La guerre fur terre 8c fur mer emploie d'autres
moyens que la force des hommes , 8c exige d'autres
dépenfes bien plus confidérables que celles
de la fubfiltance des foldats. Auffi ce font bien
moins les hommes que les richelfes qui foutien-
nent la guerre > car tant qu’on a des richelfes pour
bien payer les hommes , on n'en manque pas
pour réparer les armées. Plus une nation a de ri-
chefles pour faire renaître annuellement les ri-
ehelfes, moins cette réprodudion annuelle occupe
d'hommes > plus elle rend de produit net 3
plus le gouvernement, a d'hommes à fa difpofi-
tion pour le fervice • 8c les travaux publics > 8c
plus il y a de falaire pour les faire fubfifter 3 1
plus ces hommes font utiles à l'état par leurs emplois
8c par leurs dépenfes qui font rentrer leur '
paye dans la circulation.
Les batailles gagnées où l'on ne tue que des
hommes fans caufer d'autres dommages 3 affoi-
blilfent peu l'ennemi li le falaire des hommes
qu'il a perdu lui relie 3 8c s'il ell fuffifant pour
attirer d autres hommes. Une armée de cent mille
hommes bien payés ell une armée d'un million
d'hommes $ car toute armée où la folde attire des
hommes 3 ne peut être détruite : c'ell alors aux
foldats à fe- défendre courageufement > ce fônt
eux qui ont le plut à perdre > car ils ne. manqueront
pas de fuccefleurs bien déterminés à affronter
les dangers de la guerre. C'ell donc la
richeife qui foutient l'honneur des armes. Le héros
qui gagne des batailles 3 qui prend des villes;,
qui acquiert de la gloire 8c qui ell le plutôt
epuifé 3 n'ell pas le conquérant. L'hiftorien qui
fe borne au merveilleux dans le récit des exploits
militaires, inllruit peu la pollérité fur les fuccès
des évènemens décilîfs des guerres 3 s'il lui lailfe
ignorer l'état des forces fondamentales 8c de la
politique des nations dont il écrit l'hiftoire > car
c'ell dans Taifance permanente de la partie contribuable
des nations, 8c dans les vertus patriotiques
que conlille la puilfance permanente des
ctats.
Il faut penfer de même à l'égard des travaux
publics qui facilitent l'accroilTement des richeife s ÿ
tels font la conftrudion des canaux 3 la réparation
des chemins, des rivières, 8cc. qui ne peuvent
s'exécuter que par l'aifançe des contribuables en
état de fubvenir à ces dépenfes, fans préjudicier
d la réprodudion annuelle des richelfes de la nation
: autrement de tels travaux fi étendus, quoique
fort dêfirables, feroieht par les impolitions
éréglées , ou par les corvées continuelles , des
entreprifes ruineufes dont les fuites ne feroient
pas réparées par l'utilité de ces travaux forcés 8c
jtccablans j car le dépérilfement d'un état fe répare
difficilement. Les caufes deftrudives qui augmentent
de plus en plus, rendent inutile? toute
la vigilance 8c tous les efforts du miniftère, lorf.
qu'on ne s'attache qu'à réprimer les effets 8c qu'on j
ne remonte pas jufqu'au principe : ce qui ell bien
prouvé , pour le temps 3 par l'auteur du livre in- i
titulé : le détail de la France fous Louis X I F i
imprimé en 1699. Cet auteur rapporte les com-:
mencemens de la décadence du royaume à l'année
1660 3 8c il en examine les progrès jufqu'au temps i
où il a publié fon livre : il expofe que les revenus
des biens-fonds qui étoient de 7.00 millions
( 1400 millions de notre monnoie d'aujourd'hui)
avoient diminué de moitié depuis 1660 jufqu’en
1699 : il obferve que ce n'ell pas à la quantité
d'impôts 3 mais à la mauvaife forme d'impofitioa
8c à les défordres qu'il faut imputer cette énorme
dégradation. On doit juger de-là des progrès dèl
cette diminution , par la continuation du même!
