
On peut en donner une idée fommàire , en di-
fant que j dans Tefprit des corps 3 tout ce qui tend
à la réunion eft utile , & que ce qui amène à la
féoaration eft nuifible j & cette grande règle, généralement
applicable à tout ce qui entre dans la
compofition du corps focial, eft plus.néceffaire encore
à obferver ici--, & mérite une attention fuivie
dans Tordre des foins de la politique. Mais entrons
un peu dans le détail.
1 ous les corps dont nous parlons ici, font de
différente nature dans leur compofition comme dans
leur objet.
Le militaire, par exemple, doit être toujours
un corps , avoir par-deffus tout une patrie , mais
fans domicile ftable & fixe. Cependant ce dernier
point effentiel pour tenir le foldat en haleine , &
pour empêcher qu'il ne s'amolliffeL, femble en faire
un étranger parmi les fîens , & le rend en quelque
forte dangereux. Les chinois ont cru obvier à cet
inconvénient, en biffant au foldat le droit de fe
marier & d'avoir une famille j il étoit d'ailleurs
difficile de le leur refufer dans-un pays où l'avantage
d'être père eft regardé comme le premier bonheur.
C'eft ainfi qu'il n'eft aucun bien qui n'ait
fon inconvénient à côté. -
Anciennement chez nos nations gothiques , la
nobleffe fe regardoit comme le corps militaire. Etant
ainfi difperfée, puis établie, &, patmne fuite naturelle
, devenue dominante ; l'a&ion dès-lors Tex-
patrioit, lefërvice, quoique paffager, étoit onéreux
aux fujets, l'infubordination régnoit dans les
troupes, même en préfence de l'ennemi. Si - tôt
qu'une portion des citoyens fera deftinée aux armes
, ce foin deviendra pour elle un droit & non
un devoir, & rien n'eft fi abufif que le reriver-
fement de ces deux pivots- de notre exiftence naturelle
& civile ; oh le fait affez.
Le militaire doit donc être foudoyé & réuni ; il
eft bon qu'il ait Tefprit de corps , qui rend l'obéif-
fance honorable & prompte, le commandement
égal & foigneux, l'autorité modefte.'& généreufe $
mais cet efprit doit d'autant moins dominer, que
la raifon d'état lui eft, pour ainfi dire, défendue:
toujours prêt à fe mouvoir ou à s'arrêter félon Tordre
qui lui en eft donné. D'où il réfulte que Tefprit
de corps doit être , fi Ton peut s'exprimer de
la forte, collé aux drapeaux : hoirs de-la le militaire
eft citoyen , il-rentre dans fes droits, & c'eft
tout dire5 fous l'armure il eft compagnon, il eft
foldat, & n’eft que cela.
Le corps civil eft autre chofe > compofé de fujets
vraiment citoyens, il devient magiftrat dans
fès fonctions. Il fait corps comme organe de la
loi, qui, pour parler par la voix d'un feul hom?
me, doit avoir été méditée par plufieurs , & avoir
reçu fon application par la volonté manifefte d'un
grand nombre. Il eft journellement père, fils, frère
& citoyen j il n'eft magiftrat qu'au tribunal. C’eft
a..lui à s'en faire un de fa propre maifon, dans
J'ppipjon publique, par la gravité & l'intégrité de
fes moeurs > & s'il a un efprit de corps, cet efprit
doit etre la juftice. S’il fe permet d'en .admettre
un autre, celui-ci court rifque de s'attacher à la
loi pofitive fouvent défe&ueufe j de defcendre à
l'ufage & de déchoir enfin jufqu'à l'arbitraire Sc
à la corruption.
Le .clergé, profeffeur de morale par état, n’a
qu'une forte d'efprit qui lui foit utile , nous vôu-
Ions dire Tefprit de charité $ mais ( chofe étrange
a dire, & que nous croyons vraie néanmoins")
cet efprit ne fauroit être qu'un efprit de corps >
car il eft fi étranger à l'homme , fi - tôt qu'il fe
trouve en oppofition avec l'amour propie , qu'à la
referve de certaines âmes finguliérement privilégiées
ou inftruites par l'expérience, conditions
qu'on ne fauroit efpérer dans les candidats d'une
profeflion nombreuse, f enfemble & la vénération
publique femblent pouvoir feuls leur en impofer
l'habitude & la loi;
On ne fauroit donc trop ramener ce corps à
fon enfemble , & fon enfemble à fes fondions.
