
tions puériles de noblefle & de roture, d’homme
de naifiance & d’homme de rien ne fe trouvent
que dans le jargon des peuples nouveaux & encore
barbares , qui , ayant oublié l'origine commune,
infultent, fans y penfer , & aviliflfent toute l ’efpèce
humaine. Ceux dont le gouvernement eft ancien
& remonte aux premiers âges du monde 3 favent
que les hommes nailfent tous égaux 3 tous nobles 3
tous frères.
Les enfans du premier miniftre de l ’empire ont
leur fortune à faire, & ne jouiffent d’aucune confédération.
Un fils fuccède aux biens de fon père ,
mais 3 pour lui fuccéder dans fes dignités & jouir
de fa réputation, il faut s’élever par les memes
degrés ; c’eft ce qui fait attacher toutes les efpé-
rances à l ’étude , comme à la feule route qui conduit
aux honneurs.
Les titres permanens de diftinétion n’appartiennent
qu’aux membres de la famille régnante , en-
fans ou gendres de l’empereur > outre le rang de
prince s ils jouiffent de cinq degrés d’honneur 3
qui répondent à-peu-près à ceux de duc 3 de comte,
de marquis 3 de vicomte & de baron que nous
connoiflons en Europe 5 mais ils n’ont aucun pouvoir.
La Chine a encore des princes étrangers à la
maifon impériale 5 tels font les defcendans des dy-
nafties precedentes, qui portent la ceinture rouge
pour marquer leur diftinétion.
Le premier empereur de la dynaftie tartare qui
règne aujourd’hui 3 créa trois titres d’honneur pour
fes frères, qui étoient en grand nombre & qui
l’avoient aidé dans fes conquêtes. Ce font les princes
du premier , du fécond , du troifième rang ,
que les empereurs appellent régules. Les princes
du quatrième rang s’appellent Pet-tfe ;~ceux du
cinquième, Cong-heon. Ce cinquième degré eft au-
deffus des plus grands mandarins de T’empire j
mais les princes de tous les rangs inférieurs ne
font diftingués des mandarins que par la ceinture
jaune que portent tous les princes du fang régnant,
de quelque rang qu’ils puilfent être. La polygamie
fait que tous ces princes fe multiplient infiniment ;
& , quoique revêtus de la ceinture jaune, il s’en
trouve beaucoup qui font réduits à la dernière
pauvreté.
On compte encore dans le premier ordre, i° .
ceux qui, ayant- été mandarins dans les provinces,
ont été congédiés par l’empereur, .ou fe font retirés
avec fa permiflion 5 2°. tous les étudians ,
depuis l’âge de iy à 16 ans jufqu’à 40, qui fu-
biflfent les examens établis par l’ufage.
Mais la famille la plus illuftre de la Chine, & la
feule à qui la noblefle foit tranfmife par héritage ,
eft celle du philofophe Confucius. Elle eft fkns
doute la plus ancienne du monde, puifqu’elle s’eft
confervée en droite ligne depuis plus de deux mille
ans. En confidération de cet homme célèbre, tous
Tes empereurs ont depuis çonftamment honoré un
de fes defcendans du titre de cong, qui répond £
celui de duc.
Une troifième marque de diftinétion confifte
dans les titres d’honneur que l ’empereur accorde
aux perfonnes d’un mérite éclatant. En Europe ,
la noblefle paffe des pères aux enfans & à leur pof-
térité j à la Chine , elle paffe au contraire des enfans
aux pères & aux ancêtres de leurs pères. Le
prince étend la noblefle qu’il donne, jufqu’à la
quatrième , la cinquième & même la dixième génération
paflee , fuivant les fervices rendus àu public
} il la fait remonter par des lettres exprefles
au père , à la mère , au grand-père qu’il honoré
d’un titre particulier j fur ce principe que les, vertus
doivent être attribuées à 1 exemple & aux foins
particuliers de leurs ancêtres.
