
noiffent le titre qui conftitue leurs engagements, |
ainfi que fon objet & Tes bornes î ils favent aufli
à qui ils pourroient avoir recours, fi on les ex-
cédoit. ( Pour les détails, les variétés & les formes
juridiques de ces fortes de redevances, yoye^
le mot C o r v é e au Dictionnaire de Jurifpru-
Üence. )
Par corvée , ou encore mieux corvées , on entend
communément une contribution gratuite en
travaux manuels , en emploi de beftiaux & de
voitures, exigée des gens de la campagne pour la
confection des grands chemins.
Sous cette acception, le mot corvée, toujours
pris en mauvaife part, eft devenu comme en horreur
au peuple Sc à ceux qui ont de Inhumanité,
parce qu'il préfente l’idée de travaux forcés, fans
compenfation de falaire ni de fubfiftance quelconque.
Cette contrainte opère en effet la fubverfion
de Tordre de la nature , qui veut que ces hommes
employés aux travaux publics fubfiftent ce jour-là
comme les autres jours , & fubfiftent de leur travail.
C'eft un affujettiffement du temps Sc de la
liberté des gens de la campagne, c'eft-à-dire, des
précieux, artifans de la fubfiftance generale, a un
ordre d'hommes qui ne peut, ni concevoir 1 importance
de leur aétion, ni diriger Temploi de leur
temps , ni connoître leur néceffaire Sc leur fuper-
flu : renverfement de Tordre de la fociete , qui
veut que le fervice de premier befoin foit affuré
préalablement à tout autre, & qui veut aufli que
Tartifan quelconque foit guidé par les experts de
fon art. C'eft un impôt en nature, exigé en effets
contre nature , puisqu'on demande le travail,au
lieu de demander le produit de ce travail ; qu'on
arrache la racine au lieu de cueillir le fruit. Enfin
c'eft un tribut en fueur ajouté à un tribut en pé- '
cule; infra&ion des conventions de la fociété &
de Tordre de la contribution équitable qui ne peut
être aflignée que fur les revenus, puifque la dif-
tribution de la fubfiftance confifte dans la diftri-
bution même des revenus.
L'impôt de la corvée en nature bleffe ainfî, dans
fon principe, les droits primitifs de l’homnfr qui
le fupporte, & les loix de Tordre focial j Sc, comme
les corvées ne font pas plus favorables dans la
manière dont elles font conduites & exécutées que
dans leur inftitution, on peut dire que, quoiqu'ap-
pliquées à l'objet utile de la confection des cher
mins, elles n’en font pas moins une invention des
plus pernicieufes.
Tant qu'on fe refufera à la connoiflance Sc à
la diftindtion légale de la part fouveraine fur la
récolte annuelle de tout le territoire confié à fa
protection, de -fon titre, de fes droits Sc de fes
devoirs } qu’on regardera comme impôt & conr
tribution néceflitée, tout ce qui fe perçoit pour
le fouverain , Sc comme économie de la part du
gouvernement tout ce qu'on peut ordonner au peuple
de travail employé à la chofe publique : on ne
ceffera d'entretenir des principes d'oppofition entre
le commandement & l'obeiflance. ^
Les corvées font en ce genre une des plus fortes
pierres d'achoppement.
L'établiffement des corvées, quoi que puiffent dire
les partifans & les fauteurs de ce régime , n’eft:
point dû à l'exemple des anciens, ni à celui de
nos devanciers; c'eft unev malheureufe invention de
notre fiècle, comme Taflure M. du Pré de Saintr
Maur, intendant de la généralité de Guienne ,
dans un Mémoire publié en 1784 fur des contefr
tâtions élevées, entre le parlement de Bordeaux
& ce magiftrat', au fujet des corvées.
. « On commença ,Ndit-il, à imaginer, il y a en-
» viron cinquante ans, que des grandes routes fo-
» lidement conftruites Sc bien roulantes pourroient
. contribuer finguliérement à la profpérité du com-
» merce, ainfi qu’à la richeffe Sc au bonheur de
» l’état (1) j en conféquence deux ou trois inten»
*> dans (2) prirent fur eux d'exiger, des commit-
É nautés d'habitans qui leur étoîent particulière*
» ment fubordonnées, le facrifice de quelques
» journées , pour travailler à la confection ou en-
os tretien de ces routes. Les uns'leur demandèrent
» trois jours par chaque année , d'autres quatre ,
« (iî La France a certainement attendu un peu tard à profiter des leçons que les romains lui avoient depuis filong-
» temps données fur ce point. Le duc de Sully en avoir cependant eu l’idée.