Dans certains pays, autrefois gothiques, on fe
reffent peut-être trop encore du préjugé de pareffe
& d'impéritie qui Je fit dominer dans toutes les
affaires publiques , comme étant alors le feul corps
inftruit. Dans les pays barbares où les emporte-
mens & les attentats des féroces habitans etoient
à craindre, l'influence d'une miffion célefte & le
zèle d’une ame charitable devenoient un égide
contre les explofions de la brutalité. Les hommes
fiers & durs font d’ordir. lire les plus faciles à céder
aux autorités défarmées.
Que dans les affemblées publiques les cérémonies
rappellent toujours la correfpondance néçef-
faire entre le ciel & la terre , c'eft une inftitution
édifiante de décence & de faine politique, toujours
attentive à s'attirer le refped des peuples ;
mais à cela près., Tinftrudion & fur-tout celle
qu'on annonce comme nous venant d'en haut ,
donne affez d'autorité & àe foins, & celui des
affaires publiques ne peut que diminuer le refpeél
des peuples pour les agens du ciel. Si ceux-ci ,
par fa diftraétion des affaires, fe relâchent jufqu'à
la familiarité , ils perdent de leur vrai crédit, &
c'eft un grand mal pour la fqciété qu'elle voie fes
guides s'égarer. Si au contraire leur zèle fe maintient
au-dehors, il apportera dans les affaires trop
d'autorité, quelquefois, fufceptible de dégénérer eq
ambition vaine & en opiniâtreté.
Notre deffein n'eft pas d'analyfer fucceflivement
le détail des différens corps} qui fe forment dans
les fociétés par la nature même des diverfès pro-
feffions & des emplois qu'on y exerce. Nous croyons
devoir nous borner à dire, que tout efprit de
corps eft précieux,, s’il fait fe contenir dans fes
juftes limites , s'il tend à infpirër des vertus à fes
divers membres, à maintenir les anciens principes
, & à étendre Tefprit de réunion j mais qu'il
importe çapitalement que cet efprit de corps
particulier
particulier foit fubordonné à Tefprit riatîdriàl qui
n'eft pas un efprit de choix exclufif ou përfonnel
comme plufieurs l'imaginent j mais Tefprit commun
& focial, de Tordre & de la perfection duquel
dépend le véritable efprit national, ainfi que ndus
le verrons en fon lieu.
L'eforit de république dans un grand état eft
précisément ce qui le détruit ; car cet efprit ne
fait réunion que par effort j & il l'oppofition ceffe,
de fa nature il tend au démembrement & à la fub-
divifîon de l'intérêt général ; il fe divife en intérêts
de cabales & en intérêts particuliers j mais
cet efprit de république fubordonné au pouvoir
d'un chef revêtu de l'autorité publique & générale
eft effentiel & néceffaire à tout état, comme
lès membres le font au corps.
Ce n'eft que de cës parties actives, chacune
dans fon reffort, que dépend la fureté publique ;
& ce n'eft que de celle-ci que dépend l'intérêt
général, qui feul fait corps & peut feul établir la véritable
püiffance.
Sous quelque gouvernement que ce foit , les
hommes ne veulent point être menés comme des
troupeaux, livrés à leur inftinét aveugle > ils fa-
vent fe mener eux-mêmes, & n'ont befoin au contraire
que d'être contenus. Ce n'eft que du pain
de la parole de TinftruCfion dont ils doivent être
redevables à leurs pafteurs $ & il eft effentiel que
les différens corps inftitués dans l'état pour veiller à
TinftrüCfion,à la fureté & a la commodité publique,
foient tous déterminés à coopérer à la denfité fo-
ciale , fi on peut le dire ainfi , & comme tels
prifés i refpeCtés & maintenus fur la voie prof-
père de leur inftkution.
( Cet article eft de M. Gr i v é l.)
