
S e c t i o n V I “.
Du commerce du Bengale,
Plufieurs nations de l'Europe ont des établiffemens
fur la rivière d'Ougly 5 mais ces comptoirs fe trouvant
au-deffus de Calcutta, les navires doivent
paffer fous le fort William, & les Anglois étant
les maîtres du pays, les françois, les hollandois,
les danois 8c les portugais n'achètent des naturels
du pays, que le rebut de la compagnie angloife,
& ils ont beaucoup à fouffrir du gouverneur 8c du
confeil de Calcutta.
Nous allons dire un mot de la pofition & de
l'état de ces comptoirs européens.
Les portugais, qui fréquentèrent les premiers
cette riche contrée, formèrent fagement leur éta-
bliffement à Chatigan, pórt litué fur la frontière
d'Arrakan, non loin de la branche la plus orientale
du Gange. Les hollandois qui, fans fe commettre
avec ces ennemis alors redoutables, vou-
loient partager leur fortune , cherchèrent le
port, qui les expofoit le moins aux hoftrlités.
En 1663 , ils jettèrent les yeux fur Balaffora;
& toutes les compagnies ,' plutôt par imitation ,
que par des combinaifons bien raifonnées ,
fuivirent depuis cet exemple. L'expérience leur
apprit qu'il leur convenoit de fe rapprocher des
différens marchés d'où elles tiroient leurs mar.
chandifes , & elles remontèrent le bras du Gange
qui, après s'être féparé du corps du fleuve à Mor-
chia , au-deffus de Caflimbazar, fe perd dans l'océan
au voifînage de Balaffora, fous le nom de la
rivière à’Ougly. Le gouvernement du pays leur
accorda la liberté de placer des loges, & de fe
fortifier fur cette rivière. , •
En remontant la rivière d’Ougly, onv trouve
d'abord l'établiffement anglois de Calcutta, où
l'air eft mal-fain 8c l'ancrage très-peu fûrp Malgré
ces inconvéniens , cette ville, ou la liberté & la
fureté avoient fucceflivement attiré beaucoup de
riches négocians, arméniens, maures 8c indiens,
a vu fa population s'élever à lix cent mille âmes
dans les derniers temps. Du côté de terre , elle
feroit abfolument ouverte aux ennemis , s'il en
exiftoit ou s'ils étoient à craindre : mais le fort
William, qui n'en eft éloigné que d'un devrai
mille, la défendroit contre des forces arrivées
d’Europe pour l'attaquer ou pour la bombarder.
C’eft un o&ogone régulier, avec huit baftions,
plufieurs contre-gardes & quelques demi-lunes,
fans glacis ni chemin couvert. Le foffé de cette
place, dont la conftru&ion a coûté plus de vingt
millions, peut avoir cent foixante pieds de large
fur dix-huit de profondeur.
Six lieues au-deflus fe voit Frédéric-fjagor,
fondé en 17jö'par les danois, pour remplacer
Une colonie ancienne, où ils n’avoient pu«fe fournir.
Cet étaUiffenaçnç n'a eiicorç acquis aucune
confiftance, 8c tout porte à croire qu'il ne fera
jamais grand'chofe.
Chandernagor, fitué deux lieues & demi plus
haut, appartient aux françois. Il a l'inconvénient
d'être un peu dominé du cote de l'oueft : mais fon
port eft excellent, & l’air eft auffi pur qu’il puiffe
l'être fur les bords du Gange. Toutes les fois qu'on
veut élever des édifices qui doivent avoir de la fd-
lidité, il faut, comme dans tout le refte du Ben-
gale , bâtir fur pilotis, parce qu'il eft impolfible
de creufer la terre, fans trouver l'eau à trois ou
quatre pieds. On voit fur fon territoire , qui n'a
guère qu'une lieue de circonférence, quelques
manufactures, que la perfécution y a poufléeis
comme dans les autres comptoirs européens.
Ajun mille de Chandernagor eft Chinchura ,
plus connu fous le nom à'Ougly J parce qu'il eft
litué près de cette ville autrefois célébré. Les hol-
landois n'y ont de propriété que celle de leur fort.