Le fécond ordre de citoyens comprend tous
ceux qui ù’ont pas pris des degrés littéraires ; les
laboureurs y tiennent le premier rang, puis viennent
les marchands & généralement tous les artifans,
les payfans , manouvriers, & tout ce qui compofe
le menu peuple.
§. i v .
Des forces militaires.
L ’état militaire à la Chine a fes tribunaux comme
le gouvernement civil. Tous les'mandarins de
la guerre prennent trois degrés, comme les mandarins
civils. Ils font dlvifes en neuf clafles, qui
forment un grand nombre de tribunaux.
Les chinois ont un général, dont les fonctions
font à-peu-près les memes que celles d’un géné-
raliflime en Europe. Il a fous lui divers officiers
dans les provinces, qui repréfentenç nos lieute-
nans-géneraux. A ceux-ci font fubordonnés des
mandarins comme nos colonels ; ces derniers commandent
à des officiers dont les grades répondent
à ceux de capitaines, de lieutenans & d’enfeignes.
On compte cinq tribunaux militaires à Pékin.
Les mandarins de ces tribunaux font diftingués
par différens noms , tels quemundarins de l’arrière-
garde , de l’aîle gauche , de l’aîle droite 3 du centre
, de lavant-garde.
Ces tribunaux ont pour préfîdens des mandarins
du premier ordre * & font fubordonnés à un fixiè-
me tribunal, dont le préfident, appelle Yang-
ching-fou y eft ùn des plus grands feigneurs de
l’empire : fon autorité s’étend fur tous les militaires
de la cour. Mais, pour modérer ce pouvoir
extraordinaire, on lui donne pour affiliant ua
mandarin dé lettres & deux infpeéteurs. Outre
cela , quand jl faut exécuter quelque projet militaire,
le Yong-ching-fou prend les ordres de la
cour fouveraine ping-pou, qui a toute la milice
de l ’empire fous fa jurifdiéfcion. Les tribunaux militaires
ont la même méthode de procéder que les
tribunaux civils.
Le nombre des villes fortifiées eft de plus de
deux mille , fans compter les tours & les cfrâ*
»eaux de la grande muraille , qui ont des noms
particuliers. I l n’y a pas de ville ou dé bourg qui
n’ait des troupes pour fa défenfe. Le nombre des
foldats que l ’empereur entretient eft de 7603000
la plupart cavalerie. Leurs armes font des fabres
& des moufquets. Leur folde fe paye tous les trois
mois. Leur condition eft fi bonne, qu’on s’em-
preffe de s’y faire admettre par protection ou par
préfent. Les troupes font fouvent exercées 5 mais
leur taélique n’a pas grande étendue.
Leur marine militaire eft peu confidérable &
aflez négligée. Comme les chinois n’ont pas de
voifins redoutables du côté de la mer, & qu’ils
s’occupent fort peu du commerce extérieur, ils
ont peu befoin d’une marine militaire > mais, fur
les rivières & fur les canaux, ils font preuve
d’une adreffe qui nous manque. Avec très-peu de
matelots , ils conduifent des barques aufli grandes
que nos vaiffeaux. I l y en a un fi grand nombre
dans les provinces méridionales, qu’on en tient
toujours 10,000 pour le fervice de l ’empereur &
de l’état. Leur adreffe à naviguer fur les torrens a
quelque chofe d’incroyable. Ils voyagent hardiment
dans des endroits que les autres peuples n’o-
feroient feulement regarder fans frayeur.
C H A P I T R E I I .
L o i X FONDAMENTALES DE LE M P I RE.
P a r a g r a p h e I.
Loi naturelle.
Le premier objet du culte des chinois eft l’Être
fuprême y ils l’adorent fous le nom de chang-ti ,
qui veut dire fouverain 3 empereur 3 ou fous celui
de tien qui lignifie la même chofe. Suivant les interprètes
chinois, tien eft l’efprit qui préfide au
ciel. Ce mot fe prend aulfi pour lignifier le ciel
matériel, & cette acception dépend du fujet où
on l’applique. Les chinois difent que le père eft
le tien d’une famille, l ’empereur, le tien d’un empire.