CORPS HELVÉTIQUE. C'eft ainfi qu'on
défigne en français les petites républiques de la
Suiffe, confidérées comme une confédération na- <
tionale. Cette dénomination répond à celle ctEid-
genojfenchaft 3 ou d'affociation par ferment, adoptée
par les fuiffes même dans leurs traités d'alliance &
dans le ftyle de leurs chancelleries. Comme le terme
àt corps helvétique embraffe également les treize
cantons & les autres états de la Suiffe, leurs af-
fociés ou alliés, il ne faut pas croire qu'il s'agiffe
ici d'une union bien exaéte. Nous nous propofons
d'expliquer les divers rapports qui fubfiftent entre
les membres de la ligue des fuiffes , de même que
les conditions & les obligations réciproques qui
forment leur fyftême politique & leur droit public.
Nous ne donnerons des détails hiftoriques fur l'origine
& lés progrès de leur confédération, qü'au-
tant qu'il fera indifpenfablement néceffaire pour
développer le fujet que nous traitons ; & nous
renvoyons à l'article Su isse quelques obfervations
fur ce pays en général.
Pour mieux fixer les idées des leéteürs fur la
conftitution politique & fur le droit public des
(Scott polit.. & diplomatique. Tome L
fuiffes, il convient de parler d’abord de la confédération
des cantons mêmes, & d’indiquer les
différentes époques de fon accroiffement ; nous
examinèrons enfuite quel eft l'état de leurs affociés
& de leurs alliés.
Cet article renfermera quatre feéïions» La
première contiendra Thiftoire politique de la
confédération helvétique, & l'énumération des articles
principaux de fon droit public. Nous parlerons
dans la fécondé des liaifons contractées par
la nation réunie, & par un certain nombre de
cantons avec des puiffances étrangères. La troi-
fième offrira des remarques fur les alliés des fuiffes
, & fur leurs rapports avec le corps helvétique ,
&c. & on trouvera dans la quatrième des remarques
furie but de ia ligue des fuiffes, fur les eneavemens
& les avantages de cette ligue, fur la différence
qui fe trouve entre les cantons & les alliés, fur
lesjFormes du régime de cette ligue, fur les intérêts
politiques du corps entier & de fes membres
, par rapport aux puiffances voifînes.
S e c t i o n p r e m i e r s .
Hiftoire politique de la confédération des fuiffes '
énumération des articles principaux de fon droit
public.
i On regarde avec raifon l’union perpétuelle, jurée
entre lés trois petits pays d’Uri , de Schwitz
& «fUnderwalden 5.en i ; i y, pour la confervatiori •
de leurs prérogatives , comme la bafe de I’affo-
ciation fédérative des fuiffes. Il exifte cependant
un aûe à-peü-près femblable, de liai, publié à
la fuite d’une differtation de M. J. H. Glefer à
Baie 1760 j & les deux traites 11e diffèrent pas
effentiellement de ces confédérations particulières
que des temps antérieurs nous montrent fréquem-
mént dans toute l’étendue de l'Empire germanique.
De 131 y à 13 f3 J la nouvelle confédération
s accrut jufqu’aq nombre de huit cantons ou
états confédérés ; elle demeura fixée à ce nombre
Ipendant environ ceiit trente ans. Aujourd'hui
encore cètte diftmâion des huit anciens cantons
fubfifte , relativement au rang qu’ils ont confervé
& à la dotfiination qu’ils exercent en commun fur
quelques provinces conquifes. Il n’efl pas inutile
de confiderer l’origine , les progrès, le but & les
conditions de cettè première ligue. Nous l’envifa-
geotis comme la première époque de la ligue des
fuiffes & de leur droit public.
Lors de la révolution dé 1308, par l’expullibn
des baillifs ou officiers autrichiens, voyez les articles
Waxbstædt, ÜRI, ScHWlTZ, UrJÏIER-
WALDEN, les trois pays d’Üri, de Schwitz &
d’Underwalden, formèrentune cortfedévation poiir
dix ans. Ils rie rendirent cette union perpétuelle
qu’aprês la ^viaoire remportée à MorgStteri, en
1313. Elle étoit abfolüment déferifivè ebrftre ceux
qui eiiWef Petvdroieat de les dëpotiiBer deleurs piri-
O o 0 0