Les habitations dont il eft environné dépendent
du gouvernement du pays, qui fouvent s'y fait
fentir par fes extorfions î un autre inconvénient de
cet. établiffement, c'elt qu'un banc de fable empêche
que les vaiffçaux n'y puiffent arriver : ils
s’arrêtent vingt railles au-deflous' de Calcutta, à
Fulta, ce qui multiplie les frais d'adminiftration.
Les portugais avoient autrefois établi leur commerce
à Bandel, â quatre-vingt lieues de l’embouchure
du Gange, 8c à un quart de lieue au-
deffus d'Ougly. On y voit encore leur pavillon
avec un petit nombre de miférables qui ont oublié
leur patrie, après en avoir été oubliés.
Il fort du Bengale pour l'Europe du mufc, de
la lacque, du borax , du bois rouge, du poivre, des
cauris, quelques autres articles peu confidérables
qui y ont été portés d'ailleurs. Ceux qui lui font
propres font le falpêtre, la foie , les mouffelines ,
& cent efpèes de toiles différentes. Le falpêtre
vient de Patna. Cafiimbazar eft le marché général
de la foie de Bengale.
Vingt millions de roupies payoient, il n'y a
que peu d'années, tous les achats faits dans le
Bengale.par les nations européennes. Leur fer,
leur plomb , leur cuivre , leurs étoffes de laine ,
les épiceries des hollandois coûtoient à peu près
le tiers de ces valeurs. On foldoit le refte avec
de l'argent. Depuis que les anglois fe font rendus
maîtres de cette riche contrée , elle a vu augmenter
fes exportations & diminuer fa recette, parce
que les conquérons ont enlevé une plus grande
quantité de marchandifes , 8c qu'ils ont trouvé
dans les revenus du pays de quoi les payer. On
peut préfumer que cette révplution , dans le commerce
du Bengale , n'eft pas à fon terme, 8c
qu'elle aura tôt ou tard dés fuites 8c des effets
confidérables.
Toutes les marchandifes importées dans le Ben-,,
gale, par la compagnie angloife, fe vendent dans
des foires ou à une efpèce d'encan. On acorde
UU çfconapte de fix., neuf op trois pour cent.» fuivant
que l'acheteur enlèye fes marchandifes plus
ou moins promptement. Toute perfonne , fans
diftinélion , peut fe rendre à ces foires. Le gouvernement
accorde un duftuck ou paffe-port aux
acheteurs.
Les marchandifes qui forment la cargaifon des
Vaiffeaux de retour, font payées avant qu'on les
reçoive, avant même qu'elles ne foient fabriquées.
Ces avances d'argent fe font fous la direction des
chefs des fa&oreries de la compagnie réfidens à
Chittigong, Luckypore , Dacca , Cafiimbazar,
Maldah, Patna, Burdwan 8c Midnipore, 8c ils
envoient pour cela des Gomafthas noirs dans
l’intérieur des terres. Il arrive quelquefois que
ces emplettes fe font par des Gomafthas noirs,
qui habitent les aurungs ou villes de fabrique,
fous la dire&ion d’un membre du bureau du con-
feil de Calcutta.
Le commerce du Thibet n'eft rien en compa-
raifon de celui que le Bengale fait avec Agra,
Delhy, 8c les provinces voifines de ces fuperbes
capitales. On y porte du fel, du fucre, de l'opium,
de la foie, des foieries, des toiles, 8c des mouffelines
de toutes efpèces. Ces objets réunis montaient
autrefois à dix-fept ou dix-huit millions
de roupies par an. Une fomme fi confidérable n'ar-
rivoit pas fur les bords du Gange, mais elle y fai-
foit relier une fomme à peu près égale, qui en
feroit fortie pour payer le tribut qu'exigeoit le
Mogol, pour corrompre les grands qui l'entour-
roient, ou pour la rente de leurs terres. Depuis
que les lieutenans de ce prince fe font rendus
comme indépendans, depuis qu'ils ne lui envoient
de fes revenus que ce qu'ils jugent à propos, le
luxe delà cour eft fort diminué, 8c la branche
d'exportation dont on vient de parler, n'eft plus fi
forte.
Le commerce maritime du Bengale, exercé par
les naturels du pays, n’a pas éprouvé la même
diminution , mais aufli n'avoit-il pas autant d'étendue.
