
»> Notre avènement au trône impérial de Ruf-
b fie eft une preuve évidente que la main de Dieu
*> dirige les coeurs fincèrés lorfqu’ils agiffent pour
9> le bien. Jamais nous n'avons eu ni le deflein
v ni le defir de patvenir à l'empire, de la manière
9» dont il a plu au Tout-puiflant, félon les vues
» impénétrables de fa providence, de nous 1 ac-
» corder. . - i w
» Dès la mort de notre très-aügufte 8c tres-
w chère tante > l'impératrice-Elifabeth Petrownà
» de glorieufe mémoire ^ tous les vrais patriotes,
» à préfent nos fidelés fujets , gémiffoient de la
» perte d'une mère fi tendre, 8c mettoient leur uni-
i* que confolation à obéir à fon neveu , qu elle
»» a voit nommé pour fon .fuccefTeur ; ils ne^ tar-
?» dèrent pas à pénétrer la foiblefte de fon genie ,
ai trop borné pour régir un empire auffi^ vafte »
» mais efpéraht qu'il réçonnpitroit lui-meme fon
^ infuffifance , ils recherchèrent nôtre aftiftance
v maternelle pour les affaires du gouverneraient.
» Lorfque le pouvoir abfolu tombe en partais
ge à un monarque qui n'a pas affez de vertus
8ç d'humanité pour y mettre de juftes bornes ,
.*» il dégénère en une fource féconde de malheurs..
« C ’eft ce que la Ruffie éprouva dans peu. £l|e
s'épouvanta , en fe voyant livrée à un fouverain
99 q u i, foutais aveuglément aux pallions les plus
?> dangerçufes , ne fongeoit qu'à les fatisfaire, fans
99 s'occuper du bien de l'empire qui lui eçoit
99 confié. |
99 Dans le temps où il étoit grand-duc 8c he-
99 rider du tr.ône de Ruffie, il caufa fouvent les
» pius amers chagrins à fa très-augüfte tante 8c
i? fouveyaine , ( ainfi que toute notre cour le fait ) :
99 reçenu par la crainçe, il vouloir garder pour elle
« une apparence de refpeél > mais il ne fè déguifa
« pas allez , £c il montra dès lors , aux. yeux de
9t tous nos fidèles fujets, la plus audacieufe in-
99 gratitude qui fe manifeftoit9 tantôt par des mé-
»9 priç p.erfopnels , tantôt par une haine avérée
99 pour la nation. A h f a , ne gardant plus de me-
59 fures, il aima mieux lâcher la bride à Tes pallions.,
99 que fe conduire en héritier d'un fi grand empire.
39 On-ri'apperçevpit plus en lpi aucune trace d"hon-
J neur. .
9> A peine fut-il alluré que fa tante 8c fa bien-
»9 faitrice alloit terminer fa .carrière, qu'il la traita
39 avec la dernière indécence } lorfqu'elje eutyçn-
39 du le dernier foupir , il jetta un oeil d? .mépris
99 fur le corps expofé dans le cercueil î la joie
99 étoit peintç fur fon vifagelorfqu'ilen approcha»
99 il marqua même fon ingratitude par des paroles-
« On peut dire c[ue les obfcques n'auroient pas
99 été dignes d'une auffi grande 8c magnanime fou-
«f veraine fi porte tendra refpeét pour elle , ci-
» mente pat les liens du fang 3 ainfi que TafFe&ion
39 extrême qu’elle nous avoit portée 3 ne nous en
99 euffent fait un devoir. ^
9f II imaginoit qu'il ne devoir pas à l’Etre fu-
tt prême 3 mais au hafard, le pouvoir abfolu dont
» il fe trouvoit revêtu î il ne fongea plus qu’ â eft
>9 ufer 3 non pour le bien de fes fujets , mais pour
99 fa propre fatisfaétion. Il fit , dans l'état ; tous
99 les changemens que la foiblelfe de fon génie
99 pouvoitluifuggérer, pour l'oppreflion du peuple.
»A y an t effacé de fon coeur jufqü'aux moin-
9» dres traces de la religion grecque orthodoxe , i!
» entreprit d'abord de détruire la vraie religion
» établie depuis fi long temps en Ruffie ; il ne
» parut plus dans les temples, il n'affifta plus aux
» prières publiques î quelques-uns d'entre fes fu-
» jets 3 témoins dé fon irrévérence 8c de fon mé^
» pris (pour les rites de l'églife, ou des railleries
99 facrilèges qu'il fe permettoit, ofèrent lui faire
99 là-deffijs de refpe&ueufes remontrances, 8c ils
» échappèrent à peine au reffentiment qu'on de-
» voit attendre a un fouverain capricieux , dont
»9 le pouvoir n'étoit fournis à aucune loi humaine.
