
Les incas , qui fondèrent leur empire fur la con-
noiflance & l’exercice des arts relatifs à F agriculture
, quoiqu’en méconnoiflant fon fondement, la
propriété, firent en c e genre encore des travaux incroyables
, des Canaux de cent v in g t, dé cent
cinquante, & jufqu’ à cinq cens lieues d’étendue.
'Leur objet principal fut d’abord l’irrigation ou
l’arrofage des terres, objet fi important, & qui
n’eit pas de notre fujet aéhiel5 mais par la fuite,
& quand l ’empire reçut fa plus grande étendue,
le produit du tiers des terres> feul revenu de la
ïouveraineté, ne put être employé à la volonté
du fouverain, & tranfporté au foyer des dépenfes
qu’à l’aide des canaux.
L ’Europe, bientôt au terme des erreurs, pour
les avoir toutes épuifées , & qui d’ailleurs ne
manque pas de lumières eflentielles , quoique
obfcurcies paflagèrement par la multitude des"
préjugés que confervent encore de petites nations
éparfes 3 l’Europe trompée par les faufîes lueurs
d’une politique mercantile & fifcale , voit fes
nations remuantes abonder maintenant en projets
de ce genre , quoique la plupart ne foient depuis
long-temps que des projets, ou qu’ils aient avorté
lorfqu’on voulu les exécuter.
Quelques adminiftrations , plus tranquilles &
moins iurchargées d’engagemens onéreux qu’elles
ne le font aujourd’hui, arrêtèrent dans le temps
tout l’eflor des projets de ce genre, d’après le
principe , que les canaux de navigation dévoient
etre royaux, ainfi que les chemins publics, &
que les dépenfes en regardoient le gouvernement.
Selon ce principe, on n’en verroit de long-temps
aucun d’achevé î & le fuffent-ils , ils fe dégra-
‘deroient & feraient bientôt détruits faute d’éxac-
titude à les entretenir , & de vigilance a les
réparer.
Indépendamment de cet. inconvénient qui naîtrait
, de ce que le fouverain , comme le plus
grand & le plus riche propriétaire , ‘ eft le plus
volé dans les détails, c’eft que la navigation ferait
libre & fans frais comme le paflage des rues &
des chemins 5 & dès lors les Canaux de navigation
tout autrement difpendieux, deviendraient fort à
charge au fifc. Il faut accorder la propriété aux
capitalises qui voudront employer leurs fonds
aux hafards difpendiéux de leur confirmation ; il
faut en conféquence leur attribuer un droit rég
lé , borné, mais certain fur le transit3 & ce droit
qui deviendra le revenu légal de leurs capitaux,
ne doit être confidéré, quant au pub lic, que
comme un abonnement des frais d’entretien qui
feraient bien plus onéreux & plus inefficaces fi le
public en étoit chargé. Par cette loi fondée &
cautionnée par la foi publique, on verra bientôt
affluer les capitaux des nations opulentes & économes,
pour enrichir à jamais le territoire, vivifier
le commerce, exciter par-tout le travail
la fertilité, pour en répandre les produits, faire
Hâjtrç l?s revends, pour accroître enfin la puififan
ce du fouverain , la force & le courage de là
nation & le bon emploi de l’un & de l’autre.
Notice kijiorique des canaux de navigation exécutes
ou entrepris par les peuples-anciens.
L ’avantage des canaux, lit-on dans l’ancienne Ency-
33 clopédie, au mot canal artificiel, eft une chofe très-
*> anciennement connue. Les premiers habitans de
» la terre ont travaillé à rompre les ifthmes, & à
M couper les terres, pour établir entre les contrées
» une communication par eau. Hérodote rapporte
*> que les cnidiens, peuples de C arie, dans l’Afie
mineure , entreprirent de couper l ’ifthme qui
33 joint la prefqu’ifle de Cnide à la terre ferme :
*> mais qu’ils en furent détournés par un oracle.
33 Plufieurs rois d’Egypte ont tâché de joindre la
« mer Rouge à la Méditerranée. Cléopâtre eut
« le même deffein. Soliman I L , empereur des
33 turcs, y employa 50000 hommes qui y travail-
« lèrent fans effet. Les grecs & les romains pro-
33 jettèrent un canal à travers l’ifthme de Corin-
» th e , qui joint la Morée & l’A ch a ïe ,. afin de
» paffer ainfi de la mer Ionienne dans l’Archipel.
