
tire un fouverain ,_ & runion des reflentimens d’une
multitude de particuliers que le prince a maltraités.
Exceptée la vie, les hommes n’ont rien de plus
cher que la fortune & l’honneur j & le prince doit
craindre de bleffer fes fujets fur ces deux points :
un vieux brame difoit à un roi de l’Inde : ie vous
défie d’appauvrir un homme jufqu’à lui oter les
moyens d’acheter un poignard pour fe venger. Cet
avis du brame étoit un peu énergique , mais le.
prince" trouva qu’il étoit fàge.
Un d es affronts qui a produit lé plus de conjurations
, eft le mépris qu’on témoigne pour la personne
d’un courtifan, ou de ceux qui lui appartiennent.
Philippe de Macédoine reçut avec mépris
les plaintes de Paufanias * & Paufanias réfo-
lut d’aflaflïner ce prince j la . même caufe en a armé
beaucoup d’autres contre leur fouverain. Jules
Balanti conjura contre Pandolphe, tyran de Sienne,
parce que le tyran', après lui avoir donné fa fille
en mariage, la lui ôta enfuite. Les Pazzi confpi-
rèrent contre les Médicis qui avoient voulu leur
enlever la fucceflïon de Jean Boromée.
Le defir de délivrer fa patrie de l’efclavage
où un prince l’a réduite, produit d’autres conjurations
: tel fut le motif de celle de Brut us & Caffius
contre Cêfar. 11 paroît que ceux qui confpirèrent
contre les Phalaris, les .Denys, &c. furent entraînés
par les mêmes raifons,
La plupart des conjurations que rapportent les
hiftoires, furent prefque toutes formées par de
grands hommes , ou par des côurtifans qui paroif-
foieot amis des princes. Le plus abominable des
chefs de conjurations annonce en effet de Pintrér
pidité dans le caractère, & les hommes éloignés
de la cour ne peuvent former des complots, à
moins qu’ils n’aient entièrement perdu l’efprit j
les fujets d’une condition abfcure ou ceux qui n’approchent
pas de la perfonne du prince, ne peuvent
efpérer aucun fuccès de ces fortes d’entre-
prifes:.
Si prefque toutes les conjurations, fe font faites
par des grands, ou par de prétendus amis du
prince, il faut dire à la honte de la nature humaine
, que parmi les. chefs de cortfpirateurs, on
en trouverait prefque autant qui ont imaginé ces
complots, apres avoir reçu beaucoup de grâces &
de largefles de leurs maîtres, que de ceux qui les
ont entrepris pour en avoir été maltraités. Pere-
nius fut un des chefs de la conjuration contre
Commode} Severe & Tibere virent Plautien &
Séjari dans la lifte de ceux qui attentèrent à leur
vie.
Ces favoris furent comblés de tant de richef-
fes, de tant d’honneurs & de fi grandes dignités,
qu’il ne manquoit plus rien à leur grandeur & à
leur puiflfànce, que le titre d’empereur} & comme
ils ne vouloient pas que ce feul point leur manquât
, ils conjurèrent contre leurs bienfaiteurs ,
mais avec le fuccès que méritoit leur ingratitude.
Heureufement qu’on découvre la plupart des
conjurations. Lors même qu’elles ne feraient pas
réprouvées par la morale , la prudence fuffiroit
pour les profcrire : quand on fonge qu’il eft pref-
qu’impoflîble qu’une conjuration produife un bon
effet pour l’état, on ne peut voir que des affaflîns
dans ceux qui y prennent part.
Ces complots fe découvrent de mille manières :
un des conjurés parle avec peu. de précaution, &
fon indifcrétion dévoile tout. C ’eft ce qui arriva
aux enfans de Brutus, qui furent entendus par un
efclave , lorfqu’ils trairaient avec les envoyés de
Tarquin : cet efclave fut le délateur de fes maîtres.
Quelquefois auflî l’on a la foibleffe de communiquer
ces fortes d’affaires à une femme, à un
enfant, ou à quelqu’autre perfonne d’un efprit
auffi léger-, & pour qui l’on a de la tendreffe.