On peut le divifer en deux branches,
celle du-Cateck, celle d'Asham. Ils chargent au
Catekdu ris, de groffçs toiles 8c quelques foieries
, qu'ils portent aux Maldives, ou ils reçoivent
en échangé des cauris, qui fervent de mon-
noies dans le Bengale. Asham donne un peu d'or,
de l'argent, de l’ivoire , de l'écaille, du mufc, du
bois d'aigle, 8cc.
Tous les autres bâtimens expédiés du Gange
pour les différentes échelles de llnde, appartiennent
aux européens , 8c font conftruits au Pégu,
d'où ils exportent du bois de teck, de la cire ,
une huile excellente pour la confervation des vaiffeaux
, de l’ivoire, du câlin 8c des pierres précieu-
fes. Voyei P ég u .
L'opium eft une branche confidérable du commerce
que font les européens aux Indes. Patna,
fitué fur le haut Gange, eft l’endroit du monde
où l on cultive le [plus de pavots. Ses campagnes en
fpnt couvertes. Indépendamment de l'opium qui (Scon. polit. & diplomatique, Tfftn. J.
va dans les terres, il en fort tous les ‘ans pat mer
trois ou quatre mille caiffes du poids de trois cens
livres chacune; La caiffe fe vend fur les lieux de
deux à trois cens roupies.. Cet opium n’eft pas
raffiné comme celui de Syrie 8c de Perfe, dont
nous nous fervons en europe. Ce n'eft qu'une
pâte fans préparation, qui fait dix fois moins d’effet
que l’opium raffiné.
Dans toute la partie orientale de l'Inde , on a
une paffion extrême pour l'opium.
La compagnie de Hollande faifoit autrefois le
commerce de l’opium dans fes pofféflïons. Elle en
débitoit peu, parce que le commerce interlope de
cet article rapportoit quatre cens pour cent. En
1743 elle abandonna cette branche à une fociété
particulière, à qui elle livre une certaine quantité
d’opium à un prix convenu. Cette fociété, compose
des principaux membres du gouvernement,
de Batavia, fait des gains immenfes ; car on redoute
le crédit de ces hommes puiffans, 8c il
n’v a plus guères de contrebandiers? La côte des
Malais , 8c une partie de l'ifle de Sumatra , font
approvifîonnées d'opium par des négocians libres,
anglois 8c françois, qui gagnent plus fur cette
marchandife , que fur les toiles communes qu’ils
portent à ces différens marchés.
Les négocians du Bengale envoient à la" côte de
Coromandel du riz 8c du fucre dont ils font payés
en argent, à moins qu'un heureux hafard ne leur
offre quelque marchandife étrangère à bon compte.
Ils expédient un ou deux vaiffeaux avec du
riz, des toiles 8c de la foie : le riz eft vendu à
Ceylan , les toiles au Malabar, 8c la foie à Surate,
dont on rapporte du coton , que les manufactures
groflîères du Bengale emploient utilement.
Deux ou trois bâtimens chargés de riz , de gomme
laque 8c de toiles, prennent la route de
Baffora, d'où ils reviennent avec des fruits fecs,
de l'eau-rofe, 8c fur-tout de l'or. L'Arabie ne
paye qu'avec de l'argent 8c de l'or les riches marchandifes
qu'on lui porte. Le,commerce du Gange
, avec les autres échelles de l'Inde, procure
douze millions de roupies par an au Bengale.
Quoique ce commerce paffe par les mains des
européens, & fe faffe fous leur pavillon, il n'eft
pas tout entier pour leur compte. Il eft rare que
les mogols, communément, bornés aux places du
gouvernement, prennent intérêt dans ces., arme*
mens 5 mais les arméniens qui, depuis les^révoltu
rions de Perfe fe font fixés furies bords du Gange
, où ils ne faifoient autrefois que des voyages ,
y placent volontiers leurs capitaux. Les indoux y
mettent des fonds encore plus confidérables.
Quoique les naturels du pays ne puiffent jouir de
leurs richeffes, fous un gouvernement oppref-
feur, cependant ils travaillent fans relâche à les
augmenter. Comme iîscpurroient trop de rifques à
[e' faire à découvert , ils prennent des voies détournées.
Dès-qu'il arrive un européen , les gen-
toux l'étudient, 8c s'ils lui trouvent de l'écono*
$ f