» L e roi Demetrius, Jules C e fa r , Caligula &
30 Néron y firent des efforts inutiles. Sous le règne
33 de ce dernier , Lucius Verus, un des généraux
33 de l’armée romaine dans les Gaules , entreprit
33 de joindre la Saône & la Mofelle par un canal,
» & de faire communiquer la Méditerranée & la
33 mer d’Allemagne par le Rhône, la Saône , la
33 Mofelle & le- Rhin, ce qu’il ne put exécuter.
33 Charlemagne forma le deffein de joindre le
33 Rhin & le Danube, afin d’établir une commu-
33 nication entre l’Océan & la mer N o ire , par un
33 canal de la rivière d’Almutz qui fe décharge
33 dans le Danube, à celle de Reditz qui fe rend
33 dans le Mein, qui va tomber dans le Rhin près
33 de Mayence : il y fit travailler une multitude
» innombrable d’ouvriers : mais différens obfta-
33 clés qui fe fuccédèrent les uns aux autres, lui
33 firent abandonner fon projet.
Suivant Hérodote & Diodore de Sicile , l’ancienne
Egypte étoit coupée dans toute fon étendue
par une multitude de canaux. Ils portent
le nombre des principaux à fix mille, qui fe fub-
divifoient en un nombre infini de ramifications.
Dans les crues régulières du N i l , tous ces canaux
étoient ouverts lé même jour, épofcjue fixée par
les ordres du magiftrat prépofé à la police des
eaux. Une grande partie de ces canaux étoient navigables.
Le plus beau monument de l’Egypte en ce
genre,; étoit le canal qui portoit le fuperflu des
eaux du N il au lac Moeris, & qui fe divifant &
s’étendant d’un côté jufqu’au lac Maréotis & à la
m e r , d’un autre côté dans la baffe Egypte , fer-
voit dans les grandes crues du fleuve à débarraflèr
le pays de l’abondance des eaux qui lui euffent
été nuifibles 3 & , lorfque le Ni) n’ avoir pas atteint
fa hauteur ordinaire , reportoit fur les terres
les eaux dépofées dans le lac Moeris. C e canal,
de près de quatre-vingt lieues de longueur, étoit
revêtu prefque par-tout de grandes pierres.
Si la Chine jouit d’une grande abondance , elle
en eft en partie redevable, à la quantité de rivières
, de lacs & de canaux navigables dont elle eft
arrofée. Il n’y a point de villes , ni même de
bourgades, fur-tout dans les provinces méridionales,
qui ne foit fur Jes bords d’une rivière , ou
de quelque canal.
Les grands lacs & un grand nombre d’autres
non moins confidérables, joints à la quantité de
fources & de ruiffeaux qui defcendent des montagnes,
ont beaucoup exercé l’induftrie des C h inois
3 ils en retirent de grands avantages, par
une multitude de canaux, qui fervent à fertilifer
les terres, & à établir des communications aifées
d’une province ou d’une ville à une autre.
Tous les canaux de la Chine font très-bien entretenus,
quoiqu’ il y en ait plufieurs qui paffent
à travers des montagnes & des rochers extrêmement
raides & efcarpés. Le hallage des bateaux &
des barques n’en eft pas moins facile. A force de
travaux , on eft parvenu à couper en une infinité
d’endroits le pied des rochers , & à pratiquer un
chemin aifé pour ceux qui tirent les barques.
Pour ne pas interrompre la. communication par
terre, d’efpace en efpace, on a élevé fur ces canaux
des ponts de .cinq ou fix arches, dont celle
du milieu eft extrêmement haute. Les voûtes
font bien cintrées, & les piles font fi menues,
•qu’on dirait de loin, que toutes les arches font
fufpendues en l’air. Le canal impérial, qui par fa
jonction avec plufieurs rivières, fait communiquer
entr’ elles prefque toutes les provinces de ce
vafte empire , a plus: de cent-cinquante lieues de
longueur. Il fut proje.tté & exécuté par Ku-Blai-
Kan, petit-fils du conquérant tartare Gengis-Kam
L ’Italie a quelques canaux dans la Lombardie &
dans la Tofcane , & c . La Flandre & la Hollande,
dont le terrein eft bas & uni, font coupées de
canaux, plus remarquables par leur utilité que
par leur grandeur. On en, fait, ou l ’on en projette
dans d’autres parties de l’Europe, comme
en Ruffle, en Efpagne, en Angleterre, &c.Nous.
ne donnerons pas déplus amples détails fur ces divers
canaux , mais nous croyons devoir nous arrêter
un peu fur ceux qui font relatifs aux canaux
navigables de la France.
