
84 A G R
quelle reffource refte-t-îl dans ces circonftances
à Tétât, que d’ouvrir fes ports aux^ étrangers qui
veulent acheter fes grains , afin d’augmenter le
nombre des demandeurs ?
Les étrangers confomment le grain ou le maga-
finent. Si c’eft pour leur confommation qu’ils l’exportent
, la quantité eft bornée 3 parce que plufieurs
pays abondans les fourniffent en concurrence. Si
c’eft pour magafiner , les achats font en raifon du
bas prix, & fi rapides, qu’on n’eft averti fouvent
de 'l’excès que par fes effets. Chaque cultivateur
affamé d’argent s’eft empreffé de vendre pour
fatisfaire fon be foin pre fiant , & fans en prévoir
de plus grand. Une mauvaife récolte furvient > les
étrangers nous revendent cher cette même denrée,
dont nous leur avons abandonné le monopole.
Si les fujets euffent formé la même fpéculation »
non-feulement l’inconvénient public d’une balance
Tuineufe pendant la difette lui eût été épargné, mais
les inconvéniens particuliers qui font une fuite ,
foit du trop bas prix des grains, foit de leur prix
exceflïf, & fouvent pour plufieurs années, n’euf-
fent point exifté.
Car fi nous fuppofons que dans chaque province
, plufieurs particuliers faffent, dans les années
abondantes, des amas de bled, la concurrence
fera bien mieux établie que lorfque 8o ou ioo négocions
de Hollande feront acheter la même quantité
par un petit nombre de commiffionnaires. Il
y aura donc plus de demandeurs , conféquemment
le prix hauffera. Il eft d’autant plus certain que cela
s’opérera ainfi , que ces mêmes quatre-vingt ou
cent nëgocians de Hollande ne laifferont pas de
chercher, comme auparavant, à profiter du bas
prix dans les premiers mois qui fuivront la*recôlte.
Le pacage de la révolution caufée par la fura-
bondance fera évidemment fi promt, qu’il ne pourra
porter aucun préjudice au cultivateur. Il jouira
au contraire de toute fa richeffe , & il en jouira en
sûreté. Car fi la récolte fuivante vient à manquer
, chacun faura que tels & tels greniers font
pleins : la faim d’imagination plus effrenée que
l’autre peut- être, n’apportera aucun trouble dans
l’ordre public. Tandis que d’un côté les demandeurs
feront tranquilles , parce qu’ils fauront qu’il
y a de quoi répondre à leur demande , les poffef-
feurs du grain inftruits comme les autres de l’état
des provifions , appréhenderont toujours de ne
pas profiter affez - tôt de la faveur qu’aura pris la
denrée. Ils vendront de temps en temps quelques
parties pour mettre au moins leur capital a, couvert
: la concurrence des parties expofées en vente
, arrêtera continuellement le furhauffement
des . prix , &. accroîtra la timidité des vendeurs.
Le feul principe de la concurrence donne la
marche sûre de ces dlverfes opérations , tant fes
relforts font aétifs & puiffans.
La pratique d’un fyftême fi fimple ne peut rencontrer
que trois difficultés j la contradiction des
A G R
loix , le préjugé populaire contre la garde des
bleds, & le défaut de confiance.
Si la néceffité d’envifager Yagriculture comme
un objet de commerce a été démontrée auffi clairement
que je l’efpère , il faut conclure que les
loix qui gênent le commerce intérieur des grains ,
font incompatibles avec la profpérité de Yagriculture.
L’objet du commerce eft certainement d’établir
l’abondance des denrées j mais l’objet du commerçant
eft de gagner. Le premier ne peut être
rempli que par le feeond , ou par l’efpérance qu’on
en conçoit. Quel profit préfentera une fpéculation
fur des denrées qu’il eft défendu de garder
jufqu’à ce qu’elles renchériffent? Trois & quatre
moiffons abondantes de fuite ne font point un
fpe&acle nouveau pour la France ; on remarque
même que ce n’eft qu’après ces furabondances
réitérées, que nous avons éprouvé nos grandes
difettes.
