
o u , pour mieux dire } Tunique objet de notre ambition
8c de nos travaux en Amérique. Mais il
eft prouvé que Tefprit du commerce qui eft ex-
cluiif & nereipire que lesprivilèges , eft très-op-
pofe aux interets de Tétât. Cela pôfé, notre conduite
dans le nouveau-monde donne, par les faits, la preuve
la plus évidente de la vérité de cet axiome j que le
commerce doit fervir en Liberté, &* ne jamais commander.
Je ne donnerai point ici l’hiftoire des colonies
que nous avions dans l’Amérique fepten-
trionale, 8e qui ont paffé fous une autre domi-
nap?n > ma*s je ferai voir quelle eft l’influence des
privilèges du commerce fur nos ifles , 8c je demanderai
fi ce commerce fi vanté eft fort avantageux
à l’état. Sans entrer dans des détails qui me-
neroient trop loin, il fuffit de dire q u e , d’après
notre plan d’adminiftration, nous devons tout
porter à nos ifles 8c tout en rapporter 5 8c que fi
nos loix prohibitives y étoient exactement obfer-
vées, ces colonies n’auraient de fubfiftance 8e de
débouché que par nous. Or l’accroiffement d?un
peuple eft relatif aux fubfiftances ; il s’enfuit que
e’efi notre commerce qui compofe le territoire de
nos colonies j & , par une induCtion naturelle , il
faut conclure que tout ce qui borne & reftreint
notre commerce fait exactement le même effet fur
nos colonies , & qu’ainfi les loix fifcales & de
police maritime qui gênent notre commerce 8e
engourdiffent notre navigation , s’oppofent nécef-
fairement à la profpérité de nos ifles.
Si les colons étoient les maîtres de tirer de leurs
poffeffions toutes les denrées qu’elles pourraient
produire, de fe procurer celles que le fol leur
refuferoît, en les prenant de quiconque les leur
offrirait à meilleur marché j s’il leur étoit permis
de recevoir les néceflitésde leur entretien & même
de leur luxe de ceux qui les leur viendraient pré-
fenter } enfin s’ils étoient libres de les aller cher-"
cher 8c échanger où bon leur fembleroit, on ne
peut douter qu’au milieu de cette abondance les
colonies ne devinffent promptement très - fortes
très-puiffantes 8c très-peuplées 5 que le prix des
terres n’y augmentât beaucoup ; que la culture 8c
le produit n’en doublaffent, 8c que les villes ,
féjour des richeffes , ne préfentaffent bientôt l’image
de la profpérité. Penfe-t-on, après cela ,
que le pays de Tinduftrie , du travail 8c de l’activ
ité , la France, trouverait moins de reffources
dans fon droit de prééminence naturelle fur un
monde nouveau, puiffant & riche, qu’elle n’en
trouve aujourd’hui dans fon droit exclufif, fi
fouvent fraudé & fi peu affuré dans fes profits
?
On doit conclure de ce que nous venons de
d ire , que Tefprit de commerce eft de lui - même
très-incapable de former , peupler 8c fortifier des
colonies, 8c que fes vues 8c fes arrangemens actuels
font très - propres à en arrêter Taccroiffe-
ment.
Examinons maintenant J’efprit de population qui
prefide à Tentretien de la plupart des colonies.
On a imaginé d’y faire tranfporter des efclaves
pour les aflfujettir à la culture de la te rre, 8c de
mettre au dernier rang l’art 8c le travail , qui
doivent être au premier dans Teftime des hommes.
Des que Rome abandonna fes campagnes aux
foins de la fervitude, dès-lors les maîtres privés
d émulation vécurent dans Tinfouciance de leurs
vrais intérêts, 8c il fallut que l’Afrique nourrît
l’Italie.