Ils rendent un culte inférieur à des efprits
fubordonnés au premier être, & qui, fuivant eux,
préfident aux villes , aux rivières, aux montagnes.
Tous les livres canoniques nous repréfentent le
tien 3 comme le créateur de tout ce qui exifte, le
père des peuples : fa fainteté égale fa toute-puif-
fance, & fa juftice fa fouveraine bonté : rien dans
les hommes ne le touche que la vertu j mais fa
miféricorde furpalfe fa févérité : la plus fûre voie
d’éloigner fon indignation, c’eft de réformer de
mauvaifes moeurs j ils aflfurent que tout culte extérieur
ne peut plaire au tien , s’il ne part du
coeur (1).
Il eft dit, dans ces mêmes livres, que le chang-ti
s’eft fervi de nos parens, pour nous transmettre ce
qu’il y a en nous d’animal & de materiel j mais
qu’il nous a donné lui-même une ame intelligente
& capable de penfer, qui nous diftingue des be-
tes 3 que nous ne pouvons atteindre à la hauteur
des confeils de cet être fublime 5 qu’on ne doit
pas croire néanmoins qu’il foit trop élevé pour penfer
aux chofes d’ici - bas » qu’il examine toutes nos
actions , & que fon tribunal pour nous juger eft
établi au fond de nos confciences.
Les empereurs ont toujours regardé comme une
de leurs principales obligations celle d’obferver les
rites primitifs & d’en remplir les fondions. Comme
chefs de la nation, ils font empereurs pour
gouverner, maîtres pour inftruire, & prêtres pour
facrifier. L ’empereur, eft-il dit dans leurs livres
canoniques, eft le feu! à qui il foit permis de rendre
au chang-ti un culte folemnel. Que le- fouverain
defcende de fon trône ! qu’il s’humilie en la
préfence du chang-ti 1 qu’ il attire ainfi les bénédictions
du ciel fur fon peuple ! c’eft le premier de fes
devoirs.
Dans des temps de calamités, les empereurs ne
fe contentent pas d’offrir au tien des facrifices &
des voeux 5 pour exciter fa miféricorde , ils recherchent
avec foin les vices cachés qui ont pu
attirer ces châfimens. Voici quelques exemples du
refpeét religieux des monarques de la Chine 3 qui
feront fentir quelle eft leur piété.
En 172j’-, il y eut de grandes inondations qui
cauferent des dégâts affreux. Les mandarins Supérieurs
en attribuoient la caufe aux mandarins
Subalternes. « Ces calamités, répondit le fouve-
» rain, affligent mon peuple , parce que je man-
93 que des vertus que je devrois avoir. Penfons à
» nous corriger de nos défauts & à remédier à I’i-
» nondation. Je pardonne aux mandarins accufés :
59 je n’accufe que moi - même de mon peu de
» vertu 99.
Depuis fept ans, dit le père le Comte , une
affreufe difette tenoit le peuple dans l’accablement,
prières, jeûnes, pénitence, tout avoitété employé
inutilement pour fléchir le tien & terminer fa mi-
fère publique. L ’amour de l’empereur pour fon
peuple lui fuggéra de s’offrir lui-même pour viélimé.
Dans ce deflein , il aflemble tous les grands
de l’empire, il fe dépouille en leur préfence &
prend un habit de paille j puis, la tête & les pieds
nuds, il s’en va jufqu’ à une montagne, o ù , fe
profternant neuf fois , il adreffe ce difcours à l’êtr
fuprême :
: « S e ig n e u r vous n’ ignorez pas nos mil
99 ce font mes péchés qui les ont attirées
” peuple, & je viens ici pour vous en
99 humble aveu. Permettez - moi, so
(1) Le* annales & les livres claffiques de la Chine contiennent mille preuves de cette croyance chez
jjrelim, de s livres clajjiguçs, pag,