C ’eft ce que fit Dianus, l’un de ceux qui avoient
conjuré avec Philotas contre Alexandre le grand}
Dianus confia fon fecret à un de-fes fils qu’il ai-
moit beaucoup : cet enfant qu’on appelloit Nicomaque
y en parla à fon frère Ciballinus, & celui-ci
découvrit le tout à Alexandre.
Quant aux dangers qu’on court au moment de
l’exécution du complot, ils viennent fouvent de
ce qu’il fe préferite tout d’un coup une raïfon de
faire un changement imprévu dans tes arrangerons
projettes , ou quelquefois de ce que le confpira-
teur fur lequel on comptoit le plus, vient à manquer
de courage, ou à faire une méprife.
Les' conjurations contre une république font
moins dangereufes que celles qu’on forme contre
un prince. Lorfqu’on les trame, on a moins de
rifques à courir, & lorfqu’on les exécute, il fe
rencontre bien les mêmes rifques} mais après l’exécution
il n’y en a plus.
Il eft vrai que, quand il s’agit de mettre en exécution
un defféin contre une république, les difficultés
& les rifques même fe trouvent en plus
grand nombre qu’en toute autre occafion, parce
qu’il eft très-rare qu’on ait afiez de. force pour
accabler tout d’un coup une fi grande quantité de
gens ; & chacun ne fe trouve pas-le maître
d’upe armée, comme Céfar , Agatocles, Cléo-
menes.
Au refte, tous ces détails font bien inutiles ; f
& nous aurions omis cèt article, fi la plupart des
écrivains politiques ne s’étoient pas occupés de la
même matière.
- CON N E C T ICU T , l’un des Etats-Unis de
l’Amérique. Nous donnerons i°. quelques détails
hiftoriques fur cette colonie } 2°. nous ferons des
réflexions fur fes premières loix} 3". nous rapporterons
fa conftitution} 4V nous ajouterons
enfuite quelques remarques fur cette conftitution}
& 50. nous finirons par des détails fur les moeurs
de fes habitans , fon commerce , fes exportations,
&c,
S e c t i o n p r e m i è r e .
Détails kifioriques fur la colonie de ConneéÜcut.
L’efprk de perfécution & de trouble qui occa-
fionna l’établilfement de la colonie de Lille de
Rhodes, fut aufli la caufe de l’établiffement de
celle du Connedticut, qui tire fon nom de celui de
la grande rivière qui la traverfe. D’autres mécon-
tens quittèrent vers l’année 1630 la colonie de
New-Plymouth , & vinrent chercher un afyle fur
les bords ■ "du- Connecticut, dont les rivages étoient
déjà célèbres par leur fertilité & leur beauté, &
par la falubrité du climat. Ils fondèrent d’abord la
petite colonie de New-haven, & la ville du même
nom} de-là ils fe répandirent dans l’intérieur du
pays} ils bâtirent la ville de Hartfort, à 70 milles
dans les terres , & aujourd’hui leur capitale. Ils en
chafterentplufieurs familles hollandoifes, qui étoient
venues de New-Amftell pour commercer avec les
fauvages.
Durant ces premières années , -chaque famille
vivoit ifolée fur fon manoir , uniquement occupée
de fes travaux, fans aucune autorité coercitive &
fans aucunes, loix, & ils étoient heureux. Cette
époque fut l’âge d’or de cette province } ils n’é-
toient liés que par les feuls principes de la bienveillance
, par le feul befoin des fecours réciproque
, par le feul defir de vivre en paix. Dès que
leur population fe fut augmentée, ils longèrent à
établir un gouvernement qui àlfurât la propriété
de leurs enfans , & pût leur donner les forces né-
ceffaires pour s’oppofer aux incurfîons des fauvages
, qui déjà fe repentoient de les avoir admis
dans leur pays : toute la colonie s’affembla à New-
Haven } mais, après de mûres délibérations, perfonne
parmi eux ne fe croyant allez éclairé pour
rédiger un code de loix, & pofer les bafés d’une
légiflation analogue à leurs principes politiques Sc
religieux , ils palfèrent unanimement la réfolution
ftrivante, qui annonce peu de lumières, mais qui
eft intéreflante par fa naïveté.