Canaux navigables en France.
33 La France a plufieurs grands canaux. Celui de
33 Briare fut commencé fous Henri IV , & achevé
33 fous Louis XIII par les foins du cardinal deRiche-
33 lieu. Il établit la communication de la Loire à la
33 rivière de Seine, par le Loing.il a.onze grandes
33 lieues de longueur , à le-prendre depuis Briare
33 jufqu’à Montargis. C ’eft au-delfous de Briare
33 qu’il entre dans la Loire 3 & c’eft à Cepoi
33 qu’il finit dans le Loing. Les eaux du canal font
■ » foutenues par quarante-deux éclufes , qui fer-
« vent à monter & à. defcendre les trains de bois
33 & les bateaux qu’on conftruit pour cet effet
33 d’une longueur &c d’une largeur proportionnées.
33 On paye un droit de péage à chaque c o u fe ,
» pour l’entretien du canal, & le rembourfement
33 des propriétaires.
33 Le canal d’Orléans fut entrepris en 1675 pour
33 la communication de la Seine & de la Loire : il
33 a. vingt éclufes. C ’eft Philippe d’Orléans, ré-
33 gent de France, qui l’a fait achever fous la mi-
33 norité de Louis X V . Il porte le nom d’une ville
33 dans- laquelle il ne pafie pas. Il commence au
33 boürg de Combleux, qui eft: à une petite lieue
33 d’Orléàns.
33 Le projet du canal de Picardie pour la jonc-,
33 tion des rivières de Somme & d’Oife , a été
33 formé fous les miniftères des cardinaux de Ei-
33 chelieiT& de Mazarin , & fous celui de M .
33 Colbert. Il fut adopté par Louis X V , qui fit la
33 conceftion.de ce canal à M. Crozat. Maisconv
33 mencé en 1728, & ayant déjà coûté plus de fix
33 millions, le travail en fut interrompu. Il avoit
33 été repris par M. Laurent : fa mort furvenue
33 depuis quelques années, l’a fait fufpendre encore.
La Lys & l’Aa ont été jointes par un canal, qui
fait communiquer entr’elles les provinces françoifes
frontières des Pays-Bas , & qui , en temps de
guerre, peut fervir de barrièie contre les ennemis.
Les travaux de ce canal, ___ commencés en
1754, & interrompus en 17 5 6 , ’furent repris en"
1768 , & finis en 1771. On ne doit pas oublier,
ici que la promptitude avec laquelle ce s ’ travaux
furent'achevés, eft due en grande partie à l’emploi
qu’ on y fit des troupes.
Le plan du canal de Bourgogne , propofé de-,
puis long-temps , remis fi fouvent fu r ie tapis,
& pour la perfeéfion. duquel l’Académie de Di-*
jon avoit demandé, dans fes fujets des prix èn
1761 j de déterminer, relativement a. la Bourgogne,
les avantages & les dêfavantages du canal projetté
en cette province , pour la communication des deux
mers , par la jonction de la Saône & de la Seine ;
le plan du canal de Bourgogne vient enfin d’être
adopté par le gouvernement, & les travaux né-
ceffaires pour le mettre à exécution, ont été ordonnés
en conféquence.
33 Mais un des plus grands & des plus mer-:
33 veilleux ouvrages de cette efpèce , & en même-*
33 temsun des plus utiles, c’eft la jonéliondes deux
»> mers par le canal de Languedoc , propofé fous
33 François premier, fous Henri IV , entrepris &
33 achevé, fous Louis X IV . Il commence par un
33 réfervoir de quatre mille pas de circonférence
33 & de quatre-vingt pieds de profondeur, qui
33 reçoit les eaux de la Montagne-Noire. Elles
33 defcendent à Naitroufe -dans un baftin de deux