
teurs politiques. Montefquieu a furtout. hafardé
beaucoup de conjectures , qu'il fait valoir avec
tant d'adreffe qu'on pourrait les regarder comme
autant de fophifmes fpécieux contre ce gouvernement.
Pour donner le moyen de pefer fon opinion
, nous allons rapporter fes propres paroles ,
dont nous examinerons, enfuite la force & la vérité
: on pourra du moins les coùiparer avec les
faits rapportés d$ns cet article.
« Nos millionnaires , dit-il 3 parlent de l'empire
» de la Chine comme d'un gouvernement admira-
» b le , qui mêle dans fon principe la crainte ,
»> l'honneur & la vertu : j'ignore ce que c'eft
» que cet honneur chez un peuple qui ne fait rien
» qu'à coups de bâton *>,.
Les coups de bâton font à la Chine une punition
réfervée aux coupables, comme ailleurs le
fouet & les galères. Y a - t - il un gouvernement
fans loix pénales ? Mais y en a-t-il aucun où l'on
excite autant l'émulation & l'honneur que dans
celui-ci ? Montefquieu garde le lilence à cet égard 5
ce qui montre fon intention de nous repréfenter
les chinois comme un peuple, fervile abattu fous
un pouvoir tyrannique.
«« 11 s'en faut .beaucoup que nos commerçans
» nous donnent une idée de cette vertu dont par-
» lent les millionnaires ».
Ceci n'a point de rapport avec la dureté de
l'exercice d'une autorité abfolue. D'ailleurs les
marchands de l'Europe qui n'ont point pénétré
dans l'intérieur du royaume de la Chine 3 ne peuvent
nous donner de juftes notions de fon admi-
niftration, & ne font guères croyables , quand ils
contredifent les relations des millionnaires , q u i,
ayant réfidé alîiduement & pendant long- temps
dans cet empire & parcouru toutes fes provinces
, méritent plus de confiance, d'autant plus
que les récits des marchands ne nous difent pas,
fi la mauvaife foi à leur égard eft un droit de re-
préfailles. #
Si c'eft la vertu des chinois que Montefquieu
veut cenfurer j celle du marchand qui commerce
avec l'étranger, eft-elle autre choie que celle du
laboureur & du refte des habitans ? Jugerait-on
bien, par comparaifon , de la vertu des nations,
où tout le commerce extérieur eft en monopole
fous la protection des gouvememens ? *
«« Les lettres du P. Perrennin, fur le procès
» que l'empereur fit faire à des princes du fang
» néophytes qui lui avoient déplu , nous font
» voir un plan de tyrannie conftamment fuivi ».
A des princes du fang néophytes : ce dernier mot
femble vouloir infinuer que ces princes furent
pourfuivis pour avoir embraffé le chriftianifme, mais ,
tous les états du monde ont eu leurs martyrs pour
caufe de religion, par la propre fanétion des loix.
Cela n'a aucun rapport avec le defpotifme de la
Chine 3 pas même avec l'idée de l'intolérance du
gouvernement de cet empire, où l'on n'a prefque
jamais exercé de cruautés pour caufe de religion.
~ Ces princes, dit-on, lui avoient déplu : il y
avoit plus, félon l'hiftoire , ils avoient tramé, contre
lu i, & quelques jéfuites furent compris dans
cette affaire. C'eft un cas.particulier de politique,.
qui ne permettoit pas à Montefquieu de le rapporter
comme un exemple d'un plan de tyrannie
fuivi : ce qui eft d'autant plus outré, que cet empereur
eft • reconnu pour un des bons princes qui
ait jamais régné.
«= Nous avons encore les lettres du P. Perren-
» nin & dç M. de Mairan, fur le gouvernement
» de la Chine $ après bien des questions & des
» réponfes fenfées , tout le merveilleux s’eft éva-
» noui ».
Ces lettres attaquent-elles la conftitution même
du gouvernement ? C'eft de quoi il s'agit ici ; ou
révèlent-elles des abus qui fe gliffent dansTadmi-
niftration ? Montefquieu n'en rapporte aucun.
N'auroit-il trouvé dans ces lettres que des raifoh-
nemens propres à manifefter la mauvaife humeur
du père Perrennin, q u i, quand il les écrivit, 11'é-
toit pas bien difpofé pour le fouverain ?
