins A3abus 3 parce qu'il fera du plus grand
intérêt, de tous qu'il n'y en ait point* ceux que la
fragilité humaine produira feront peu contagieux ,
8c la réforme en fera plus aifée.
Notre deffein n'eft pas de traiter ici de tous les
abus qui fe gliffent dans les gouvernemens : nous
aurons occafion d'en indiquer la plupart fous les
mots qui leur feront propres. Nous nous bornons à
parler ici de l’abus du pouvoir en généralx de l'abus
de la faveur de l'abus de la liberté.
Abus du pouvoir : fes caiifes 3 fes effets 3 fes remèdes.
Les princes font de tous les hommes ceux
que la vérité intèreffe le plus 3 8c ceux qui font
le moins à portée de l'entendre. Tout confpire à
leur donner des idées fauffes d'eux - mêmes 3 de
leurs droits 3 de leur autorité, de leur puiffance ,
de leur grandeur 8c de leurs fujets. Les nations'
feroientaufliheureufes quelles peuvent l'efpérer,
fi , pour inftruire leurs chefs , on prenoit la centième
partie des peines 8c des précautions que
l’on prend pour les tromper & les corrompre.
L'art de régner 3 le plus important 4 e tous les
arts, eft le feul qu'on ait droit d'exercer 3 fans
l'avoir jamais appris. Pour gouverner les hommes
8c décider de leur fort 3 il fuffit communément
d'être né ou de defcendre d'une race particulière.
Dans prefque tous les pays 3 les peuples ont fup-
pofé que la naiffance donnoit les talens & les1
vertus qui rendent un homme digne de commander
aux autres 3 8c capable de faire leur bonheur ;
8c faut-il être furpris fi l'on a vu peu de bons
princes ? L'hiftoire peint plus fouvent les rois
comme ils auroient dû être que comme ils ont
été. L'individu qui -vit avec fes égaux 3 a
des idées de juftice 3 connoît ce qu'il doit aux
autres, fe fent intéreffe à leur plaire, veut mériter
leur affeétion 8c leur eftime, eft jaloux de
fa réputation préfente 8c de la mémoire qu'il
laiffera après lui * mais ces fentimens peuvent-ils
avoir la même force chez les hommes que le fort
deftine à gouverner les peuples ?
On a fi grand foin de cacher aux princes ce
qu'ils doivent à leurs fujets, de les lailTer tellement
^ i ) froye%Varticle Angleterre*
dans l’ignorance des rapports qui les lient à la
nation , que, s'il faut s'étonner de quelque chofe,
c'eft de ne pas les voir plus infenhbles à la félicité
générale. Ceux qui font chargés, d'élever un
jeune prince , lui apprennent avec foin ce que fes
peuples lui doivent, rarement lui parlent-ils de ce
qu'il doit à fes peuples. Profternés aux pieds de
leurs difciples, ces vils inftituteurs ne l'habituent
ni à régler fes pallions , ni à modérer fes defirs,
ni à réfifter à fes fantaifies. Ils n'ofent pas contredire
un enfant dans lequel ils voient déjà leur
maître. Au lieu de dompter fon caractère, afin
de l'habituer à foumettre fes caprices aux loix de
la raifon , ils craignent de l'affliger j ils écartent
de fes yeux tous les objets propres à l'émouvoir *
ils ne lui montrent point les infortunes des hommes
> ils ne l'attendriffent pas fur les maux de fes
femblables. On diroit qu'un homme deftiné au
trône doit ignorer qu'il y a des malheureux fur la
terre.
' Que faire d’un enfant volontaire , inappliqué,
continuellement diflipé , corrompu par la flatterie
dès le moment qu'il eft n é , que tout le monde
entretient de fia grandeur future, à qui fes maîtres
ne parlent qu'en tremblant, que fon gouverneur
eft forcé d'appeller monfeigneur ? Celui qu'on
enivre d'encens dès fon berceau peut-il avoir de la
docilité ? Comment faire fentir les droits de l'équité
, de l'humanité, de la décence à un être
à qui tout le monde s'empreffe de céder ? Il eft
difficile qu'un prince , fur-tout s'il eft né fur
le trône, ait la plus légère idée de juftice ou
de vertu. La plupart des bons rois dont parle
l'hiftoire éprouvèrent les coups du fo r t, ou vécurent
dans une condition privée, avant de porter
la couronne.