« Vu le petit nombre des habitans de cette co-
» Ionie , & notre incapacité de rédiger une nou-
» velle forme de gouvernement, nous nous pro-
» mettons folemnellement les uns aux autres de
*> fuivre les loix de Moïfe, jufqu’à ce que quel-
» qu’un ait l’habileté d’en faire de ‘plus adaptées
» à notre conftitution & à nos moeurs *>. Ils publièrent
une loi agraire, qui limitoit à cinq cents
acres la quantité de terre que chacun pouvoit pof-
féder. Sous le règne des loix de Moïfe, un colon
plus induftrieux que les autres acquit la plantation
de fon voifin qui étoit parefleux} Si quelque tems
apres, l’acquereur fut cité devant les anciens ,
qui le trouvèrent coupable de contravention à l’ef-
rit des premières loix de la colonie} il fut con-
amné à perdre loti domaine, & à recevoir quarante
coups de fouet, moins, un (.1).
Devenus plus nombreux & plus éclairés , ils
formèrent, quelques années après, un plan de légiflation
, qui établit un gouverneur, un confeil &
une alfemblée. Le peuple choifit le premier, ainfî
que les membres de l’affemblée provinciale, &
l’affemblée provinciale choifit les confeillers.' C ’é-
toit une adminiftraüon parfaitement démocratique*
elle fut confirmée! par la couronne d’Angleterre >
fous le nom de compagnie de Connedticut. La charte
que leur accorda le roi d’Angleterre', les rendit
abfolument indépendans de la Grande-Bretagne ;
pour ce qui concernoit leur intérieur, ils pou-
voient paner toutes les loix que defiroient les
trois corps légiflatifs, pourvu qu’elles ne fuflent
point contraires à l’efprit de la conftitution an-
glo.ife. Ils n’étoient fournis au parlement qu’en ce
qui regardoit les réglemens du commerce j & commences
réglemens du commerce nuifoient beaucoup
à la colonie de Connecticut, elle les a toujours violés
avec beaucoup de facilité & d’impunité.
La colonie de ConneÜicut faifoit partie de la
Nouvelle-Angleterre, à l’époque de la révolution*
Sc nous renvoyons le refte de ces détails à l’article
M a s sa c h u s e t t .
S E C T I O N S E C O N D E.
’ Remarques fu r les premières lo ix de la colonie
de Conneélicut.
On parle dans toute l’Amérique feptentrionale
de la fàgeflfe des loix dû premier établiffement de
la colonie de Connecticut • tout fut dirigé par les
lumières & la prévoyance} elle dut peut-être ces
heureufes précautions à la crainte des fauvages ,
qui devinrent les implacables ennemis des colons.
Peu d’années après la fondation, le gouvernement
ne faifoit aucune conceffion de terres , a
moins que cinquante familles ne fe préfentaftent
pour aller les habiter } elles étoient obligées d’en
donner une certaine portion :pour la glèbe de Té-
glife future, une autre pour le maréchal, une
autre encore pour le maître d’école. Si le nombre
des familles fe montoit à foixànte-dix, on les obü-
geoit en outre de maintenir un maître de latin. On
divifoit alors les terres en trois portions} on choi-
(1) Sous le règne des loix de Moïfe, ou accorda aux anciens de la colonie le titre de chefs, avec plein pouvoir de
juger fuivanc ces mêmes loix. Ils eurent foin d’enrégiftrer tous les jugemens dans un livre qui, par hafaid, étoit cou-
vert de papier bleu. De-là cette ancienne tradition des loix bleues de cette province , auxquelles on a attribué une ie-
vérité qui n’a jamais exifté. Il contenoit feulement le décail.des jugemens prononcés par leurs .premiers juges. Quarante
coups de fouet moins un iont les termes de la loi,