La loi qui défend de garder des grains plus de
trois ans, a donc dû opérer le contraire de' ce
qu’elle s’etoit propofé. Je n’ai garde cependant de
foupçonner qu’elle manquât d’un motif très-fage :
le voici.
L’humidité de nos hy vers & delà plûpart de nos
terreins à bled, eft très-contraire à la confervation
des grains. L’ignorance ou la pauvreté de nos cultivateurs
hâtoient encore les effets perni cieux de la
mauvaife difpofitiondes faifons, par le peu de foins
qu’ils ëmployoient à leurs greniers. L’efpérance cependant
qui préfide prefque toujours aux confeils
des hommes, prolongeoit la garde jufqu’à des temps
où la vente feroit plus avantageuse , & la perte fe
multiplioit chaque jour. Enfin ces temps fi attendus
arrivaient, les greniers s’ouvroient > une partie
du dépôt fe trouvoit corrompue. Quelques précautions
qji'on prît pour en deroBer la connoiflan-
ce au peuple.lorfqu’on la jettoit dans les rivières,,
il étoit impoffible qu’une marchandife d’auffi gros-
volume fe cachât dans le tranfport. Ce fpe&acl.e
fans doute perçoit le coeur des pauvres , & avec
raifon 5 ils fe perfuadoient le plus fouvent que ces
pertes étoient une rufe pour renchérir leur fiïbfif-
tance j l’incertitude même des faits a le myftère
qui les accompagnoit, tout effarouchoit des imaginations
déjà échauffées par le fentimentdu befoin*
Cette réflexion développe toute la richelfe du
préfent que M. Duhamel a fait àfa patrie. Il a prévenu
d’une manière fimple, commode , & très-
peu coûteufe, cès mêmes inconvéniens qui avoient
excité le cri général, & même armé les loix contre
la garde des bleds.
Ajoûtons encore qu’il eft difficile que les régle-
mens ne portent l’empreinte des préjugés du fiécle
qui les a di&és. C’eft au progrès de l’efprit de calcul
qu eft attaché leur deftruétfori.
Les raifbnnemens que nous avons employés jufqu’à
préfent,. démontrent combien font fauffes
les préventions populaires fur les profits qui fe font
dans lecommetfce des grains. Sans ces profits, le
commerce feroit nul, fans commerce point d’abondance.
Nous n’infirterons pas non plus fur la
frayeur ridicule qu infpirent les ufuriers, dont les
amas font ou médiocres ou confidérables : s’ils font
médiocres, ils ne font pas grand tort, s’ils font
d’un gros volume , ils font toujours fous la main
de la police.
Mais il ne fuffit pas d’oppofer des raifons à ces ;
fortes d’erreurs : c’eft un ouvrage réfervé au légif-
lateur de réformer l’efprit national. Il y parviendra
fûrement en honorant & en favorifant ceux
qui entreront dans fes vûes.
Nous avons, même déjà fait quelques pas vers
les bons principes fur le magafînage des grains. Il
y a quelques années que la fageffe du miniftère
ordonna aux communautés religieufes du royau- ;
me de conferver toujours des provifions de grains
pour trois ans. Rienn’étoit mieux penfé, ni d’une
exécution plus facile. Dans les années abondantes,
cette dépenfe n’ira pas au double de l’approvifion-
nement d’une année au prix commun. Dès- lors
toute communauté eft en état de remplir cette
obligation, à moins qu’elle ne foit obérée j dans ce
cas, l’ordre public exige qu’elle foit fupprimée
pour en réunir les biens à un autre établiffement
religieux.
A cet expédient on en ajouta un encore plus
étendu : on a aftreint les fermiers des étapes à entretenir
pendant leur bail de trois ans, le dépôt
d’une certaine quantité'de grains dans chaque province.
Voilà donc des magafins de bled avoués, ordonnés
par l’état. Les motifs de cesréglemens &les
loix delà concurrence, toujours réciproquement
utiles aux propriétaires & aux confommateurs des
denrées, nous conduifent naturellement à une
reforme entière*
Un édit par lequel le prince encoutageroit, foit
par des diftinétions, foit dans les commencemens
par quelque légère récompenfe , les magafins d’une
certaine quantité de grains, cçnftruits fuivant la
nouvelle méthode , fous la claufe cependant de les
faire enrégiftrer chez les fubdélégués des inten-
dans, fuffiroit pour détruire le préjugé national.