[ Sully s’occupa des chemins très-utilement ; il n’eût jamais fouffert la corvée. 3
» Il fit créer, à cet effet, la charge de grand-voyer; quelques routes furent alignées & ornées par des plantations
m d’arbres. M. Defmarêts fit plus ; il crut devoir établir un corps d’ingénieurs, qui s’occuperoient fpécialemënt dès ponts
» & chauffées. Mais fi Rome dans fa grandeur avoir mis trop de luxe à la conftruétion de ces voies militaires , donc
s» on trouve encore des reftes dans la majeure partie de l’Europe 5 fi . en entaffant pierres fur pierres , elle avoïc donne
a» aux encaiflèmens de fes chauffées une épaiffeur inutile, tombant dans un excès contraire , M. le duc de Sully, M. Def-
3» marêts s’étoient bornes, dans la formation de nos routes., à les faire redrefïèr, à leur donner une; largeur convena-
•» ble, à en. adoucir un peu les pentes, à conftruire des levées dans les endroits bas & marécageux ; mais prefque par-
aï tout on Iaiffoit le fond du chemin dans fon état naturel, & fans chercher à le confolider ». •/;
[ Le mot luxe employé dans cette note n’eft pas , ce me femble, le mot propre; celui de pompe < ou de magnificence
auroit été plus jufte. Les romains, dans la conftruâion de leurs chemins militaires , n’épargnèrent rien pour les rendre
beaux, commodes & durables ; mais ils donnèrent tout à la durée & à la folidhé en ce genre, & rien au. luxe ni en
largeur, ni en alignemens, Scc. ] . _ . . . , ,
1(2) On dit que M, d’Angervillers, alors intendant d’Alface, fut le premier admimftrateur qui employa les corvées en
France. Il leur affigna une certaine forme , d’après l’efpèce d’exemple que Léopold dernier duc de Lorraine » loi en
avou donné.
» d'autres fîx, Sc même jufqu'à douze, Scc. L'ef-
n pèce d'analogie entre ces travauxgratuits Sc les
» corvées feigneuriales attachées aux grandes pro-
j» priétés féodales, leur fit donner le nom de
» corvées royales. L'utilité qui en réfultoit fe de-
» .montrant d'elle-même (1) , le gouvernement en-
» couragea les autres intendans à fuivre cet exgm-
ps pie, leur envoya des ingénieurs, pour diriger
m les opérations fur le terrein, & monta bientôt
» une forte d'adminiftration à ce fujet. Cepen-
» dant le plus ou le moins de facilité (1) que les
*> intendans trouvèrent dans les provinces pour y
m former cet établiffement, qui ne paroiffoit même
s> autorifé que d'une manière affez indirecte, mit,
» dès le premier moment, entre le fort des corsa
véables, une grande différence. Dans quelques
« généralités, le poids des corvées ne tomba que
*> fur la clafle la plus fubalterne, & des^ privilè-
» ges fans nombre.devinrent des titres d'exemp-
» tion, tandis que dans quelques-autres on n'y eut
» point d’égard. Tel intendant fe contenta dé faire
m ouvrir une grande route , tel’ autre entreprit en
»» même - temps de percer toutes celles de fa gé-
J. néràlité : ici, Ton n'appelloit les corvéables au
»? travail que jufqu'à une certaine diftance : là,
» on les faifoit venir de trois ou quatre fois plus
» loin. Les moyens, de coaétion qu'on employoit
» contre eux ne .fe reflembloient pas davantage.
»3 Dans tel endroit, c'étoit la contrainte par corps ;
» dans tel autre, la faifie mobiliaire^ ; dans une
m troifième généralité, Ton prononçoit des amen-
33-des ; ailleurs on fe fervoit de la voie de garni-
»> fon ; enfin l'on n'appercevoit en rien cette uni-
W fôrmité fi defirable, & fans laquelle les peu-
» pies femblent être fous le joug' d’un defpotifme
» arbitraire.