genre d'adminillration. L'impofition devint fi|
défordonnée, qu'elle monta fous Louis XIV à
plus de 750 millions, qui ne rendoient au tréfor!
royal que 2.50 millions (1) j ce qui enlevoit an-l
nuellement aux contribuables la jouilfance de
| 500 millions , fans compter la dégradation annuelle
que caufoit la taille arbitraire établie futl
les fermiers. Les impolitions multipliées 8c ruineu-l
fes fur toute efpèce de dépenfes s'étendoient pan
repompement fur la dépenfe de l'impôt même J
au détriment du fouverain pourjequel une gran-1
de partie de fes revenus devenoit illufoire. Aufl|
remarque-t-on que, par une meilleure adminillra|
tion, on auroît pu en très-peu de temps augmenter
beaucoup l'impôt, 8c enrichir les fujets et
abolilTant ces impolitions li deftrudives , 8c etr
ranimant le commerce extérieur des grains , des
vins, des laines, 8cc. Mais qui auroit ofé entre!
prendre une telle réforme dans des temps où l'onl
n'avoit nulle idée du gouvernement économique;
d'une nation agricole ? On auroit cru alors renl
verfer les colonnes de l'édifice.
X X V I I .
Que le gouvernement fait moins occupé du film
d'épargner , que des opérations nécejfaires pour lm
profpérité du royaume ,* car de très-grandes dépeni
fes peuvent celfer d'être exceffives par l'augmenl
tation des richelfes. Mais il ne faut pas confonl
dre les abus avec les Amples dépenfes > car Ici
abus pourraient engloutir toutes les richelfes deg
la nation 8c du fouveraiu*
X X V I I L
Q ue Vadministration des finances , foit dans lm
perception des impôts , foit dans les .dépenfes
gouvernement 3 n oççafionnç pas de fortunes pécunijil
res qui dérobent une partie des revenus à la cir*|
• çulation , à la diftribution 8c à la réprodudio0, |
m A (1) Voyez les Mlméires povrfirvir d Iî\ifio\re eéoérçile des Finances, par M. de B,
A G R
X X I X.
t . Qu ont. nefpère de rejfources pour les befoins extraordinaires
d’un état que de la profpérité de la nation
3 & non du crédit des financiers ; car les eortu
n e s PÉCUNIAIRES SONT DES RICHESSES CLANDESTINES
QUI NE CONNOISSENT Nr ROI NI PA-
TJB.IE.
X X X.
Q ue F état évite des emprunts qui forment des
rentes financières , qui le chargent de dettes dévorantes
, 8c qui occalionnent un commerce ou trafic
de finances, par l’entremife des papiers com- 1
ifterçables, où l'efcompte augmente de plus en
plus les fortunes pécuniaires ftériles. Ces fortunes
féparent la finance de l'agriculture, 8c privent
les campagnes des richelfes nécelfaires pour '
l'amélioration des biens-fonds, 8c pour l'exploitation
de la culture des terres (G).
AGRICULTURE, f. f. L’agriculture ell,
comme le mot le fait allez, entendre , l'art de cultiver
la terre.
L'Encyclopédie méthodique à un dictionnaire
j&articulier dé agriculture , 8c afin d'éviter les répétitions
, nous nous bornerons à parler ici, i°.
de l'importance de l'agriculture , & des attentions
8c des ençouragemens qu'elle mérite. 2*. De l'ef-
time des peuples anciens pour l’agriculture y des
loix qu'on a porté en fa faveur. 30. Des progrès
de Xagriculture dans ces derniers temps , 8c des
fociétés d'agriculture qu'on a établies. 40. Des autres
moyens qu'il faudrait employer. 5". Des
©bftacles qui s'oppofent à la perfectionne Xagriculture.
6°. Enfin nous envifagerons l'agriculture
dans fon rapport avec le commerce.
S e c t i o n p r e m i e r e .
Ve l'agriculture. Attentions & ençouragemens qiïelle
mérite.