« N e peut-il pas fe faire que les premiers mif-
» fionnaires aient été trompés d'abord par une
» apparence d'ordre j qu'ils aient été frappés de
» cet exercice continuel de la volonté d'un feul,
» par lequel ils font gouvernés eux - mêmes , &
» qu'ils aiment tant à trouver dans les cours des
» rois d'A fîe, parce que n'y allant que pour faire
» de grands changemens, i f leur eft plus aifé de
» convaincre les princes qu'ils peuvent tout faire,
» que de perfuader aux peuples qu'ils doivent
» tout fournir».
On eft bien dépourvu de preuves, quand on a
recours à de pareils foupçons. Les miffionnairés ,
dit-on, ont pu être trompés par une apparence
d'ordre : ils auraient fait plus, ils auraient formellement
avancé des fauffetés 5 car ils font entrés
dans un grand détail de faits. Pourquoi dire
d’abord & les premiers miffionnairés ? Ceux qui ont
continué de donner des relations de ce pays-là ,
les ont-ils contredits ? I l eft bien ingénieux de
trouver que les miffionnairés penfent que le defpotifme
des fouverains de l'Afie eft favorable au
fuccès de leurs miffions. Ces millions ont - elles
donc fait de fi grands progrès en Afie par le fe-
cours des defpotes ? N'eft-ce pas par-tout chez le
peuple que les miffions commencent à réuffir ?
Les jéfuites ont obtenu d'un empereur de la Chine,
il eft vrai, une loi favorable au chriftianifme j
mais cette loi a été nulle, parce qu'elle n'a pu
être revêtue des formalites néceffaires pour avoir
force de loi. La volonté d'un feul n'eft donc pas
à la Chine affez décifive pour faciliter, -autant que
le dit Montefquieu, les fuccès des miffionnairés,
& pour les avoir induits à fondèr toutes leurs ef-
pérances fur ce defpotîfme4
« Telle eft la nature de la chofe, que le mau-
» vais gouvernement y eft d'abord puni. Le dé-
» fordrè naît foudain , parce que le peuple prodi-
» gieux y manque de fubfiftance ».
Une grande population ne peut s'accumuler
que dans les bons gouvememens j car les mauvais
anéantiffent les richeffes & les hommes. Montefquieu
forme un raifonnement qui implique contradiction.
Un peuple prodigieux & un mauvais
gouvernement ne peuvent fe trouver enfemble dans
aucun royaume du monde.
« Un empereur de la Chine ne fentira pas com-
» me nos princes que, s'il gouverne mal, il fera
» moins heureux dans l'autre vie ».
- Si le critique a été plus éclairé fur la religion
que les empereurs de la Chine} il ne devoit pas
moins y reconnoitre les dogmes de la loi naturelle
& la perfuafion d'une vie future, dont ces princes
font pénétrés. Ils ont donné une multitude d'exemples
éclatans de piété, iorfque les befoins de l'état
les ont portes à implorer la providence divine.
> « Il faura que fi fon gouvernement n'eft pas bon,
» il perdra fon royaume & la vie».
L'empereur de la Chine n'a pas de moins que
les autres fouverains la crainte des châtimens d'une
autre vie y mais ne. l'eût-il point, celle de perdre
fon royaume & la vie ne fuffiroit-elle pas pour
tempérer le defpotifme de ce fouverain ? Les con-
treforces que le critique veut établir feraient-elles
plus puiffantes & plus compatibles avec la foli-
dité permanente d'un bon gouvernement ?
■ * Gomme, malgré les expofitions des enfans ,
» le; peuple, augmente toujours à là Chine, il faut
» un travail infatigable pour faire produire aux ter-
» res de quoi les nourrir 5 cela demande une grande
» attention de la part du- gouvernement. Il eft en
»* tout temps intéreffê à ce que tout le monde
» puiffe travailler, fans crainte d'être fruftré de
3» fes peines. C e doit donc être moins un gouver-
33 nement civil qu'un gouvernement domeftique.
» Voilà ce qui a produit les réglemens dont on
» parle tant 33.