La vraie morale n'entre communément pour
îien dans l'éducation des princes : ce n'eft pas
dans les cours qu'on apprend la vertu : tout y
refpire la licence , la volupté, la débauche, la
perfidie, le menfonge * tout confpire à détourner
de la raifon de la réflexion , de la probité. L 'é cole
des courtifans n'eft que l'école de la diffipar
tion, de l'intrigue & du crime * un jeune prince
n'y prend que des leçons de vanité , de diffimula-
tion, de tyrannie * il y apprend à regarder les hommes
comme les jouets de fes caprices,~ comme
une race abjeéie 8c peu digne de fes foins. Quelles
idées peuvent fe former dans la tête d'un mortel
à qui tout perfuade que Dieu , en le faifant
naître, a voulu qu'il fût le maître abfolu de la
perfonne, des biens 8c de la vie de fes fujets ?
Sous un gouvernement defpotique , qui toujours
eft ombrageux, le fucceffeur au trône ne
peut communément acquérir ni connoiflances ni
talens. Ses lumières 8c fes vertus cauferoient des
inquiétudes au defpote régnant , qui craint les
qualités dont il fe fent lui-même dépourvu- La
fûreté de l'éta t, ou plutôt la tranquillité du maître
8c de fes favoris, exigent que fon héritier foit
retenu dans l'ignorance, plongé dans la mol elfe ,
8c même totalement abruti. Le tyran regarde fon
fils comme un ennemi. Le prince qui doit régner
un jour fur les ottomans , privé de toute inftruc-
tion , confiné dans un ferail, entouré de vils eunuques
, ne lit que l ’Alcoran, 8c ne voit le divan
qu'après la mort du grand - feigneur. Des breuvages
dont l'effet eft de rendre hébété, raffinent
un mogol contre les craintes qu'il pourroit avoir
de fes propres enfans. '
L'éducation que, même dans des contrées plus
éclairées , l'on donne aux princes, endurcit leur
coeur 8c rétrécit leur efprit j des hommes inté-
reffes, factieux, ambitieux, efclaves des préjugés,
ou qui n'ont pas une connoiflance fuffifante des
principes de la jurifprudence naturelle , font chargés
quelquefois de former les arbitres de la terre.
Ils ne leur donnent que des idées confufes, des
principes qui ne font pas à l'épreuve des plus légères
impreffions d'un exemple vicieux , des notions
bien plus propres à détruire la raifon dans
fon germe qu'à la développer.
L'autorité doit avoir pour objet principal le
bien-être du peuple. Cette maxime, fondée fur
la nature 8c la raifon , n'eft malheureufement que
trop contredite par les idées chimériques que la
baffeffe 8c l'efclavage s'efforcent d'infpirer aux
defpotes. L'efclave , accoutumé dès l'enfance à
regarder un monarque comme un Dieu , ne peut
concevoir que de foibles mortels puiflent examiner
fes droits ou difeuter fes ordres. Les fouve-
rains que la flatterie empoifonne dès l'âge le plus
tendre, fe croient des êtres privilégiés , féparés ,
pour ainfi dire , de toute l'efpèce humaine dont
I les. volontés font faites pour ne jamais trouver
d'obftacles. Des miniftres ambitieux 8c des courtifans
avides, ne voient qu'avec fraye-ur les bornes
que de juftes loix mettroient à une puiffance
dont ils partagent les abus.
L'autorité fuprême , continuée pendant une
longue fuite de uècles dans une même race, excite
prefque toujours les chefs des nations à abufer de
leur pouvoir. Us méconnoiflent les droits de ces
peuples qu'ils tranfmettent à leur poftérité * ils les
regardent comme un bien de famille , comme un
immeuble, comme un vil troupeau.
Les fociétés, en choififiant des chefs , leur accordèrent
un pouvoir plus ou moins étendu * par
là les fouverains acquirent des droits 8c des prérogatives
, qu'ils voulurent faire regarder comme
inaliénables, imprefcriptibles, eflentiels à la fou-
veraineté. En accordant ces droits , les nations ne
confultèrent que les circonftances du moment, 8c
ne portèrent pas les yeux fur l'avenir. Mais les
chefs fe prévalurent fouvent des concédions faites
à eux-mêmes ou à leurs prédécefleurs > des
ufages fouvent infenfés, des exemples antérieurs ,
des droits une fois exercés devinrent pour eux des
titres inconteftables > ils prétendirent avoir acquis
des privilèges qui ne pouvoient plus être revo