» J1 fongea même à renverfer les églifes, 8c il or-
99 donna en effet d’en abattre quelques-unes. Il
» défendit les chapelles particulières à ceux que
» la maladie retenoit dans leur maifon > ils'effor-
»9 çoit d’étouffer la crainte de Dieu, que la fainte
93 écriture nous enfeigne être le commencement de
99 la fageffe.
»3 II ne refpeéta pas davantage les loix naturel-
99 les 8c civiles j car n'ayant qu'un fils unique que
3» Dieu nous a donné , le grand-duc Paul Pe-
» trow itz , il ne voulut pas , en montant fur le
» trône de Ruffie, le déclarer fon fuccefTeur > il
,33 méditoit notre perte 8c celle de notre fils j il
»vouloir faire paffer le fceptre dans des mains
39 étrangères , contre cette maxime du droit na-
33 turel 3 félon laquelle perfonne ne fauroit tranf-
» mettre à un autre plu.ç de droit qu'il n’en a reç9
*3 lui-même.
» Nous, pénétrâmes cette intention j mais nous
»3 ne crûmes pas qu'il feroit auffi dénaturé envers
33 nous 8c notre très-cher fils. Tous les gens de
» bien difoient qtfe fes efforts, tendants à notre
» perte 8c à celle de notre très-cher fils a fe ma^
33 nifefioiçnt déjà par des effets. Les coeurs nobles
33 8c généreux en furent allarmés. Animés de zèle
33 pour le bien commun de la patrie, 8c voyant
» avec quelle patience nous fupportions ces per-
33 fécutions, ils nous avertiffoient que^ nos jours
*3 étoient en danger, 8c ils nous excitoient à nous
?3 charger du poids du gouvernement.
33 Quoique la nation fût prête à faire éclater fon
33 mécontentement, il ne ceffoit d'irriter de plus
99 en plus les efprits, en détruifant tout ce que
» notre très-cher aïeul Pierre le Grand d'immor-
»3 telle mémoire, avoit établi en Ruffie 3 après
99 trente années de foins 8c de travaux. Il porta le
»3 mépris des loix de l'empire 8c des tribunaux ,
33 jufq,u'à dire qu'il n'çn vouloit pas entendre par-
331er. Il diffipoit les revenus dç la couronne par 139 des dépenfes non-feulement inutiles, mais .encore
99 nuifibles à l’état î après une guerre fanglante, il
9i en commença une autre nullement conyenabk
m
» aux intérêts dé la Ruffie ; il prit en averfion les
99 régimens des gardes, qui avoient toujours fer-
-33 vi fidèlement fes iliuftres prédéceffeurs } il fit
33 des innovations q u i, loin d'exciter les troupes
->3 à verfer leur fang pour la religion 8c la patrie ,
33 n'ont fervi qu'à les décourager. 11 changea^en-
33 tiérement la face de l'armée } il fembloit même
99 qu'en la partageant en un fi grand nombre de
»3 corps , 8c en donnant aux troupes tant d'uni-
33 formes divers, la plupart bifarres, il voulut
99 faire douter les foldats s'ils appartenoient effec-
33 tivement à un feul maître, 8c les porter à s'en-
33 tre-tuer dans la chaleur du combat. Comme il
*3 s'occupoit chaque jour de nouveaux arrangeas
mens auffi pernicieux, il éloigna enfin tellement
93 les coeurs de fes fujets de ia fidélité 8c de la fou-
33 miffion , que chacun d'eux le blâma hautement
99 fans aucune crainte , 8c fut prêt d'attenter à fa
vie. Mais la loi de p ie u , qui prefcrit de ref-
33 peéler le pouvoir fouverain , gravée.profondé-
33 ment dans le coeur de nos fideles fujets , les
99 retenoit j ils attendoient que la main de Dieu
»3 même le frappât, 8c délivrât la Ruffie.