« Mais Tefclayage ancien, tout barbare 8c dé-
M naturé qu’il é to it, quoiqu’il ait corrompu les
g peuples, avili 8c mélangé les nâtions, banni
* tonte concorde, toute p itié , toute pudeur ,
M toute humanité enfin 5 Tefclavage ancien, quoi-
M que dans le droit plus defpotique que celui
» d aujourd’h u i, é to it, dans le fait, tout au-
** trement fupportable 8c moins dangereux. Nos
» efclaves dé l’Amérique font une race d’hommes
H a Patt , diftindte 8c féparée de notre efpèce par
» le trait le plus ineffaçable } je veux dire la cou-
M leur, 8c qui conféquemment reçoit de la nature
M le type de fon infortune. Les efclaves anciens
*> etoient des hommes reffemblans à leurs maîtres ;
» les malheurs de la guerre 8c d’autres révolutions
« les, reduifoient à cette trifte condition, fans
M leur ôter les dons naturels 8c les talens acquis
» dans leur patrie } tout cela les rapprochoit de
M leurs maîtres. Les efclaves nègres au contraire
»-on va les chercher dans le féjour de la barba-
» rie. Ils arrivent brutes ou' doués d’un inftindl
» etranger, ce qui revient au même pour nous.
» On les jette dans des étables où leurs fembla-
» blés font entaffés j on les excède de travail
» pour le compte de leurs maîtres > 8c de cet or-
» dre d’habitudes 8c d’ufages n a ît, au fein de la
» loi de fraternité 8c daris un fiècle qui s’eftime
» éclairé par excellence, la plus dure 8c , nous
» ofons dire, la plus impie des fervitudes.
» Cette méthode n’a de toutes manières que
» des inconvéniens également inévitables 8c rui-
*> neux. Si Ton appefantit le joug fur ces malheu-
» reux, comme en général, on croit cette pré-
» caution néceffaire à la fureté même des colo-
« mes, la culture des terres qui leur eft exclufi-
» vement attribuée languit en proportion} leur
» population eft arrêtée par leur mifêre 8c par tous
» les défordres qui en dérivent.} les femmes fe
» font avorter pour être débarraffées-d’un fardeau
» qui les gêne ; les hommes deviennent fripons
» 8c malfaiteurs, 8c Ton eft obligé de tirèr fans
» céffe, à grands frais, de l’Afrique de quoi
» remplacer la diminution continuelle qu’éprouve
» cette étrange peuplade. Si au contraire on adou-
» cit leur efclavage, la débauche des maîtres les
» introduit dans les maifons, 8c y établit une race
» de métis qui portent fur leur front l’édit de
*> profeription des moeurs 8c de la.vergogne pu-
» blique. Les nègres les plus induftrieux fe jfor-
» ment aux arts & aux métiers, 8c arrachent
» ainfi à la population des blancs cette racine fè-
»* conde mais nourricière. Petit-à--petit le peuple
y d’efclaves s’accroît, 8c celui des maîtres dimi-
» nue j le travail 8c l’adtivité font le partage des
M premiers, l’indolence 8c l’orgueil celui des au-
•• très. Qu’on juge où doit aboutir cette diftri-
•» bution.
» L’imprudence des créoles aide encore à ac-
80 célérer ce renverfement. L’àppât du gain , 8c
» d’une rétribution plus forte tirée .de leurs ef-
» claves, .les engage à les employer à la naviga-
M tion, aux fondions militaires mêmes. Les hom-
•» mes les plus épais ont toujours affez de lumiè-
93 res pour fentir.l’avantage de la liberté. Il y a
» même un préjugé tout établi parmi ceux - ci ,
** que Dieu a d’abord livré cette terre aux hom-
•3 mes rouges, enfuiteaux blancs, 8c qu’elle doit
•J paffer aux noirs, 8c. Ton voit des cantons dans
M les ifles où ils fe font déjà fouftraits à l’obéif-
*» fance. Loin de fentir le péril de ce genre de
»9 révolution, il femble que l’on courre au-devant}
8c Ton pouffe le délire à cet égard jufqu’à iriÿ
» troduire avec foin les nègres dans les colonies
» de .Terre-ferme, qui n’en connoiffoient pas Tu-
» fage.
» Quel remède, me dira-t-on? Voulez-vous
99 borner cet abus 8c bientôt le rendre inutile ?