>3. Une injufticeplu^ réelle ne tarda pas à frapper
si les yeux éclairés de quelques adminiftrateurs.
33 Pourquoi, fe dirent-ils, nous fommes-nous permis
de faire retomber fur la clafle indigente, fur •
»3 des hommes qui n’ont, pour toute propriété;,
» que leurs bras & leur induftrie , fur les cultiva-
» teurs & les fermiers, une charge dont les pro-
3« priétaires doivent retirer tout l’avantage ? Pour-
>3 quoi, dans la fituation même des chofes, n’a-
33 vons-nous pas mis quelque différence entre le
j> pauvre & l’homme aifé ? Pourquoi les foümet-
3» on l’un & l’autre à fournir la même quantité
33 de travail, que le premier prend fur fa fubfif-
»3 tance, pendant que le fécond ne donne qu’une
33 légère partie de fon fuperflu ? Le légiflateur y
30 pourvoira fans doute un jour, & partageant
3» ce fardeau entre tous^fes fujets , le rendra pour
33 lors infenfible. Mais, en attendant, ne pour-
33 rions-nous pas du moins les divifer entre les. tail-
33 labiés, de manière que chacun d'eux ne puifle
30 s'y fouftraire, & le fupporter au prorata de fes
>\ facultés a».
C'eft dJ après cela qu'on a vu naître la méthode
qui s'obferve dans les généralités de Caen & de
Limoges, Scc. dont nous parlerons ci-après.
Telles ont été l'origine & la marche incertaine
de la corvée. Son établiffement ne repofe pas fur
une autre bafe. Différente & variée dans toutes
les provinces, félon l'étendue des lumières & la
différence des vues des adminiftrateurs qui l'ont
employée , elle a dû opérer, dans quelques pays, .
des réfultats moins funeftes ; mais on peut affurer
qu'elle a été par-tout plus ou moins pernicieufei
Pour fe convaincre de cette trifte vérité , pour
fe faire une idée jufte des funeftes effets de la
corvée & des moyens d'y remédier, il eft néceffaire
,
I °. de remonter aux principes généraux de Tad-
miniftration des grandes routes.
2°. D'examiner les motifs qui fe font oppofés
à l'arrangement le plus convenable pour la conf-
truétion des chemins Sc des inconvéniens de la
corvée en nature.
30. Les moyens provifoires employés dans quelques
provinces, pour remplacer la corvée en nature.
40. Les édits Sc déclarations du roi fur les
corvées.
y°. L'état a&uel des corvées dans le royaume ,
d'après le fyftême fuivi dans la majeure partie des
provinces, en conféquence de Tinftruétion adreffée
pat fa majefté à tous les intendans 3 vers la fin de
Tannée 1776.
Principes généraux de Vadministration des grandes
routes.
II n'eft pas néceffaire de s'étendre fur l'utilité
des chemins : on fait affez que fans eux on feroit
très-peu de commerce j que fans commerce il n'y
auroit point de communication, de fecours réciproques
entre les hommes , point d'équilibre en-
(1) M. <3u Pré de Saint-Maur montre, dans tout le refte de fon1 Mémoire , d’une manière trop fenfible , les maux
réels que caufeht les corvéet, pour; croire qu’il ait voulu dire ce qu’il paroît dire ici de fon utilité. Ce n’eft pas fans doute
la corvée, qu’il défigne , mais la confe&ion des chemins.
- Des commëncemens très-rudes , & quelquefois des procédés rigoureux , occafionnèrent beaucoup de plaintes ,' de
réclamations & de mauvais oüvrages. Les routes furent prefque par-tout tracées & dévaftées, plutôt qu’affurées, & le
peuple vexé & effrayé. Tandis que les tribunaux des provinces portoient des plaintes aux pieds du trône , la queltion
elevée fur l’utilité des corvées fut comme déférée aux'opinions. Un traité parut fur les turcies & levées , où l’auteur préconi-
fa'nt la méthode des corvées, propofoit de l’ériger en lo i , & dfen foumettre l’exécution &' les détails au tribunal des
tréforiers de France : une'fuite donnée alors ŸAmi des hommes, fous le^ titre de Réponfe à la voitrie; traita la queftion
par les principes, & la montra infoutenable fous toutes fes faces.