< » Dans les circonllances que nous venons d’ex-
99 pofer aux yeux du public impartial , il nous
93 étoit difficile -de ne pas avoir l'ame troublée du
» péril imminent qui menaçoit la patrie , 8c de la
33 perfécution que nous Xouffrions avec, notre trè.s-
99 cher fils, l'héritier du trône de Ruffie : tous
® ceux qui avoient du zèle pour nous 3 ou plu-
9» tôt affez de courage pour le manifefler , ( car
93 nous n’avons trouvé perfonne qui ne nous voul
û t du bien, 8c qui ne nous fût dévoué ) cou-
33 roient rifque de la vie , ou du moins de la for-
99 tunè, en nous rendant les hommages qui nous
99 étoient dûs, comme à leur impératrice. Les &£-
33 forts qu'il employoit pour nous perdre , aug-
39 mentèrent au point qu'ils éclatèrent dans le pu-
99 blic j 8c nous accufant alors des murmures qu'ils
33 excitoient généralement, 8c dont lui feul ce-
>■> pendant étoit la caufe, il ne. cacha plus fon
99 deffein de nous ôter la vie.' Avertis par quel-
» ques-uns des plus affidés de nos fujets , 8c qui
33. étoient réfolus , ou à délivrer la patrie , ou à
9» fe facrifier pour e lle , nous mîmes notre con-
9} fiance en D ie u , 8c nous nous expofames au
33 danger avec toute la magnanimité que la patrie
33 àvoit lieu d'attendre de nous. Après avoir in-
33 voqué le Très-haut, nous réfolûmes pareille-
9? ment de nous immoler pour la patrie, ou de la
33 fauver des troubles 8c du carnage. Armés du
3?. bras du Seigneur, à peiné çûmes - nous dé-
3» claré notre confentemenç à ceux qui nous étoient
>3 envoyés de la part de la nation , que tous les
3» ordres de l’état s'emprefTèrent; à nous donner
99 des preuves de leur fidélité 8c de leur foumif-r
» fion, & nous en prêtèrent le ferment avec les
»? .démonftrations de la plus vive joie.
» Notre humanité 8c nôtre affeélion pour nos
?» fidèles fujets nous faifoientun devoir de prévenir
(McQR.pçlîf, diplomatique, Tom, /.
99 le carnage qu’on avoit à redouter , û le ci-de-
3» vant empereur, mettant fon efpoir dans la force
»imaginaire de fes troupes de Holfteïn, (pour
» l'amour defquelles il réfidoit alors à Oranya-
9» baum , vivant dans une parfaite oifiveté, 8c
» abandonnant le gouvernement 8c les affaires les
3» plus preffantes ) eût voulu employer là force
33 des armes ; car nos gardes 8c les autres régimens
» étoient prêts às'expofer pour la religion 8c la pa-
» tr ie , pour nous 8c notre fuccefTeur. Nous prîmes
» fur cela les arrangemens les plus prompts 8c les
’3 plus convenables. Nous mettant donc à la tête
’».des gardes; du corps d'artillerie 8c des autres
» troupes qui fe trouvoient à Pétersbourg, nous
»allâmes déconcerter fes defTeins , dont nous
» étions déjà informés en partie.
» Mais à peine étions* noiis fortis de la ville, qu'il
?» nous envoya deux, lettres l'une après l'autre j la
» première par notre vice-chancelier le prince Ga-
3» litzin , dans laquelle il demandoit qu'on le laif-
» fat retourner au pays de Holftein fa patrie j 8c
» l'autre par le major-général Ifmaïloff : il décla-
» ro it, de fon propre mouvement dans celle-ci ,
» qu'il abandonnoit la couronne, 8c ne fouhai-
» toit plus .de régner fur la Ruffie , il nous prioit
», de nouveau de.lelaiffer partir pour le Holftein
» avec Elifabeth Woronzoff 8c Goudowitch. Ces
»: deux lettres, remplies de flatteries, nous furent
3?; envoyées quelques heures après qu.'il eut donné
»3 ordre de nous tuer, comme cela nous a étérap-
*» porté par ceux mêmes qu’il avoit chargés de ct£
» attentat. .
39 Cependant il lui reftoit encore un moyen dé
»? s'armer contre nous avec les troupes de Holf-
33 tein , 8c quelques autres petits détachemens qui
33 fe troiivôient auprès de lui. Il auroit même pu
»3 nous forcer à lui accorder plufieurs conditions
» prejudiciables a la patrie j car il avoit entre fes
33 mains un grand nombre de perfonnes de diftinc-
".tion de nôtre cou r, de l'un 8c de l'autre fexe;
» 8c dès qu'il eut appris les premiers mouvemens-
33 d'un peuple juftement irrité , il, les garda com-
33 me otages au palais d’Oranyabaum. Notre hu-
»? manité n'auroit jamais confenti à leur perte, 8c
» pour les fauver nous aurions ligné avec lui toute
» efpèce d'accommodement. Toutes les perfonnes
33 de diftinétion entre nos fidèles fujets, qui étoient
33 alors auprès de. nous , nous fupplièrent de lui
33 mander que fi fon intention étoit réellement telle.
» qu'il i'avoit déclarée dans fes lettres, il nous
» donnât pour la tranquillité publique une renon-
» dation volontaire 8c formelle au trône de Ruf-
93 fie , écrite de fa main. Nous lui envoyâmes ce
billet par le même major-général Ifmaloff, &
» voici l'aé^e de renonciation qu'il nous fit re-
» mettre 39,
« Durant la courte durée de mon régné fhr Üempire
» de Rujfie 3 j ai* reconnu que mes forces ne fuffifent
»? pas pour un tel fardeau , & quil eft au-de (fus de
B