L *agriculture ell le premier , le plus utile 8c
même le plus elfentiel des arts.
r Tout dépend 8c réfulte delà culture des terres ;
elle fait la force intérieure des états j elle y attire
les richelfes du dehors. Toute puilfance qui vient
d'ailleurs que de la terre, ell artificielle 8c précaire.
L indullrie 8c le commerce qui ne s'exercent
pas en premier lieu fur Xagriculture d'un pays,
font au pouvoir des nations étrangères , qui peuvent
ou les difputer par émulation , ou les oter
par envie j foit en etablilfant la même indullrie
chez elles, foit en fupprimant l'exportation de
leurs ;matières en nature. Mais un état bien dé-
fHche j bien cultive, produit les hommes par les
irüits de la terre , 8c les richelfes par les hommes.
Le gouvernement doit donc fa protection aux
campagnes plutôt qu'aux villes. Les unes font des
iacon. polit, & diplomatique. Tome I.
mères 8c des nourrices toujours fécondes , les
autres ne; font que des fi’les fouvent ingrates 8c
llériles. Les villes ne peuvent guères fublilier que
du fuperflu de la population 8c de la reproduction
des campagnes. Les places même 8c les ports de
commerce, qui par leurs vailfeaux femblent tenir
au monde entier,qui répandent plus de richeffes
qu'elles n'en polfédent, n'attirent cependant
tous les tréfors qu'elles verfent-, qu'avec les productions
des campagnes qui les environnent. C'eft
donc à la racine qu'il faut arrofer l'arbre. Les
villes ne feront florilfantes que par' la fécondité
des champs.
Mais cette fertilité dépend moins encore du
-fol que de fes habitans. L'Efpagne 8c l'Italie
meme, quoique fituées fous le climat le plus favorable
à Xagriculture } produifent' moins que \x
France 8c l'Angleterre , parce que le gouverne-
ment y^ erouffe la nature de mille manières. Partout
ou la nation ell attachée à fa patrie par
la propriété , par la fureté de fes fonds 8c de les
revenus , par-tout où les privilèges ne feront pat
pour les villes , 8c les corvees pour les campagnes,
on verra chaque propriétaire , amoureux de l'héritage
de fes pères , l'accroître 8c l'embellir par
une culture affidue , y multiplier fes enfans à
proportion de fes biens , 8c fes biens à proportion
de fes enfans.
L'intérêt du gouvernement ell donc de favori-
fer fes cultivateurs , avant toutes les clafifes oi-,
fpufes de la fociété. La noblelfe n'ell qu'une dif«i
tindion odieufe , quand elle n'ell pas fondée fut
des fervices réels 8c vraiment utiles à l’etat ,
comme celui de défendre la nation contre les in-
vafions de la conquête, 8c contre les entreprifes
du defpotifme. Elle n'ell que d'un fecours précaire
8c fouvent ruineux, quand, après avoir
mene une vie molle 8c licencieufe dans les villes „
elle va prêter une foible défenfe à la patrie lur
les flottes 8c dans les armées, 8c revient à la
cour mendier des places 8c des honneurs qui fouvent
accablent les peuples. Le clergé ell une pro-
feffion ftérile pour la terre , quelquefois à charge
a l'etat, fi l'on en excepte cette claffe de paf-
teurs, la plus faine 8c la plus réfpedable * mais
en meijie temps la plus avilie 8c la plus furchargée,
1 Parmi les peuples des campagnes ,
inllruit, édifié, confeille , confole 8c foulage une-
multitude de malheureux.
Les cultivateurs méritent la préférence du gouvernement
, même fur les manufadures 8c les
arts,, foit mécaniques, foit libéraux. Honorer 8c
protéger les arts de luxe fans fongex aux campagnes,
fource de 1 indullrie qui les a créées Scies-
foutient, c ell oublier ! ordre des rapports ae 14
nature 8c^de la fociete. Favorifer les arts aux dépens
de 1 agriculture, c'eft ôter les pierres de fon-
demens d'une pyramide , pour en élever le fom-
met. Les arts mécaniques attirent affez de bras
par les richelfes qu'ils procurent aux entrepre