Tour peu que le préambule préfentât quelque inf-
tru&ion aux gens fimples & ignorans parmi le
peuple, ce jour feroit à jamais béni dans la mémoire
des hommes. On ne peut pas dire que nos
provinces manquent de citoyens affez riches pour
ces fpéculations. Avec une légère connoiffance de
leur, état, on fait que tout l’aEgent qui s’ÿ
trouve ne circ ule pa’s. C’eft un malheur bien grand
fans-doute , & les profits du commerce des grains
paffent pour être fi fûrs , que c’eft ' peut | être
le meilleur moyen de reftituer à l’aifance publique
ces tréfors inutiles.. D’ailleurs fuivons le principe
de la concurrence 3 il ne peut nous égarer : ce ne
feront pas des greniers immenfes qui feront utiles,
mais un grand nombre de greniers médiocres > c’eft
même où i’on doit tendre , c’eft fur ceux-là que
devroit porter la gratification fi l’on jugeoit à propos
d’en accorder une.
Le défaut de confiance eft la troifîème difficulté
qui pourroit fe préfenter dans l’exécution j il au-
roit fa fourcé dans quelques exemples qu’on a eus,
de greniers ouverts par autorité. Il faut fans doute
que le danger foit preffant pour juftifier de pareilles
opérations : car un grenier ne peut difparoître
d’un moment à l’autre , fur-tout s’il eft de nature
à attirer l’attention du magiftrat. Il faut du
moins convenir qu’on eût été difpenfé de prendre
ces fortes de réfolutions , fi de pareils greniers
euffent été multipliés dans le pays. Ainfi la
nature meme du projet met les fupérieurs à l’abri
de cette néceffite toujours fâcheufe, & les particuliers
en fûreté. La confiance ne fera jamais mieux
établie cependant, que par une promeffe folen-
nelle de ne jamais forcer lès particuliers à l’ouverture
des greniers enrégiftrés. Ce réglement
feul les porterait à. remplir une formalité auffi.
intéreffantè, d’après laquelle on pourroit, fuivant
les circonftances, publier à propos des états.
Comme il. faut commencer & donner l’exemple
j peut - être feroit - il utile d’obliger les diver-
fes communautés de marchands & d’artifans dans
les villes, à entretenir chacune un grenier, ou
d’en réunir deux ou trois pour le même objet.
Prefque toiites ces communautés font riches en
droits de marque, de réception , & autres : il
en eft même qui le font à l’excès aux dépens du
commerce & des ouvriers 3 pour enrichir quelques
jures. Enfin' toutes ont du crédit 5 & la fpé-
ciÿation étant lucrative par .elle-même, ne peut
être onéreufe aux membres. Il feroit à propos
que ces communautés adminiftraffent par elles-
mêmes leurs greniers , & que le compte de cette
partie fe rendît en public devant les officiers de la
ville.
Lorsqu'une fois l’établiffement feroit connu par
fon utilité publique & particulière , il eft à croire
que l’efprit de charité tourneroit de ce côté une
partie de fes libéralités : car la plus fainte de toutes
les aumônes eft de procurer du pain à bon marché
à ceux qui travaillent.
Les approvifîonnemens propofés, & ceux de
nos îles a fucre, avec ce qu’emporte la confommation
courante, affûre déjà au cultivateur un débouché
confidérable de fa denrée dans les années
abondantes. Mais pour que cette police intérieure
atteigne à fon but, il faut encore qu’elle foit fui-
vie & foütenue par la police extérieure.
L’objet du légiflateur eft d’établir, comme nous
l’avons dit plus haut, l’équilibre entre la claffe des
laboureurs & celle des artifans.
Pour encourager les laboureurs , il faut que
leur denrée foit achetée au milieu de la plus grande
concurrence poflîble dans les années abondantes.
Il eft effentiel que la plus grande partie de ces