Le critique prend ici l’effet pour la caufe. 11
n'a pas apperçu que ce nombre prodigieux d'ha-
bitans ne peut être qu'une fuite du bon gouvernement
de cet empire. Cependant il aurait dû remarquer
que ces bons réglemens dont on parle
tan t} y font établis depuis un temps immémorial.
« On a voulu faire régner les loix avec ledef-
» potifmè j mais ce qui eft joint avec-le defpotif-
3* me, n'a pas de force. En vain ce defpotifme
» prefle par fes malheurs a-t-il voulu s'enchaîner !
33 II s'arme de fes chaînes, & devient plus terri-
» ble encore 33.
Ofons le dire ici malgré la célébrité de l'auteur,
cette phrafe n'a qu'une vigueur apparente
de ftyle. Elle offre d'ailleurs un fens peu clair , ou,
même contradiéloire avec ce que le critique a
.voulu dire.. Une grande reine fort impérieufe di-
foit à fes fujets : vous ave% des lo ix , & je vous Us
ferai bien olferver. Cette menace ne pouvoit effrayer
que les méchans. C e font les bonnes loix
qui forment un bon gouvernement ; & fans l’ob-
iervation de fes loix, le gouvernement n'auroit pas
de réalité. Le defpote armé des loix les fera ob-
ferver rigoureufement : & le bon ordre régnera
dans fes états. -
Mais le critique nous dit, que ce qui eft joint au
defpotifme ria point de force : quel alfemblage d’i-
dees! Les loix jointes au defpotifme font fort'redoutables
, les loix jointes au defpotifme font fans
force : avec les loix le defpotifme eft terrible, avec
le defpotifme les loix font nulles. Montefquieu
raffemble ces eontradiéiions à propos d’un gouvernement
qui eft le plus ancien, le plus humain, &
le plus flpriflant.qui ait jamais exifté ! Pourquoi ce
gouvernement a-t-il jettéun fi grand trouble dans
l'efprit de l'auteur ? c’eft qu’il eft régi par un defpote
, 8e qu’il voit toujours dans le defpotifme un
gouvernement arbitraire 8e tyrannique.
On reproche encore au gouvernement de la
Chine, des abus furtifs ; on taxe la conduite des
mandarins de brigandage ; & quoique l’hiftoire
nous apprenne qu’ils y font rigoureufement réprimés,
8e qu’il y a des infpeéteurs 8e des cenfeurs
occupés_ fans cefîe à parcourir l’empire pour les
découvrir 8e les dénoncer, on prétend que là
comme ailleurs,-la févérité des cenfeurs 8e de la
.juftice ne s’exerce que fur ceux dont les défordres
font trop connus pour être déguifés, ou fur ceux
qui font trop pauvres pour acheter des témoignages
de Vertus ; que les emplois de la juftice fe vendent
dans toutes les parties de la Chine, & furtout
à la cour, & que chacun n y vife qu’ à fon propre
intérêt.
Ces affertions d’ailleurs contredites fuflent-elles
fondées, on ne devroit point imputer ces délits au
gouvernement delà Chine, lorfqu’ il ufe de toutes
les précautions qu’il peut employer pour les prévenir
, & qu’il punit féverement les coupables qui
en font convaincus. Les loix établies contre les ex-
torfions des gouverneurs-& des autres mandarins,
font fi vigilahtes qu’ils ont bien de la peine à préva-
riquer à l’infçu de l’empereur ; car ils' ne fauroient
empêcher les plaintes du peuple dans l’oppreffion.
*> L’empereur , dit l’auteur des révolutions,
” veut tout'voir par fes yeux; 8c il n’y a point de
« prince dans le refte du monde, qui s’occupe da-
« vantagé des affaires du gouvernement; il ne s’en
«> fie fur-tout qù’ à lui-meme, Iorfqu’il s'agit de
nommer des magiftrats : ce ne font point les in-
» trigues de cour, qui, comme par-tout ailleurs ,
« élèvent un homme aux premiers emplois.
Nulle part au monde le gouvernement n’a pris
autant de précautions pour tenir les magiftrats
dans l’ordre, & pour empêcher les exaétions 8c
les injuftices. Un gouverneur eft regardé comme
le chef d’une, grande famille : il eft refponfable du
défendre, qui s’y commet. Il doit veiller à ce que
fes inférieurs n’oppriment le peuple ; 8e pour pré