99 Encouragez la culture des terres dans les colo-
99 nies. Vous ne lé pouvez qu’en les rendant flo-
99 ridantes, 8c elles ne peuvent le devenir que par
»9 une entière liberté d’importation 8c d’exporta-
9» tion. La mifère eft toujours oifive, l’abondance
99 toujours agiffante. Quand les productions de
»9 ces terres auront un débouché prompt 8c affu-
» r é , le territoire 8c fes plantations en devien-
» dront plus précieufes à leurs poffeffeurs } ils
9? préfideront eux-mêmes à leur culture, 8c bien-
9» tôt ne dédaigneront pas d’y mettre la main ,
99 fi vous avez foin que les chefs 8c principaux
99 donnent a Cet égard l’encouragement 8c l’exem-
3» pie. L’abondancè 8c la richeffe des villes atti-
9» reront des artifans d’Europe, qui prendront l’a-
9» vânee fur Tinduftrie des nègres, qui n’eft ja-
•• mais que d’exception parmi cette race d’hom-
» mes. Ces artifans en éleveront d’autres , 8c
« bientôt on préférera des ouvriers, 8c même des
» cultivateurs gagnant falaires, à des efclaves qu’il
99 faut racheter fort cher ( 1) , d’ailleurs coûteux.
»» 8c embarraffans 8c fouvent infidèles ».
Il eft donc évident qu’on n’a pas fait à cet
égard ce qu’on pourroit faire, 8c que les peuples
modernes ne mettent pas plus de prudence dans
le régime adtuel de leurs colonies qu’ils n’en mirent
autrefois dans leurs établiffemens. Faifons
maintenant quelques réflexions fur l’air de profpérité
qu’on remarque fouvent dans les établiffemens
nouveaux plus que dans les anciens.
Le carà&ère de l’homme fage eft de conferver
8c d’entretenir, de ne jamais créer , pour ainfi
dire , qu’en amélioration. Mais l’attrait de la
plupart des hommes eft d’édifier, de conftruire,
de faire des chofes nouvelles } 8c comme nous
fommes bornés par le temps 8c par les moyens ,
autant que nous fommes volages dans nos idées ,
nous ne formons guères de nouvelles entreprifes ,
fans en négliger d’anciennes, 8c ne nous occupons
de l’exécution de nos projets qu’en abandonnant
le fruit des travaux de nos devanciers.
De là viennent , toutes choies d’ailleurs égales,
l’a&ion , la vigueur 8c la profpérité des nouveaux
établiffemens, tandis que les anciens tombent
en langueur8c dépériffent.
Cependant, fi Ton confidère ces penchans à
l’innovation, on verra qu’en les prenant dans la
nature, ils ont un objet favorable vers lequel l’étude
de fes loix propices nous dirige 8c nous
conduit.
Abftra&ion faite de toutes les acceptions fous
lefquelles on a compris le mot de colonies , on
peut dire qu’une colonie n’eft , à proprement parler
, qu’un nouveau défrichement} 8c en effet on
n’a vraiment appelle colons que les cultivateurs.
En ce fens, l’homme fent fi bien la néceflité des
fecours de fes voifins, que, quand il s’écarte 8c
cherche au loin à fe faire un établiffement, il
faut qu’il y foit pouffé par des motifs de crainte
ou d’efpérance, fupérieurs à l’attrait de l’habitude
8c au fentiment de fa propre foibleffe.
La crainte ou le défefpoir peuvent avoir fait
les peuplades hyperboréennes, ainfi que les peuples
fauvages} mais à cela près , quoiqu’on dife
de Carthage , de Marfeille , 8cc. il eft peu apparent
que les colonies fugitives aient beaucoup prof-
péré. Des effains échappés des nations civiliféeS
ne pouvoient montrer les efforts des colonies des
premiers âges, où l’homme libre du choix de fa
demeure 8c de fon établiffement, errant d’abord
avec fes troupeaux fous un climat favorable 8c fur
une terre naturellement fertile , fixé enfuite par
la néceflité, gouverné par des chefs vigilans, inf-
truit par les vieillards dont la carrière étoit alors
de plufîeurs fiècles , vit éclore l’enfance de Tinduftrie
8c des a rts, en fuivit les progrès 8c en
atteignit toute la perfedtion. Rien n’arrête autant
l’effor de l’intelligence, que l’habitude à nepenfer
que d’après les autres, 8c à fe borner aux idées
reçues. Le befoin ne fait que regretter les fecours
que nous connûmes autrefois ; il faut ou renouer
les rapports qui nous les procurèrent, ou périr.
L’efpérançe a bien d’autres forces pour engager
les hommes à l’émigration ; elle eft le premier
mobile de nos travaux } elle ne nous quitte jamais
8c fe mêle même à la crainte } mais où Tefpérance
(j) L Ami des hommes , tcun. 3 , pag. 361,
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